Le bataillon de choc est une unité d’élite formée en à Staoueli en Algérie. Entraîné au parachutisme et aux méthodes commandos, son but est d’apporter un soutien aux organisations de la résistance française en vue de renforcer leur action. Tous les chasseurs sont volontaires et réunis autour d’une même doctrine rappelant leurs origines diverses. Elle est « puissance de la légion, légèreté du chasseur, chic du cavalier ». L’unité est tour à tour engagée en France et en Allemagne pendant le second conflit mondial puis en Indochine et en Algérie avant d’être dissoute à la fin de l’année 1963.
En 1943, le chef de bataillon Gambiez persuade l’état-major de la nécessité de créer une unité spéciale « susceptibles d’apporter le moment venu une aide puissante aux éléments implantés clandestinement dans la zone des opérations de débarquement ». Il rejoint les vues de la direction des services spéciaux qui décide la création à Staoueli, à compter du , du bataillon d’assaut qui prendra par la suite le nom de bataillon de choc.
Ancien chef de section de cette célèbre unité, l’écrivain Raymond Muelle en a raconté l’aventure durant le second conflit mondial dans son livre Le 1er bataillon de choc paru en 1977 aux éditions Presses de la cité. Il résume ainsi la destination et l’utilisation de l’unité dans le premier paragraphe de son introduction : « Né des services spéciaux, destiné aux services spéciaux, le « bataillon de choc » n’a que rarement été utilisé selon sa vocation. »
Dans l’esprit de Gambiez, les « choc » devaient en effet être parachutés ou infiltrés dans le dispositif ennemi, capables de durer en climat d’insécurité, de détruire, paralyser et harceler l’adversaire.
Ils devaient être l’équivalent pour la France du SAS britannique, des commandos allemands de Skorzeny, des unités de Chindits en Birmanie, et il reçoit à cet effet une instruction de commando parachutiste. Mais hormis quelques actions spéciales en Italie et en territoire occupé accomplies par des isolés ou par une section, il fut essentiellement utilisé comme élément précurseur des grandes opérations de la 1re armée et participa à des combats frontaux classiques. Selon Raymond Muelle, il était suspecté de « giraudisme » aux yeux du BCRA de Londres, ce qui lui aurait en partie valu de ne pas être parfaitement utilisé en territoire occupé selon sa vocation et ses capacités.
Quoi qu’il en soit, ce fut une glorieuse unité à qui le général de Lattre de Tassigny décerna en 1946 une citation éloquente : « Arme nouvelle, forgée pour des exploits nouveaux, le bataillon donna au premier appel sa mesure de perfection. »
Le baptême du feu de l’unité a lieu à la fin de l’été 1943 lors de l’opération Vésuve de la libération de la Corse. Celle-ci débute le par le débarquement dans le port d’Ajaccio, à partir du sous-marin Casabianca, d’un élément précurseur de 109 chasseurs de la 3e compagnie du capitaine Manjot qui reçoit la reddition de la garnison. Le reste du bataillon est acheminé dès le lendemain, par les contre-torpilleurs Le Fantasque et Le Terrible.
Après quelques jours dans la région d’Ajaccio, les hommes de Gambiez interviennent dans l’ensemble de l’île jusqu’au , date à laquelle ils atteignent Bastia. Le bataillon s’installe dès lors dans la citadelle de Calvi et, le , s’étoffe d’une 4e compagnie formée à partir de volontaires corses dont l’emblème portera la tête de Maure.
Après quelques interventions de type commando en Italie, le bataillon est engagé dans sa totalité du 17 au lors de l’opération Brassard relative à la conquête de l’île d’Elbe. Trois heures avant l’assaut général mené par la 9e DIC, le 2e groupe de tabors marocains et les commandos d’Afrique, des détachements sont débarqués afin de neutraliser les batteries côtières allemandes disséminées à la périphérie de l’île. Le gros du bataillon doit intervenir au sud tandis que 80 hommes seront chargés de la partie nord et notamment des batteries d’Enfola.
La section du sous-lieutenant Corley, désignée pour intervenir dans le Vercors est finalement parachutée dans la Drôme, en 2 sticks les et 1er, près de Dieulefit. Les trente hommes subissent des pertes lors du saut et l’aspirant Muelle prend la tête de la section.
