Mme la présidente Patricia Adam. Nous recevons aujourd’hui le général Charles Beaudouin, directeur de la section technique de l’armée de terre (STAT), que je remercie d’avoir accepté de décaler d’une semaine sa venue devant cette commission.
Dans le cadre de nos travaux sur l’armement terrestre, nous procédons notamment à l’audition d’industriels du secteur. Il était très important que nous vous entendions aussi puisque vous êtes au cœur du sujet, proche du terrain, en rapport avec la direction générale de l’armement (DGA) et avec les industriels. Il s’agit d’une première : vous-même et vos prédécesseurs n’avez jamais été auditionnés devant cette commission.
Je vais vous laisser immédiatement la parole pour un exposé qui s’annonce concret. En tout cas, c’est ce que nous attendons de vous.
Général Charles Beaudouin, directeur de la section technique de l’armée de terre (STAT). Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés de la commission de la Défense nationale et des forces armées, il me semble que c’est effectivement la première fois qu’un directeur de la STAT est entendu par votre commission. Je mesure donc l’honneur qui m’est fait et je souhaite vous intéresser. En tout cas, je vous remercie sincèrement pour cette invitation.
En préambule, je précise que toute mon action de réalisation de capacités est orientée vers l’appui aux forces engagées par le chef d’état-major des armées (CEMA), que ce soit à court, moyen ou long terme, avec le souci permanent de raccourcir les délais. C’est ma seule motivation.
Après vous avoir présenté mes responsabilités, l’organisation de la formation que je commande et les moyens dont je dispose, je vous tracerai le bilan de l’année 2015, je vous ferai ensuite part de mes objectifs principaux pour cette année, et j’aborderai enfin les perspectives en matière d’opérations structurantes et les défis induits qui vont requérir toute notre attention au cours des prochaines années.
La STAT est au cœur de la conduite des opérations d’armement, depuis la première expression du besoin, ce qu’on appelle le stade d’orientation, jusqu’au retrait du service. Plus encore, la STAT constitue l’unique outil d’expertise technico-opérationnelle doté des compétences qui permettent au chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) d’assumer ses délégations de l’état-major des armées (EMA) dans le domaine de la réalisation des capacités et de leur mise en service opérationnel. Dans ce cadre, le directeur de la STAT assure la fonction de conseiller armement du CEMAT.
La STAT s’est vue confier trois missions principales.
Première mission : conduire tous les programmes et opérations d’armement de l’armée de terre. Pour cela, je dispose organiquement des officiers de programme de l’armée de terre, ceux que j’appelle les hommes des choix, ces choix qui sont à faire ou à proposer pour que le programme suive un déroulement conforme aux objectifs fixés en matière de coûts, délais et performances. Ces officiers de programme ont aussi pour mission de rédiger les fiches de caractéristiques militaires.
Sous mes ordres sont également placées des équipes de marque, officiers et sous-officiers expérimentateurs, qui conduisent les évaluations. Ces cadres, dont l’expérience opérationnelle est reconnue, sont les hommes et les femmes des constats. Ils me permettent de m’assurer que l’équipement, proposé par l’industriel et retenu au titre du contrat d’acquisition passé par la DGA, répond bien au besoin opérationnel exprimé.
Cette concentration, aux ordres d’un seul chef, de la conduite et des évaluations de toutes les opérations d’armement de l’armée de terre et de certaines opérations interarmées, donne une très grande cohérence à l’action à l’heure où les capacités sont de plus en plus interarmes, interarmées, interalliés et donc interdépendantes, dans une exigence de fonctionnement de bout en bout, imposant de fait une approche système de systèmes. Cette délégation à la STAT permet à l’EMAT de se focaliser sur ses missions de conception et de politique d’équipement.
Deuxième mission : conduire, si besoin, une adaptation réactive des matériels en service, et éventuellement proposer l’acquisition de nouveaux équipements en urgence opérationnelle, en intégrant en boucle très courte le retour d’expérience des opérations extérieures (OPEX). Ce volet comprend l’assistance directe aux forces projetées. À cette fin, des équipes de la STAT accompagnent sur les théâtres d’opération le déploiement de nouvelles capacités, voire interviennent à la demande des forces engagées en opération. Sur place, mes équipes conseillent l’utilisateur et recueillent des informations sur les matériels.
Ce volet consiste également à exercer un rôle de vigie quant à l’emploi adapté des capacités aux différents théâtres d’opération. La STAT connaît parfaitement ces capacités pour les avoir délivrées elle-même. Citons deux exemples récents pour lesquels je suis intervenu auprès du CEMAT : celui de la lutte contre les engins explosifs au Mali puis dans la bande sahélo-saharienne, et celui de l’emploi des derniers standards d’équipements. Il s’agit de garantir la plus grande cohérence et la plus grande célérité entre la livraison de capacités et leur emploi en opération. Depuis cette année, preuve de la place occupée par la STAT dans ce domaine, mes équipes participent systématiquement aux groupes de planification des opérations du commandement des forces terrestres (CFT), en intervenant directement pour conseiller sur l’emploi des futurs équipements à mettre sur les théâtres d’opération.
Enfin, la STAT participe aux travaux de prospective, de veille technologique, d’évaluation de systèmes sur étagère et de soutien à l’exportation de matériels. J’évalue, de ma propre initiative, certains matériels français ou étrangers et, le cas échéant, j’émets des propositions au CEMAT. De même, après accord de la DGA et de l’état-major de l’armée de terre (EMAT), mes équipes effectuent des démonstrations de matériels au profit de pays étrangers. Enfin, je me suis fixé comme mission de soutenir, dans toute la mesure de mes moyens, les PME de défense. Pour cela, je reçois tout patron de PME qui le désire, afin d’étudier avec lui l’adaptation de ses produits aux perspectives en matière d’équipement, voire, si mon plan de charge le permet, d’évaluer ses produits s’ils rencontrent un intérêt immédiat. Je lui donne ensuite le retour d’évaluation de ses produits.
Pour conduire ces missions, mes effectifs s’élevaient en février 2016 à 640 personnes – trois-quarts de militaires et un quart de civils. Ces personnels permettent d’assurer la conduite d’une quinzaine de programmes majeurs et plus de 400 opérations d’armement dites simplifiées.
En ce qui concerne son organisation, la STAT s’articule autour de huit groupements, réunissant les officiers de programme et les équipes de marque, correspondant aux différentes fonctions opérationnelles de l’armée de terre. Six groupements sont situés à Versailles-Satory, le groupement des troupes aéroportées étant à Toulouse et le groupement aéromobilité – c’est-à-dire les hélicoptères – étant à Valence. Deux groupements disposent d’un détachement avancé, l’un d’appui électronique situé à Mutzig auprès des deux régiments de guerre électronique, l’autre d’appui simulation à Saumur.
J’ai à mes ordres un atelier de soutien aux expérimentations qui me permet, de manière extrêmement réactive, de réaliser outre les moyens nécessaires aux expérimentations, des microcapacités d’adaptation qui font défaut à nos forces et qui ne justifient pas le lancement d’une opération d’armement. Je pense à de petits blindés de guerre électronique, des supports de mitrailleuses, des ballons captifs, des kits d’évacuation sanitaire pour NH 90, etc. Mon détachement d’appui simulation de Saumur est apte à produire, en autonomie et en deux jours, des bases de données terrain pour les opérations extérieures comme celles qui ont été menées hier en Afghanistan et aujourd’hui dans la bande sahélo-saharienne. Il s’agit d’appuyer la préparation à la projection des unités aéroterrestres. Cette unité soutient les systèmes de simulation JANUS et ROMULUS, qui sont encore en service même s’ils sont anciens et qui sont propriété de l’armée de terre. Ces simulateurs nous permettent d’entretenir une communauté simulation regroupant le Maroc, la Tunisie, le Liban, le Sénégal et la Serbie. La STAT participe au rayonnement de l’armée de terre en entretenant les moyens de simulation de ces pays.
