Un livre-événement sur « André Zirnheld – le chant d’un partisan » (1er officier parachutiste français mort au combat, compagnon de la Libération, auteur de la « Prière du para »).

L’auteur : Alexandra LAIGNEL-LAVASTINE

Docteur en philosophie, historienne, essayiste, longtemps critique du Monde des livres et lauréate du prix européen de l’essai, Alexandra Laignel-Lavastine est l’auteur d’une quinzaine de livres, dont La pensée égarée. Islamisme, populisme, antisémitisme : sur les penchants suicidaires de l’Europe (2015, Prix de la Licra) et, au Cerf, Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? (2017, Ménorah d’or).

Le préfacier : Général de corps d’armée (2S) Olivier TRAMOND

Officier parachutiste des troupes de Marine, ancien chef de corps du 3e RPIMa, commandant supérieur des Forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) et directeur du Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF), le général Olivier Tramond est administrateur de l’Association des écrivains combattants (AEC).

 


« Il était de la taille des Estienne d’Orves, des Saint-Exupéry, des Marienne1 », disait le général Bergé d’André Zirnheld, ce superbe philosophe d’origine alsacienne aux allures de James Dean de la France Libre, mort au champ d’honneur à 29 ans, le 27 juillet 1942, en pleine guerre des sables. C’est la prodigieuse trajectoire de cet intellectuel antifasciste, de la bohème parisienne et du groupe « Esprit » à l’âpreté des combats du désert, que retrace pour la première fois cette magistrale et passionnante biographie. Il était temps.

Le lecteur découvrira en ce compagnon de la Libération — sur une chevalerie qui n’en compte que 1 038 — une des plus fascinantes figures de la Résistance extérieure. Né comme Camus en 1913 et sans doute promis à un aussi brillant avenir, ce rebelle né est de surcroît tombé sous l’uniforme des mythiques commandos franco-britanniques du Special Air Service (SAS). Le SAS, ou une extraordinaire unité fantôme de combattants d’exception, qu’Hitler jugeait « très dangereux », des as des raids les plus audacieux sur les arrières de Rommel. Zirnheld en était un des chefs les plus admirés. À leurs débuts, des partisans à leur façon, sans existence officielle au sein de l’armée britannique, qui opéraient par petits groupes loin derrière les lignes ennemies. Leur saga nous est mieux connue grâce à la diffusion, sur Canal+, de la série à succès SAS Rogue Heroes, où le « lieutenant Zirnheld » apparaît plusieurs fois à l’écran2. Ou quand la BBC honore un héros français qui, dans son propre pays, aura largement échappé au grand public huit décennies durant… Par quelle extravagance ?

 Orphelin de père à 9 ans, le futur Résistant sera autorisé à aller aux scouts, une faveur refusée à ses deux grands frères. Crédit : famille Zirnheld.

« André Zirnheld le magnifique, l’homme qui n’a jamais rien demandé », comme le surnommait le général Bigeard, n’est pourtant pas un inconnu. Premier officier parachutiste à croix de Lorraine tué par les nazis, il était aussi poète. C’est même par un poème désormais culte, « Prière », retrouvé dans son paquetage par ses compagnons, qu’il est entré dans la légende. Passé à la postérité sous le nom de Prière du parachutiste, voilà cependant que ce texte et son auteur sont du même coup passés à travers les mailles de la mémoire nationale.

Aurait-on oublié le rôle joué dans la Libération de l’Europe par les SAS français, dont 450 furent largués sur la Bretagne en juin 19443 ? Une éclipse d’autant plus aberrante qu’« il ne faut jamais perdre de vue », comme le rappelle à juste titre Erwan Bergot, un ancien officier para devenu un immense écrivain, « que la Prière fut écrite par un intellectuel épris d’absolu qui ne savait pas encore que son destin serait de mourir au combat quatre ans plus tard, sous l’uniforme des parachutistes4 ». Un prof de philo qui venait de soutenir en Sorbonne sa maîtrise sur Spinoza, qui s’était rendu en Tunisie en 1937-1938, où il écrivit sa « Prière », pour « participer à l’éveil d’un peuple », syndiqué cette année-là à la CGT et qui s’en voulait de ne pas s’être engagé dans les rangs républicains en Espagne. Pas vraiment le para archétypique… Or, ce livre montre justement qu’on ne comprend rien au combattant sans s’attarder sur le jeune rebelle qui le porte en gestation.