Après quelques combats et accrochages entre Montélimar et Grenoble, la section qui est affectée à une compagnie FFI (16e compagnie du 1er bataillon de l’Armée secrète Drôme-Sud) reçoit l’ordre d’attaquer Le Pont-de-Claix qui ouvre la porte de Grenoble. Le , les chasseurs de Muelle livrent des combats acharnés, investissent le village mais doivent battre en retraite faute de soutien et à la suite de l’arrivée d’une colonne de renfort allemande. Finalement, la section du choc traverse Pont-de-Claix et entre dans Grenoble en élément précurseur le lendemain, le . La section ne rejoint le bataillon que pour la prise de Dijon le .
Entre-temps, Gambiez a quitté l’unité pour former les commandos de France et le gros du bataillon a débarqué le dans le golfe de Saint-Tropez à Sainte-Maxime. Avec à leur tête le capitaine Hériard-Dubreuil, le bataillon de choc est engagé du 21 au dans les combats pour Toulon au côté du 3e RTA du colonel Linares. L’unité est notamment engagée au hameau de Dardennes, à la poudrière (4e cie) et en centre ville (1re et 2e cie). Le mont Faron est quant à lui investi sans combat par la 3e cie.
Après les combats de Toulon, le bataillon remonte vers le nord par la vallée du Rhône, dépasse Lyon et se retrouve à Dijon qu’il libère le associé au 2e RSAR et à un peloton de Tank Destroyer.
À la fin du mois de l’unité se rapproche de Belfort et, après l’engagement séparé des compagnies à Ronchamp et Fresse, combat à Miellin puis Château-Lambert.
Le , l’unité est renforcée par l’un des commandos lourds en provenance des commandos de France. Le 25, le capitaine Lefort en prend le commandement.
Début novembre, le bataillon est au côté de son frère d’armes les commandos de France dans les combats meurtriers du Haut du Tôt au sud de Gérardmer puis rejoint la région de Belfort afin de participer à la libération de la ville. Le 20, les compagnies sont d’abord engagées à Cravanche, puis au Coudray et à Essert et entrent dans Belfort qui sera définitivement libérée le 25.
Entre le et le , les chocs engagent une succession de combats en Haute-Alsace entre Belfort et Mulhouse : Lamadeleine, Étueffont, Rougemont-le-Château, Masevaux, Bourbach-le-Haut, col du Hundsruck, Willer-sur-Thur, Bitschwiller. Alors qu’il forme depuis le le 1er groupement de choc avec les commandos de France devenus à cette occasion le 3e bataillon de choc, le bataillon est à nouveau impliqué dans des combats éprouvants en Alsace dans le cadre de la réduction de la poche de Colmar. Il s’agit des combats pour Jebsheim et Durrenentzen et des opérations de nettoyage ou d’occupation autour de Colmar. À l’issue de ces derniers combats l’unité est très éprouvée et certaines sections ont perdu la moitié de leur effectif.
Après une période de repos à Soultzmatt, le bataillon traverse le Rhin à Gemersheim le avant de poursuivre son épopée à travers l’Allemagne, puis l’Autriche. La plupart du temps accompagnée par les chars, l’unité progresse rapidement et livre de nombreux combats notamment à Karlsruhe, Pforzheim, Dobel et Reutlingen. Le Danube est atteint le à la hauteur de Sigmaringen, puis le lac de Constance et enfin le dernier combat le à Hintergasse.
Lors du second conflit mondial le « 1er choc » a été particulièrement éprouvé. Entre et , les pertes enregistrées sont de 205 tués, 535 blessés et 42 disparus pour un effectif de 700 hommes à peine.
À l’issue de la capitulation de l’Allemagne, le bataillon prend ses cantonnements dans la région de Ravensbourg qu’il quittera fin 1945 pour rejoindre le camp de La Pallu près de Bordeaux et former, avec les commandos d’Afrique, le 1er bataillon du 1er RICAP.
