samedi 12 octobre 2024

2014 Une année qui commence fort et s’annonce périlleuse

Après une interruption un peu longue mais récupératrice, il est toujours difficile de reprendre bien que l’impatience me gagnait peu à peu.

Bien sûr, j’adresse avec plaisir mes vœux en ce début d’année : des vœux de succès pour nos soldats dans leurs différentes opérations, des vœux de courage aux armées pour cette année particulièrement périlleuse en terme budgétaire et de réformes, des vœux d’espoir enfin que la France puisse être à la hauteur de ses ambitions légitimes.

Des informations à ne pas négliger en ce début d’année

Ces trois semaines de trêve de Noël n’ont pas été sans intérêt et les informations intéressante se bousculent en ce début d’année.

L’Opinion a publié (Cf. Mardi 07 janvier) un sondage Ipsos pour la DICOD. 69% des Français sont en faveur du maintien du budget de la défense (51%) à son niveau actuel ou de son augmentation (18%). Seules 28% des personnes interrogées souhaitent qu’il soit réduit, dont 8% très fortement. La question sécuritaire est donc bien une préoccupation des Français face à un monde de moins en moins sûr. L’engagement militaire reste une réponse à cette insécurité croissante.

Le nombre de militaires autorisés par grade en 2014 a été publié au JO (Cf. Lignes de défense et JO du 31 décembre) soit 202 244 (27 951 officiers, 92 211 sous-officiers et 82 082 militaires du rang). Je ne trouve d’ailleurs pas de trace au JO de cette fixation du plafond en effectifs pour les autres ministères ou pour les civils du ministère de la défense. Ai-je mal cherché ?

Ont donc été supprimés 562 postes d’officiers, 650 adjudants-chefs, 632 sergents, 2 497 militaires du rang (…) mais on apprend cette semaine l’embauche de 300 ouvriers d’Etat au sein du ministère de la défense avec des conditions statutaires et financières dénoncées par la Cour des comptes (Cf. l’Opinion et Lignes de défense du 7 janvier 2014).

Comment peut-on expliquer cela à nos soldats alors que leur contrat ne sera pas renouvelé ? Combien de nos soldats, le plus souvent en CCD, aurions-nous pu recruter avec la masse salariale équivalente ? Je ne suis pas certain que le maintien du budget de la défense souhaité par les Français visait à recruter des ouvriers d’Etat.

Je pourrai aussi évoquer la vente immobilière bradée du patrimoine de l’Etat, notamment au détriment de la défense (Cf. « Les mauvaises affaires immobilières de l’Etat », Le Monde du 7 janvier 2014). André Yché, contrôleur général des armées, est mis en cause pour ses choix « novateurs ». Il avait avancé des analyses audacieuses en 2012 sur l’avenir des opérations militaires. Elles ont été démenties par les faits aujourd’hui (Cf. Le Point du 1er août 2012, mes billets du 5 aout 2012 et du vendredi 17 août 2012).

En sécurité intérieure, le général de corps d’armée de gendarmerie Soubelet s’exprime sur les résultats contre la délinquance avec franchise (Cf. Le Figaro du 7 janvier 2014), ce qui est la moindre des choses devant la représentation parlementaire et c’est ce que nous attendons de tout chef militaire. Il évoque notamment le cas particulier des Bouches du Rhône, suscitant la réaction d’une procureure puis du ministre de l’intérieur.

Le Monde opportunément publie justement ce 8 janvier un grand reportage sur Marseille et les difficultés de la police (Cf. Le Monde du 8 janvier 2014). La situation me paraît suffisamment grave pour agir avec force et en profondeur sur les comportements avant que cela ne devienne ingérable. Un renfort de gendarmerie serait plus efficace à Marseille pour la protection des citoyens qu’à Bangui comme le proposait le général de gendarmerie (2S) Cavallier le 25 décembre 2013 (Cf. Le Point).

Le GCA Soubelet évoque aussi l’absence de discernement d’une partie de la jeunesse sur ce qu’est le Bien et le Mal. Je pourrai ajouter simplement le manque d’éducation qui permet de respecter l‘Autre dans la société civilisée à laquelle nous prétendons. Cependant notre relativisme ambiant permet de justifier tout écart de comportement condamné hier.

Certes, les notions de Bien et de Mal ont une certaine connotation religieuse, ceci expliquant cela. Eh alors ? Ce qui est bien ou mal doit être réaffirmé – il y a des invariants – que ce soit par le curé, l’instituteur, l’imam, le rabbin car cela contribue à l’éducation morale de notre société. Je n’oublierai pas le rôle des parents… La rigueur morale (et elle peut être intelligente) est une des sources du respect. Son absence est devenue une menace pour le fonctionnement de notre communauté nationale.

Retour sur le Livre blanc : une réflexion estudiantine

Le sentiment d’insécurité et le besoin d’être protégé se reflètent aussi à travers ces réflexions d’une de mes classes d’étudiants en master 1. Sous la forme d’un devoir, je leur ai demandé d’exprimer leur position personnelle et citoyenne sur l’apport du Livre blanc de 2013. Certes cela ne peut être qu’indicatif mais cela m’a semblé intéressant d’en faire une synthèse.