 

Les chants de Joseph Kessel et André Zirnheld 

L’auteur (elle déteste qu’on dise « auteure » ou « autrice ») relève qu’ils ne sont que deux. Joseph Kessel et lui. Deux Français libres à avoir légué un hymne à la Résistance universellement célèbre. Mais auprès de qui ? Tout le monde connaît Le Chant des partisans de Kessel. La Prière de Zirnheld ? On aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit apprise dans nos écoles depuis les années 1950. Certes, il y avait « Dieu ». Mais venant d’un héros de la Résistance qui doutait de sa foi, salué par le général de Gaulle pour son « courage remarquable » et sa « très haute valeur morale », qui était en plus le neveu du leader syndical Jules Zirnheld, le fondateur de la CFTC, l’écueil était surmontable. Il faudra cependant attendre 2022 pour qu’en France, une place André-Zirnheld soit enfin inaugurée à Paris, dans le XVIIe arrondissement.

André Zirnheld à l’époque de ses études de philosophie en Sorbonne (1932-1937). Crédit : famille Zirnheld.

La singulière destinée des chants respectifs de Kessel et de Zirnheld explique en partie cette occultation. Alexandra Laignel-Lavastine souligne qu’ils ont en commun d’avoir été diffusés par Radio-Londres en 1943, avec la même vocation : servir de bannière à la Résistance unifiée, FFI, FFL, communistes et francs-tireurs confondus. Il fallait fédérer, et pour fédérer, il faut des œuvres. « Partisans, répétez-vous tous les soirs cette admirable poésie », exhortait le général Valin au micro de la BBC, le 13 janvier 1943 : elle condense, à elle seule, « l’âme du volontaire ». Il ajoutait avec ironie qu’elle nous vient d’un de ces jeunes gaullistes qualifiés par Vichy de « mercenaires en mal de solde, de Juifs tarés et de pauvres bougres malheureux en ménage ». « Répétez-vous cette Prière, elle vous unira et elle vous soutiendra ! » Et ses paroles furent reprises dans les maquis et sur tous les théâtres d’opérations de la France Libre jusqu’à la Libération.

Et après ?

Par des chemins inattendus, Le Chant des partisans s’est imposé comme le symbole de la seule Résistance intérieure et de « l’armée des ombres », au détriment de l’armée de Londres. Et le poème de Zirnheld, lui aussi laissé en déshérence par la mémoire française libre, « atterrissait » chez les paras, qui s’y sont reconnus au point d’en faire leur chant fétiche. Pour l’officier parachutiste que je suis comme pour d’innombrables combattants de par le monde, la Prière, aujourd’hui récitée ou chantée dans de nombreuses langues, représente un texte sacré5. Son auteur, lui, restait un mystère. Une icône.

D’où l’ambition de ce livre : exfiltrer ce partisan et son chant du monde para où ils restaient confinés depuis 1945 pour les reconduire au cœur de la cité. Mais aussi pour restituer André Zirnheld aux soldats eux-mêmes qui, jusque-là, en savaient beaucoup plus sur sa mort que sur sa vie, aussi brève qu’admirable. À l’heure où l’Occident est devenu « l’ennemi mondial numéro un », pour reprendre la formule de Jean-François Colosimo, nous serions en effet bien inspirés de nous demander, à notre tour, comment nous montrer à la hauteur. Telle est bien la question qui résonne au cœur de la Prière comme de notre époque. Et c’est à tous qu’elle s’adresse. Une guerre se gagne d’abord dans les esprits.

 

Une odyssée d’une brûlante actualité

Le soldat Zirnheld, mitrailleur de position, pendant son service militaire en Syrie, à l’été 1939. Crédit : famille Zirnheld.

Cette odyssée, racontée à hauteur d’homme et fondée sur de formidables archives familiales inédites, dont maints écrits méconnus de Zirnheld, nous emmène sur ses pas, du Quartier latin à la Cyrénaïque, en passant par la Tunisie, le Liban, la Syrie, la Palestine, le Foyer juif, la Radio clandestine de Haïfa montée avec la Haganah, l’Égypte, Brazzaville… Un périple qui nous renvoie à nous-mêmes, au fil d’une enquête qui tient à la fois du roman d’apprentissage, du récit d’aventures, de l’épopée, mais aussi de la quête de sens que le Résistant poursuivra à travers le tumulte de la guerre.

