Après avoir envahi la France à l’issu de la campagne de mai-juin 1940, Hitler, qui contrôle désormais toute l’Europe occidentale, songe à l’éventualité de réduire cette hernie que constitue la Suisse entre les deux puissances de l’Axe.
L’élimination de la France de l’échiquier européen offre à l’Allemagne nazie de nouvelles perceptives stratégiques. En effet, la Suisse était initialement relativement protégée derrière des frontières et obstacles naturels, mais la défaite de la France ouvrait une vulnérabilité par son flanc ouest, à même de satisfaire la gloutonnerie conquérante germanique.
Cette soif de conquête helvétique avait été prise en compte par l’état-major français, qui avant juin 1940 avait envisagé une invasion de la Suisse, ayant notamment pour but de contourner la ligne Maginot par sud, comme alternative à son contournement nord par la Belgique. Des unités d’interventions ainsi qu’un état-major dédié avaient été prévus pour face à cette éventualité. Finalement, les Allemands sont passés par le nord de la ligne Maginot et la Suisse n’eut pas à pâtir du passage des troupes d’Hitler. Cependant, elle est désormais menacée par une invasion venant de la France et non plus l’inverse. Étant donné que la Suisse comptait une proportion importante de population dite germanique, cela aurait pu être un argument pour l’annexion dans le Reich. Plusieurs plans sont préparés, mais finalement Hitler ne donna jamais l’ordre d’exécution. Pourquoi ? L’invasion de la Suisse avait peu d’intérêt pour l’Allemagne et sa neutralité apportait vraisemblablement plus d’avantages. La neutralité du pays alpin ne fut donc pas remise en question jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale par l’Allemagne.
Et si Hitler en avait décidé autrement ? C’est ce que Jean-François Amblard, agrégé d’allemand et passionné d’histoire, nous propose de découvrir dans son roman uchronique ; Opération Tannenbaum. L’action se déroule en 72h, à partir du 25 juillet 1940. Il s’agit du fameux jour du rapport où le général Guisan s’adresse à ses officiers afin d’affirmer la volonté d’indépendance de la Suisse contre l’Axe. En effet, le pays est traversé par plusieurs courant plus ou moins pro-allemand voire pro-nazi qui rendent difficile la gestion du pays dans cette Europe en guerre. Ce 25 juillet, la guerre entre la Suisse et l’Allemagne s’ouvre sur un ballet de la mort orchestré par quelques avions à croix noire. S’en suit un récit haletant, où s’entremêlent personnages historiques et fictifs, scènes de combats aériens détaillées, espionnage et diplomatie, actes de courage individuels et collectifs… Le roman illustre parfaitement la diversité d’opinions par le biais d’une fresque de personnages parfois hauts en couleur. Les équipements et armements sont bien identifiés, ce qui plaira au lecteur avisé ; Me 109, Junkers 87, char « Praga »… Le récit emprunte beaucoup au réel, nom de lieux mais aussi événements qui se sont déroulés, rivalité entre le général Guisan et Wille ainsi que leurs partisans. Á noter qu’il est intéressant de se munir d’une carte pendant la lecture si l’on veut suivre l’action point par point et que l’on ne connaît pas bien la géographie du pays. Cette uchronie permet de s’intéresser aux relations qu’entretenaient la Suisse avec la France, l’organisation de l’armée suisse en cas de guerre, la nomination d’un général commandant l’armée par l’assemblée fédérale, au réduit national… L’uchronie permet par la même occasion de se poser des questions sur les réactions et décisions qu’aurait pu prendre le pays alpin en cas de guerre et comment il aurait pu faire face à la pression de l’invasion allemande. Les troupes d’Hitler auraient-elles pu venir à bout rapidement de l’armée de milice ou bien cela les auraient-elles conduites dans une guerre en montagne épuisante ?
En bref, un livre palpitant à lire et qui mène à s’interroger sur les relations diplomatiques et les décisions stratégiques au lendemain de la défaite française de 1940.
Opération Tannebaum, Jean-François Amblard, Toucan Noir, 2021