mardi 19 mars 2024

Uskub 1918, l’EMIA honore les héros oubliés du front d’Orient

Samedi 20 juillet 2019, la promotion 2018-2020 de l’EMIA a reçu comme nom de baptême « Usbuk 1918″. Depuis le début du centenaire, peu de promotions ont choisi un nom en rapport avec la Grande Guerre hormis la promotion « Sous-lieutenant et Général de Castelnau » pour les saint-cyriens et « Lieutenant Nungesser » pour les élèves de l’EMIA de la promotion 54 (2016). Cette année, ce sont les combattants du front d’Orient qui sont honorés à la fin du centenaire.

 

Le front d’Orient

On s’en souvient mal aujourd’hui mais les Français se sont battus sur ce que l’on a appelé le « front d’Orient ». Il s’agissait plutôt en réalité d’un front des Balkans, en effet, à la suite de la désastreuse expéditions des Dardanelles (mars 1915-janvier 1916) et de l’invasion de la Serbie (octobre 1915) par les armées coalisées d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et de Bulgarie, la France décide d’envoyer un petit corps expéditionnaire aux ordres du Général SARRAIL pour tendre la main aux Serbes à travers les montagnes de Macédoine. En octobre, ce corps débarque à Salonique en territoire grec neutre mais pro-alliance, mais il arrivera trop tard pour sauver les Serbes. Comme sur le front de France, les soldats du corps expéditionnaire français, rejoint par la suite par des Britanniques, des Italiens, des Grecs et la nouvelle armée Serbe resteront bloqués dans les montagnes de Macédoine pendant près de trois ans. Le peu de résultats obtenus par les armées alliées d’Orient, alors que se déroule les batailles titanesques du front ouest, leur vaudra le surnom peu flatteur et injuste de « jardiniers de Salonique » (CLEMENCEAU). Pourtant, ce sont eux les premiers qui en septembre 1918 vont donner le signal de l’effondrement de l’alliance des Empires Centraux. Ce signal ils le donnèrent sur les pentes escarpées des montagnes macédoniennes, du Dobro Polje à Uskub (Spokje aujourd’hui).

 

L’offensive du Dobro Polje 

Les Armées Alliées d’Orient

En septembre 1918, les Armées Alliées d’Orient (AAO) sont une coalition hétéroclite (une des premières du genre) du volume d’un Groupe d’Armée, commandé par le Général FRANCHEY D’ESPEREY, comprenant près de 670 000 hommes parmi lesquels :

  • 210 000 Français (8 divisions) : 30e DI, 57e DI, 76e DI, 122e DI, 156e DI, 11e DIC, 16e DIC, 17e DIC ;
  • 157 000 Grecs (9 divisions) : 1, 2, 3 ,4, 13, 14 et Sérès, Crêtes, Archipel ;
  • 138 000 Britanniques (4 divisions) : 22e, 26e, 27e, 28e DI ;
  • 119 000 Serbes (6 divisions) : Drina, Morava, Danube, Choumadia, Tymock, Yougoslave
  • 43 000 Italiens (35e division)

Face à cette masse imposante de troupes, l’essentiel du front adverse est tenu par l’armée Bulgare avec plus de 550 000 hommes renforcés de 18 000 Allemands et de 25 000 Turcs et d’un corps austro-hongrois. D’ouest en est, le 19e Corps Austro-hongrois, la XIe Armee allemande (surtout composées de troupes bulgares), et les 1ère, 2e, 4e armées bulgares. C’est également un ensemble hétérogène représentatif de la coalition des Empires Centraux, il est placé sous les ordres d’un chef charismatique et redouté : le Generalfeldmarschal von MACKENSEN.           

