mercredi 27 novembre 2024

Quel futur pour l’armée de terre après le Livre blanc ?

Avant tout, je pense que nous pouvons être ébahis devant l’efficacité américaine suite à l’attentat de Boston. En moins de 96 heures, les forces de police aidées de la garde nationale ont identifié les terroristes et quadrillé Boston, ville de 600 000 habitants. Elles les ont retrouvés et neutralisés, sans polémique sur leur élimination physique. Peu de commentaires en revanche en France sur cette capacité à réagir, sans doute parce que nous n’en sommes pas capables. Les armées sont souvent citées dans leur contribution à la lutte contre le terrorisme. Qu’aurait-pu faire l’armée de terre dans ce contexte ?

Je rappellerai aussi le cas Merad à Toulouse. La polémique a été « de rigueur » sur la décision d’agir et sur l’action du RAID. Son chef vient d’être muté (remercié ?). Petite digression. Vous allez me dire qu’il peut faire aussi partie du changement en douceur de ceux qui étaient en place avant mai 2012 (DGSE, SGDSN bientôt ? CEMA selon les rumeurs et qui n’est pratiquement pas apparu lors de la crise malienne alors qu’il est le commandement opérationnel des forces) même si une partie de ces changements semble normale (Gendarmerie).

Autre digression, j’ajouterai le cas de la nomination de Jean-Pierre Masseret le 15 avril dernier comme président du conseil d’administration de l’IHEDN qui peut interpeller puisqu’il est permis par la modification d’un arrêté (Cf. LDD). Peu à peu, les têtes changent donc, sans doute le jeu normal du changement mais était-ce bien le bon symbole en cette période d’appel à l’exemplarité ?

Pour en revenir à Boston, cette lutte contre le terrorisme peut conduire à se pencher sur les capacités de l’armée de terre qui aurait pu contribuer à ce type de mission en complément des forces de sécurité intérieure. Or, que représente-t-elle aujourd’hui alors qu’elle est particulièrement menacée dans le prochain Livre blanc et dans la LPM qui suivra (Cf. Le Point) ?

L’armée de terre représente 134 000 militaires et civils mais distinguons bien les forces sous l’autorité directe du chef d’état-major de l’armée de terre et les forces qu’il gère sans en avoir le commandement. (Cf. Mon billet du 22 août 2012, Que retirer des auditions des autorités militaires par la représentation nationale ? L’Armée de terre) D’une part donc en 2012, 102 000 hommes dont 93 000 militaires. D’autre part, 11 000 personnels hors ministère de la défense soit 8 000 pompiers, 2 000 pour les unités de sécurité civile, 1 000 pour le service militaire adapté et 23 000 personnels qui contribuent à faire fonctionner les services interarmées… dont ils représentent 50% des effectifs.

73 000 hommes sont projetables dont 2 000 « forces spéciales » sachant que le personnel ayant moins d’un an de service n’est pas projeté. 75% des personnels sont sous contrat mais la moitié est au minimum du traitement de la fonction publique. Ayant besoin d’une population jeune qu’elle éduque, l’armée de terre recrute annuellement 10 000 personnels et est un exemple réussi de promotion sociale par le mérite.

Bien que correspondant à 45% des effectifs du ministère de la défense, l‘armée de terre ne représente que 20% du budget, moins de 20% du budget « équipements ». Les restrictions budgétaires s’accroissent, entrainant la baisse du budget pour les réserves, l’entretien programmé, tout ceci contribuant à rendre les contrats opérationnels inaccessibles.

Concernant les équipements, l’armée de terre a besoin de renouveler les véhicules courants, les hélicoptères. Notons qu’en 1990, la France déployait 120 hélicoptères dans le Golfe, aujourd’hui, une vingtaine en Afghanistan puis au Mali contraignant même à ramener d’Afghanistan quelques Tigres pour en disposer de 8.

Le programme le plus important est celui du programme Scorpion avec notamment le VAB (véhicule de l’avant blindé), déployé… il y a quelque 40 ans,  l’AMX 10RC récemment revalorisé mais déployé dans les forces il y a plus de trente ans (j’ai été le premier chef de peloton sur AMX10RC au sein des troupes de marine en 1982). Tout ceci est compris dans le programme Scorpion qui nécessite un engagement financier de 500 M€ pendant quatre ans pour rénover les équipements … Cela ne semble pas bien élevé compte tenu des enjeux opérationnels et industriels.

Enfin, l’enjeu est d’abord d’assurer la préparation opérationnelle des unités  (nombre de journées consacrée à l’entraînement) celle qui a permis en quelques heures, grâce à l’alerte « Guépard », qui comprend en permanence 5 500 militaires, de déployer les forces au Mali sur un territoire plus grand que la France, dans des conditions d’emploi extrêmes. Or, les 130 millions d’euros par an consacrés à cette préparation opérationnelle sont aussi contestés par les grands argentiers, soit une somme qui représente annuellement moins de la moitié d’un Rafale (Cf. Secret défense, un point sur le Rafale et le Monde du 9 décembre 2011). On peut s’interroger parfois sur quelques choix d’équipements et sur la connaissance du fonctionnement des armées par la technostructure.

Je conclurai sur quelques remarques sur le rôle des forces terrestres :

  • On peut régler une crise sans mettre des hommes au sol si l’on se réfère à la guerre contre la Libye mais on ne peut ni stabiliser un Etat ni l’accompagner dans la sortie de crise sans une force militaire de stabilisation durable, donc terrestre. Celle-ci a alors pour missions le contrôle du désarmement, la sécurité, la remise en place d’une administration. Cela peut aussi avoir un effet d’entraînement comme le Mali le montre en incitant nos alliés africains à s’engager.
  • Il est plus facile pour un Etat européen de déployer un transporteur aérien que des forces terrestres. Le vrai acte politique est le déploiement au sol.
  • Les forces spéciales, malgré leurs qualités, ne peuvent pas tout faire, ce que confirme le commandant des forces spéciales (Cf. Le Point)

Alors quel futur pour l’armée de terre ? La période 2009-2014 a organisé une déflation de 54 000 postes (Cf. rapport du Sénat). Le Livre blanc de 2013 amènerait une nouvelle déflation, encore une, de quelque 33 000 personnels. Connaissez-vous beaucoup de structures en France ayant pu subir ce régime, d’une manière répétée, à une telle échelle ?

Pour l’armée de terre, cela signifierait à nouveau, semble-t-il, la perte de 10 000 hommes et de 10 régiments (Cf. Blog Sécurité défense de Nice Matin). Cela conduira à des fermetures de garnison et à un accroissement de la désertification militaire du territoire national, sans doute aussi à des incitations au départ mais dans quelles conditions compte tenu de l’état des finances publiques.

Dans ces conditions, je me demande, et je ne dois pas être le seul, si nous aurons encore dans quatre ans une armée de terre autonome capable d’être l’expression d’une volonté politique dans les relations internationales. Le doute est là et il durera au moins jusqu’au… 29 avril prochain.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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