Pour conclure ce volet organisationnel, je soulignerais deux particularités qui me distinguent des autres directeurs de centres d’évaluation des autres armées : d’une part, je concentre sous mes ordres les entités de conduite et d’évaluation des programmes ; d’autre part, je suis pilote du domaine de spécialités « système d’armes ». Ce pilotage, sous l’égide du directeur des ressources humaines de l’armée de terre (DRHAT), de cette filière scientifique et technique de deuxième partie de carrière des officiers qui correspond tout de même à des mastères et des diplômes d’ingénieur, me permet de disposer d’une vue globale sur la ressource, l’organisation, la formation, le parcours professionnel et la gestion du personnel officier expert en conduite des opérations d’armement, qu’ils servent à la STAT, à l’EMAT ou à l’EMA. Là aussi, cette particularité est source de cohérence pour le domaine capacitaire.
Pour conduire mon action qui, vous le constatez, est entière et globale, je dois tisser tout un réseau de liens extérieurs à ma propre organisation. Au sein de l’armée de terre, je suis directement rattaché au major général de l’armée de terre et à ses sous-chefs : celui des « Plans-Programmes » pour le pilotage direct de mes activités, celui des « Opérations Aéroterrestres » pour le volet « emploi des capacités », celui de « Performance Synthèse » pour les domaines budgétaires et infrastructures de programmes. En outre, je conduis des réunions bilatérales régulières : avec le CFT pour les volets « appui aux opérations » et « emploi des capacités » ; avec le centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF) et le commandement de l’aviation légère de l’armée de terre (COMALAT) pour tout ce qui concerne la doctrine ; et avec la DRHAT pour les actions de formation. Le fait de travailler en permanence avec ces différentes structures me permet de contribuer directement à la construction des piliers de la capacité. Je délivre non seulement un équipement mais une capacité : un équipement ne vaut rien en lui-même s’il n’est pas utilisé par des hommes instruits, possédant une doctrine, dotés de moyens de soutien en place, voire d’une infrastructure.
Au sein du ministère, je mène des réunions bilatérales directes avec les unités de management (UM) intéressées par l’armée de terre : l’UM « opérations d’armement terrestres » (TER), l’UM « hélicoptères et missiles » (HMI), l’UM « espace et systèmes d’information opérationnels » (ESIO), l’UM « avions de missions et de support » (AMS) de la DGA. Avec les directeurs des unités de management (DUM) de la DGA, je dirige directement les opérations non majeures qui ne relèvent pas d’un comité de pilotage entre la DGA et l’EMA. La DGA possède différents centres d’essais : techniques aéronautiques (TA), techniques terrestres (TT), maîtrise des risques nucléaires, biologiques et chimiques (MRNBC), maîtrise de l’information (MI), essais en vol (EV) et essais de missiles (EM). Avec les directeurs de ces centres, j’assure la réalisation et la coordination des programmes communs d’essais et d’évaluation entre les équipes d’essais de la DGA et mes équipes d’évaluateurs.
J’agis également de concert avec le service du commissariat des armées (SCA) car la fonction « habillement » tend désormais à être conduite selon les préceptes d’une opération d’armement. J’ai été mandaté par l’EMAT à ce sujet. Pour ce qui concerne le carburant, je travaille avec le service des essences des armées (SEA) que j’appuie dans la réalisation de ses capacités propres. Il en va de même pour le service de santé.
En interarmées, je travaille étroitement avec la structure intégrée de la maintenance opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) et avec la structure intégrée maintenance opérationnelle des matériels aéronautiques de défense (SIMMAD) pour le volet « soutien en service des matériels ». Je mène également des réunions fréquentes avec mes homologues des autres centres d’expérimentation militaire : le centre d’expertise aérienne militaire (CEAM) de Mont-de-Marsan pour l’armée de l’air, le centre d’expérimentations pratiques et de réception de l’aéronautique navale (CEPA) d’Hyères, le centre d’expertise des programmes navals (CEPN) de Toulon. Ces réunions se font directement ou dans le cadre d’une structure intégrée, le service des essais et des expérimentations aéronautiques de la défense (SEEAD). Il s’agit de réaliser en commun certaines capacités. Peut-être l’ignorez-vous, mais la STAT est responsable de l’évaluation de la capacité d’aérolargage de personnels et de matériels. Il s’agit également de mutualiser les procédures et l’emploi de moyens aériens et maritimes comptés.
Enfin, j’ai établi des protocoles d’accord avec de nombreux organismes, dont le plus emblématique est celui qui a été conclu avec le général commandant les opérations spéciales (GCOS). J’appuie le GCOS pour réaliser des opérations d’armement caractéristiques – elles sont de petites séries, à forte valeur ajoutée, et doivent être effectuées dans des délais brefs – qui ne correspondent pas toujours à la conduite des programmes d’armement.
J’en viens aux aspects capacitaires. Vous verrez que le domaine est très vaste. En préambule, je précise que, pour l’armée de terre, l’absence de notification de grands programmes entre 2011 et 2013 génère de facto une pause entre 2014 et 2017 dans la livraison d’équipements majeurs aux forces, à l’exception notable de la poursuite des livraisons d’hélicoptères Tigre et NH90 et de camions porteurs polyvalents terrestres (PPT) commandés avant 2011. Pour autant, la livraison de capacités de cohérence opérationnelle se poursuit, comme je vais vous le montrer.
En 2015, pour ce qui concerne le renforcement capacitaire, il convient de noter que, pour l’aérocombat, j’ai délivré un poste de commandement à partir d’hélicoptère de manœuvre poste de commandement (HMPC), permettant le commandement numérisé d’une opération interarmes. C’est donc une capacité de commandement en l’air des unités aéromobiles. Cette capacité, clé de voûte de la numérisation en cours de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT), est projetée depuis début février dans la bande sahélo-saharienne. J’ai délivré cette capacité à la fin de l’année dernière. En matière de puissance de feu, l’ALAT dispose maintenant d’une capacité de tir au canon de 20 millimètres à partir de l’hélicoptère Cougar. Enfin, l’adoption du système d’imagerie numérique à très haute résolution permet à l’ALAT de participer au recueil et à la transmission directe en flux du renseignement d’origine image depuis des hélicoptères de manœuvre en vol.
Dans le domaine du combat de contact, mes travaux se sont focalisés sur une version allégée du système fantassin à équipement et liaisons intégrées (FÉLIN) et sur l’achèvement de la tenue de protection nucléaire, biologique et chimique (NBC) des combattants débarqués. Les premiers véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) en version 32 tonnes ont été livrés, ainsi que des capacités d’agression sous blindage – les tourelleaux téléopérés de 7,62 millimètres pour les véhicules blindés légers (VBL) et les petits véhicules protégés (PVP). Ces capacités seront projetées dans les prochaines semaines dans la bande sahélo-saharienne.
Comme je l’avais proposé au CEMAT, le lance-roquettes unitaire (LRU) a été autorisé en OPEX en 2015 ; depuis deux jours, il est projeté à Tessalit. Comme vous le savez, il est apte à délivrer des feux à 70 kilomètres, avec une précision d’un ou deux mètres. En matière de lutte anti-drone, la STAT a réalisé d’initiative une première capacité opérationnelle qui a été mise en place pendant la COP21 et qui a donné toute satisfaction, tant dans la détection et la poursuite automatique de microdrones que dans l’intégration de cette capacité dans la chaîne de commandement de défense air.