Le Général FRANCHEY D’ESPEREY, tombé en disgrâce sur le front Ouest, à la suite de la rupture du front au Chemin des Dames (mai 1918), a hérité du commandant des AAO en remplacement du Général GUILLAUMAT rappelé en France pour exercer un haut commandement. En dépit de cette disgrâce, le Général FRANCHEY D’ESPEREY qui a toujours été un partisan de l’ouverture d’un front en Orient ne souhaite pas rester inactif. Il reprend le plan élaboré sous le commandement de son prédécesseur pour lui donner sa forme définitive qui le conduira à une victoire décisive et au bâton de maréchal.  Ce plan est conçu dans les détails par deux officiers, entre autres, qui connaîtront la mauvaise fortune de la défaite de 1940, GEORGES et HUNTZIGER. En quoi consiste-t-il ? Jouant d’audace, les Français renoncent à conduire une offensive de rupture dans la vallée du Vardar, axe naturel et logique d’invasion de la Serbie par la Macédoine, pour préparer une rupture du front en son point central, sur la partie la plus difficile d’accès et donc a priori la moins menacée. En effet, les divisions devront s’emparer des positions fortifiées bulgares du Sokoll, du Dobro Polje, de la Jedna et du Vétrenik culminant à plus de 1 800 m d’altitude. Le but est, une fois le front rompu en son centre, de se rabattre sur les ailes en direction de Prilep et Gradsko qui forment bouchon sur les vallées de la Cerna et du Vardar pour couper toute retraite à l’ennemi. Cette rupture doit être exploitée dans la profondeur opérative par un raid de cavalerie franco-serbe en direction d’Uskub, carrefour stratégique majeur sur la vallée du Vardar. En effet, la prise de cette ville couperait toute retraite à la XIe Armée allemande la contraignant à une capitulation en rase campagne. Ce qui provoquerait l’effondrement du front d’Orient, offrant d’immenses perceptives stratégiques : libération de la Serbie, débouché sur les arrières de l’empire Austro-hongrois et probable dislocation de la coalition des Empires Centraux. Pour porter ce coup décisif, FRANCHEY D’ESPEREY affecte à l’offensive l’élite de son Groupe d’Armées : deux divisions françaises (122e DI, Général TOPART et 17e DIC Général PRUNEAU) et l’armée serbe organisée en deux groupements de trois divisions aux ordres du Prince ALEXANDRE et du Voïvode MICHITCH. L’ensemble est appuyé par plus de 2 000 canons, concentration d’artillerie inédite sur ce front. Le 15 septembre 1918, l’artillerie française donne le signal de la victoire en écrasant les positions bulgares du Sokol au Kamene. Les deux divisions françaises conduisent un assaut sanglant pour s’emparer des tranchées bulgares, disloquant leur dispositif et ouvrant la route pour l’exploitation aux 6 divisions serbes vers Prilep et Gradsko. Le 23 septembre, les Français prennent Prilep sur les arrières de la XIe Armée du Général von STEUBEN obligeant cette dernière a un vaste mouvement de retraite en direction d’Uskub, dernière porte de sortie. C’est alors qu’intervient la brigade des chasseurs d’Afrique du Général JOUINOT-GAMBETTA. Sa mission consiste à lancer un raid à travers les montagnes de Macédoine pour capturer Uskub avant l’arrivée de la XIe Armée en retraite.

JOUINOT-GAMBETTA

La brigade de cavalerie JOUINOT-GAMBETTA 

Le groupement de cavalerie comprend :

  • Le 1er régiment de chasseurs d’Afrique avec 4 escadrons, 2 sections de mitrailleuses, 1 section canon de 37 mm, commandé par le colonel de Lespinasse de Bournazel ;
  • Le 4e régiment de chasseurs d’Afrique avec également 4 escadrons, 2 sections de mitrailleuses, 1 section canon de 37 mm, sous le commandement du Lieutenant-Colonel Labauve ;
  • Le régiment de marche de Spahis Marocains avec 5 escadrons, 1 compagnie de mitrailleuse, 1 section de canon de 37 mm sous les ordres du Lieutenant-Colonel GUESPEREAU.

L’ensemble, renforcé d’un détachement d’automitrailleuses, aux ordres du Général JOUINOT-GAMBETTA, compte environ 3 000 hommes. Neveu de Léon GAMBETTA, JOUINOT-GAMBETTA est promu général de brigade le 26 juin 1917 et prend la tête de l’ensemble de la cavalerie de l’armée française d’Orient.

