M. le président Jean-Michel Jacques. Monsieur le ministre, je vous adresse des félicitations que je sais quasi unanimes dans cette commission pour votre reconduction à l’hôtel de Brienne. Au cours de la législature précédente, vous avez su établir avec les commissaires de la défense un dialogue à la fois franc et constructif, en acceptant la discussion, parfois la confrontation, mais aussi, assez souvent, les propositions des uns ou des autres, quelle que soit leur sensibilité. Ainsi, sur les 721 amendements discutés en commission sur la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, 229 ont été adoptés. Poursuivons dans cet esprit.
Vous nous présentez aujourd’hui la mission Défense du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, dont les crédits budgétaires s’élèvent à 50,5 milliards d’euros, soit 3,3 milliards de plus que dans la loi de finances initiale pour 2024, conformément à la trajectoire fixée à l’article 4 de la loi de programmation militaire. Le respect de cette dernière marque un choix lucide et responsable, dans un contexte géostratégique trouble où nos compétiteurs se réarment. Ces crédits sont importants, mais ils représentent le juste nécessaire. Nous veillerons à l’optimisation de chaque euro pour être à la hauteur des enjeux et faire face aux menaces.
Cette nécessité de faire face, vous l’exprimez clairement dans le livre que vous venez de publier, dont le titre, Vers la guerre ?, comme le sous-titre, « La France face au réarmement du monde », sont très explicites. Vous y évoquez l’un de vos illustres prédécesseurs, Pierre Messmer, dont la commission vient de publier le portrait sur les réseaux sociaux dans le cadre d’une série d’hommages aux députés ayant participé à la Libération.
S’agissant du PLF, deux questions me préoccupent. D’abord, l’effort national de soutien à l’Ukraine devait être financé en dehors des crédits de la mission Défense. Qu’en est-il finalement ? Par ailleurs, le marché du supercalculateur d’intelligence artificielle du ministère des armées serait en passe d’être remporté par le duo formé par Hewlett-Packard et Orange, plutôt que par Atos, alors que l’État souhaite acquérir les actifs stratégiques de cette entreprise. Le choix d’une offre majoritairement américaine ne porterait-il pas une atteinte inquiétante à notre souveraineté ?
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées et des anciens combattants. Vous pouvez compter sur ma disponibilité pour poursuivre le travail commun engagé sous la précédente législature. Peu de ministères ont en miroir une commission permanente dédiée à leur champ d’action. C’est une force utile autant au travail que nous devons accomplir qu’au contrôle que vous devez exercer.
En 2017, nous avons ouvert une route qui doit mener au doublement du budget de la mission Défense. Celui-ci est passé de 32 milliards en 2017 à 41 milliards en 2022, lorsque j’ai pris mes fonctions. Les 50,5 milliards inscrits dans le présent PLF constituent une marche importante, avec un accroissement de 3,3 milliards par rapport à 2024, soit une hausse du budget annuel de plus de 18 milliards par rapport à 2017, lors de l’élection du Président de la République, et de presque 10 milliards depuis mon arrivée au ministère.
L’effort est colossal. Certains, à l’extérieur de cette commission, s’étonneront peut-être que les crédits militaires ne participent pas à l’effort de redressement des finances publiques mené par le Gouvernement. C’est que la programmation militaire obéit à des menaces extérieures qui touchent à nos intérêts vitaux. En outre, ses crédits ont déjà fait l’objet de coupes drastiques ces vingt ou trente dernières années. Rappelons-nous les décisions prises dans les années 1990, après la fin du pacte de Varsovie, et la logique des « dividendes de la paix », menée un peu trop loin dans les années 2000 : leurs effets sur nos capacités militaires ont été durables ; l’effort de réparation doit l’être tout autant.
