Écrire à chaud sur un conflit en cours n’est pas évident. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, décidée par Vladimir Poutine le 24 février 2022, n’échappe pas à la règle. Le surcroit d’information accroit la difficulté d’y voir clair et il est présomptueux à ce stade de vouloir tirer trop « d’enseignements ». Nous sommes tous et toutes dans un mélange de stupeur et d’émotion. Quelques réflexions rapides peuvent néanmoins être dégagées de ces dernières semaines et des premières heures du conflit, avec toutes les réserves qu’il faut garder à l’esprit quant à l’exactitude des dépêches qui circulent.
« L’impensable est de nouveau probable ».
C’est sans doute l’enseignement le plus important de cette affaire. L’impensable, l’invasion en bonne et due forme d’un grand pays européen par un autre, est de nouveau une possibilité. Les « précédents » étaient sans commune mesure. L’invasion de la Géorgie par la Russie en 2008 avait mobilisé environ 15 000 militaires russes. Le conflit en cours a fait un saut de magnitude : il est dix fois plus important dans son ampleur et son intensité. L’Ukraine est un pays de 44 millions d’habitants, d’une superficie plus grande que la France. Les effectifs cumulés mobilisés par les deux parties dépassent les 500 000 hommes et les pertes des premiers jours semblent très importantes, plusieurs milliers de tués et blessés et des centaines de véhicules détruits en 24 heures. Des chiffres inédits en Europe depuis 1945.
Cela signifie que pour les observateurs et les analystes, ce genre de scénario n’est plus « extrême improbable » sur la grille d’analyse. Je le confesse bien volontiers, c’était mon cas. J’écrivais précédemment sur ce même site que le cas le plus probable était la prise d’une nouvelle « tranche de salami » par Vladimir Poutine. En clair, une attaque localisée pour prendre un nouveau gage territorial tout en accroissant la pression sur l’OTAN. La décision du président russe « renverse la table ».
L’impensable devient donc de nouveau probable : attaquer un autre État européen, de manière massive, avec tout le spectre des moyens conventionnels et en agitant ouvertement la menace nucléaire. Pour les pays européens non membres de l’OTAN et qui sont situés dans l’étranger proche de la Russie, notamment la Suède et la Finlande, c’est un revirement de l’histoire assez rude.
La nature de la guerre mécanisée moderne ne change pas — elle se complexifie
Nous avons été plusieurs à mettre en garde, sur ce site ou ailleurs, contre les effets de mode et les croyances dans une « révolution » des affaires militaires. Cyber, drones, munitions rodeuses, autonomie, missiles de croisière… Tous ces systèmes s’intègrent dans une complexification croissante du champ de bataille, mais sans supplanter ni remplacer les anciens systèmes. Ils apportent des avantages et des inconvénients et aucun n’est une « panacée ». Le cœur de bataille de l’armée russe reste un groupe combiné de chars, de véhicules blindés remplis de fantassins et d’artillerie autopropulsée. Les drones s’y sont ajoutés, pour le ciblage et la reconnaissance. Comme je le disais à une conférence de l’IGEA, les systèmes qui ont « disparu » depuis 50 ans se comptent encore sur les doigts d’une main (le cheval, le canon antichar tracté, le dirigeable, le cuirassé). Plus que jamais, il faut disposer de forces agiles, cohérentes et diversifiées. Le char lourd, le canon d’artillerie et la section d’infanterie mécanisée resteront le cœur des armées modernes encore longtemps.
L’autre corolaire est que, dans ce contexte de complexification du champ de bataille, la masse et l’espace restent des déterminants importants. Une défense en profondeur reste un moyen efficace de contenir une offensive, même en infériorité technologique et doctrinale, comme l’a démontré Stephen Biddle dans son ouvrage séminal Military Power. Ce tandem « effectifs et profondeur » explique sans doute en bonne partie la résistance « surprenante » de l’armée ukrainienne. Bien qu’on ait pointé à juste titre ses faiblesses opératives et l’important turn-over de ses personnels, la profondeur du territoire et l’importance de ses effectifs, la motivation de ses personnels dans la défense de leur sol natal et l’amélioration visible d’un minimum de reflexes tactiques fait que la supériorité russe ne suffit pas pour avancer facilement et sans pertes. L’époque où des bataillons ukrainiens entiers étaient anéantis à découvert par les lance-roquettes russes semble révolue.