Le 20 septembre 1918, après le succès de la bataille du Dobro Poljé, le groupement de cavalerie reçoit pour ordre d’effectuer une marche rapide vers Prilep et Uskub pour s’en emparer et fermer le défilé de Kalkandelen afin de couper la retraite à la XIe Armée allemande. Concentré dans la région de Florina, le groupement de cavalerie rejoint l’est de Monastir le 22 septembre après deux étapes de nuit pour assurer la discrétion du mouvement. Dès le 22 septembre, JOUINOT-GAMBETTA est confronté à des difficultés dans sa progression : les routes sont encombrées voire inexistantes, les unités d’avant garde sont prises sous le feu de l’ennemi. Il faut se rendre à l’évidence, la percée n’est pas possible par le premier itinéraire envisagé. Le 23 au soir, le premier objectif, Prilep, est pris, ils l’occupent jusqu’au lendemain où ils reçoivent l’ordre de marcher sur Uskub, à 80 km au nord. Le 24, ils prennent la direction de Dolgace mais le passage est à nouveau interdit par les troupes germano-bulgares. Il s’agit de trouver rapidement une solution de percée pour conserver la vitesse et l’effet de surprise : JOUINOT-GAMBETTA décide de passer par le massif montagneux de Golesnia Planina. C’est un secteur hostile, sauvage et sans pistes, le climat y est rude. Le cheminement est difficile, la progression se fait à pied, bride en main, les vivres manquent, les journées sont chaudes tandis que les nuits sont glaciales. Le 28, le groupement atteint Cernavoda où il se ravitaille avant de prendre le village de Draceno le soir. C’est la dernière étape avant Uskub. Malgré la fatigue et les épreuves de la montagne, ils mettent en place le plan pour le lendemain : Uskub sera attaqué par trois cotés simultanément par les trois régiments, à la faveur d’un raid profitant de l’effet de surprise. 

Le 29 septembre à l’aube, les hommes de JOUINOT-GAMBETTA attaquent à la fois à pied et à cheval, prennent par surprise l’ennemi et coupe la route du défilé de Kalkandelen. La gare est prise ainsi que le dépôt logistique, les chasseurs d’Afrique bloquent les convois germano-bulgares en retraite et capturent un train blindé. À la fin de la journée, Uskub est aux mains des Français. Le général HENRYS s’empresse d’envoyer des renforts d’infanterie pour conserver la place et relever les cavaliers. La prise d’Uskub par les hommes de JOUINOT-GAMBETTA a une portée stratégique considérable : les armées de l’alliance sont coupées en deux, la route de Sofia est ouverte et la Bulgarie est acculée à la capitulation ; isolée, la XIe est contrainte de déposer les armes livrant plus de 70 000 prisonniers. 

Le raid de cavalerie JOUINOT-GAMBETTA sur Uskub est terminé, mais la progression alliée continue vers le nord, vers Belgrade et le Danube et au-delà la Hongrie. La groupement est dissocié, une partie passe sous les ordres du voïvode commandant la 1ère armée serbe et le 4e chasseurs d’Afrique sous celui de la division française qui appuyait jusque-là sa progression. La chevauchée continue jusqu’au Danube et au nord de la Serbie, désormais libérée. 

De nos jours, l’École Militaire Interarmes a voulu rendre hommage à ses hommes qui ont accompli ce fait d’armes dans les contrées lointaines de Macédoine pendant la Grande Guerre.


Entretien avec les élèves de la promotion de l’EMIA « Uskub 1918 »

Propos recueillis par Camille HARLÉ-VARGAS

Comment avez-vous choisi le nom de votre promotion ?

Le choix de du nom de promotion a été réalisé classiquement. Les élèves de la promotion ont proposé des noms d’officiers semi-directs et des noms plus génériques comme des noms de batailles. On pensait que le choix serait facile mais beaucoup d’élèves ont proposé des dossiers très sérieux où nous devons faire des recherches pour que le dossier soit le plus complet et convaincant. D’autres dossiers ont été proposés par des personnes extérieures qui voulaient souvent mettre en lumière leurs parents et encore d’autres dossiers que la promotion Général LE BOUDEC (nos aînés) nous ont donné. Nous nous sommes réunis et nous avons fait l’exposé des différents noms de promotion possibles. Nous avons établi un ordre de priorité et le prévôt de la promotion (le président) l’a proposé au général LABUZE commandant les écoles. Le Service Historique de la Défense a pris en compte les dossiers pour nous appuyer dans la recherche documentaire dans les dossiers et nous proposer un maximum d’informations sur les parrains potentiels. Enfin, la décision est prise par la hiérarchie qui prend en compte notre ordre de préférence.