Les premiers éléments du choc arrivent en Indochine au sein des deux bataillons parachutistes SAS dont la première appellation est en réalité bataillon de choc SAS d’Extrême-Orient. Les deux unités, qui sont mises sur pied à Mont-de-Marsan respectivement en et , débarquent à Saïgon les 23 et pour le 1er bataillon (248 hommes) et le pour le 2e (530 hommes).
Intégrées au sein de la demi-brigade SAS du lieutenant-colonel Pâris de Bollardière les unités interviennent au Laos, au Cambodge, en Cochinchine et au Tonkin jusqu’en pour les derniers éléments du 1er BCCP (le 1er bataillon colonial de commandos parachutistes est le nom de l’unité qui regroupe les derniers éléments des deux bataillons SAS). Les parachutistes SAS qui rejoignent la métropole le auront perdu 250 des leurs en Indochine.
La demi-brigade de marche parachutiste (DBMP), formée à partir des éléments de la 25e DAP, arrive en Indochine au début de 1947. Avec ses trois bataillons (I, III/1er RCP et le 1er bataillon parachutiste de choc), aux ordres du lieutenant-colonel Sauvagnac, elle constitue le premier renfort sérieux depuis le début de la guerre au Tonkin.
Les compagnies sont d’abord utilisées sur la périphérie de la capitale, Hanoï, à des tâches de « pacification et de colonisation » qui leur permettent de s’acclimater. Ainsi que l’écrit le rédacteur du journal de marche du « choc » : « Pour les anciens, qui ont fait la guerre en Europe, comme pour les jeunes, tout est à apprendre dans cette guerre d’embuscade, de trahison, où la difficulté est de découvrir le véritable ennemi ».
Le , le bataillon, amputé de sa 4e compagnie qui rejoindra l’unité le , embarque à Alger pour l’Extrême-Orient et arrive à Saïgon le puis à Haïphong le 24.
Après des opérations dans la périphérie d’Hanoï, l’unité est ensuite engagée dans de grandes opérations au Tonkin : opération Papillon en avril, opération « Léa » du 7 au , puis « Ceinture » du au .
De janvier à le bataillon est transféré en Cochinchine où il intervient en tant que troupe d’intervention. Le il retrouve le Tonkin où il interviendra jusqu’à son rapatriement initialement prévu début juillet, puis début août, et qui aura finalement lieu début septembre.
Le bataillon embarque à Haïphong le sur l’Abbeville et, après une escale de 10 jours à Saïgon, rejoint Marseille le . Il cantonne alors à Tarbes jusqu’en , puis à Montauban au quartier Doumerc.
Durant ces deux ans passés en Extrême-orient, le bataillon aura enregistré un total de 59 tués ou disparus et 138 blessés.
Les « choc » seront à nouveau présents au sein du GCMA dont l’une des principales missions est de mettre en place et d’organiser des maquis et des opérations commando en zone vietminh.
L’idée de sauter en équipes de chuteurs opérationnels a été lancée par le 1er BPC. Sautant en chute libre de nuit, ces combattants d’élite doivent se regrouper en l’air malgré leur équipement de combat qui pèse une vingtaine de kilos, atterrir discrètement pour renseigner et détruire avec efficacité. Cette spécialité a été reprise après la guerre d’Algérie par le 13e RDP au sein du 5e escadron et est aujourd’hui un passage obligatoire pour devenir commando dans les GCP.
Le 17 juillet 1964, le général Le Pulloch, CEMAT, exprime l’intérêt de la chute libre en opérations et présentait le cadre des possibilités qu’offrait aux combattants cette technique nouvelle. Il annonçait ainsi la naissance des « chuteurs ops », devenus aujourd’hui les membres des groupements de commandos parachutistes (GCP). Cette décision résulta sans aucun doute du succès des présentations faites dans la discrétion les années précédentes par une petite équipe de pionniers, officiers et sous-officiers du 1er Bataillon parachutiste de choc de Calvi. (Source : ACOPS.FR)
Source partielle : Wikipedia
Général Fernand Gambiez (1903-1989)
Fernand Gambiez est Saint-Cyrien. En 1935, il est officier de la Légion au Sahel, puis stagiaire à l’École supérieure de guerre.