En 2015, la géographie projetable est entrée dans une nouvelle ère avec la livraison de véhicule de l’avant blindé (VAB) d’appui topographique pour le recueil de données en zone des contacts et de modules projetables de traitement de ces données. Certains modules sont déjà projetés sur deux théâtres d’opération.
Le génie bénéficie d’une capacité blindée rénovée avec la livraison progressive de 60 VAB Ultima Génie et 54 VAB Valorisés Génie, ainsi que de l’autorisation d’emploi d’un drone du génie pour la lutte contre les engins explosifs improvisés. Le personnel chargé de la neutralisation des mines et pièges peut désormais se protéger lors des interventions grâce à un brouilleur portatif. Ces moyens sont en cours de préparation pour emploi dans la bande sahélo-saharienne.
Pour pallier le retard de l’A400M, mon groupement aéroporté de Toulouse – qui est très investi dans ce domaine – a ouvert l’emploi des CASA 235 au saut en parachute de dernière génération et au largage de matériel par gravité.
La qualité de l’instruction et de l’entraînement des unités en garnison par la simulation a très nettement augmenté en 2015 : 100 % des régiments sont équipés de nouveaux moyens utilisant une imagerie en trois dimensions, ce qui est beaucoup plus convivial et réaliste pour l’entraînement de nos équipages et groupes en garnison.
S’agissant de la préparation de l’avenir, la STAT a transmis un certain nombre d’expressions de besoin à l’EMAT en 2015. Citons principalement la fiche de caractéristiques militaires de référence du nouveau système de drone tactique (SDT) – qui, depuis, a été choisi –, du nouveau système de livraison par air (SLPA) et du VBL dans sa version ultime. Je précise qu’il faut remotoriser ces véhicules pour qu’ils puissent tenir jusqu’en 2030. D’autres fiches concernent l’intégration du poste radio CONTACT dans tous les blindés, le futur fusil de tir de précision, des tablettes numériques pour les hélicoptères, et des tentes pour les PC de brigades. Voyez que l’éventail est très large.
Une expression de besoin a fait l’objet d’une urgence opérationnelle, déclarée par l’EMA au profit de l’opération Sentinelle. Il s’agit de réaliser un premier niveau de système de communication et d’information, appelé AUXYLIUM, qui utilise la technologie 4G et le smartphone et formant une bulle locale radio à haut débit réservée à la défense. Lors des attentats, le réseau téléphonique a été saturé aux environs du Stade de France. En juin prochain, au moment de l’Euro 2016, nous serons en mesure d’équiper nos soldats sur le terrain de smartphones à très haut débit mais dans une bulle totalement réservée à la défense et par conséquent non pénétrable par les réseaux Orange ou autres. Le volume d’un millier d’équipements doit être opérationnel en juin pour la protection de Paris dans le contexte des manifestations de l’Euro 2016.
Cette année, la STAT a en outre directement participé, en appui de la DGA, à un certain nombre de campagnes : à Mourmelon, pour la sélection de l’arme individuelle future (AIF) ; à Istres, en Grande Bretagne et aux États-Unis pour les démonstrations du système de drone tactique SDT ; à Bruz, pour la qualification d’un socle technique commun d’échanges pour des systèmes d’information.
Au total, en 2015, la STAT a proposé à l’EMAT treize nouvelles expressions de besoin, vingt-neuf autorisations de livraison de matériels dans les forces et vingt et une autorisations de déploiement en opération.
J’en arrive à mon plan de charge pour l’année 2016, pour lequel je vais me focaliser sur quelques opérations principales.
Au titre du renforcement capacitaire, outre la réalisation du système AUXYLIUM précédemment évoqué, je dois livrer très rapidement les vingt-cinq premiers nouveaux véhicules poids lourds des forces spéciales (PLFS) au commandement des opérations spéciales (COS). Cette opération est conduite comme une urgence opérationnelle avec une priorité totale, dans un plan commun d’essais très intégré entre l’industriel retenu – Renault Trucks Defense (RTD) – la DGA et la STAT, avec la participation du COS.
Au cours du premier trimestre de cette année, un nouveau simulateur d’entraînement des postes de commandement de niveau brigade et régiment, SOULT, sera mis en service au centre d’entraînement de Mailly-le-camp. Il est fondamental d’entraîner nos équipes de commandement avant la projection. La simulation le permet et produit les meilleurs effets. Des stations sol satellitaire COMCEPT liées au satellite ATHENA FIDUS seront également livrées aux forces en 2016, en complément de l’action des stations SYRACUSE. Cet été, je proposerai aussi l’adoption du système FÉLIN allégé – qui permet de gagner jusqu’à six kilos pour nos soldats – qui pourra être projeté en opération avant la fin de l’année.
L’appui électronique au contact, une capacité que nous avons développée notamment au Mali, consiste à intercepter, écouter et brouiller en opération les groupes armés terroristes. Ce domaine sera renforcé cette année par la mise en service d’un nouveau système léger et la valorisation des systèmes existants.
Pour le programme SCORPION, 2016 sera également une année très importante : la définition des véhicules blindés Jaguar et Griffon sera complètement figée, ce qui permettra de préparer l’industrialisation de ces matériels. Pour mémoire, le Jaguar succédera au char léger AMX10 RCR et le Griffon remplacera le VAB. Cette étape constituera l’achèvement d’un travail collaboratif majeur conduit avec la DGA et le groupe momentané d’entreprise Nexter-RTD-Thales.
En matière d’aérocombat, nous mettrons cette année en service un armement mitrailleuse Gatling de sabord pour les Gazelle du COS. L’A400M permettra le saut à 4 000 mètres de jour pour les chuteurs opérationnels et le posé d’assaut. S’agissant du saut en automatique, j’homologuerai dans les six mois l’emploi des C130H suédois et C130K autrichien, ce qui garantira un sixième des sauts d’entraînement opérationnels annuels de nos unités parachutistes.
En matière de préparation de l’avenir, je viens de proposer à l’EMAT des fiches de caractéristiques militaires concernant plusieurs besoins planifiés. Il s’agit de l’expression de besoin du système de simulation SCORPION : simulation cabine et embarquée. Il s’agit aussi de ce qu’il est convenu d’appeler le SCORPION léger, un programme de véhicules blindés légers tactiques polyvalents, des 4X4 d’environ douze tonnes qui peuvent accompagner les blindés Jaguar, Griffon et Leclerc. J’ai également proposé le projet de la fiche de caractéristiques militaires du Caïman NH90 pour les forces spéciales.
Dans les prochains mois, je proposerai un projet de besoin relatif au traitement d’obsolescence de la Gazelle qui restera en service opérationnel encore pendant quinze à vingt ans, dans l’attente de la livraison des premiers hélicoptères interarmées légers (HIL) à partir de 2028. D’autres expressions de besoin suivront, qui concerneront le futur pistolet automatique des armées – nous allons enfin nous séparer du pistolet automatique de la Manufactures d’armes de Châtellerault, le MAC50 –, un premier niveau de robotisation du combat débarqué, la succession du véhicule de haute mobilité déployé en Guyane en protection du site de Kourou au sein du troisième régiment étranger d’infanterie.
Cette année, nous poursuivrons l’évaluation de l’AIF retenue, dont le choix devrait être fait avant l’été par la DGA, en vue de livraisons aux forces en 2017. Il en va de même pour le VBL Ultima.
