jeudi 19 septembre 2024

Quelle stratégie de sécurité nationale après le 7 mai 2017 ?

La première partie de nos élections de 2017 est achevée. Peu d’observateurs ont remarqué que jamais les drapeaux français n’ont été aussi nombreux, jamais la Marseillaise n’a été autant chantée dans les meetings politiques de l’ensemble des partis. Jamais nous n’avons vu aussi peu de drapeaux étrangers lors de la proclamation des résultats à la différence de 2012. Les drapeaux algériens de l’époque avaient laissé une bien mauvaise impression. Cette élection a au moins créé un choc salutaire pour la réappropriation par tous, des symboles de la République et de la France avec le rétablissement aussi du lien avec la France historique par Emmanuel Macron au Louvre le 7 mai.

Ce dimanche, la prise de fonction du nouveau président de la République s’est remarquablement bien passée. La présidentialité de la fonction a été rétablie après les deux mésaventures des présidences précédentes. S’ajoute cette bienveillance spontanée d’Emmanuel Macron envers les armées avec cette belle image de ce président entouré de nos principaux officiers généraux lors de l’honneur rendu au soldat inconnu sous l’Arc de triomphe. La visite à nos blessés à Percy, tout comme la visite la semaine prochaine à nos forces armées en opération, sont deux témoignages d’affection que le chef des armées a décidé de porter à la communauté militaire. Elle y sera sensible, d’autant plus sensible si les engagements notamment budgétaires se réalisent.

Une nécessaire stratégie de sécurité nationale ambitieuse

Comme à l’accoutumé, cette élection a peu abordé les questions internationales. Reconnaissons que ce n’est pas un sujet qui passionne la majorité des Français, légitimement plus préoccupés par l’emploi et donc indirectement par l’économie. Le seul débat a concerné la fermeture des frontières et la lutte contre le terrorisme, avec la promesse de moyens supplémentaires. Hormis le « plus d’Europe » et le « moins d’Europe », les questions internationales n’ont donc été que peu abordées.

Depuis 1958, la diplomatie et la défense constituent les domaines réservés du président de la Ve République, y compris en cohabitation. Selon la Constitution, il est le « garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, des traités » et « chef des armées ». Engager sa diplomatie et ses forces armées au service d’une stratégie de sécurité nationale, représente l’expression du pouvoir et de la souveraineté nationale.

Cette stratégie de sécurité nationale à venir sera soumise à la réalité de la puissance de la France, donc à ses capacités militaires, diplomatiques, économiques mais cette puissance n’aura de sens ou d’utilité que si l’exécutif a une vision mobilisatrice de l’ordre du monde. Elle n’aura d’efficacité qu’en fonction de la détermination présente à toutes les étapes de la chaîne décisionnelle « politico-militaire » et qu’en fonction de l’état d’esprit et de la résilience de l’opinion publique.

Certes, au registre des invariants de la diplomatie française figure la perpétuation de la dissuasion nucléaire. C’est aussi l’influence de la France par le fait d’être l’un des cinq membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, bientôt seul membre de l’Union européenne après le Brexit. Il ne serait pas souhaitable que la France propose la mutualisation de cette responsabilité par exemple avec l’Allemagne au profit de l’Union européenne. Enfin, grâce au concours de l’Afrique francophone, la France reste influente à l’assemblée générale des Nations unies.

Un environnement stratégique instable

La nouvelle vision stratégique dépendra cependant de la perception de la menace ou de l’instabilité. Les enjeux stratégiques deviennent d’importance pour le nouveau président de la République avec les orientations possibles suivantes :