Capitaine commandant de compagnie du 310e RI en mai-juin 1940. Puis il est chargé de créer une unité de choc. Intégré à l’armée d’armistice du Régime de Vichy, il quitta la France pour rejoindre les Forces françaises libres (FFL) mais fut arrêté en Espagne où il fut maintenu 8 mois en détention avant de pouvoir rejoindre l’Afrique du Nord.
Il est alors commandant du bataillon de choc en 1943 et participe notamment aux combats de libération de la Corse.
Fin , le bataillon de choc et les Commandos de France forment la « demi-brigade de choc » aux ordres du lieutenant-colonel Gambiez (dite « demi-brigade de choc Gambiez »).
À la suite de la réorganisation opérée début , le lieutenant-colonel Gambiez commande le 1er groupement de choc, qui comprend le 1er bataillon de choc et le 3e bataillon de choc (ex-Commandos de France) et fait partie de la 1re armée.
Sur le territoire de la commune de Bourbach-le-Haut (Haut-Rhin), au col du Hundsruck, se trouve le Monument national des troupes de choc (parfois appelé « Monument Gambiez »), dont le socle est orné d’une plaque portant l’inscription suivante : « A tous ceux qui sont morts pour la France dans les rangs des unités de choc et au général d’armée Fernand Gambiez, grand Croix de la légion d’honneur (1903-1989), père des troupes de choc / D’Afrique à ce jalon dressé par le 1er Choc sur cette haute porte d’Alsace forcée le 28.11.1944, cent soixante chasseurs avaient déjà sacrifié leur vie. »
Grand spécialiste des commandos et des maquis autochtones, il rejoint ensuite l’Indochine, où le général de Lattre de Tassigny, commandant en chef du corps expéditionnaire français, le place à la tête de la région à majorité catholique de Ninh Binh, avec ses évêchés de Phat Diem et de Bui Chu, à 120 km au sud de Hanoi, une région-clé car elle est le passage obligatoire entre le centre de l’Indochine (Annam) et le nord.
Ayant perdu son fils Alain, lieutenant à Dîen Bîen Phu le 23 mars 1954, il est à l’origine de l’envoi du capitaine Belmont (auteur du rapport du même nom) sur le site de la bataille, un an plus tard, pour retrouver le maximum de sépultures ou de dépouilles (celle de son fils sera retrouvée sur Isabelle, au sud du camp retranché). Le documentaire de Patrick Jeudy « Les fantômes du Tonkin » traite de cet épisode .
Il est ensuite envoyé en Algérie, où il commande la 11e Division d’Infanterie en 1957-1958. Général de corps d’armée en 1958, il est commandant en chef du corps d’armée d’Oran en 1959, général d’armée puis inspecteur général de l’infanterie en 1960, et commandant en chef des forces armées en Algérie le 1er. Il est arrêté par les généraux rebelles lors du putsch d’Alger. Outré par son arrestation, il interpelle un officier putschiste du 1er REP : « De mon temps, les lieutenants n’arrêtaient pas les généraux ».
Le général Gambiez fut directeur de la Commission nationale d’histoire militaire de 1969 à 1989. Il est élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1974.
Mœurs et coutumes des « chocs »
par Fernand Gambiez
Avant de relater leurs exploits, il convient de bien les définir. Le vocable d’unité « choc » sous lequel le règlement français désignait des unités spécialisées et dressées au combat indirect de petites unités, prête à confusion. Il peut laisser croire que les missions exécutées avaient un caractère dominant de force, alors qu’il s’agissait uniquement de souplesse et de ruse, d’adaptation aux troupes régulières des procédés utilisés par les maquisards. Le but des « chocs », qu’ils soient parachutés ou infiltrés dans le dispositif ennemi, par terre ou par mer, c’est non seulement de détruire, harceler et paralyser, mais aussi de durer en climat d’insécurité jusqu’à ce que la liaison avec les troupes d’attaque ou de débarquement de vive force puisse s’accomplir. Il leur faut user de toutes les ressources de la tactique indirecte. C’est pourquoi, le principe clef de l’Instruction relative à l’emploi du bataillon de choc se résume en cette phrase, qui nie toutes les règles d’emploi de l’infanterie classique :
« Le bataillon de choc ne peut ni conquérir, ni conserver le terrain, mais s’attaquer seulement à l’ennemi dans des conditions d’espace-temps déterminées. » Cela signifie pour cette unité, la plus totale des libertés d’action. Moyennant quoi, les unités apparentées sous les diverses étiquettes de « chocs », rangers ou commandos, nées de la volonté d’apporter une aide aux organismes de résistance en vue de remplacer et de coordonner leur action permanente, assurent outre leur mission de renseignement sur l’ennemi et de liaison avec les partisans, les missions suivantes :
— Attaque des communications et des points gardés intéressant surtout le commandement, les transmissions et la logistique adverse ;
— Harcèlement de démoralisation ;
— Protection d’une action de force directe, par neutralisation préalable des défenses adverses et préparation des accès difficiles.