La STAT entamera également en 2016 les campagnes d’évaluation du missile moyenne portée (MMP) de MBDA qui remplace le Milan, de la roquette nouvelle génération qui remplace l’Eryx et l’AT4CS. Toute la trame roquette – missile est en phase de renouvellement. Avec la DGA, nous entamerons le plan commun d’essai et d’évaluation du SDT Patroller, qui a été retenu, ainsi que celui du minidrone successeur du drone de reconnaissance au contact (DRAC). Ces nouvelles capacités doivent être livrées aux forces à compter de 2018.
Au total, en 2016, mon objectif est de proposer à l’EMAT la formalisation du besoin de vingt-neuf nouvelles capacités ou amélioration de capacités existantes, trente-deux nouvelles livraisons d’équipement dans les forces et quarante-trois autorisations d’emploi en opération, intérieure ou extérieure.
Pour terminer mon propos, je voudrais vous exposer mes préoccupations principales à moyen terme. Dans les quatre années à venir, je serai particulièrement attentif à des livraisons qui vont renouveler des capacités complètes. Il s’agit de renouveler toute la gamme des véhicules du COS : le véhicule léger, le poids lourd et ce qu’on appelle le Fardier, petit véhicule parachutable qui sert à transporter des impedimenta. Il faudra que nous remplacions toute la trame portable antipersonnel et antichar, c’est-à-dire les moyens de tir de l’infanterie de 0 à 2 500 mètres, depuis le pistolet automatique jusqu’au missile moyenne portée à 2 500 mètres.
La livraison des premiers Griffon et Jaguar, très attendue par les forces, doit se faire en cohérence avec nombre d’opérations en interface : les nouveaux postes de radio CONTACT, le système d’information SICS qui va remplacer les systèmes actuels, le missile moyenne portée et autres armements qu’il faudra intégrer dans les Jaguar et les Griffon, ainsi que les brouilleurs BARAGE.
Autre point d’attention majeur : la livraison du programme CERBERE visant à renouveler les moyens de simulation du Centre d’entraînement tactique (CENTAC) de Mailly-le-camp et équiper le Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) de Sissonne de moyens de simulation. CERBERE permettra un entraînement bien plus réaliste des sous-groupements tactiques interarmes (SGTIA) et de nos groupements tactiques interarmes (GTIA) avec une réelle sanction des effets des feux par la simulation. La capacité opérationnelle de l’armée de terre repose également sur ces centres.
Autre défi majeur : accompagner la montée en puissance d’une nouvelle fédération de systèmes d’information et de communication qui doit remplacer, en rupture, toute la chaîne de commandement actuelle, du niveau de la division à celui de la section. Une telle transition à cette échelle n’a jamais été réalisée à ce jour. Elle doit répondre à une attente très forte de la part de nos soldats d’une numérisation fluide et flexible, de bout en bout, intégrant la coordination des intervenants dans les deuxième et troisième dimensions. L’intégration dans les porteurs terrestres et aéroterrestres ne sera pas la moindre de mes préoccupations.
Avec ces programmes, nous touchons concrètement à la notion que j’évoquais en préambule de « système de systèmes » interarmes, interarmées et interalliés. C’est un défi majeur qui exige que les décideurs et acteurs de la DGA et des armées disposent du champ d’action le plus large possible et d’une coordination très forte pour faire sauter tous les silos.
Les attributions qui sont les miennes, en me donnant l’autorité sur tous les officiers de programme et de toutes les équipes de marque de l’armée de terre et donc la connaissance détaillée et l’influence sur l’avancement de tous les programmes terrestres et de certains programmes interarmées, comme mon action en réseau élargi avec les trois armées, la DGA et bien sûr les industriels, me permettent de faire face à cette nouvelle donne.
In fine, l’action de la STAT consiste à délivrer ex nihilo à l’armée de terre, et pour partie aux armées, des capacités complètes – équipement, environnement de soutien et d’infrastructure, moyens de formation, doctrine d’emploi et organisation –, intégrées dans un système de forces interarmes, interarmées et interalliés, tout en assurant, en réactivité, l’indispensable adaptation aux opérations, et en soutenant notre industrie de défense dans ses exportations.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés de la commission de la Défense nationale et des forces armées, je vous remercie pour votre attention et suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
M. François Lamy. Ma première question est un peu large et concerne vos rapports avec la DGA. Comment s’établit l’équilibre à toutes les étapes : la définition des caractéristiques d’un matériel, la rédaction des appels d’offres, le choix du matériel ? Comment s’effectue la répartition des tâches entre la STAT et la DGA et quel est le poids de chacune ? Pouvez-vous nous le dire avec toute la franchise qui vous caractérise ?
Ma deuxième question porte sur l’HIL qui doit être livré en 2028. Je suppose que vous commencez déjà à y travailler. Pouvez-vous nous donner quelques informations sur ses caractéristiques ? Comment peut-on évaluer en 2016 les besoins de 2028 ? Cela m’intéresse toujours de savoir comment on peut se projeter si loin, sachant que surviendront de nouveaux conflits.
Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Vous avez évoqué rapidement le véhicule léger tactique polyvalent. Or, l’année dernière, il y a une polémique sur l’achat de 1 000 véhicules tout-terrain Ford par l’armée de terre. La réponse qui avait été faite était qu’il s’agissait d’un achat indispensable à court terme. Face à la nécessité de remplacer tout le matériel, il semblerait qu’il ait été décidé de lancer un programme d’armement sous la responsabilité de la DGA en vue de livraisons en 2020. Où en est ce programme ?
M. Yves Fromion. Merci, Mon général. Votre propos était extrêmement intéressant et précis. Il donne aussi une image de ce que sont les problématiques à venir pour l’armée de terre.
Je voudrais prolonger la question de mon collègue François Lamy sur les liaisons de la STAT avec la DGA techniques terrestres. Il y a quelques années, un rapprochement avait été envisagé, afin d’avoir une articulation plus simple et plus souple entre les deux structures. L’idée a été abandonnée. J’aimerais savoir pour quelles raisons parce que, à travers votre propos, on a bien compris qu’il y avait, entre la DGA TT et vous-même, des connexions sinon quotidiennes en tout cas extrêmement fréquentes sur la plupart des programmes.
Existe-t-il en Europe des organismes similaires à la STAT ? Les armées des autres pays européens disposent-elles d’un système comparable au nôtre avec une DGA et une STAT ?
Le dispositif AUXYLIUM, qui me paraît être d’une nécessité absolue, va-t-il permettre aussi de faire de la géolocalisation ? C’est au fond le problème des militaires projetés en ville : ils ne savent pas toujours où ils sont ; on leur dit subitement d’aller à tel ou tel endroit, ce qui n’est évident du tout. On les voit utiliser pour cela leur smartphone sur lequel ils ont installé l’application adéquate, mais il vaudrait mieux qu’ils aient un dispositif leur permettant de se retrouver dans un contexte un peu compliqué, surtout s’il y a des rues bloquées au moment où il se passe un événement. Cela leur permettrait de se déplacer efficacement.
M. Joaquim Pueyo. Mon général, je voudrais que vous nous fassiez un point sur les drones. Il y a quelques semaines, le chef d’état-major de l’armée de l’air nous avait indiqué que la demande en heures de vol avait doublé en un an. Il avait été prévu d’acheter plusieurs drones Reaper. Est-ce que cela correspond à vos projets pour 2016 ? La France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne se sont engagés à élaborer un drone de surveillance et de reconnaissance de moyenne altitude, longue endurance (MALE). L’accord devait intervenir au premier trimestre 2016. Y a-t-il un manque en ce domaine, notamment compte tenu de ce qui se passe en Afrique et au Moyen-Orient ? Nous avons bien besoin de ces drones en Syrie comme au Mali.