Au sein de l’armée de terre, un régiment sur deux a disparu depuis le début des années 1990. En vingt ans, alors que la richesse nationale augmentait de 50 % et les dépenses militaires mondiales de 18 %, les dépenses militaires nationales ont diminué de 17 % ; 54 000 postes ont été supprimés ; onze bases aériennes ont fermé. Alors que, dans les années 1980, la marine nationale comptait 311 000 tonnes d’acier à la mer, elle n’en avait plus que 287 000 en 2019, pour la même surface de zone économique exclusive. Bref, les coupes ont déjà eu lieu ! On en connaît les effets sur les capacités militaires et de soutien – le service de santé des armées est à cet égard symptomatique – ainsi que sur la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Ce PLF, en application de la loi de programmation militaire, est adossé à notre architecture de défense contre les différentes menaces.
Nous poursuivons d’abord une importante modernisation capacitaire de la dissuasion nucléaire, comme c’est nécessaire tous les vingt ans. S’il n’est pas facile de rendre compte précisément du budget de l’agrégat nucléaire, puisqu’une partie des informations est classifiée, celui-ci augmente de 8 %, c’est-à-dire de 508 millions d’euros, par rapport à 2024. Il faut en effet rénover toute la trame des missiles de la composante océanique, avec le missile M51 dans ses différents incréments. La direction des applications militaires mène une rénovation des têtes nucléaires. Nous finançons en outre le saut générationnel des forces aériennes stratégiques, qui seront dotées du missile ASMP-A (air-sol moyenne portée amélioré) rénové, ainsi que l’aventure du missile hypervéloce ASN4G (air-sol nucléaire de quatrième génération), qui équipera nos forces dès les années 2030. Les premiers travaux ont commencé sur le sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération. Mentionnons également la modernisation du Rafale, avec les standards F4 et F5. Même si cela n’a pas fait consensus sur ces bancs, l’agrégat nucléaire tient un rôle important dans notre voûte de défense, aux termes de la loi de programmation militaire. L’importance des crédits de paiement (CP) qui lui sont alloués en 2025 le reflète.
Il convient ensuite bien sûr de moderniser notre capacité expéditionnaire, comme l’importante mobilisation actuelle des forces en illustre la nécessité. Les jalons prévus pour l’armée de terre sont la capacité de déployer deux brigades et un état-major de division en 2027 ; et la capacité de projeter seule l’équivalent d’un corps d’armée, ou du moins de fournir l’architecture nécessaire à la projection d’une telle force avec d’autres pays, membres ou non de l’Otan, en 2030. Pour y parvenir, les CP des grands programmes d’armement hors dissuasion nucléaire atteindront 10,6 milliards en 2025, soit une hausse de 16 % par rapport à 2024. Cela représente une augmentation de 1,4 milliard d’euros.
Voilà qui répond aux questions que vous posiez il y a deux ans sur les carnets de commandes de la BITD. Celle-ci livrera à l’armée de terre 308 véhicules Scorpion, 21 chars Leclerc rénovés – nous entrons dans leur période de rénovation à mi-vie – ainsi que des équipements individuels, tels que 8 000 fusils HK416, dans le format de l’armée de terre. La bascule vers le tout-Rafale se poursuit, avec quatorze Rafale livrés l’an prochain, ainsi qu’un A400M et une frégate de défense et d’intervention. Bref, les mesures votées ces dernières années commencent à se traduire par des livraisons, comme vous pouvez le constater dans les bassins de nos bases navales, sur le tarmac de nos bases aériennes et dans les régiments de l’armée de terre. La mutation capacitaire est perceptible.
Les forces spéciales font également l’objet d’un travail de modernisation important. Près de 400 millions seront destinés directement aux forces spéciales du commandement des opérations spéciales (COS), un état-major qui regroupe les trois armées.
En 2025, des commandes importantes seront passées auprès de la BITD : douze systèmes de drones tactiques légers pour l’armée de terre ; le fameux porte-avions de nouvelle génération – le programme à effet majeur débute ; une frégate de défense et d’intervention ; une infrastructure complète pour le sixième escadron de Rafale, ainsi que de nombreuses munitions complexes et des stations de communication. Vous trouverez l’ensemble des commandes dans les bleus budgétaires.