Ce qui varie, c’est le moyen d’approche indirecte utilisé pour se porter clandestinement à l’intérieur du dispositif adverse, par voie de mer, des airs ou de terre. Dans presque tous les cas, la nuit, le mauvais temps, les terrains estimés inaccessibles ou impénétrables, facilitent une manœuvre qui tend essentiellement à la surprise. Les « chocs » sont les funambules de l’improbable, voire même de l’impossible, car plus c’est techniquement difficile, plus cela devient tactiquement facile. Les seules troupes classiques aptes normalement à pratiquer les manœuvres de ce genre sont les troupes de haute montagne.
Cela dit, il ne nous reste plus qu’à vivre ce que fut, à la lumière des principes évoqués ci-dessus, la reconquête et la libération de la Corse en 1943. Quittons la théorie pour entrer sur la scène de l’histoire, non sans avoir esquissé le cadre géographique et historique dans lequel vont évoluer non seulement les patriotes corses et les « chocs », mais aussi les troupes régulières du 1er corps d’armée.
In Libération de la Corse, Hachette, 1973 (Source : Gallica)
Chants
En pointe toujours
Marche du 1er commando de France
Adieux du bataillon de choc
Valse du bataillon de choc
Les commandos
Témoignage de Roland Glavany (1922-2017). Breveté pilote en 1942, il rejoignit la France libre après avoir traversé les Pyrénées et connu les geôles espagnoles. Il choisit de combattre à terre au sein du 1er Bataillon de Choc. Après la guerre, il devint pilote d’essai chez Dassault : Mystère IV, Vautour, Étendard IV, Mirage III et IV. Il fut le premier Européen à franchir Mach 2.
J’arrivai au Bataillon de Choc en Algérie, en août 1943, venant de France occupée, via l’Espagne.
À cette époque, il n’y avait qu’un Bataillon de Choc. Fin 1944, d’autres furent créés et le nôtre devint alors le 1er Bataillon de Choc ou, en raccourci, le « 1er Choc ».
L’histoire du « 1er Choc » a fait l’objet de plusieurs récits, dont certains quelque peu « romancés ». Pour ma part, je n’ai pas ici la prétention d’écrire l’Histoire avec un grand « H » ; je me borne à témoigner, à décrire le Bataillon de Choc tel que je l’ai vu, tel que je l’ai « vécu ».
Le Bataillon de Choc avait été créé en mai 1943 à Alger par le général Giraud. Composé uniquement de volontaires, il avait été confié au commandant Fernand Gambiez. Sa vocation était de former des petits groupes qui devaient être parachutés en France pour encadrer les maquis des Forces françaises de l’intérieur (FFI).
Ces éléments prouvent d’emblée deux choses : d’abord que la liaison armée régulière-maquis, préfiguration du fameux amalgame du général de Lattre, était préparée à Alger dès le début de 1943, à peine la campagne de Tunisie terminée ; ensuite que le général Giraud — envers qui l’Histoire a été passablement injuste — pouvait avoir de très bonnes idées dont j’aurai à reparler.
