mercredi 27 novembre 2024

RCA et engagement militaire français en Afrique

L’intervention française a connu ses deux premiers tués au combat le 9 décembre à Bangui. Antoine Le QUINIO et Nicolas VOKAER, marsouins parachutistes du 8e RPIMa respectivement âgés de 22 et de 23 ans, recevront les hommages de la France ce lundi 16 décembre à 11h30 aux Invalides (Cliquer ici pour lire leurs biographies).

Comme cela est désormais la tradition, un hommage public est organisé au passage du convoi sur le pont Alexandre III à Paris le 16 décembre à 9h30.

Leur mémoire pourra aussi être honoré par l’inscription de leurs noms sur les monuments aux morts de leurs communes respectives pour être rappelés chaque année au 11 novembre.

Les honneurs rendus à nos soldats tués en opération

Comme le rappelle le député du Tarn, Philippe Folliot, secrétaire de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale : « le métier de soldat n’est comparable à nul autre, car l’engagement au service de la France et des populations qu’elle est venue défendre peut aboutir in fine au sacrifice suprême, celui de la vie ». Lui comme de plus en plus de représentants de la classe politique semblent bien prendre conscience de la reconnaissance due aux soldats de France. La LPM, malgré les doutes sur sa faisabilité, a été l’objet d’un travail parlementaire approfondi qu’il faut reconnaître et qui témoigne de cet intérêt.

Je reviens cependant sur la place prise par les honneurs rendus à nos soldats. Un article très intéressant a été publié par la revue Défense nationale (Cf. Octobre 2013). Sous les plumes de Caroline Marchal et de Sébastien Jakuboski, il s’intitule « Le politique et les hommages rendus aux soldats français morts en Afghanistan ». Il décrit l’évolution du rituel de reconnaissance dû au soldat mort dans une opération qui, depuis l’Afghanistan, s’applique désormais à tous les soldats tués quelle que soit l’opération.

Les auteurs rappellent en particulier l’hommage citoyen instauré depuis avril 2011 par le général Dary, ancien gouverneur militaire de Paris, et la mise en place du plan « hommages ». La notion d’hommage, le processus appliqué par les armées, la nouvelle place prise par le politique sont clarifiés.

Cet article soulève enfin les relations dans notre France du XXIe siècle entre le politique et le militaire qui ressent l’indifférence de la Nation vis-à-vis de son engagement. Elle peut cependant être relativisée. La réaction émotionnelle (donc irrationnelle) lors d’un décès en opération est importante dans une partie de la communauté nationale. Nous sommes loin de l’indifférence.

Ce qui est plus grave à mon sens est plutôt cette incompréhension des citoyens sur les buts politiques poursuivis par une intervention militaire d’autant que celle-ci  s’étend souvent sur des durées inconnues et ce, malgré les annonces. Comment faire prendre conscience aux citoyens de l’utilité d’une guerre ? Débat constant dans une démocratie. Il doit sans doute être entretenu pour éviter l’instrumentalisation de la guerre pour des besoins de politique intérieure, soupçon récurrent. La guerre est rarement souhaitée mais, instrument d’une politique étrangère raisonnée, décidée par le politique, elle est parfois nécessaire. Les opinions publiques ont peur naturellement de cette violence même légitime et de ses conséquences.

L’hommage à nos morts pose enfin une autre question : n’aurions-nous pas besoin de nouveaux héros militaires ? Parlons de cette valeur oubliée qu’est l’héroïsme militaire. Quand le soldat mort au combat devient-il un héros ? Comment définir le héros militaire au XXIème siècle, à la fois exemple pour ses frères d’arme (les noms de baptêmes de promotion en sont déjà une expression) et pour la société civile ? Quel pourrait être l’effet bénéfique du héros militaire pour la communauté nationale au profit du lien Armée-Nation ? Vaste chantier.

Intervention en RCA et manque de soutien des Français

Quant à la RCA, les médias soulignent l’incertitude sur les buts à atteindre. L’opinion publique à travers les sondages montre qu’elle ne comprend pas l’opération. Quelle paix recherchons-nous en RCA car le but de toute intervention n’est-il pas d’atteindre un but politique ? Il ne s’agit pas de conduire des assistances humanitaires répétées sans durabilité des effets obtenus. Même si nous avons la légitimité pour agir, nous avons des moyens limités. Nous n’avons cependant pas à perdre des soldats pour des missions sans résultats durables dans le temps.

Ainsi, ce sondage IFOP pour Dimanche Ouest-France reflète ce doute. Il a été réalisé du 11 au 13 septembre après la mort de nos deux soldats. Il constate un net recul du soutien des Français à l’intervention militaire en Centrafrique, soit de 51% à 44% en une semaine. L’Ifop relève à titre de comparaison que les interventions en Libye et au Mali (elles avaient recueilli une adhésion initiale de 66% et 63%) n’avaient « connu une chute de popularité qu’au bout de respectivement deux semaines et un mois et demi ».

