jeudi 7 décembre 2023

A quand une diplomatie de défense au service d’une stratégie ?

Intéressant colloque de deux jours ces 10 et 11 avril 2014 consacré à la diplomatie de défense à l’Assemblée nationale. Il me permet de prolonger la réflexion sur la stratégie militaire et sur qui doit la penser. Quelques nouvelles intéressantes sur les questions de défense me semblent utiles à signaler au préalable.

Nouvelles de la défense et des armées

En RCA, les forces internationales montent peu à peu en importance. B2 a fait un état des unités (Cf. B2 du 8 avril 2014) : 13 nations, des officiers en état-major, de la logistique, quatre compagnies dont une française… Pendant ce temps, l’ONU a voté le 10 avril le déploiement de 12 000 hommes … pour septembre 2014 (ne nous énervons pas, ils arrivent !). Les conditions de l’engagement militaire français au quotidien en revanche peuvent inquiéter entre Louvois et l’état des équipements.

En parallèle de cette intervention en Afrique, on fait grand cas en France du génocide de 1994 au Rwanda avec la polémique détestable sur le rôle des militaires français en oubliant comme toujours les responsabilités internationales. J’avais déjà commis un article dans la revue Défense nationale en mai 1994 et publié en juillet 1994 montrant l’échec de l’ONU sinon sa responsabilité dans la gestion de cette crise (alors la RCA…). J’étais à l’époque chroniqueur mensuel de la revue sur les opérations de maintien de la paix.

Le ministre de la défense (Cf. le Point « JYD, un réformateur tranquille ») a en revanche rappelé fermement le 11 avril 2014 dans un message aux armées (Cf. site du ministère de la défense) le rôle exemplaire des forces armées françaises. Au moins c’est clair et attendu face à une polémique nauséabonde aux témoignages bien tardifs dont on peut douter de la fiabilité vingt ans après. Michel Goya présente quant à lui une analyse sur le Rwanda en date du 17 août 2012  sur la coopération militaire au Rwanda (Cf. la Voie de l’Epée du 8 avril 2014. Je pourrai conclure que la tentative du président de la République précédent de renouer les liens avec le Rwanda était sans aucun doute une erreur.

Sur le territoire national, la journée des réservistes du 9 avril a laissé peu de traces dans la mémoire collective de cette journée : désintérêt, mauvaise communication ? Thales notamment a reçu le prix de la réserve 2014. Je noterai que cette entreprise annonce la bascule de ses activités vers le civil plus que le militaire. Alors que le groupe tire 55 % de ses revenus des activités de défense contre 45 % du civil, son président annonce que « d’ici quatre à cinq ans » cette répartition sera inversée (Cf. Le Monde du 11 avril 2014).

Et en même temps les tensions militaires et les accrochages sous couvert de « civils en armes » s’accroissent en Ukraine, inquiétant nos alliés à l’Est de l’Europe alors que le secrétaire général de l’OTAN demande aux Etats membres de réinvestir dans leur défense.

La Diplomatie de défense, une introduction intéressante d’Alain Richard

Ce colloque de deux jours, organisé par la DAS et le CREC de saint-Cyr, a rassemblé peu de militaires et beaucoup de civils. Il a fallu aussi gérer de nombreuses désaffections d’intervenants ce qui est un peu dommage pour un sujet pourtant vaste et passionnant.

Il a été introduit par Alain Richard, ancien ministre de la défense, qui m’a agréablement surpris par ses propos (je sais, commentaire un peu « osé » si je me réfère aux commentaires de « Pierrot » sur le « devoir de réserve » mais bon je ne vais pas me « refaire », c’est un peu tard).

Qu’a donc dit le ministre ? Il a rappelé que la diplomatie militaire était avant tout une démarche d’influence qui ne s’adressait pas seulement à l’ennemi mais aussi aux alliés. Surtout, il a souligné que les officiers devaient y trouver toute leur place, ce qui paraît à la fois fondamental mais aussi paradoxal avec le contrôle établi sur les relations internationales des armées.

Il considère aussi que la formation aux relations internationales doit être incluse au plus tôt. En fait, celle-ci est déjà une composante de la formation militaire. Il s’agit plutôt de donner l’expérience nécessaire tout au long de la carrière pour ceux qui en ont le goût et donc les postes de responsabilité. Cela passe bien sûr par des formations linguistiques (autres que l’anglais déjà intégrée) dont maintenant nous avons fait l’impasse pour des raisons en partie budgétaires et de temps de formation désormais contraints car paraît-il trop couteux.

Il a enfin souligné que la diplomatie militaire devait avoir une cohérence avec les capacités pour assurer sa crédibilité, une approche du « smart power », de la prévention aussi par une stratégie d’influence.

Diplomatie militaire ou diplomatie de défense ?