C’est une leçon importante pour les Occidentaux, qui commence à être comprise depuis quelques années : au-delà de la course à la technologie, il faut réapprendre la rusticité, augmenter les effectifs et les volumes disponibles, de matériels comme de munitions, d’active comme de réserve. L’époque où l’arme principale de nos navires était leur drapeau est révolue. L’époque où nous pouvions nous contenter d’une force professionnelle, légère et projetable est terminée. De manière simplifiée et toutes choses étant égales par ailleurs, il faut sortir du format d’armée actuel proche « du Second Empire » pour revenir à celui « de la IIIe république » avant qu’il ne soit trop tard.
Cela ne veut pas dire que l’Ukraine va « gagner » ou qu’elle sera capable d’arrêter l’offensive russe. Au bout de deux jours de combats, l’avantage reste clairement à Moscou. Mais on peut simplement remarquer que la phase de « shaping » ne semble pas se dérouler au mieux pour l’armée russe.
L’arme nucléaire demeure structurante et indispensable
Quoiqu’en pensent ceux qui prêchent son obsolescence ou qui, au contraire, souhaitent son désarmement complet et unilatéral, l’arme nucléaire demeure structurante dans les relations internationales entre grandes puissances, y compris dans les conflits actifs. Si Vladimir Poutine a pu décider d’aller « aussi loin » sans craindre d’action militaire occidentale, c’est parce que la Russie est sanctuarisée par une force nucléaire de premier plan. De même, si l’OTAN peut se « contenter » de mobiliser des forces de réassurance sans mobilisation générale de tous les pays occidentaux, c’est parce que les forces de dissuasion américaine, britannique et française sont là pour contrebalancer l’arsenal russe.
L’arme nucléaire n’empêche pas la guerre partout et tout le temps. Cela n’a jamais été le cas dans l’esprit de ses promoteurs, c’est une argutie invoquée par ses détracteurs. Simplement, elle fixe un seuil extraordinairement élevé entre puissances nucléaire à atteindre avant que l’option « militaire » ne semble « rentable » sur le plan de la sécurité. Même si l’irrationnel, les reflexes culturels et les passions ne sont jamais étrangères à la guerre, le calcul d’intérêt et l’évaluation des rapports de force comptent et l’atome demeure un démultiplicateur de puissance hors de proportion avec toute alternative.
À ce titre, la dissuasion nucléaire française est sans doute, à ce jour, l’outil le plus précieux de sanctuarisation nationale dont nous disposons. Le corolaire est, hélas, très clair : si l’Ukraine avait été dotée de l’arme nucléaire avec des forces de mise en œuvre crédibles, jamais les Russes ne seraient entrés de cette façon sur son territoire. Une des conséquences possibles de cette crise risque donc d’être de relancer les velléités de prolifération de certains États. Y compris des démocraties, en Asie par exemple.
« L’OTAN demeure la seule garantie de sécurité crédible pour l’Europe, sous parapluie américain »
On peut s’en réjouir ou s’en désoler selon l’opinion qu’on a de l’Alliance, mais c’est un fait : Vladimir Poutine adore se rire de l’Occident, juger les démocraties européennes faibles et décadentes, les provoquer et mener des actions d’influence en profitant des failles de nos sociétés dont les malaises sont réels. Mais il prend toujours un grand soin à ne pas se retrouver en position d‘avoir à se battre contre l’OTAN. Les opérations d’influence contre les pays baltes ne sont jamais allées très loin. L’Alliance, par sa présence, dissuade objectivement la Russie d’agir contre chacun de ses membres autrement que par des opérations d’influence, des cyberattaques ou des rodomontades.
La plupart des politiciens qui agitent avec constance l’idée d’une sortie de la France de l’OTAN, du commandement intégré ou de l’Alliance se désolent en fait, en creux, de l’importance de la présence américaine. Mais il convient de rappeler quelques vérités fondamentales sur l’Alliance :
- Les décisions s’y prennent au consensus. Si les Américains demeurent les premiers contributeurs, chaque membre peut « bloquer » une décision de l’Alliance qui irait dans un sens contraire à ses intérêts. Et il n’y a aucun mécanisme prévu pour exclure un membre (on s’en désolait à propos de certaines actions turques, mais au final, c’est plutôt une chance). Le meilleur moyen d’influencer l’OTAN et de l’empêcher de dériver vers des actions inacceptables consiste à y siéger en européen responsable et non à critiquer de loin. L’efficacité y gagne ce que la posture morale y perd.