Général Charles Beaudouin. Merci pour ces questions qui sont au cœur de nos préoccupations. Commençons par l’organisation entre la STAT et la DGA. Je vais essayer de vous simplifier le schéma, en essayant de vous montrer que tout est coordonné. Tout d’abord, les armées écrivent le besoin opérationnel. L’acte de naissance d’un programme d’armement, c’est une fiche d’expression de besoin militaire, la fiche de caractéristiques militaires. S’il s’agit d’un grand programme, cette fiche sera précédée d’études préalables permettant une levée de risques en amont. Mes trente-six officiers de programme rédigent les expressions de besoin au profit de l’EMAT qui les vise et les transmet ensuite à l’état-major des armées, le seul à pouvoir les valider puisqu’il pilote le programme 146 « Équipement des forces » avec la DGA.
À partir de cette expression de besoin militaire, la DGA va rédiger une spécification technique des besoins (STB) à partir de données de terrain que je lui transmets : pouvoir détecter un char à 1 500 mètres, par exemple. La STB consiste donc pour la DGA à traduire un besoin militaire en performances précises auxquelles devra répondre l’industriel. Première pierre d’achoppement possible : la traduction de la DGA ne correspond pas au besoin militaire. C’est pourquoi nous rédigeons un document justificatif des exigences (DJE), cosigné par l’officier de programme et le directeur de programme, qui précise le besoin militaire et la traduction que la DGA en fait, pour vérifier si nous sommes ou non d’accord. S’il y a un écart, il peut être accepté ou non. S’il n’est pas accepté, on recommence le trajet.
Pour qu’un programme réussisse, il faut donc, en premier lieu, une parfaite connivence entre la DGA et les armées. Deuxième point important : la STB sera incluse dans un cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Cette traduction en termes de performance du besoin militaire va être annexée au contrat avec l’industriel qui fera des propositions techniques. Les équipes d’essai de la DGA et mes évaluateurs vont alors entrer en jeu. Ils vont prendre en compte les prototypes et les essayer. La DGA va vérifier que ce prototype répond à sa propre spécification. Si l’essai est bon, il aboutit à la qualification. La DGA libère l’argent et l’industriel se lance dans la production en série. Parallèlement, mes équipes font des évaluations qui consistent à prendre le prototype et à vérifier sa conformité à la fiche de caractéristiques militaires. Ce sont des militaires – et non pas des essayeurs de la DGA – qui vont mettre le prototype ou le produit de série en situation réelle, pour le pousser dans ses retranchements au niveau du besoin militaire. Si l’essai est concluant, je vais proposer d’adopter le matériel, c’est-à-dire donner le feu vert au CEMAT pour la livraison en régiment.
Vous voyez que la DGA et la STAT ne se quittent pas. Il n’y a pas d’effet de tunnel entre nous. Quand je commence à écrire l’expression du besoin militaire, la DGA commence à rédiger la STB. Nous travaillons de concert. Dès qu’il a un début de prototype industriel, voire de simples études papier, la DGA et la STAT interviennent pour éviter que l’industriel ne fournisse à terminaison un système ne répondant pas au besoin exprimé. Prenons l’exemple du Griffon et du Jaguar. Au stade des maquettes en bois et des conceptions assistées par ordinateur, nos équipes interviennent déjà auprès de l’industriel. Nous validons les choses très en amont pour raccourcir les délais.
M. François Lamy. Qui choisit l’industriel ? À un moment, il y a un appel d’offres et on peut imaginer que plusieurs industriels correspondent aux critères ?
Général Charles Beaudouin. Cette partie de l’appel d’offres relève entièrement de la responsabilité de la DGA. C’est elle qui va choisir le type de marché : appel d’offres, procédure de gré à gré, etc. À ce moment-là, mes équipes vont renforcer la DGA dans ses propres épreuves de sélection s’il y en a. Pour départager les candidats pour l’arme individuelle future (AIF), mes sous-officiers vont vérifier à Mourmelon le fonctionnement de ces armes en leur faisant tirer 20 000 coups. La DGA va faire d’autres essais : armes dans la boue, dans le sable, etc. Tout cela s’effectue sous la responsabilité de la DGA. Mon officier de programme va s’assurer en permanence que le besoin militaire est satisfait. Il participera à l’élaboration des critères techniques d’évaluation de la DGA, mais ne participera pas aux choix financiers – domaine réservé et très confidentiel de la DGA.
In fine, c’est bien la DGA qui a choisi le Patroller et qui choisira l’AIF retenue. Néanmoins, pour avoir participé aux démonstrations du Patroller, je puis vous dire qu’il correspond parfaitement au besoin militaire. Je suis très content du choix du Patroller parce que je sais que nos soldats auront ce qu’il faut sur les théâtres d’opération. Il y a un partage des tâches, ce qui est normal.
Concernant le HIL, le besoin est avéré dès aujourd’hui, bien avant 2028. Cette opération a subi un décalage très important, ces hélicoptères doivent remplacer des Gazelle de quarante ans d’âge dont je vais devoir proposer une valorisation à l’EMAT pour tenir encore quinze à vingt ans. Il faut aussi remplacer les Alouette III de la marine, les dernières au monde utilisées par notre marine sur le porte-avions. Il faut également remplacer des Fennec, des Dauphin et des Puma qui, pour ces derniers, ont plus de trente ans d’âge. Le besoin est actuel mais, l’opération ayant été reportée, nous allons appliquer des « patchs » sur les hélicoptères pour qu’ils puissent tenir.
Le défi majeur consiste à chercher à remplacer des hélicoptères qui sont aussi légers que la Gazelle et aussi lourds que le Puma par un seul hélicoptère. Nous sommes dans une phase du programme guidée par un objectif d’état-major ; le choix reste ouvert. Va-t-on opter pour cet hélicoptère parfait, à mi-chemin entre le Puma et la Gazelle ou pour deux flottes d’hélicoptères ? La question reste à trancher. Notons que le COS – qui utilise des Gazelle – a ses besoins propres. Des réunions seront conduites dans les prochains mois par les trois armées sous l’égide de l’EMA afin de statuer.
Venons-en aux véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP), dont le nom recouvre plusieurs acceptions puisque certains sont protégés et d’autres non. Les VLTP protégés sont de la gamme 4X4, douze tonnes, blindés, avec une charge utile de 2,5 tonnes. Dans les grandes lignes, une illustration pourrait en être donnée par le Sherpa de RTD. Le VLTP non protégé doit remplacer le véhicule léger tactique tout-terrain (VLTT) Peugeot P4. En tant que directeur de la STAT, j’ai rédigé l’expression de besoin et donc orienté le choix du véhicule, mais le programme a été reporté brutalement de 2014 à 2020. Or les véhicules légers tactiques P4 ont trente à trente-cinq ans d’âge. Ils ont connu de multiples conducteurs, dont des appelés des années 1980-1990. Aucun véhicule de cet âge et ayant connu autant de conducteurs n’est encore en service en France. Ils nous coûtent très cher à réparer et le parc est en train de s’effondrer progressivement : le nombre de véhicules disponibles est inférieur à 2 500 et leur nombre continue de baisser à un rythme de plusieurs centaines par an.
Il s’agit de faire quelque chose parce que nos régiments n’ont plus les moyens de se déplacer, par exemple pour aller au champ de tir avec des cibles à l’arrière du P4. Constatant ce report budgétaire, l’EMAT a utilisé le programme 178 pour financer un millier de véhicules en urgence au titre de l’Union des groupements d’achats publics (UGAP) et nous avons choisi le Ford Ranger, à l’instar de la DGA, de mairies ou des pompiers. C’était le seul moyen apte à répondre au besoin exprimé : un véhicule qui puisse emporter une tonne de charge utile, en comptant le poids des hommes – avec quatre gaillards de cent kilos équipés, il reste 600 kg. Vous comprenez bien qu’une Dacia ne pouvait pas répondre au besoin : avec quatre soldats équipés, il ne restait que 150 kg d’emport dans un coffre tout petit. Le seul véhicule possible était ce véhicule acheté au titre du marché interministériel, le Ford Ranger, au prix particulièrement compétitif de 26 000 euros pièce.