Les munitions sont un des éléments importants de ce budget, car nous avons un besoin évident de renforcement des stocks. En lien avec le délégué général pour l’armement (DGA), le chef d’état-major des armées (CEMA) et les trois armées, je vous propose des crédits de 1,9 milliard pour des commandes de munitions complexes ou non, en hausse de 400 millions, soit 27 %, par rapport à 2024. L’achat de Meteor (missiles air-air à longue portée), de torpilles lourdes, de Mistral (missiles sol-air de courte portée), d’Aster, de Scalp (systèmes de croisière conventionnels autonomes à longue portée) ou d’Exocet nous permettra d’atteindre les cibles capacitaires correspondant aux contrats opérationnels annexés à la LPM.
Pour pouvoir déployer des corps expéditionnaires, nous devrons également réparer les soutiens et les infrastructures, Quelque 2,4 milliards seront consacrés à ces dernières, soit une hausse de 260 millions, ou 12 %. Ils iront au logement et à l’hébergement des familles, mais aussi à des infrastructures opérationnelles telles que des pistes de base aérienne et des bâtiments nécessaires à la « scorpionisation » des forces. Ils financeront également les travaux de modernisation de l’île Longue et ceux de la base navale de Toulon, dont le Var bénéficiera durant plusieurs années.
Le budget alloué aux soutiens poursuit sa hausse, à 2,9 milliards, soit 60 millions supplémentaires. Nous portons une attention particulière au commissariat des armées et au service de santé des armées.
Venons-en aux à notre stratégie face aux schémas de contournement de la dissuasion par le bas, notamment l’hybridité et les nouveaux champs de conflictualité. Hélas, depuis l’examen de la loi de programmation, il y a deux ans, la militarisation de l’espace s’est confirmée, au mépris du droit international. Les grandes puissances continuent, de manière plus ou moins secrète, à remettre en cause des éléments de sécurité qui avaient été préservés même pendant la guerre froide, grâce notamment aux traités signés entre l’URSS et les États-Unis dans les années 1960.
Notre effort en la matière sera donc accentué l’année prochaine, avec une hausse pour les programmes à effet majeur consacrés aux satellites de 15 %, soit 700 millions d’euros, ainsi que pour les études spatiales. Le premier succès d’Ariane 6 permet par ailleurs de définir un calendrier pour le lancement tant attendu de CSO 3 – la composante spatiale optique. Sur le plan capacitaire, l’effort global en matière spatiale sera en tout de 870 millions pour l’an prochain.
Le renseignement fera l’objet d’une transformation majeure. Je serai heureux de rendre compte de la transformation de la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) devant la délégation parlementaire au renseignement, sous un format classifié. Le budget du renseignement atteindra 600 millions – contre 584 en 2024 –, dont 480 millions pour la seule DGSE, soit une hausse de 13 % de son budget. Ces hausses importantes s’expliquent tant par la lutte antiterroriste que par le retour de la compétition entre grandes puissances – qui affecte également le cyber, d’ailleurs.
L’enveloppe du cyber s’élèvera à 300 millions. Le patch global pour l’innovation que vous avez voté dans la LPM se traduira en 2025 par des crédits de 1,2 milliard, avec deux priorités : la maîtrise des fonds marins, objet par excellence de menaces hybrides, et les armes à énergie dirigée, afin de tenir le rythme face aux progrès de nos compétiteurs.
En matière de drones et plus globalement de robots, plutôt que de chercher à rattraper notre retard, nous visons le saut technologique avec un financement de 450 millions, en augmentation de 12,5 %. Demain, la direction générale de l’armement lancera les premiers tests d’une gamme de drones suicides, ou MTO (munitions télé opérées), qui pourront servir en Ukraine. Notons également, dans le domaine de la défense sol-air, la réussite des tests du nouveau missile Aster B1NT (Block 1 nouvelle technologie), dans le cadre du Samp-(T) NG (système sol-air de moyenne portée terrestre de nouvelle génération), programmé dans la LPM. Nous maintenons la pression sur Thales et MBDA, car la défense du ciel de l’Europe est cruciale. Nous montrerons aux pays qui cherchent à acheter des missiles Patriot américains que le Samp-(T) nouvelle génération, projet mené en partenariat avec l’Italie, est plus performant technologiquement. L’effort qui lui est consacré est important puisque les crédits passeront de 250 millions en 2024 à 500 millions en 2025.