- Tous les États européens sont membres de l’Alliance ou sont partenaires (Suède, Autriche, Irlande, Finlande…). L’OTAN est, quoi qu’on en pense en France, la « maison commune » autour de laquelle les Européens pensent et organisent leur défense depuis 1949. Non seulement il est indigne de la mépriser, mais il est illusoire d’espérer une Europe de la défense sans l’OTAN, c’est un fantasme français qui n’a aucune substance ailleurs en Europe. Quant à l’idée d’un « non alignement » de la France, il serait perçu, à juste titre, comme une posture irresponsable par nos voisins. On ne peut pas d’une part constater que nous avons un destin commun avec nos voisins, amis et partenaires, et d’autre part considérer qu’ils n’ont pas vocation à être nos alliés.
- Le plus grand bénéfice de l’OTAN est « technique » : aujourd’hui, la totalité des forces européennes sont interopérables. Les calibres des armes sont communs, les procédures et les habitudes de travail, les doctrines, les formats, le vocabulaire… Tout cela est construit en commun et partagé. Cela nous permet de déployer des forces communes assez sereinement. On peut prendre des unités en France, au Portugal, en Norvège, en Turquie et en Pologne et les envoyer ensemble en Roumanie ou au Danemark, elles sauront comment travailler ensemble, la plupart de leurs matériels seront compatibles et il n’y aura pas grand-chose à « inventer », depuis l’état-major opérationnel jusqu’à la section sur le terrain. Un regard vers le passé des opérations « interalliées » des guerres mondiales suffit à nous rappeler à quel point elles furent empoisonnées par les « points de détail » logistiques et doctrinaux. Face à ce long héritage commun, quelles pourraient être les alternatives raisonnables et efficaces en Europe ? Aucune.
- Le mensonge de « l’agressivité » prétendue de l’OTAN face à la Russie tombe. Depuis des années, Vladimir Poutine accuse l’alliance d’agression. Le mensonge est patent. L’OTAN ne maintien dans les anciens pays de l’Est que des forces tournantes de « réassurance », plutôt légères, et sans grandes bases permanentes. Il n’y a aucun plan offensif de l’OTAN contre la Russie et aucun moyen pour le faire. L’OTAN ne maintien qu’une poignée d’armes nucléaires sur le sol européens. La Russie, en tant que puissance nucléaire et grande puissance militaire, n’a jamais été une cible pour l’OTAN. L’affaire ukrainienne le montre, en creux : alors que l’armée russe est « jusqu’au cou » en Ukraine, l’OTAN pourrait, devrait, s’il s’agissait d’une organisation « agressive » contre la Russie, en tirer partie. Où sont nos opérations « hostiles » contre la périphérie russe ? Où sont nos manœuvres de « petits hommes verts » contre les positions russes au Proche-Orient, dans le Caucase ou en Transnistrie ? Il n’y en a pas. Parce que le caractère défensif de l’OTAN est patent, tout comme sa relative transparence démocratique. L’OTAN était un homme de paille pour le dictateur russe, qui lui servait à justifier ses ambitions. Dommage qu’autant d’observateurs aient cru en son narratif. Aujourd’hui, l’OTAN est la grande gagnante de l’affaire ukrainienne. Tous les États membres savent que leur sécurité collective en dépend, de manière vitale.
Cela ne veut pas dire que des maladresses n’ont pas été commises ou que des erreurs ne doivent pas être assumées avec lucidité. La Russie a clairement été ravalée au rang de « puissance » régionale par l’hégémon américain, et sa menace instrumentalisée pour sécuriser les positions américaines sur le vieux continent. La parole américaine fut durablement démonétisée par les mensonges de la guerre en Irak en 2003 sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein. L’action unilatérale de l’OTAN en 1999 a entaché l’Alliance d’une irrégularité au regard du droit international et fourni à la Russie un dangereux « précédent » à invoquer. Enfin, la pusillanimité de l’administration américaine vis-à-vis de la « ligne rouge » des armes chimiques en Syrie a convaincu le Kremlin de l’absence de détermination occidentale.