Au passage, je tiens à signaler qu’il n’y a plus de fabricants de ce type de véhicule 4X4 en France. Nous allons désormais conduire le « vrai » programme d’achat de 4X4 de l’armée de terre, c’est-à-dire les 4 000 à 5 000 véhicules et non pas le « patch » Ford Ranger. Il convient de lancer ce programme au plus vite ; des premières livraisons sont nécessaires en 2018. J’ai alerté les industriels français pour qu’ils présentent sans tarder des solutions. Cela étant, nous ne faisons que constater les choix de l’industrie automobile : nous n’avons pas de possibilité d’acheter des 4X4 non blindés à capacité d’emport importante de fabrication entièrement française.
C’est mon devoir de conseiller les industriels et patrons de PME. Bien avant les orientations sur le Ford Ranger, seul candidat UGAP répondant au besoin, j’ai pressé RTD de présenter le Nissan Navara, qui est un modèle équivalent, Nissan c’est Renault en quelque sorte, mais ils n’ont pas donné suite.
Cela étant, un autre programme important est le VLTP protégé qui va se fondre avec le véhicule blindé multi-rôle (VBMR) léger de SCORPION au sein d’une seule famille. Cela fait en perspective un marché de 2000 véhicules blindés destinés à remplacer les véhicules d’accompagnement : des VAB qui ne sont pas remplacés par le Griffon, des camions Renault TRM 2000, des véhicules légers de reconnaissance et d’appui (VLRA). Toute cette gamme de véhicules, aujourd’hui très âgée, constitue une part importante de la force terrestre actuelle. Les premières livraisons de ce programme sont attendues en 2020.
Revenons à la liaison avec la DGA TT de Bourges, qui est loin d’être le seul centre avec lequel je travaille. Seulement 40 % de mes équipes du centre de Satory travaillent avec Bourges, par exemple, et cela ne représente que 5 % de leur temps. Installés à Bourges, 60 % des personnels se retrouveraient plus éloignés des centres avec lesquels ils travaillent habituellement, tels que celui de Bruz. J’ai calculé que si la STAT était basée à Bourges, les frais de déplacement augmenteraient de 25 % car il serait plus compliqué et plus cher de se rendre à Canjuers, Mourmelon, ou Mailly. Ma raison d’être est aussi de travailler avec les industriels alors que ne sont localisés à proximité de Bourges que Nexter Munitions et un centre de propulseurs de MBDA. Tous les bureaux d’études de l’industrie terrestre sont autour de Paris : RTD et Nexter sont colocalisés avec la STAT à Satory. Si j’envoie mes équipes de marque à Bourges, ils seront loin des architectes de la DGA qui sont à Balard. À Bourges, la STAT – qui a une action interarmes et interarmées – serait éloignée des centres de décisions ; les déplacements des personnels seraient plus difficiles car, de Paris, nous rayonnons partout en France et en OPEX. L’idée de localisation à Bourges repose sur une ambiguïté, car toutes les techniques terrestres de la STAT n’y sont pas représentées : on n’y fait pas de drones tactiques, de systèmes de communication, d’artillerie sol-air. Localiser la STAT à Bourges aurait induit une perte de service rendu par la structure. J’ai suivi cette affaire de près car je venais d’être nommé directeur de la STAT quand le dossier a été rouvert en 2013.
Vous m’avez interrogé sur de possibles homologues européens. En fait, après avoir cherché à créer des liens en Europe, j’ai constaté que nos alliés n’ont pas la chance d’avoir l’équivalent de notre structure. Je le dis vraiment avec conviction. Les armées alliées sont finalement très inféodées à leur industrie d’armement. Je peux vous dire que pour le lance-roquettes unitaire, il y a eu des soucis avec Krauss Maffei Wegmann que n’avait pas vu, ou qu’avait accepté, l’agence d’armement du ministère allemand de la défense (BWB). Lorsque nous avons évalué une première version duWatchkeeper, le drone tactique de Thales, en 2013, les Britanniques ont accepté tous nos constats. Nous avons un système vertueux et une DGA extrêmement efficiente. Y compris comparé aux Américains avec lesquels j’ai discuté, nous avons une section technique de l’armée de terre qui est très militaire. D’autres armées ont confié beaucoup d’aspects de la gestion de leur programme d’armement à des civils. Le général américain Hix, auquel je présentais la STAT, a été surpris du caractère très militaire de la conduite des opérations d’armement en France. Je pense que nous avons un bon équilibre entre une DGA qui est extrêmement efficiente, des armées qui sont compétentes parce qu’elles ont connu des théâtres d’opération – mes sous-officiers et officiers en viennent –, et les industriels qui restent à leur place. Si l’industriel est trop puissant, il nous livre les matériels qu’il veut bien nous livrer, avec tous les soucis que cela peut créer.
S’agissant d’AUXYLIUM, le modèle prévu utilisera toutes les fonctionnalités d’un smartphone. Le soldat pourra se géolocaliser et être géolocalisé par ses chefs, envoyer des messages, des films et des photos. Le problème de mettre une armée dans une ville, c’est que nos postes radio tactiques ne sont pas faits pour cela. Dans un environnement urbain, le poste radio PR4G ne brouillera certes pas l’activité civile, mais il connaîtra des pertes de portée énormes, aussi bon soit-il. Or il est question d’intervenir partout, y compris en étage et en sous-sol. Ce poste AUXYLIUM, inventé par un officier qui a été depuis muté à la STAT, représente une petite révolution. Repris par la DGA, AUXYLIUM a été érigé en opération d’urgence opérationnelle. Ces tablettes très légères ont un avenir en opération, mais il faut en contrepartie disposer d’une bulle radio, dont la portée reste limitée.
Quant aux drones MALE, ils relèvent du domaine de l’armée de l’Air et je ne suis pas compétent pour vous informer sur le Reaper ou sur le projet de drone MALE européen. Cela étant, je peux vous dire que le Patroller, en arrivant en opération, permettra de soulager le Reaper qui est un drone MALE de surveillance et non pas un drone tactique d’appui direct aux opérations. Le Reaper fait les deux en ce moment car c’est le seul drone sur les théâtres d’opération. Ce n’est pas forcément le travail du Reaper, si tant est que l’on dispose d’un drone tactique sur le théâtre d’opération. Le drone MALE doit surveiller toutes les frontières, les grands espaces, et il vole pendant très longtemps. Le drone tactique, lui, est entièrement dévolu aux groupements tactiques interarmes engagés sur le terrain ; il ne les quitte pas et c’est en quelque sorte leur ange gardien. Voilà la différence entre les deux. Je pense que le Patroller permettra de soulager le Reaper dans cette action, dès qu’il sera en service opérationnel, c’est-à-dire pas avant la fin de 2018. Le Reaper a donc de beaux jours devant lui à moins de projeter le système de drone tactique intérimaire (SDTI).
M. Jean-Michel Villaumé. En répondant à mon collègue, vous avez déjà répondu à la question que je voulais vous poser sur les drones – tactiques, de combat, futurs. Je voulais aussi vous interroger sur l’approvisionnement en munitions de petit calibre. Nous n’avons plus de filière française et nous importons. Des industriels français pourraient s’engager à créer une nouvelle filière française, à condition d’avoir un potentiel de commandes de l’État sur cinq ans. Pouvez-vous nous faire le point sur cette problématique d’approvisionnement en munitions de petit calibre ?