Le soutien à l’intervention reste majoritaire chez les sympathisants de gauche (61%). L’intervention est rejetée par 65% des sympathisants UMP et par 77% des proches du FN. Cela m’inciterait à poser à nos concitoyens des questions supplémentaires à intégrer dans ce type de sondage :

  • Accepteriez-vous un massacre prévisible en Afrique alors qu’une intervention militaire française peut l’éviter ?
  • Si oui, pour quelles raisons ?
  • Si oui, soutenez-vous et assumez-vous la décision de l’exécutif de ne pas intervenir militairement ?

Nous avons une population toujours prête à se mobiliser ou à s’indigner mais il faut aussi assumer le choix… de l’inaction.

Enfin, les causes selon l’Ifop seraient un « effet de lassitude » face à la multiplication des opérations à l’étranger, des buts de guerre peu évidents et une réticence à engager de nouveaux moyens financiers en période de crise. Une plus grande participation de l’Union européenne (Cf. l’Express) changera-t-elle ce manque de soutien ? Nous le verrons lors du Conseil européen des 18 et 19 décembre à Bruxelles qui sera consacré notamment à la politique de sécurité et de défense commune. Ce qui est relaté par Bruxelles B2 n’est cependant pas optimiste (Cf. B2)

L’assistance à un Etat failli : quelques réflexions

Il ne peut y avoir d’intervention humanitaire sans intégration dans une stratégie de reconstruction à long terme de l’Etat assisté. J’irai même plus loin. Doit-on laisser la liberté d’action aux perturbateurs et aux corrompus au nom d’une souveraineté locale ? Je ne le crois pas.

Allant dans la logique des nombreuses déclarations ou votes de l’organisation des Nations unies sur la responsabilité de protéger, sur les droits des uns et des autres, toujours prompte à dénoncer, à exprimer une morale, ne doit-on pas imposer d’une certaine manière la reconstruction de l’Etat failli même si cela dépend du Conseil de sécurité ?

Vaste débat, vous me direz. Utopique même. Certes mais justement pour ne pas rester dans l’utopie, s’engager dans une assistance extérieure doit obtenir des résultats en fonction des attentes. Vous me direz aussi. Et les printemps arabes avec la Libye et l’Afghanistan, quels bilans ? C’est vrai. Ce n’est pas brillant au moins à court terme. N’oublions pas cependant le soutien d’une partie de notre opinion, au moins aux événements dans le bassin méditerranéen.

Par ailleurs, tout effondrement d’un régime conduit à une phase incertaine de reconstruction de l’Etat. L’histoire montre que nous ne pouvons pas préjuger de ce qui peut émerger. A nous donc de faire de « la paix à venir » celle qui sera la plus conforme à nos intérêts. Cela justifie donc une approche globale pour la sortie de crise intégrée dans la stratégie générale de l’Etat en fonction de la place que nous donnerions à une France « puissance » dans ce nouvel environnement international.

On ne construit pas un Etat multiethnique, multiculturel en quelques années, surtout avec des forces de l’extérieur. Des facteurs de succès peuvent aider au choix de la décision :

  • Convaincre localement qu’il s’agit bien d’une assistance qui tient notamment compte des spécificités locales.
  • Ne pas se projeter là où les peuples et leurs dirigeants ne veulent pas évoluer sauf s’ils menacent la paix ;
  • Avoir la possibilité de mettre le pays concerné sous une tutelle internationale pour légitimer et mettre en œuvre une stratégie de reconstruction dans le temps. Cette tutelle peut être exercée par un Etat mandaté et/ou une organisation régionale ;
  • Disposer d’un financement en partie, sinon totalement, international avec la mise en place d’un contrôle strict de l’emploi des fonds.
  • Pour la France, créer un commandement français pour l’Afrique (Cf. Mon billet du 8 décembre 2013) intégrant bien sûr la coopération militaire. Il serait l’équivalent d’Africom (Cf. Lignes de défense sur les dernières nouvelles d’Africom) et permettrait de faire de la France une nation-cadre pour la reconstruction d’un Etat en Afrique.

Pour conclure

Le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères ont déclaré que la France n’avait pas vocation à être le gendarme de l’Afrique, ce que je peux traduire par le gendarme de l’Europe en Afrique. Si cela devait être quand même le cas, que des contreparties sérieuses nous soient accordées. Après tout, plus nos troupes pourront s’aguerrir, plus leur crédibilité pourra s’affirmer, plus elles pourront renforcer la puissance extérieure de la France.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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