Notre promotion a donc reçu le nom de Uskub. Ce choix nous tient à cœur car la promotion souhaitait réellement rendre hommage à des soldats qui, sans ce genre de mise à l’honneur, sont voués à tomber lentement dans l’oubli. Ils n’ont pas été que « les jardiniers de Salonique » comme le disait CLEMENCEAU. D’autre part, cette bataille a été effectuée par des régiments qui existent encore et nous pouvons donc créer des liens forts entre notre promotion et ces régiments.

Connaissiez-vous déjà la bataille d’Uskub et le nom de JOUINOT-GAMBETTA ?

Affirmatif ! Mais pas toute la promotion avant de se voir exposer le dossier. D’une part, la promotion compte plusieurs anciens de l’arme blindée cavalerie et donc cette bataille leur est bien connue. D’autres part, nous avons eu des cours d’histoire militaire où le front d’Orient est traité par nos professeurs. D’ailleurs, le général BARRERA, major général de l’armée de terre, nous a fait une belle présentation de ce front et des actions qui précèdent la manœuvre d’Uskub. Enfin, certains connaissaient cette bataille grâce à la vidéo d’un youtubeur qui traite de cette charge de cavalerie.

Quels sont vos projets ou idées pour rendre hommage à votre nom de promotion ?

L’hommage que nous voulons rendre à ces soldats se déroulera en plusieurs étapes.

Tout d’abord, nous allons pour notre terrain de rentrée au 1er régiment de spahis et donc nous allons pouvoir leur présenter notre chant de promotion et apprendre à les connaître. Le chef de corps nous a d’ailleurs invité à faire un ravivage de la flamme sous l’Arc de Triomphe pour commémorer Uskub. De plus, la promotion est invitée à Valence pour fêter l’anniversaire des combats à la fin Septembre. La deuxième volonté de la promotion est d’organiser une activité sur les traces de ces cavaliers en Macédoine. C’est un projet qui n’est pas du tout abouti mais il tient particulièrement à la promotion. Enfin, la promotion souhaite laisser une trace pour la postérité en mettant en place une ERC 90 Sagaie démilitarisée, baptisée au nom de la bataille aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Ce sont les grandes actions en vue pour la promotion au début de cette nouvelle année mais il y aura aussi des projets de moins grande envergure durant l’année dont le premier sera la présentation aux autorités et au cadets de la 59e promotion.

Pouvez-vous décrire votre insigne/pucelle de promotion, comment l’avez-vous choisi ?

Reposant sur l’écu traditionnel de l’insigne de l’École Militaire InterArmes aux couleurs bleues typiques de la tenue de parade des Dolos, le millésime gravé en chiffre d’or « 1918 » rend hommage à cette année décisive de la Grande Guerre. Marque d’un front trop souvent oublié, la symbolique de la croix avec glaives de l’ordre serbe de Karageorges montre le rôle décisif de ces soldats du front d’Orient. Le burnous de spahis marocain surchargé de l’étoile chérifienne d’or rappelle l’engagement des trois régiments de cavalerie légère. Enfin, le croissant des troupes africaines marquée de cette bataille où tant de nos anciens se sont illustrés, marque le nom qui rassemblera notre promotion : « USKUB ». L’insigne a été dessiné par les élèves sous la direction de l’officier tradition de la promotion. Après plusieurs essais nous avons opté pour cet insigne qui permet une lecture facile et élégante de ce qu’il représente.

Camille HARLÉ VARGAS
Camille HARLÉ VARGAS
Auteur et spécialiste de l'histoire des conflits et de la mémoire du XXe siècle. Chargée de mission à l'ONaCVG de la Marne dans le cadre du Centenaire de la Grande Guerre (programme pédagogique, médiation et mise en place de projets). Engagée dans la vie associative visant à faire connaître au public l'histoire et les sites de la Première Guerre mondiale (Main de Massiges). En collaboration avec des historiens pour la rédaction d'articles et d'ouvrages sur les deux guerres mondiales.
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