M. Francis Hillmeyer. J’allais vous poser la même question ! Effectivement, les munitions de petit calibre n’étant plus fabriquées en France, nous avons des retours mitigés sur celles qui sont livrées : une bonne partie est mise de côté plutôt que d’être utilisée. Où est le gain financier ? La fabrication française serait peut-être un peu plus chère mais utilisable à 100 %.
Vous avez parlé de faire des propositions d’acquisitions de matériels pour les soldats qui sont en OPEX. Quel budget est mobilisé ?
Prévoyez-vous que les systèmes d’information dont vous avez parlé soient immédiatement au standard de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ?
M. David Comet. À l’invitation du colonel Girard, chef de corps du premier régiment d’infanterie de marine d’Angoulême, je suis allé pendant quatre jours sur notre base opérationnelle avancée à Abidjan. J’ai rencontré les forces françaises en Côte d’Ivoire au camp de Port-Bouët et au camp de Lomo Nord. J’ai ainsi partagé le quotidien des militaires en action et en mission, et j’ai pris l’engagement de faire remonter quelques sujets au sein de notre commission.
Trois sujets me semblent majeurs : l’opération Sentinelle et la nouvelle doctrine d’emploi, en cours d’élaboration, qui me paraît aller dans le bon sens ; les problèmes du logiciel Louvois pour lequel il existe une solution de remplacement ; et surtout le renouvellement du matériel des armées en OPEX, plutôt âgé en ce qui concerne les engins ERC90 (engin à roues, canon de 90 millimètres) dits Sagaie.
M. Jean-David Ciot. En ce qui concerne l’HIL, pourriez-vous nous donner les volumes nécessaires au remplacement des Gazelle pour l’armée de terre ou en interarmées, si vous les avez ? Pour les minidrones, il me semble que vous avez fait une évaluation de leur utilisation en atmosphère chaude, en décembre dernier. Avez-vous des résultats ?
M. Yves Fromion. Tout à l’heure, quand vous avez répondu à François Lamy sur l’articulation entre la DGA TT, la STAT et les industriels, vous avez indiqué que c’est la DGA qui passe commande du matériel lorsque les évaluations ont été faites. S’il apparaît ensuite que, malheureusement, l’équipement n’est pas complètement adapté, comment cela se passe-t-il ? On a l’impression que la DGA pourrait avoir commandé un matériel sans que vous ayez donné le feu vert de l’utilisateur ? N’y a-t-il pas là un hiatus qui expliquerait les mécomptes qui peuvent parfois exister ?
Général Charles Beaudouin. Deux d’entre vous m’ont interrogé sur les munitions de petit calibre et l’absence de filière française dans ce domaine. En fait, la situation est liée à l’histoire du fusil d’assaut de la manufacture d’armements de Saint-Étienne (FAMAS). C’est l’arme de petit calibre la plus exigeante du monde, notamment parce qu’elle a une culasse non calée. Le FAMAS était conçu avec sa munition – dont l’étui était en acier – et Nexter fabriquait les deux. L’arrêt de la filière relève d’un choix de politique industrielle qui se pose dans d’autres domaines. Peut-on maintenir toutes les filières et acheter systématiquement français ? Je ne le crois pas.
Ce marché des armes de petit calibre est assez erratique. Dans les années 1990, Nexter avait racheté la Fabrique nationale de Herstal (FN Herstal), puis il l’avait revendue. L’absence d’investissements durables de la défense dans le petit calibre explique certaines décisions du groupe. C’est un peuuse it or lose it : si vous n’avez pas de commandes, comment voulez-vous investir et produire ? N’oubliez pas que l’armée de terre a décru quasiment de moitié dans les années 1990. Elle s’est retrouvée avec un stock de fusils d’assaut suffisant et elle a vécu avec, ce qui est compréhensible puisqu’elle avait des choix drastiques à faire, notamment concernant des Puma qui ont trente-huit ans d’âge. Le FAMAS était là ; il n’y avait pas de raison de le remplacer plus tôt. Le problème est qu’il n’a pas été tellement exporté non plus. Nexter a donc arrêté sa production de fusil et de munitions et la DGA a lancé des appels d’offres pour trouver d’autres fournisseurs.
Pour les munitions du FAMAS, nous nous approvisionnons désormais auprès de la société américaine, Alliant Techsystems Inc. (ATK), qui répond parfaitement à nos besoins. Nous avons essayé plusieurs fournisseurs israélien, brésilien, anglais. L’un après l’autre, ils ont été éliminés parce que le FAMAS exigeait une munition de 5,56 millimètres très performante. Dans les années 2010, nous avons eu un problème avec un lot de munitions acheté auprès des Émirats arabes unis (EAU) qui ne fonctionnait pas du tout avec le FAMAS. Au bout de cinquante mètres, les balles étaient déstabilisées. L’armée de terre, en déficit de munitions, a traversé une crise. La DGA a réagi en diversifiant ses sources. Nous avons eu la chance – je dis bien que c’est une chance – d’avoir une munition d’ATK qui est devenu notre fournisseur principal.
Pour l’AIF, il s’agira d’une arme au mécanisme plus classique que le FAMAS et au calibre OTAN standard, et certains candidats sont déjà très utilisés. Nous aurons donc moins de problème de sources d’approvisionnement pour les munitions. Aurait-il fallu créer une filière française performante ? Car la performance va de soi : nos soldats ont droit au meilleur ; en opération, ils doivent pouvoir tirer précisément à 200 ou 300 mètres ; ils risquent leur vie. On ne peut pas acheter des munitions moins bonnes sous prétexte qu’elles sont françaises. Or la concurrence est exacerbée et le niveau mondial très relevé. Si un Français peut s’aligner, tant mieux pour lui ! S’il est bon, il sera retenu. Et s’il est un peu plus cher que les autres ? Il appartiendra à la DGA de décider, puisque c’est elle qui est responsable des acquisitions. Mais dans un marché en concurrence, il faut justifier le choix d’un fournisseur plus cher que les autres.
Vous m’avez aussi interrogé sur le budget des urgences opérationnelles. En fait, il n’y en a pas. Depuis 2008, nos armées ont conduit quelque 300 opérations de ce type qui ont été financées sur le budget des programmes. C’est le CEMA qui décide de l’urgence opérationnelle, sur proposition des armées. La proposition vient de la base et nous, en tant que centre d’expertise et d’évaluation, nous agissons comme des vigies sur le terrain. Nous sommes donc les premiers à faire ce genre de propositions. Si le CEMA l’accepte, l’opération d’armement est plus rapide mais pas différente des autres : elle passe en priorité, mais elle respecte le code des marchés publics. La décision doit être réfléchie et cohérente car les urgences opérationnelles mobilisent des effectifs et des budgets qui vont être pris ailleurs et elles provoquent parfois l’arrêt de programmes en cours, car il s’agit de livrer très vite aux forces. Si le matériel n’est pas sur étagère, cela va prendre deux, trois ou quatre ans pour le développer. Dans ce cas, l’opération aura perdu son caractère d’urgence. C’est donc quelque chose qu’il faut manier avec beaucoup de précaution. L’Afghanistan a généré ce type d’effets car il s’est agi de réintégrer en urgence des programmes différés pour des raisons budgétaires, comme les tourelleaux télé-opérés qui ont vocation à éviter des pertes humaines tout en appliquant des feux sous blindage.