J’ai été d’abord surpris du sentiment général d’inquiétude face au paradoxe, d’une part d’une stratégie de défense française affirmée et ambitieuse, d’autre part d’une déflation dans les effectifs apparaissant disproportionnée. Selon un de ces étudiants, la suppression des effectifs n’était-elle pas en elle-même déjà une ambition à satisfaire ?

D’un autre côté, les effectifs sont-ils la norme de l’efficacité militaire ? La RCA qui accueille un déploiement limité à 1 600 hommes laisserait supposer que non. Dans ce cas pourtant, comment justifier une armée de 202 000 hommes dont environ 100 000 pour l’armée de terre ? Cette problématique, qui m’a souvent été évoquée dans la société civile, mériterait un argumentaire et une pédagogie appropriés.

Le doute sur l’utilité d’un Livre blanc tous les cinq ans est aussi exprimé alors que les changements par rapport à celui de 2008 ne leur sont pas perceptibles. La référence à l’Europe de la défense leur paraît un exercice obligé mais peu crédible.

La dissuasion nucléaire n’est pas remise en cause même si, selon eux, elle ne répond pas à toutes les menaces. La France n’a pas d’ennemi mais les menaces terroristes ou « cyber » sont bien identifiées. Le recours aux forces armées n’est pas contesté même si l’action de prévention est bien identifiée comme majeure en raison du coût d’un conflit. L’indépendance future de notre défense vis-à-vis des Etats-Unis notamment dans le domaine des armements peut être un sujet d’inquiétude.

En revanche, l’implication de la société civile dans une partie des responsabilités de protection n’a pas été identifiée. Je pourrai en déduire que la sécurité reste l’affaire de quelques-uns au profit de tous.

Pour ces étudiants, le premier objectif du Livre blanc n’en reste pas moins l’information du citoyen sur les enjeux stratégiques. A condition qu’il soit rendu moins complexe, il devrait être expliqué sans relâche aux jeunes et aux citoyens moins jeunes. Sans aucun doute, accompagné d’un support pédagogique, il pourrait largement contribuer à la compréhension des enjeux stratégiques de la France par exemple à partir du lycée et surtout obligatoirement dans les universités et les grandes écoles.

Opérations extérieures : sondages et éclairage sur l’Afghanistan

En opérations extérieures, l’opinion française soutenait à 51% l’opération Sangaris au moment de son lancement selon l’IFOP. Aujourd’hui seulement 41% des personnes soutiennent l’opération (Cf. Lignes de défense du 4 janvier 2014). L’opération Serval avait été soutenue lors de son lancement par 63% des sondés, 59% trois mois plus tard. Heureusement, ce ne sont pas les sondages qui doivent conduire une politique étrangère.

L’Afghanistan, autre conflit auquel participent 500 formateurs militaires français, a été l’objet d’une intervention publique du ministre de la défense afghan, Bismullah Khan à l‘Ecole militaire le 8 janvier. Cet événement était organisé par l’IPSE dont le président Emmanuel Dupuy animait les débats, l’association des auditeurs de l’IHEDN Paris et le club France Afghanistan présidé par l’ancienne députée Françoise Hostalier (Cf. Mon billet du 4 mars 2012 sur le retour d’investissement en Afghanistan). Bismullah Khan a servi sous les ordres de Massoud. Il a été CEMA de 2002 à 2010 de l’armée afghane puis jusqu’en 2012 ministre de l’intérieur, parcours intéressant qui peut faire rêver.

Le ministre afghan de la défense a rappelé le rôle positif en Afghanistan de la communauté internationale qui a permis de recréer une armée disparue dans la guerre civile. Il a reconnu que l’Afghanistan n’avait pas encore les moyens d’assurer seul sa sécurité. Des traités ont été signés avec la France (2012), l’Italie, l’Allemagne, l’Inde, le Royaume-Uni. Bien que rejeté actuellement, le traité avec les Etats-Unis devrait être signé selon lui tout comme un accord avec les forces de l’OTAN en cours de négociation. Comme le président Karzaï dans d’autres pays, le ministre de la défense est venu demander une aide en formation et en équipements militaires (Cf. Defense news du 7 janvier 2014).

Il reste optimiste sur l’avenir de son pays après 2014. Pour lui, les capacités militaires des talibans sont en effet amoindries et ne sont pas en mesure de s’opposer aux forces afghanes. Il dénonce cependant les camps d’entraînement talibans au Pakistan qui forment les « terroristes » pour agir aussi bien en Afghanistan qu’en Asie centrale ou en Russie, Il regrette le manque d’enthousiasme régional pour engager une lutte commune.

Pour conclure

Quelle année 2014 ? Malgré les annonces et les espoirs, l’année sera périlleuse. Espérons que les périls ne soient pas aussi importants qu’envisagés. La réflexion pour l’action n’en sera pas moins poursuivie.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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