  1. Maintenir ou essayer de maintenir un engagement européen dans le domaine de la sécurité commune avec la question de la place de l’Union européenne et de l’OTAN. Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, la France reste dans l’OTAN. Cependant, quelle sera la dimension donnée à l’Europe de la défense par rapport à la défense de l’Europe assurée par l’OTAN avec l’aide des Etats-Unis et des Canadiens ? L’Allemagne qui dispose et à terme disposera du principal budget européen dédié à la défense, ne sera-t-elle « l’homme fort de l’Europe », certes temporisée par une réticence à l’engagement des forces terrestres ? il ne suffira pas de pavoiser la France avec le drapeau de l‘Union européenne pour que celle-ci devienne acceptable pour 50% des électeurs qui souhaitaient le Frexit.
  2. A nos frontières communes, quels seront les rapports avec les Etats du sud de la Méditerranée d’une part, d’autre part de ceux de la Méditerranée orientale. Se posent en effet les questions du contrôle de l’immigration illégale, de la liberté d’action à combattre des mouvements terroristes islamistes, de la place de la Turquie aussi bien dans sa volonté certes faiblissante d’adhérer à l’Europe que dans son autoritarisme et sa place dans l’OTAN, enfin du conflit entre Israël et ses voisins arabes.
  3. Aux frontières orientales de l’Europe, nul ne peut ignorer la crainte des européens de l’Est face à la Russie. Or, l’OTAN et l’implication américaine paraissent pour la plupart de ces Etats les seules garanties pour leur sécurité. La stratégie d’influence de la Russie est désormais identifiée et l’environnement informationnel est une donnée incontournable de la stratégie d’un Etat d’autant qu’elle a été évoquée dans sa nouvelle doctrine publiée fin 2016. Savoir contre-argumenter et surtout obtenir la confiance de son opinion publique qui doit croire en la parole officielle devient l’objectif stratégique d’une démocratie comme la France notamment face à la désinformation et aux « fake news ».
  4. Dans nos relations avec nos alliés, comment créer des relations fiables et efficaces avec le monde anglosaxon, qu’il soit britannique ou américain ? Faut-il développer des relations plus fortes avec l’Allemagne pour faire bloc face à ces deux alliés de longue date mais dont nul ne doute la prédilection à défendre avant tout leurs intérêts nationaux ?
  5. Concernant la guerre à mener sur les bases arrière de l’islamisme radical, la question de l’engagement de la France seule devra être posée que ce soit à ses alliés européens ou otaniens. Emmanuel Macron devra faire des choix surtout si la France reste seule en première ligne alors que le Sahel reste instable et que les forces françaises y sont depuis bientôt quatre ans déjà ! Renforcer l’aide au G5 Sahel d’une part, obtenir un soutien de nos alliés européens pour alléger notre engagement au moins financier, restent sans doute deux objectifs à atteindre.
  6. Sur le territoire national, l’opération intérieure « Sentinelle” a entrainé le déploiement de 7 à 10 000 soldats avec un certain nombre de réservistes. La garde nationale créée en octobre 2016, avec un effectif visé en 2018 de 85 000 personnel, pose un certain nombre de défis notamment en termes de financements, d’infrastructures. Comment le service militaire obligatoire d’un mois promis par le candidat Macron va-t-il aussi s’inscrire dans cette architecture ?
  7. Cependant la sécurité lointaine ne peut être ignorée. La réputation des forces françaises et donc cette alternative à l’imprévisibilité américaine peut conduire à un plus grand engagement français dans le Pacifique d’autant que nous y avons des intérêts. Quelle sera notre stratégie à la fois diplomatique et militaire d’une part face à la montée des exigences chinoises et d’une Chine qui contrôle partiellement notre économie, d’autre part face à la montée de la menace militaire et nucléaire de la Corée du Nord ? Notre présence navale à côté de nos alliés en mer de Chine méridionale peut-elle être écartée alors que 80% du trafic maritime mondial s’y écoulent ?
  8. Enfin la France a toujours été sensible à un désarmement mondial raisonnable et contrôlé notamment nucléaire, chimique, spatial. Il faut reconnaître que la situation internationale a tellement évolué que cet aspect de la stratégie française a bien disparu des écrans radars depuis quelques années. Or, ces domaines font partie de la stratégie de sécurité nationale.

Il faut donc se rappeler que fondamentalement une vision stratégique associant la politique étrangère et la politique de défense est affaire de souveraineté. Elle est à vocation mondiale qu’il faut cependant concilier avec celle d’autres alliés dans le cadre d’une convergence d’intérêts. Pour parvenir à ses fins, il faudra s’appuyer sur une économie forte et sur une défense assurée.

Une réalité budgétaire

Il y a en effet un grand décalage entre la réalité économique de la France qui représente 3 % de la richesse mondiale (pour 15 % des dépenses sociales mondiales) et le rôle diplomatique et militaire qu’elle assume encore. Quel budget réel le nouveau président est-il prêt à consacrer à l’indépendance nationale, donc à la souveraineté de la France que ce soit dans un cadre européen ou international ? Augmenter progressivement le budget de la défense … d’ici 2025 vers les 2% du PIB, donc avec un objectif allant au-delà d’un mandat de cinq ans, n’est-ce pas déjà annoncé que les efforts seront limités et qu’une perte de souveraineté est déjà annoncée en raison de l’impossibilité de sa réalisation ?

En effet, le budget pour la défense est aujourd’hui d’1,56% ou d’1,77% du PIB avec les pensions de retraite, soit respectivement environ 32 milliards et 8 milliards d’euros. L’augmentation du budget promise sur huit ans reste problématique et atteindre ces 2% du PIB annoncés pour le budget de la défense signifierait une augmentation d’environ dix milliards d’euros par an, soit à terme 42 milliards hors pensions.

Elle devra inclure le coût estimé du service militaire, soit six milliards par an selon quelques sources. Se pose en outre l’enjeu de la dissuasion nucléaire soit aujourd’hui environ 3,5 milliards d’euros sur les 32 milliards d’euros du budget. Loin d’être remise en cause, sa modernisation devra atteindre 6 milliards en 2025. De fait, le cumul des besoins pour la dissuasion nucléaire et pour le service militaire universel absorbe l’augmentation budgétaire promise au détriment des forces conventionnelles.

Pour conclure

Le nouveau président de la République a reçu en héritage les conflits en cours et la nécessaire reconstruction d’une stratégie de sécurité nationale. Son message aux armées qui sera diffusé sans aucun doute lors de son déplacement la semaine prochaine auprès des forces françaises sera attendu.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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