Encore fallait-il entrelacer tous ces fils. Nul, mieux qu’Alexandra Laignel-Lavastine, dont on sent vibrer la relation quasi fusionnelle qui l’unit à Zirnheld, ne pouvait réussir ce tour de force. Franc-tireuse des idées — ses ouvrages sont souvent salués comme des « manuels de combat » —, docteur en philosophie, biographe, polyglotte, ancienne grand reporter, historienne des années trente et de la Seconde Guerre mondiale, elle était la mieux placée pour faire ressortir la brûlante actualité de ce maître à penser qui reste un maître à vivre. Et surtout, un maître à se tenir debout par gros temps. Au fond, la rencontre de deux philosophes de l’action6.

« Zirnheld brûlait d’impatience de combattre ». (Georges Bergé). Photo prise en 1942. Crédit : famille Zirnheld (AFZ).

À l’âge de l’individualisme exacerbé, combien de nos contemporains réclameraient non pas la tranquillité, le succès ni la santé, mais l’inquiétude, l’insécurité et la tourmente ? Et puis le courage. Un mot qui a presque disparu de notre lexique, remplacé par la notion guimauve de « résilience ». Zirnheld qui, dès le début des années trente, avait fait de la défaillance du Bien et du triomphe du Mal une « affaire personnelle », nous apprend sa camarade Vitia Hessel, savait avec Aristote que le courage constitue la première des qualités, celle qui garantit toutes les autres. Et qu’un homme vivant est d’abord un homme capable d’engager en lui-même la première des batailles, strictement intérieure. Saint Michel contre le dragon. « Qui ose gagne », la fameuse devise du SAS. Dans ce livre, le penseur ne disparaît pas dans le guerrier, il s’y accomplit.

J’ai décidé de soutenir cette exceptionnelle biographie pour toutes ces raisons. Quand j’ai rencontré son auteur à Paris – par un curieux hasard, le jour même du centenaire de la naissance de Zirnheld, le 7 mars 2023 –, elle était sur le point d’y renoncer faute de fonds publics pour en permettre l’écriture. Effarant. Le philosophe-para, un paria de A à Z ? Il fallait relever le défi.

Des défis, il y en aura d’autres. Car si le parcours de Zirnheld fut de part en part marqué par la guerre, il en va de même pour ces pages. L’auteur se trouvait en Israël le 7 octobre 2023. Elle y est restée — on ne déserte pas quand survient l’adversité —, rédigeant sous le feu du Hamas et du Hezbollah, non loin des lieux où le compagnon de la Libération, surpris par l’étrange défaite au Liban, s’était illustré entre 1940 et 1942 après avoir franchi en clandestin la frontière le séparant de la Palestine mandataire. Un pari fou à ce stade.

« C’est toujours le même sujet, me disait-elle. D’un côté, ceux qui entendent l’alerte, cette fois l’alerte suprême du 7 Octobre, et sont capables de se dresser face à l’ennemi. De l’autre, ceux qui préfèrent n’avoir que des amis, s’aveuglent et se couchent. Et qui, forcément, haïssent les premiers et le miroir peu reluisant qu’ils leur tendent. Juin 40 ici, juin 40 là. Quand on pense que nous allons bientôt célébrer le 80e anniversaire de la victoire sur le nazisme7… »

Ces pages nous ramènent au pays des hommes debout, des aventuriers, des anticonformistes et des idéalistes. Certes, « ils n’étaient pas tous des anges », nous rappellera Kessel. Zirnheld non plus. Pas des anges, mais des hommes habités par la fureur de vaincre, la sainte colère des justiciers, le goût du risque et la passion de la liberté. Voici un livre de portée universelle, à méditer et à transmettre absolument.

Général de corps d’armée (2S) Olivier TRAMOND


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Une patrouille de la 1ère compagnie du 1er BIM, dont Zirnheld faisait partie, à la frontière égypto-libyenne, en décembre 1940. Insérés dans la célébré division des « Rats du désert », les « Free French » contribuent à chasser les Italiens d’Égypte et forcent l’admiration. Crédit : DR.