Il n’en reste pas moins que l’extension de l’OTAN à l’Est a toujours été défensive et s’est faite à la demande souveraine des Etats. Jamais il n’y a eu concentration de forces offensives pouvant menacer la Russie. Ce que Vladimir Poutine déplore, en fait, c’est la perte de la « sphère d’influence » russe. Un concept du XIXe siècle, qui considère que les « petits pays » n’ont pas vocation à être maîtres de leur destin et de leurs alliances et que les « grands » doivent régner en maîtres sur leurs zones d’influence. Ce que ne comprend pas Vladimir Poutine, c’est qu’une société civile puisse vouloir être « maîtresse de son avenir » sans qu’un État ne soit derrière pour la manipuler et l’influencer. Or cette influence russe ne pouvait guère être maintenue que par la force, la Russie n’ayant pas un modèle de société attractif pouvant concurrencer aux yeux des habitants de l’Europe de l’Est celui de l’Europe de l’Ouest.
L’OTAN est un homme de paille pour Poutine. La vraie menace, c’est la société libérale d’Europe occidentale. C’est ce qui a toujours agacé Moscou, depuis un siècle. L’Europe occidentale, par son existence même, est perçue comme une « menace » par un pouvoir russe qui repose sur la kleptocratie, la dictature, l’opacité, l’absence de séparation des pouvoirs et l’incapacité à assurer dans la durée un niveau de vie décent à sa population. Tous les indicateurs macro-économiques et démographiques de la Russie sont dans le rouge sur le long terme. Le pic pétrolier est passé, le pic gazier est proche et le pays n’est pas parvenu à être structurellement autre chose qu’un pétro-état.
Cela ne veut pas dire d’ailleurs que nos démocraties sont en « bonne santé ». Mais l’horizon de vie qu’elles montrent par « vitrine » aux populations de l’est reste infiniment plus désirable que celui offert par Vladimir Poutine. Dans ces conditions, il n’y aura jamais de « garantie de sécurité » suffisante pour le pouvoir moscovite de la part de l’Ouest. Pour n’importe quel dictateur, le voisinage d’une démocratie libérale sera toujours insupportable parce qu’il montre à sa population qu’une « autre vie » est possible. Incapable d’empêcher l’Ukraine de « glisser vers l’Europe », Poutine a choisi de prendre le pays par la force, de ravager le pays s’il ne peut l’avoir. Autant, sinon d’avantage, pour sécuriser son propre pouvoir que pour verrouiller le cas ukrainien.
Le vrai « problème » de l’OTAN pour les Européens, c’est le poids démesuré des États-Unis. Mais ce poids, nous l’assumons et le subissons par notre refus de payer pour notre sécurité. Ce ne sont pas les États-Unis qui « s’imposent » mais nous qui, par confort, lâcheté politique, cécité devant leur influence ou illusions refusons d’investir dans des capacités qui permettraient de faire face à « l’improbable » (ce qui revient au premier point). Le chef d’état major allemand pouvait d’ailleurs s’en désoler hier ou nos parlementaires il y a peu. Et encore, « en France c’est un peu moins pire ».
La position française demeure unique et — au final — plutôt rassurante (pour l’instant)
La France bénéficie en Europe d’une position unique. Elle est un des rares pays à pouvoir tenir « la tête haute » face à la Russie (enfin, disons, « pas trop basse ») : nos importations de gaz russe sont marginales, le parc électronucléaire français a deux ans de stocks d’uranium devant lui et ses approvisionnements sont diversifiés. Notre agriculture est puissante et fait de nous un des pays les moins dépendants des récoltes russes et ukrainiennes, voire qui peut s’y substituer parfois. Notre dissuasion nucléaire indépendante et crédible nous garantit que la Russie ne peut nous soumettre à aucun « chantage nucléaire » et nos forces armées, bien qu’en effectifs insuffisants par rapport à leurs missions, demeurent parmi les plus crédibles et aguerries d’Europe et sont encore capables d’envoyer quelques éléments chez nos voisins pour aider à leur défense. Le fait que nous ayons conservé de bonnes relations diplomatiques avec la plupart de nos grands fournisseurs de matières premières fait que nous pouvons compter sur eux pour se substituer — au moins en partie — à la Russie.
Si les Européens sont « faibles », la France est « un peu moins faible que la moyenne ». Il faut s’en féliciter, mais avec humilité : les défis sont immenses.