La doctrine française veut que l’interopérabilité avec nos alliés se fasse au niveau de la brigade et non pas au niveau du régiment ou du groupe tactique interarmes (GTIA). À ces derniers niveaux, c’est un officier allié, détaché en liaison, qui fera l’interface. En conséquence, le nouveau système d’information des armées (SIA) sera bien évidemment interopérable selon les standards de l’OTAN, mais pas le système d’information du combat SCORPION (SICS).
M. Yves Fromion. Il n’y a donc pas d’interopérabilité au niveau des groupements tactiques ?
Général Charles Beaudouin. Non. Pour ceux-ci, on co-localise des hommes. Les personnels étrangers viennent avec leurs systèmes de communication, qui ne sont pas interopérables, et ils assurent ainsi l’interface. La seule exception concerne la brigade franco-allemande.
Pour ce qui est du renouvellement des matériels utilisés en OPEX et des blindés Sagaie, sachez que les militaires sont parfois sentimentaux et souvent très attachés à leurs matériels. La Sagaie présente de gros avantages qui expliquent sa durée de vie supérieure à ce qu’elle aurait dû être : c’est un véhicule très léger – douze tonnes –, qui entre facilement dans un Transall, et qui a une puissance de feu assez considérable car un canon de 90 millimètres, ça fait pas mal d’effet. Nous l’avons même utilisé en début d’intervention au Mali. Son soutien est en train de s’éteindre, et l’engin va progressivement disparaître des comptes de l’armée de terre. Il sera durablement remplacé par l’AMX 10RCR sur les théâtres d’opération, notamment à Madama au Niger, dans l’attente de la mise en service opérationnel du Jaguar escomptée en 2023.
Actuellement, beaucoup de forces prépositionnées ont des matériels plus anciens que ceux des unités de métropole. Or, comme au Mali, les opérations commencent souvent avec les forces qui sont sur place : les forces du Tchad et de Côte d’Ivoire sont intervenues en urgence avec des équipements qui n’étaient pas du dernier cri, avant de recevoir un renfort rapide grâce à l’alerte Guépard. Certes la Côte d’Ivoire n’est plus un théâtre d’intervention mais nous y avons des forces prépositionnées. Sous égide de l’EMA, le souhait de l’armée de terre est d’y déployer des matériels plus modernes qui pourront être utilisés sur les théâtres d’opérations : des canons CAESAR ont déjà été mis en place.
Certains restent très attachés à la Sagaie, ce qui n’est plus du tout le cas du commandement des forces terrestres. Très pragmatiquement, je pense que l’AMX 10RCR est bien plus performant que le blindé Sagaie qui n’a pas de vision nocturne, par exemple, et qui ne peut donc pas tirer de nuit. Mais c’est vrai qu’en Afrique, il y a une certaine appétence pour la Sagaie.
Mme la présidente Patricia Adam. À cause de son nom ? (Sourires.)
Général Charles Beaudouin. Sans doute !
Pour l’HIL, la cible d’acquisition serait de l’ordre de 160 à 180 appareils, dont 80 sont destinés à l’armée de terre pour remplacer les Gazelle.
Que se passe-t-il quand l’équipement commandé n’est pas complètement adapté ? demandez-vous, monsieur Fromion. En fait, nous l’évitons la plupart du temps car nous travaillons très en amont en équipes intégrées avec la DGA et avec l’industriel. Je répète que rien de ce que fait l’industriel ne nous échappe. Le missile moyenne portée de MBDA ne sera mis en service qu’en 2018 mais nous le connaissons parfaitement parce que nous avons participé à la définition de ses interfaces homme-machine. Nous avons vraiment un partenariat – il faut bien l’entendre de cette façon – entre l’industriel retenu, la DGA et les armées. Il s’agit de faire en sorte que l’équipement arrive le plus vite possible et réponde au besoin.
Si l’équipement de l’industriel ne répond malgré tout pas au besoin de la DGA, c’est qu’il ne répond pas au cahier des charges. On peut l’accepter et faire payer des pénalités à l’industrie. On peut aussi accepter un premier standard de matériel, à condition qu’il soit ensuite modifié. Prenons le cas du Tigre, un exemple bien connu. Les quinze premiers exemplaires n’étaient pas au standard opérationnel mais il a fallu les accepter pour que cet hélicoptère monte en puissance. Ils sont en cours de rétrofit, aux frais d’Airbus Helicopter. Par pragmatisme, on accepte une première livraison de matériel – qui est meilleur que l’ancien – en planifiant une atteinte progressive du plein standard.
Le seul problème qu’il pourrait y avoir, c’est un conflit ouvert entre la DGA et les armées. En réalité, la DGA sait très bien qu’elle doit satisfaire son client : l’armée. Si elle voit que l’armée n’est pas contente du système – et je peux vous dire que je travaille tous les jours avec la DGA –, elle prend immédiatement en compte cette insatisfaction. Elle ne se hasardera pas à nous livrer quelque chose qui ne nous satisfera pas.
M. Yves Fromion. C’est quand le problème est détecté bien en amont des commandes et de la livraison. Mais si l’utilisateur découvre après coup que, finalement, l’équipement n’est pas bien adapté, tant pis : il est en service.
Général Charles Beaudouin. Dans ce cas-là, on vérifie le contrat. Prenons un militaire du premier régiment d’infanterie de marine (1er RIMa) qui voit arriver un engin dont il n’est pas très content. On va vérifier si son grief est justifié. Ce sont nos forces et, en général, les soldats ne mentent pas. Quand ils disent quelque chose, il faut les écouter. Admettons que le problème constaté soit traçable et imputable à l’industriel qui n’a pas répondu aux exigences – il est étonnant qu’on ne l’ait pas vu avant car nos équipes évaluent entièrement le matériel. Dans ce cas, on va demander un changement.
Mais il peut arriver que l’utilisateur ne soit pas satisfait d’un matériel qui a été conçu et développé sur une dizaine d’années, ce qui est la norme pour les grands programmes. La fiche d’expression du besoin est ancienne ; le besoin et les opérations ont évolué. Quel point commun y a-t-il entre Pamir, Harmattan et Serval ? Le matériel utilisé, mais les trois opérations sont très différentes. Il se peut qu’un matériel soit livré en décalage par rapport aux opérations. Mais cela, c’est de notre fait. Notre devoir est donc de faire un additif à la fiche d’expression du besoin militaire pour demander à l’industriel d’adapter le matériel au dernier standard, et de prévoir le budget afférent. C’est le jeu normal mais il faut quand même y jouer le moins souvent possible.
Une question concernait les expérimentations de minidrones en zones humides et chaudes. Nous avons en effet envoyé une équipe en Guyane, pour participer à la protection du site de Kourou avec des drones. Notre équipe y a testé des minidrones et des nanodrones – des sortes de libellules de dix-huit grammes – qui ne correspondent pas vraiment à l’attente de ce théâtre d’intervention, notamment parce que la canopée complique la gestion de ces outils. Finalement, les équipes de protection du site auraient davantage besoin d’un Patroller : un drone qui peut rester en l’air pendant plusieurs heures et qui va scanner la remontée des fleuves, les zones d’intérêt particulier, la côte, etc. Aucun besoin n’a été clairement exprimé, mais nous intervenons de manière proactive pour savoir ce que nous pouvons faire au profit de nos camarades qui protègent un site majeur pour l’Europe. Nous allons donc faire le test.
M. Jean-David Ciot. Cela pourrait représenter une évolution pour l’armée sur de petits théâtres d’intervention.
Général Charles Beaudouin. Absolument. Dès que nous constatons des potentialités apportées par des systèmes, nous en rendons compte à l’EMAT pour les informer, de manière à ce qu’il puisse décider en conséquence.
Mme la présidente Patricia Adam. Merci général.