Au moment où la « querelle » entre Giraud et de Gaulle n’avait pas encore trouvé la conclusion que l’on sait, nous étions une unité « giraudiste » et n’en éprouvions aucun complexe vis-à-vis de nos camarades des Forces françaises libres. Parmi nous, les « évadés de France », dont j’étais, manifestaient au général de Gaulle un grand attachement ; les pieds-noirs, Français d’Afrique du Nord, étaient au contraire assez méfiants à son égard. Mais de ces nuances nous n’avions réellement que faire. Nous étions des volontaires réunis pour combattre avec un seul but, la libération de la France, qui s’imposait à nous comme un devoir absolu, indiscutable et, j’ose le dire, sacré. Tout le reste n’était que gaudrioles même si nous avions pour les troupes de Leclerc, Koenig et autres, une bonne dose d’admiration.
Ce Bataillon-là n’était pas comme les autres. J’en eus la sensation immédiate dès que je me trouvai, dans une petite salle d’école de Staoueli, à l’ouest d’Alger, en face du commandant Gambiez, petit bonhomme à binocles que nous surnommerons « Nimbus », mais dont la détermination paisible était tangible et dont le courage ne devait jamais se démentir. J’avais 21 ans tout juste. J’étais sous-lieutenant aviateur, évadé de France. Je n’avais, et pour cause, aucun papier, mais il me trouva une bonne tête : « D’accord, vous restez avec nous dès maintenant. »
La rapidité de cette « adoption » peut surprendre. En fait, au « Choc », il fallait faire ses preuves à l’entraînement et plus tard au feu. Si les résultats n’étaient pas concluants, il n’y avait plus qu’à chercher refuge ailleurs. Certains en firent l’amère expérience après la campagne de Corse. Plus encore, un chef de section devait être accepté, adopté par ses hommes. À défaut, la décision de Gambiez de l’exclure était sans appel.
Dans les heures qui suivirent cette première entrevue, je fis la connaissance de l’aspirant Marcel Garant qui tint à me faire la démonstration de ses connaissances toutes neuves en matière de « close-combat ». Après cette première séance d’instruction improvisée, je me retrouvai à la popote, sous les platanes, au milieu des officiers du Bataillon.
Le Bataillon de Choc a très vite trouvé son âme et défini sa doctrine grâce à un noyau initial assez extraordinaire de lieutenants d’active et de réserve. Parmi les officiers d’active se trouvaient Hériard-Dubreuil, Léon Lamy, Durmeyer, Boeuf, Fournier, Toussaint… Parmi les officiers de réserve, on comptait René David, Jacobsen, Ricquebourg, Rousselier, Vernier-Paillez, Wilmot-Roussel, Gabillot, Arguillère, Michelin, Bernon…
Ces officiers de réserve étaient fascinants pour le jeune garçon que j’étais : beaucoup d’entre eux étaient inspecteurs des finances ou professeurs agrégés ; ils représentaient l’élite intellectuelle de la France. Certains, comme Jacobsen et Riequebourg, s’étaient déjà illustrés en mai-juin 1940 ; d’autres, comme René David, avaient réussi des évasions spectaculaires des oflags allemands ; ils étaient presque tous évadés de France via l’Espagne. La sagesse du commandant Gambiez fut de percevoir immédiatement leur qualité exceptionnelle et d’écouter leurs avis.
Le Bataillon comportait alors trois compagnies et un centre d’expérimentations dirigé par le lieutenant Ricquebourg. Je devins son adjoint. Quelle joie de travailler avec un tel homme ! Inspecteur des finances, volontaire pour les corps francs en 39-40, champion universitaire du 400 mètres, athlétique et chaleureux, son autorité naturelle était telle qu’il pouvait s’affranchir sans dommage des règles militaires hiérarchiques habituelles. Directeur de cabinet du ministre des Finances à la Libération, il devait hélas trouver la mort à ses côtés dans un accident de voiture.
L’instruction du Bataillon était menée tambour battant. En l’espace de quelques mois, nous devions être capables de maîtriser tous les aspects du travail sur les arrières de l’ennemi : sabotage, embuscades de nuit, combats rapprochés ou « close-combat », etc. J’avais malheureusement rejoint le Bataillon trop tard pour suivre l’instruction parachutiste au Club des Pins et cette insuffisance allait jouer bien plus tard un rôle dans ma vie.