Ce n’est « que le début », entre pénuries, changement climatique et tensions géopolitiques
L’effort d’adaptation à ce « nouveau monde » va être colossal, entre impératifs de sécurité, défi climatique et environnemental et pénuries de ressources. Le temps et les ressources sont comptés et les crises iront croissant. Les atermoiements autour de l’idée d’isoler la Russie du système de paiements SWIFT est un symbole des difficultés de la mondialisation. Aujourd’hui, l’Europe est totalement dépendante du « système monde » pour le fonctionnement de son économie et la Russie est un des piliers de ce système, par ses exportations de pétrole, de gaz, d’aluminium, de cuivre, de blé, etc. Il ne s’agit pas « que » de l’Allemagne et du gaz russe, même si c’est un cas symbolique. Ne soyons pas trop durs avec nos voisins. L’idée de créer une « interdépendance » qui neutralise les conflits avec l’Ostpolitik n’était pas stupide. Elle a malheureusement oublié d’anticiper qu’une ressource fossile a une fin et que la demande mondiale, elle, semble pour l’heure insatiable. Partout, des décennies de mondialisation et de spécialisation régionale par avantages comparatifs ont créé des dépendances complexes, alors que dans le même temps l’Europe épuisait ses dernières ressources minières et énergétiques « faciles ».
Il faut le rappeler : les imprécations et l’argent magique ne suffisent pas pour avoir une industrie ou une agriculture. Il n’y a pas d’industrie sans minerais ni sans ouvriers. Aujourd’hui, nous n’avons plus ni les uns ni les autres sur notre sol. Former des ouvriers est encore possible, à condition de (re)faire d’une carrière ouvrière un avenir souhaitable sur le plan socio-économique, ce qui n’est hélas pas vraiment un programme sur l’échiquier politique (à gauche comme à droite). Mais les ressources, elles, ne « s’inventent » pas. Il faut l’admettre : nous risquons fort de revenir dans un monde où les ressources ne seront pas toujours « disponibles » sur les marchés et où, hélas, il va redevenir tentant et en apparence « rentable » de prendre par la force ce qu’on ne peut acheter. Un des piliers d’une relative « stabilité » entre grandes puissances — le commerce international et ses interdépendances — est en train de s’effriter sous nos yeux. Il faut se souvenir que ce système fut pensé, dès le milieu de la seconde guerre mondiale, par des économistes qui comprirent que le repli sur les zones monétaires après 1929 et la difficulté pour certains pays d’acquérir des ressources naturelles et énergétiques avait pesé dans la marche à la guerre.
Conclusion : un saut vers l’inconnu (les mains encore attachées dans le dos)
La guerre en Ukraine marque un tournant indéniable et durable. À la différence des précédents conflits périphériques menés par Vladimir Poutine, l’ordre international n’en sortira pas indemne. À ce stade, « toutes les options semblent sur la table ». Si la résistance ukrainienne se durcit et que les pertes russes augmentent, on peut même imaginer que, dans l’esprit du dirigeant russe, le seuil d’emploi tactique de l’arme nucléaire pourrait s’abaisser, ce qui briserait un des derniers « tabous » qui tient depuis 1945. Si l’offensive russe triomphe, comme c’est probable mais non certain, le pays sera occupé en partie. Quel avenir pour les populations ? Pour la « résistance » ? Qui accueillera un gouvernement exil ? Si le président Zelensky trouvait refuge dans l’ambassade de France, que ferions-nous face à un assaut russe ?
L’Ukraine doit être le réveil des consciences de l’Europe : notre liberté et notre prospérité sont consubstantielles d’un ordre international qui aujourd’hui s’érode sous nos yeux. Les imprécations et les directives européennes ne suffiront pas à le sauver. Il faut bien entendu tenter de préserver ce qui peut l’être, mais avec lucidité. Sur le temps long, la France a grosso-modo, toujours dépensé autour de 3 % de sa richesse pour assurer sa défense. Nous sommes aujourd’hui à peine à 2 %. L’horizon de « l’assurance vie de la Nation sur elle-même » est là : dans un effort accru de défense et d’adaptation de notre société, de transformation de notre mode de vie, un effort de sobriété et de cohésion sociale. Pas dans la recherche de « licornes 2.0 ».
Merci pour cet article de qualité.
intéressant article:bonne synthèse et analyse de la situation actuelle…et perspective! Ne pas oublier que les russes utilisent aussi en Ukraine des missiles de croisière navals et aériens de longue portée. Leur utilisation en Europe est une première…
Tres bon article. En ce qui concerne la résistance ukrainienne dans le cas d’une occupation prolongée, on peut craindre en Russie l’apparition d’un “IRA ukrainien”. Les deux populations sont tellement mélangées, comme Irlandais et Britanniques, qu’un mouvement terroriste ukrainien pourrait recruter facilement en Russie. Et beaucoup d’armes et d’explosifs sont distribués sans grand contrôle en ce moment, compte tenu de la situation.