Comme chaque année, l’ajustement annuel de la programmation militaire nous a permis de prendre en compte les retards, mais aussi les priorités des chefs d’état-major, qui sont les ordonnateurs secondaires ou délégués des dépenses. Je vous invite à les interroger sur ce point.
L’un des ajustements les plus importants concerne la fidélisation, question à laquelle vous êtes sensibles. Il est apparu qu’il fallait aller plus que loin que l’évolution de la grille indiciaire et la nouvelle politique de rémunération des militaires prévues dans la LPM. Ce sujet avait fait l’objet de débats légitimes, au vu de la sous-exécution des cibles d’emploi des deux dernières années. Nous parvenions à recruter, mais pas à fidéliser les militaires, ni même parfois les civils du ministère. Je suis heureux de vous annoncer qu’en 2024, à la suite des annonces du Plan Fidélisation 360, nous sommes en passe d’atteindre le schéma d’emploi de 456 ETP (équivalent temps plein) de la programmation militaire. Notons surtout que 1 500 départs d’officiers ou de sous-officiers anticipés par le ministère n’ont pas eu lieu. Ainsi, la stratégie de fidélisation commence à produire ses effets, grâce à nos décisions et à la mobilisation des équipes du ministère – le secrétariat général pour l’administration notamment, qui a fait un travail formidable.
En 2025, nous poursuivrons le travail de revalorisation des grilles indiciaires pour les officiers et les différentes filières de spécialité – cyber, service de santé des armées –, de la grille indemnitaire pour les civils et des filières liées au renseignement, pour 265 millions. La hausse du budget était de 89 millions cette année ; elle sera de 50 millions en 2025.
Les crédits alloués au plan « famille » et à l’action sociale augmenteront de 16 millions ; 6 millions d’euros contribueront à la création de 600 places en crèche pour les enfants des militaires ou des personnels civils du ministère. Nous allouerons en outre 52 millions pour permettre de tenir le rythme de 760 rénovations de logement et de 620 créations de logement en 2025, alors que l’espace foncier est contraint – de nombreux agents sont affectés en région parisienne ou dans d’autres territoires où la pression foncière est forte.
Nous projetons d’augmenter de 700 le nombre d’ETP en 2025, dont 194 pour l’intelligence artificielle et le numérique ; 119 pour les soutiens ; 170 pour le renseignement et le cyber, c’est-à-dire la DGSE ; et 60 pour la dissuasion, puisque la direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) avait été largement affectée par la révision générale des politiques publiques et que des besoins en personnel se faisaient sentir, y compris pour certains programmes en lien avec la partie civile du CEA.
Pour atteindre l’objectif de 3 800 réservistes supplémentaires fixé dans la LPM, l’enveloppe fléchée vers les réserves s’accroît de 26 millions. Le rythme de progression de ces derniers mois était bon ; il faudra poursuivre.
Autre point faisant l’objet d’une adaptation : l’intelligence artificielle (IA). Alors que, dans les années 1990, le développement d’internet par exemple n’avait eu qu’un impact indirect sur le monde militaire, les sauts capacitaires qu’accomplit l’IA dans le domaine civil s’imposent aux militaires – et il en est allé de même avec les drones civils. Il fallait donc adapter la LPM, qui couvre peu ces questions. Le budget fléché vers l’intelligence artificielle s’élèvera à 300 millions d’euros en 2025, soit 200 millions de plus qu’en 2024. Ce n’est pas qu’une affaire de supercalculateur. L’Amiad (Agence ministérielle pour l’IA de défense) accueillera son centième expert avant Noël ; ils devraient être entre 180 et 200 à la fin de l’année 2025.
Je terminerai avec quelques points relatifs à la construction de l’ensemble.
Un sujet cher à M. Lachaud est l’ambiguïté du découpage entre Opex (opérations extérieures), Missint (missions intérieures) et Missops (missions opérationnelles). C’est vrai, avec le temps, ces définitions se sont complexifiées et quelque chose s’est désaxé.