Au « Centre-Ricquebourg », nous nous efforcions de perfectionner les méthodes de combat et de parfaire l’instruction des sous-officiers. J’appris vite à jongler avec nos explosifs plastic et « pains de 808 » —, avec les détonateurs, relais, mèches lentes, crayons à retard… J’étudiai toutes les armes légères italiennes et allemandes que nous étions susceptibles de récupérer lors des combats ultérieurs. Je devins ainsi officier-armement du Bataillon, enchanté d’appliquer ma petite formation scientifique et technique à la comparaison de tous ces équipements, prenant goût à instruire, comme j’aurai toujours plaisir à le faire le restant de ma vie.
Les jours passaient à toute allure. Je regagnais tard le soir ma petite chambre chez des « pieds-noirs » de Staoueli, que je n’eus pas le loisir de connaître vraiment. Car de loisirs il n’y en eut pratiquement pas, excepté un trop court séjour dans la famille Simian à l’ouest d’Alger, dans le village de Chéragas, où René David, comme à son habitude, fut éblouissant par sa culture et son humour.
Et puis quelque chose commença à flotter dans l’air. Les marches de nuit s’intensifiaient ; nous effectuions des plongées à bord du sous-marin Casabianca du commandant L’Herminier et regagnions la côte à la pagaie en canot pneumatique ou « rubber-boat ». Au cours de ma plongée, un court-circuit nous enfuma passablement. Ceci devait demeurer mon seul souvenir de sous-marinier. Il devint évident qu’une opération était imminente. Les exécutants n’en connurent la teneur que bribe par bribe.
Ce fut la libération de la Corse, en septembre 1943. Les patriotes corses s’étaient soulevés et appelaient à l’aide. Les Italiens étaient prêts à basculer ou basculaient déjà dans le camp des Alliés. Les Allemands semblaient s’être repliés sur la côte orientale de l’île, se préparant à embarquer pour l’Italie. Alors le général Giraud, seul à répondre à l’appel de la résistance corse, décida d’envoyer les troupes françaises, sur des bateaux français, protégés par des avions français. Nous eûmes l’honneur d’être les premiers. J’eus le bonheur « d’en être », moins d’un mois après mon arrivée au « Choc ».
En 1943, le Bataillon, d’environ 700 hommes, était formé de trois compagnies, chaque compagnie de quatre sections, chaque section de quatre groupes de combat avec leurs fusils-mitrailleurs. Trois sections de la 3e compagnie du capitaine Manjot embarquèrent le 11 septembre sur le Casabianca et partirent à l’aventure vers Ajaccio. Une seule section de cette compagnie n’avait pu trouver place à bord du sous-marin déjà bondé. C’était la y section, commandée par Hubert Rous-sellier, personnalité peu commune qui devait faire plus tard une carrière remarquée en tant que grand commis de l’État. Rousselier avait créé cette section. Ses hommes l’adoraient, mais, aux premiers jours de septembre, un malaise cardiaque le condamna à l’inaction. Ricquebourg prit alors la tête de la 3e section de la y compagnie, la « 3 d’la 3 », et me conserva comme adjoint.
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POUR COMMANDER CET OUVRAGE :
Roland Glavany, Du Bataillon de Choc au Mirage, Editions Pierre de Taillac, 256 pages, 21 euros.
Le Centre National d’Entraînement Commando-1er Choc (CNEC) puise ses origines dans l’épopée du 1er Bataillon de Choc.
Passage obligatoire pour les officiers et cadres chefs de section, la finalité du CNEC-1er Choc, c’est le combat.
Savoir commander en toutes circonstances, rester lucide mais aussi savoir se dépasser. Rencontre avec le sous lieutenant Guillaume, blessé de l’armée de Terre qui fait le stage commando aux côtés de ses camarades.
Le centre national d’entraînement commando (CNEC) assure la mission d’aguerrissement des cadres de l’armée de Terre sur ses deux sites de Mont-Louis et Collioure.
Réparti sur Mont-Louis et Collioure, deux sites complémentaires parfaitement adaptés à la mission d’aguerrissement des cadres de l’armée de Terre, le centre national d’entraînement commando (CNEC) accueille environ 3000 stagiaires par an, élèves des écoles de formation initiale ou personnel des corps de troupe. Appuyant son instruction sur l’héritage des unités commandos, il a pour devise celle du premier d’entre eux, le Bataillon de choc : « En pointe toujours ».