La formation d’attaque en U inversé des 18 Jeep, mise au point par David Stirling. En violet, la Jeep de Zirnheld ; en bleu roi les Jeep de Martin et Jordan.

NOTES : 

  1. Le compagnon de la Libération Pierre Marienne, capitaine parachutiste au SAS, a été exécuté par les nazis le 12 juillet 1944 à Plumelec (maquis de Saint-Marcel).
  2. Série télévisée adaptée du livre de Ben MACINTYRE, SAS Rogue Heroes, Londres, Penguin Books, 2016. Voir aussi, en français, de Jean-Jacques CÉCILE, L’Histoire secrète des SAS, l’élite des forces spéciales britanniques, Paris, Nouveau Monde, 2024.
  3. Voir la remarquable étude du lieutenant-colonel et historien Jean-Christophe DUMONT, « Les SAS français dans la Libération de la France », Combats futurs, n° 2, 2024, p. 62-65 ; et aussi le mémorial numérique des parachutistes FFL et SAS : https://memorial. afpsas.fr/.
  4. Erwan BERGOT, « Le message d’André Zirnheld » : voir l’épilogue, sur le destin et la postérité d’un poème devenu culte.
  5. La Prière d’André Zirnheld a été adaptée en chant militaire en 1962 par la quatrième promotion de l’École militaire interarmes (EMIA), la promotion André-Zirnheld (1964-1965). Sous cette version, elle est devenue l’hymne officiel de l’EMIA : voir, sur ce point, l’épilogue. Et aussi, Olivier TRAMOND et Alexandra LAIGNEL-LAVASTINE, « André Zirnheld, le philosophe parachutiste », dans Alfred GILDER et François BROCHE (dir.), Compagnons de la Libération écrivains, Paris, Éd. Glyphe, 2023, p. 481-484.
  6. Pour l’un comme pour l’autre, « il convient de placer, au-dessus des méditations sur la valeur, une pratique de la valeur », comme l’écrivait le SAS André Zirnheld dans son dernier texte inédit, « la quête de Dieu », écrit sous sa tente du camp Kabret entre deux missions impossibles.
  7. Voir, dans cet esprit, l’article d’Alexandra LAIGNEL-LAVASTINE, « Mais comment la France issue du 7 Octobre va-t-elle commémorer le 80e anniversaire du débarquement ? », Causeur, 15 janvier 2024.
Manuscrit original de son célèbre poème, « Prière », écrit à Tunis le 1er avril 1938, aux pages 17 et 18 de son carnet rouge, retrouvé dans son barda après sa mort. (Crédit : Famille Zirnheld).

Une vie qui ait un sens ?

Une vie simple… si simple, tenant en si peu de chose que tu l’aies tout entière dans la main.

Une vie claire… d’une clarté qui dissipe les fantômes.

Une vie risquée… qui fera de chacun de tes instants un succès.

Une vie curieuse… qui fera de chacun de tes instants un événement.

Une vie libre… regardant l’obligation d’un regard si courageux qu’elle la transforme en désir.

Une vie joyeuse… qui, comme telle, sera jeu.

Évite dans ce que tu dis :

Les on-dit. Les banalités. Les dénigrements.

Ne pose pas de questions, cela fausserait ton jugement, défini par les actes des gens.

Ne parle pas de toi, de ce que tu es, de ce que tu sens.

N’accepte d’être jugé que sur tes actes, les paroles dépassent la réalité.

Ne cherche pas à créer l’amitié, la camaraderie, Laisse-les naître d’elles-mêmes.

Évite le zèle, les promesses, les impostures.

Que seules t’intéressent les valeurs humaines.

ANDRÉ ZIRNHELD

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1 COMMENTAIRE

  1. Comme ancien officier parachutiste issu de l’EMIA (promotion Capitaine CAZAUX) cette évocation, tardive mais amplement justifiée, d’André ZIRNHELD met en exergue que les valeurs fondamentales qui font la force et la pérennité d’une Nation sont éternelles. L’histoire nous montre que les oublier, même temporairement, génère des situations toujours néfastes.
    Comme citoyen, je souhaite qu’André ZIRNHELD puisse servir d’exemple à notre jeunesse parfois, voir souvent, désemparée par une société dominée part l’individualisme et l’hédonisme.

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