Le terme d’Opex a plusieurs implications. La première est budgétaire : des provisions sont prévues dans la programmation militaire pour les cas où il est nécessaire d’engager vite des forces. Si elles s’avèrent insuffisantes, c’est la solidarité interministérielle qui joue. Ce principe doit être défendu, car la sécurité du pays prime sur tout et qu’il faut pouvoir faire face aux urgences, mais il ne faut pas perdre de vue que cela revient en définitive à puiser dans d’autres budgets en dehors du seul ministère des Armées, par exemple la dotation globale de fonctionnement des communes ou dans le budget des hôpitaux et des écoles. Il faut donc maintenir une approche particulièrement rigoureuse du financement des Opex.
Deuxièmement, et cela compte pour vous, le statut constitutionnel des missions. En clair, celui de l’article 35 de la Constitution.
La troisième implication, qui prévaut largement dans l’importance que l’état-major des armées leur accorde, est que la qualification d’Opex ouvre un statut protecteur des forces. Aussi, en cas de décès, elle permet l’attribution de la mention « mort pour la France » et elle ouvre des droits spécifiques aux ayants droit. Elle a également un effet disciplinaire et un impact sur l’attribution des décorations et des primes.
Comme je vous l’avais promis, j’ai commencé le travail visant à aligner ces différentes acceptions. J’ai demandé à l’EMA, au contrôle général et au secrétaire général pour l’administration de formaliser un rapport sur ce point. Il vous sera présenté pendant cet exercice budgétaire. Il y a déjà des pistes pour clarifier tout cela, mais je veux travailler avec vous à l’architecture d’ensemble. Il faudra élaborer des catégories intelligibles – n’importe lequel de nos concitoyens doit pouvoir comprendre le statut des forces dans les différentes missions.
Concernant notre aide à l’Ukraine, depuis plus de deux ans, je veille à ce que celle-ci n’affecte pas la programmation physique, conformément à la LPM. Mentionnons que cette aide, contrairement à celle de la plupart des pays européens, ne bénéficie pas à l’industrie américaine, mais directement à notre propre industrie de défense.
Les chiffres pour 2024 ne sont pas encore consolidés. En effet, des programmes sont encore en cours de déploiement, comme celui de formation d’une brigade de l’armée ukrainienne dans l’est de la France. En outre, la date de cession des Mirage à l’Ukraine n’est pas arrêtée. Enfin, les effets de l’aide sur les autorisations d’engagement et sur les crédits de paiement sont décalés dans le temps.
De 1,7 milliard en 2022, l’aide à l’Ukraine est passée à 2,1 milliards en 2023, et il était arrêté politiquement début 2024 qu’elle pourrait atteindre les 3 milliards. Dans les faits, nous serons au-dessus de 2 milliards mais en deçà de 3 – du moins est-ce l’ordre de grandeur prévisible au moment où je vous parle. Tout dépendra de la manière dont l’agrégat se construira avec les Mirage et la brigade.
Une grande partie de l’aide à l’Ukraine repose sur les équipements anciens que nous retirons du format des armées grâce à la LPM. Nous « scorpionisons » l’armée de Terre, ce qui nous conduit à retirer des AMX-10 RC et des véhicules de l’avant blindés (VAB). Nous assurons toutefois un maintien en condition opérationnelle (MCO) élevé, ce qui nous permet de mener l’opération « brigade » puisque les formations ont lieu sur le territoire national et sur du matériel français. Grâce à la LPM, le Griffon, le Jaguar, le Serval arrivent. S’il n’y avait pas eu la guerre en Ukraine, nous aurions tout de même retiré les AMX-10 RC et les VAB, et les aurions soit détruits, soit donnés à d’autres partenaires. La sortie des matériels du format de l’armée de terre, dont l’Ukraine bénéficiera directement, représentait un effort de 177 millions pour 2023, mais de 533 millions pour 2024 et, compte tenu de l’effet de levier lié à la marche franchie avec le présent PLF, de près de 700 millions pour 2025.