Un premier écueil a donc été celui de la confusion des termes « diplomatie militaire » et « diplomatie de défense ». Le premier a été largement développé dans la brochure d’accueil mais n’est pas un terme couramment utilisé dans l’institution militaire. Dans les années quatre-vingt-dix, l’expression « diplomatie coercitive » venant des Etats-Unis avait émergé – je pourrai la traduire aujourd’hui par « smart power » – mais cela n’était pas dans l’air du temps avec la vogue des dividendes de la paix demandée par le président de l’Assemblée nationale en 1990 … Laurent Fabius (Cf. La Voie de l’Epée, « les dividendes de la Paix », 6 septembre 2011).

J’ai pour ma part écrit dans le Casoar d’octobre 1993 « Diplomatie coercitive et communication dans les opérations de maintien de la paix » qui, à partir de l’engagement en ex-Yougoslavie, abordait cette stratégie de cette juste puissance usant aussi bien de la diplomatie, de l’action militaire que des actions d’influence.

Constatons cependant qu’aujourd’hui, malgré quelques affirmations durant ce colloque, que ni le Livre blanc de 2008, ni le Livre blanc de 2013 n’évoquent une quelconque diplomatie de défense. D’ailleurs, celui de 2008 aborde les termes de diplomatie préventive (une fois) ou de diplomatie en général (quatre fois) sur 487 pages. Celui de 2013 précise une action militaire « dans une logique tant de diplomatie d’influence que de diplomatie économique », seules références sur 160 pages. Il est vrai que celui de 1994 n’évoquait même pas le terme de diplomatie. Mais comment évoquer une stratégie qui implique le long terme en dissociant les fonctions complémentaires de l’Etat de la diplomatie et de la stratégie militaire pour son action extérieure ?

Pour ma part, je m’étonne du manque de connaissance des « institutionnels » des documents à la fois internes et publics sur ce thème. Une réflexion constructive ne peut se concevoir qu’en connaissant bien le corpus de textes au moins du ministère de la défense. Ainsi, je peux difficilement comprendre que le directeur de l’IRSEM évoque un manque de définition du concept de la diplomatie de défense pourtant validée en 2002 dans la publication interarmées « Doctrine interarmées sur la prévention des crises » et confirmée dans le concept de l’influence en appui de l’engagement opérationnel de 2012.

La diplomatie de défense est donc la « participation des forces armées aux actions de la diplomatie française qui cherche à prévenir tout risque de crise et à contribuer à la réalisation des objectifs de la France à l’étranger. Hors de toute crise déclarée dans un pays concerné, elle inclut déjà le concours, voire le recours à des moyens militaires. Coordonnée par le CEMA, la diplomatie de défense demeure un instrument privilégié de la stratégie d’influence de la France ».

Diplomatie, diplomatie de défense et stratégie d’influence

Le thème du colloque a donc montré à mon avis des lacunes pour sa compréhension et un manque de synergie. Le professeur Catala et Philippe Vial (SHD) ont utilement rappelé la disparition des militaires après 1960 dans la conduite de la politique extérieure de la France sur le terrain sur décision du général de Gaulle. Auparavant, les décideurs militaires avaient souvent été affectés à des postes d’ambassadeurs là où la crise couvait. Ainsi, en 1939-1940, le maréchal Pétain est ambassadeur en Espagne, geste politique fort. Cependant après 1962, seuls quatre généraux ou amiraux ont été nommés, avant tout en récompense des services rendus. Il y a le constat de la réticence des politiques à laisser les militaires traiter de relations internationales et pourtant sont-ils tous incompétents ?

Or la diplomatie de défense s’intègre dans la stratégie militaire d’influence que les armées ont aussi définie. Conduite de façon permanente, « elle renforce la légitimité, la crédibilité des forces armées et leurs capacités dans l’accomplissement des missions. Elle assure la cohérence des buts et s’appuie sur les différents instruments de puissance militaires de la diplomatie de défense (déploiements, actions de coopération pour l’assistance militaire technique ou opérationnelle, démonstration de puissance, développement d’un corpus doctrinal traduisant la détermination à l’action, formation de cadres des armées étrangères, exportations d’armement et de savoir-faire…). Elle se développe en cohérence avec les actions diplomatiques (négociations…), économiques (embargos, ventes d’armes…), juridiques (prise en considération du droit national) ».

L’importance de la communication stratégique a été soulevée par Pierre Palhavi, chercheur canadien. Dans l’OTAN, ce concept intègre la communication institutionnelle, les opérations d’information et la diplomatie publique. Jean-Loup Samaan, chercheur, a d’ailleurs rappelé la création en 2004 du département de diplomatie publique dans l’OTAN, qui, ne l’oublions pas, est une duplication sans doute malvenue de l’organisation institutionnelle des Etats-Unis. Surtout, ce concept, au terme mal choisi car il s’agit de stratégie d’influence, a montré les rivalités importantes entre diplomates, militaires et communicants qu’ils soient civils ou militaires avec leurs effets négatifs en opération comme en Afghanistan. La bataille pour l’influence est aussi interne.

