vendredi 10 janvier 2025

Une stigmatisation (habituelle) des généraux surtout en deuxième section?

Intéressante polémique. Je n’avais pas jugé utile d’évoquer le cas du général Piquemal, un de mes lointains anciens et non un camarade comme évoqué par Jean Guisnel. Cependant,  la lecture du Canard enchaîné du 17 février 2016 et celle du Point (CfLe Point du 13 février 2016) où je suis cité dans l’article concernant le général Piquemal me conduisent à prendre position.

Participer à une manifestation interdite à Calais n’était pas l’action la plus intelligente que j’aurai pu attendre d’un général en retraite et cela ne méritait pas que je m’exprime sur la question. En revanche, lui reprocher de ne pas observer une réserve dans son expression publique n’est pas recevable. Ayant plus de 67 ans, il est à la retraite (erratum du 23 février: le général Piquemal bénéficie de l’ancien statut militaire et n’est donc pas en retraite à la différence des généraux nommés depuis la réforme de 2005). et n’est plus soumis à une quelconque restriction à l’expression publique de ses idées (je corrige: à son âge, je ne suis pas sûr que le devoir de réserve signifie encore quelque chose). Il me semble que nous sommes encore en démocratie ?

Que Jean Guisnel fasse référence au général Bachelet qui critique sévèrement le général Piquemal comme apparatchik, pourquoi pas. Il n’est pas le premier à avoir fait une belle carrière dans les bureaux, mais le général Bachelet (Cf. L’Opinion du 10 février 2016)  a-t-il raison  avec cette lecture rigide de la place de l’officier dans la nation ? Je ne partage pas sa position et à nouveau comme il y a une dizaine d’années, lors d’un colloque, je ne suis pas d’accord avec son approche de l’officier dans la République.

L’armée reste le dernier recours de la République en cas de crise comme l’a montré l’opération Sentinelle, et surtout si je me réfère à la confiance portée aux institutions dans les sondages annuels du CEVIPOF. Le niveau de confiance accordé aux partis politiques était de 12% et de 81% pour les armées, juste après les hôpitaux, 82% (Cevipof, baromètre de la confiance, vague 7, 2016). Cela ne fait pas de l’Armée et de ses généraux des putschistes en devenir mais leur donne la légitimité cependant de se préoccuper de la sécurité de la Nation, qui n’est pas que sécuritaire, et de faire connaître leurs positions.

Car beaucoup de militaires quel que soit leur grade se sentent investis de ce devoir de servir la Nation et, sans doute, ont le sentiment de mieux servir que d’autres représentants de la société civile. S’ils n’avaient pas cette conviction, croyez-vous que Sentinelle et ses dix mille hommes auraient pu être mis en place pendant des mois alors que les armées étaient jugées bien peu utiles à la sécurité de la nation selon les considérations politiques de gauche comme de droite !

Les généraux hier d’active, aujourd’hui en seconde section, ont bataillé contre les a priori, l’ignorance et les préjugés de ceux qui rejettent sinon méprisent les militaires ou qui ne sont pas concernés directement par la sécurité nationale. Il est vrai aussi que cela n’a pas été le cas pour tous les généraux et ceux-là ont été bien récompensés le service actif achevé par des postes bien intéressants en deuxième section. L’armée, et ses généraux, n’en reste pas moins républicaine, c’est-à-dire qu’elle sert les institutions…

L’officier qui se tait, encore plus l’officier général, même si je comprends qu’en activité et à des postes de haute responsabilité, soit réservé dans ses propos, est un officier qui se couche. Est-ce cela que l’on attend d’un officier ? Cela arrange la classe politique mais est-ce ce qu’attend le citoyen ? Je ne le crois pas. Un général ne dit pas que des vérités mais donne sa vérité d’expert. Son engagement et son long service au service de la nation, y compris en deuxième section, lui donnent une légitimité incontestable pour exprimer son point de vue sur les questions qui concernent la sécurité et l’avenir de la Nation.

Le général Bachelet soulève un autre problème, celui de la France que l’on sert et la dernière partie omise de son intervention dans l’Opinion mérite que l’on s’y penche. Il ne distingue pas seulement un fascisme fantasmagorique qui régnerait dans l’armée mais aussi une situation opportune pour « tous ceux qui voient là [dans l’affaire Piquemal] une occasion de nourrir la défiance vis-à-vis des armées et qui pensent ainsi être confortés dans leur volonté de réduire le « pouvoir militaire » à la portion congrue. »… comme cette affaire montée en épingle semble bien le montrer.

Concernant le Canard enchaîné, l’ASAF et son président le général Pinard Legry ont publié un communiqué que je relaie et approuve (Cf. ASAF du 21 février 2016). J’ajouterai les remarques suivantes.

Le Canard enchaîné dans son antimilitarisme habituel et surtout semble-t-il bien alimenter en informations annonce que la DPSD, donc dans ce cas sur ordre du cabinet du ministre de la défense, surveillerait les “papys baroudeurs”. Elle n’a bien sûr que cela à faire et comme ces « papys »  doivent sans aucun doute se cacher dans la population pour se livrer à des actions très subversives, il faut prendre des mesures contre ces « dangereux » extrémistes, si difficiles à arrêter à la différence des migrants illégaux, des activistes qui, à leurs côtés, salissent en toute impunité le buste du général de Gaulle par exemple à Calais – ou même des Corses qui agressent violemment les forces de l’ordre avec des cocktails molotov.

Le Canard enchaîné précise aussi qu’une réforme en cours permettrait de sanctionner directement et rapidement les généraux, (sans doute des « félons »), donc vraisemblablement à nouveau selon la volonté du cabinet du ministre de la défense, car les différents conseils supérieurs d’armée seraient réticents à « condamner » leurs pairs. Cette chasse aux sorcières étoilées est tellement décalée que cela en deviendrait presque risible.

Rejoignant le général Bachelet cette fois, je crains que cette situation de discrimination négative ne finisse par envenimer les rapports entre la classe politique et les armées, et pour ma part, au fur et à mesure que les élections approcheront.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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