Le fonds de soutien français à l’Ukraine, qui a bénéficié, à la suite de votre vote, de deux abondements budgétaires de 200 millions, a joué un rôle d’amorçage en permettant au ministère de la défense ukrainien d’acheter des armes directement auprès de la France – au cours des dernières semaines, l’armée ukrainienne a ainsi acquis 12 canons Caesar auprès de KNDS France.
Par ailleurs, nous avions construit la LPM dans un environnement inflationniste très dégradé. Le ralentissement de l’inflation nous offre aujourd’hui des marges de manœuvre colossales, de l’ordre de 400 à 600 millions pour 2024. En effet, les Premiers ministres successifs ont décidé que le ministère des armées conserverait le bénéfice de ces gains d’inflation et que ces derniers seraient fléchés vers l’accompagnement de l’Ukraine – donc, encore une fois, vers des commandes à nos industriels. À titre d’exemple, cela nous permettra de faire rénover des missiles complexes Aster ou Scalp par MBDA.
Nouveauté, et non des moindres : grâce à l’action de nos diplomates à Bruxelles, nous pouvons utiliser les revenus tirés des avoirs gelés russes, soit près de 300 millions en 2024, pour fournir à l’Ukraine des munitions, en particulier des obus de 155 millimètres, des canons Caesar ou encore du carburant, qui sont sortis du format des armées. Ce processus se poursuivra, mais je ne dispose pas encore des chiffres pour 2025.
J’avais obtenu l’ouverture de 1 milliard de crédits en gestion en 2022 et de 600 millions en 2023, sommes qui, évidemment, ne concernaient pas uniquement l’Ukraine. J’aurai un débat en gestion avec le ministre du budget et le Premier ministre en fin d’année, mais la priorité, jusqu’à maintenant, portait bien entendu sur la construction du PLF 2025.
Enfin, le ministère des armées est bénéficiaire de la Facilité européenne pour la paix (FEP) pour sa part ukrainienne, à hauteur de 143 millions en 2024, mais il en est aussi un contributeur. C’est un sujet dont nous devrons encore discuter.
En conclusion, ce budget respecte la programmation militaire. J’assume les quelques adaptations proposées, principalement en matière de ressources humaines et d’intelligence artificielle. Par ailleurs, la LPM touche une matière vivante : il peut y avoir des retards, comme cela semble être le cas pour Euromale (projet européen pour le développement d’un drone volant à moyenne altitude et de longue endurance, ou Eurodrone).
Ma responsabilité, devant vous, est de m’assurer que tous ces crédits de paiement, qui ont connu une hausse colossale – quelque 10 milliards sur 3 exercices – sont bien utilisés. Cela concerne tant la répartition des crédits que la manière dont les marges des industriels sont construites et les réformes de structure du ministère. Ce dernier doit poursuivre sa modernisation. Les mesures prises au cours des années 2000 ont renforcé la dimension interarmées ; je veillerai à ce que des doublons ne réapparaissent pas dans les fonctions exercées au sein des trois armées. Je m’attacherai également à rationaliser les chantiers engagés dans le domaine numérique un peu partout, au sein de la DGA, de la DGSE, de la DIRISI (direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information) et du secrétariat général pour l’administration.
J’en viens, Monsieur le président, à votre question sur le supercalculateur d’intelligence artificielle. Il s’agit d’un marché public, avec des sommes importantes en jeu. Le marché étant en cours, il nous faut respecter le secret entourant certains aspects, liés notamment à la mise en concurrence. J’invite les parlementaires à la plus grande des prudences, notamment face aux démarches des lobbys. J’ai été frappé par l’agitation parisienne qui règne sur ce sujet. Les entreprises s’efforcent de toucher les décideurs, et certaines approches menées en direction du ministère me conduisent à m’interroger. Les marchés obéissent à des règles, qu’il faut respecter.