Constatons aussi que la réforme du ministère de la défense de 2014 amènera pratiquement la disparition de la dimension « Relations internationales » de l’état-major des armées au profit d’une grande direction générale de l’action internationale et de la stratégie de défense. Certes le ministre de la défense a déclaré aux futurs attachés de défense le 3 avril dernier (Cf. Discours du ministre de la défense) qu’ils avaient une mission essentielle, qu’ils devaient aussi accompagner les industriels français, qu’ils devaient expliquer la stratégie et les intérêts de la France. Cela voudrait dire que demain un brillant attaché militaire pourrait être à la tête de cette direction à la suite de leur parcours professionnel ? Je demande à voir.

Les lacunes s’expriment dans la mission qu’aurait la diplomatie de défense dans la prévention. Celle-ci a effectivement bien disparu des débats au profit plutôt de l’influence qui, en réalité, donne le sens de l’action dont la prévention peut être un des effets stratégiques recherchés. Dans ce contexte, il était donc bien difficile d’exprimer la stratégie du « smart power » qui exprime aussi une vision stratégique offensive faisant défaut bien souvent en France. Les armées ont traduit cette expression par « juste puissance » dans le concept de l’influence en appui des engagements opérationnels de 2012 en l’intégrant d’ailleurs dans une perspective interministérielle dont on aurait pu attendre une réaction ou une contribution.

Enfin le général de corps d’armée Beth, par sa longue expérience opérationnelle, ses fonctions de directeur de la DCSD puis d’ambassadeur au Burkina Faso, a été parfaitement éclairant. Il exprime cette lacune générale : « un manque, une insuffisance de stratégie générale sur notre position dans le monde » à la différence par exemple des Etats-Unis qui ont préparé leur engagement en Irak dix ans avant. Il souligne bien sûr la nécessaire complémentarité de la défense et de la diplomatie. Il constate Surtout cet oubli de la reconstruction et de la sortie de crise (exemple de la Libye), donc de la réflexion stratégique sur « le retour sur investissement » d’un engagement militaire coûteux. Il revendique aussi le rôle politique du chef militaire en temps de crise. Le militaire n’est pas qu’un technicien. Or les structures en réforme conduisent à n’avoir que des techniciens et ce n’est pas avec des techniciens qu’un Etat gère une crise ou gagne une guerre. Cela se saurait.

Pour conclure, que faire ?

La stratégie, et surtout militaire qui est mise à l’épreuve en temps de crise internationale, se construit pour le long terme. La question est de savoir s’il s’agit de donner de la cohérence aux relations internationales de la défense ou d’organiser une réflexion, en l’occurrence comme cela a été dit, de préparer le prochain Livre blanc … qui me paraît alors bien loin de la rédaction d’une stratégie et n’être qu’une politique correspondant à un mandat électoral (Cf. Billet du 6 avril 2014).

Le comité de cohérence de la recherche stratégique du ministère de la défense, qui se limite finalement à des actions de coordination entre la DGA, l’EMA et la DAS aujourd’hui, pourrait être un acteur de ce pilotage de la réflexion, notamment à travers la prospective. Cependant il ne peut suffire à une réflexion novatrice pour l’action stratégique.

Pourquoi ne pas disposer d’un comité de la réflexion stratégique ? Certes il existe le CSFRS, jeune organisme dont les productions sont peu connues. Cependant, il ne s’agit de recherche stratégique générale mais de stratégie militaire. Dans cette optique, je ne vois pas d’organisme traitant de ce domaine. La réorganisation du ministère de la défense pourrait donc répondre à ce défi si bien entendu les militaires ne sont pas écartés de cette réflexion.

Quelques orientations pourraient être proposées :

  1. Etre en mesure de produire une réflexion stratégique propre au ministère de la défense qui couvrirait l’ensemble des problématiques de la défense, notamment militaires, malgré la baisse des ressources humaines disponibles ;
  2. Ne pas être soumis d’une manière exagérée aux productions extérieures des rares think tanks français à un coût sans doute supérieur à ce que pourrait produire le ministère de la défense ;
  3. S’assurer que les problématiques militaires soient bien prises en compte en s’appuyant sur les centres de recherche militaires et bien sûr avec la mise en place des stratèges militaires, non parce qu’ils ont une compétence obtenue par l’affectation mais par un parcours professionnel ayant permis l’acquisition des connaissances approfondies nécessaires ;
  4. Poser le questionnement de la duplication de la réflexion stratégique avec le ministère des affaires étrangères ou éventuellement d’autres ministères, sinon même avec le SGDNS dont l’utilité directe en terme de réflexions stratégiques est peu perçue. Il y a sans doute des postes à transférer ;
  5. Développer la synergie enfin qui ne peut se limiter à la seule coordination mais qui doit faire place à des directives au sein du ministère de la défense, sans nuire cependant à la liberté propre de produire de chaque organisme qui pourrait être concerné.
  6. Et finalement, pourquoi ne pas installer le ministère de la défense comme pilote interministériel de la recherche stratégique ?
Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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