mercredi 27 novembre 2024

Un réel débat sur la dissuasion nucléaire ?

La question mérite d’être posée avec ce très intéressant rapport d’information du Sénat du 12 juillet 2012 sur l’avenir des forces nucléaires françaises qui s’inscrit dans le cadre des travaux de préparation à la rédaction du futur Livre blanc.

Les sénateurs y évoquent le nécessaire débat sur l’avenir de la dissuasion nucléaire, débat en cours y compris dans la communauté militaire sur l’utilité de ces armes et surtout sur leur coût. Le débat n’est pas récent avec par exemple cette tribune commune du 15 octobre 2009 d’Alain Juppé, de Michel Rocard, d’Alain Richard et du général (2S) Norlain. Elle demandait un désarmement nucléaire total mais aujourd’hui, une fois relue, elle ne paraît plus adaptée à la réalité et aux menaces de plus en plus avérées, situation évoquée par le président de la République dans le XXe discours aux ambassadeurs du 27 août 2012. Il faut rappeler que la France a signé tous les traités sur la non-prolifération à la différence de bien d’autres Etats. La contestation des armes nucléaires a donc perdu une partie de son acuité au niveau international sans doute en raison de la menace iranienne, non évoquée dans ce rapport mais que l’actualité vient de nous rappeler avec la dernière mise en garde de l’AIEA mais aussi dans le discours du 27 août 2012, précédemment cité.

Cependant, la commission du Sénat exprime sans ambiguïté dans ce rapport un soutien total à la dissuasion nucléaire telle qu’elle existe aujourd’hui et dans sa finalité stratégique. François Hollande avait exprimé cette même adhésion précédemment (Discours du 4 juillet 2012). Alors que ce rapport signale que tous les travaux de maintien de la capacité nucléaire ont déjà été lancés, le débat pourrait bien se limiter à la seule préservation de l’effort sur la dissuasion nucléaire. Celle-ci existe et tant qu’elle paraît efficace, elle doit être maintenue dans ses deux composantes, ce dont je conviens. Le rapport rappelle néanmoins que la dissuasion nucléaire s’adresse à un Etat nucléaire. Elle se justifie par la défense des intérêts vitaux, non définis publiquement. Elle répond donc à une (des) menace (s) potentielle (s) mais pas à toutes.

Une autre problématique pourrait affaiblir la position de la France. Le positionnement des dissuasions nucléaires européennes est en effet un élément de la réflexion. Ainsi, la commission a noté l’incertitude sur l’avenir de l’autre force de dissuasion européenne qui est celle du Royaume-Uni avec quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Le remplacement des premiers après 37 ans de service devrait normalement intervenir en 2028 mais la décision définitive de poursuivre le programme nucléaire britannique devrait être prise en 2016, après les élections législatives. Cela pourrait effectivement mettre la France dans une situation politique délicate mais elle a toujours préservé son indépendance. Rien de bien neuf sur cette légitime exception française de ne dépendre de personne pour sa défense nationale.

Le débat sur le budget consacré à la dissuasion nucléaire en revanche ne peut pas être clos et n’est pas satisfaisant dans un contexte financier contraint. En effet, la commission évoque une force nucléaire « étroitement imbriquée au reste de nos forces conventionnelles ». Cela signifie que celles-ci doivent être suffisamment crédibles et donc conséquentes pour éviter l’usage de l’arme nucléaire, son contournement ou simplement, comme dans le passé, pour gagner les délais nécessaires à la prise de décision ultime. Ce débat est effectivement posé publiquement par des généraux (2S) de l’armée de l’air (Etienne Copel, « N’abandonnons pas la dissuasion nucléaire », le 31 juillet 2012) et de l’armée de terre (général Desportes cité dans le Monde du 23 juin 2012). Cependant, il reste tronqué, les marins ne s’exprimant pas alors que la marine est la principale destinataire (je ne dirai pas bénéficiaire) de ce budget.

Or, le constat du rapport est que nos forces nucléaires sont aujourd’hui modernisées et l’essentiel des investissements réalisé pour les vingt prochaines années. Financièrement, tous programmes confondus, les dotations consacrées à la dissuasion dans le projet de loi de finances pour 2012 s’élèvent à 3,4 milliards d’euros de crédits de paiement et à 4 milliards d’euros d’autorisations d’engagement, soit aussi 20 à 23% des crédits d’équipements militaire depuis dix ans.

Par ailleurs, la commission écrit que « Les besoins seront croissants dans les années à venir pour le développement de la troisième génération de SNLE et de ses missiles ». Si les besoins sont croissants et les ressources financières limitées, cela signifie moins de crédits pour les forces conventionnelles. La commission évoque à juste titre les inquiétudes de l’armée de terre qui « craint de voir ses crédits réduits à cause de la « sanctuarisation » de la dissuasion ».

En fait, la problématique est sans doute différente. L’armée de terre est la seule des trois armées à ne pas mettre en œuvre une composante nucléaire. On peut poser la question si la détention de l’arme nucléaire dans les deux autres armées ne leur permet pas de bénéficier d’une plus grande souplesse dans la gestion de leur budget. Ne serait-il pas envisageable de disposer plutôt d’un commandement organique des forces nucléaires, intégrant tous les aspects, et pas uniquement opérationnels, de la mise en œuvre de la dissuasion (RH, équipements, formation…), dissociant cette capacité des forces conventionnelles. Cela permettait peut-être une plus grande équité budgétaire entre les forces conventionnelles.

Pour conclure, la dissuasion nucléaire donne selon ce rapport aux armées françaises des avantages stratégiques. Certes, le fait de disposer de forces stratégiques au meilleur niveau donne aux autorités politiques françaises un supplément de crédibilité mais cela sera-t-il suffisant pour se faire entendre ? J’ai quelque doute.

Certes, la dissuasion nucléaire fait avancer la recherche et tire vers le haut notre industrie, mais une modernisation ne signifie pas garder à tout  prix le même niveau d’ambition. Elle doit plutôt nous conduire à identifier ce qui est raisonnablement envisageable dans cette période de crise économique. Le seuil où la dissuasion nucléaire sera mise en danger doit être clarifié alors que des capacités conventionnelles crédibles et nécessaires sont devenues un enjeu majeur aujourd’hui. En revanche, je partage l’idée que tout abandon, même provisoire de l’effort, rendrait un retour extrêmement difficile par la suite.

Enfin, peut-on valider, s’il s’agissait de réfléchir aux seuls vecteurs, la question du nombre de sous-marins lanceurs d’engins fixé à quatre alors que la modernisation de cette force coûtera 29 milliards d’euros sur quinze ans (pour les forces aériennes, 2,6 milliards) ? Cette question peut être soulevée dès lors qu’il s’agit d’avoir un seul sous-marin à la mer en permanence, soit 25% des SNLE.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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