Sur le fond, quid de notre souveraineté en matière d’intelligence artificielle ? Pour l’instant, elle n’existe pas. Entre 90 et 95 % des GPU (unités de traitement graphique) – en gros, des puces, qui constituent l’élément essentiel de cette technologie – sont fabriquées par la société américaine Nvidia, les autres provenant d’une société américaine concurrente. Les propos selon lesquels il existerait une solution française sont dépourvus de fondement : quelle que soit l’entreprise qui se verra attribuer le marché, elle s’approvisionnera auprès des mêmes fournisseurs de GPU. Le général de Gaulle, qui ne me paraît pas une mauvaise référence en matière de souveraineté, affirmait que ce qui comptait coûte que coûte, c’était d’avoir vite la bombe, même s’il fallait l’acheter au début. Aujourd’hui, il nous faut vite acquérir cette puissance de calcul, à l’aide d’un supercalculateur classifié, avant de construire notre souveraineté en la matière.
On mélange trop les questions de souveraineté et de sécurité. Ce sont les équipes de la DIRISI qui conçoivent les marchés et il va sans dire que les mesures de sécurité, visant à nous prémunir contre l’espionnage et la copie, seront pleinement appliquées. Le supercalculateur ne sera pas connecté à un réseau. Toutes celles et ceux qui auront à en connaître devront se plier aux procédures d’habilitation habituelles liées au secret-défense. La mise en concurrence se fait sur la base d’un cahier des charges qui s’applique à tout le monde, y compris aux prestataires. Bref il en ira comme pour d’autres outils du ministère. Ainsi, les ordinateurs du ministère utilisent parfois Microsoft et Windows, mais ce n’est pas pour autant que les mesures de sécurité ne s’y appliquent pas.
J’adorerais que le France ou l’Europe produisent des GPU, mais ce n’est pas pour demain. La vraie question est de savoir si l’on fait confiance à la DIRISI, à la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense) et à la DGA pour garantir notre cœur de sécurité – parce qu’en filigrane des propos qui peuvent fuiter ici ou là, c’est leur travail qui est remis en cause. Pour ma part, je leur accorde ma confiance et défends les équipes. On ne peut pas, d’un côté, me reprocher un excès de paperasses, de procédures et de rigidité du système – ce qui est parfois vrai – et, de l’autre, me reprocher qu’il soit trop permissif !
Concernant le marché en question, nous avons reçu une offre qui semble anormalement faible et une autre dont on peut se demander si elle n’est pas, en comparaison, anormalement forte. Pour objectiver tout cela, j’ai saisi ce matin le contrôle général des armées, qui va réexaminer l’ensemble de la procédure et apprécier, sur la forme comme sur le fond, la qualité des réponses apportées et des éléments portés à la connaissance des services. Il nous indiquera sous dix à quinze jours si tout a été fait dans les règles de l’art. Les différences entre les deux offres sont considérables et portent autant sur le prix que sur le délai, la performance et l’équipe mise à disposition.
Concernant la réflexion plus générale que cela appelle sur le plan de conquête de notre souveraineté en cette matière…
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Il serait temps, depuis sept ans !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela démarre, il se passe des choses, la création de l’Amiad va dans le bon sens !
Le premier point est qu’il est urgent de disposer du supercalculateur, sous peine de décrocher en matière d’intelligence artificielle. Cette machine n’aura d’ailleurs que deux ou trois années de vie, car elle sera très vite dépassée. L’enjeu est d’être la première puissance européenne à faire tourner de l’IA sur un supercalculateur classifié. Je le dis tout de go : celles et ceux qui voudraient que l’on prenne davantage de temps afin d’obtenir un équipement parfait nous feront décrocher en matière de souveraineté sur les usages.
Une autre question est l’accompagnement de l’entreprise Atos sur ce qu’elle peut apporter en matière d’architecture globale des fonctions d’IA – je ne parle ici ni de la GPU, ni des protections cyber, ni du hardware. Nous avons besoin d’Atos pour d’autres outils de calcul, notamment au sein de la direction des applications militaires du CEA. Je suis à la disposition d’Atos pour y travailler. Toutefois, j’établis une séparation très nette entre le marché, qui obéit à une procédure particulière, et la montée en puissance d’une solution de souveraineté française. Je m’y emploie très sérieusement car sur ce sujet, on joue gros.
Lorsque la procédure sera terminée, je ferai preuve d’une transparence totale sur les offres qui ont été faites, sous réserve de la réponse du contrôle général.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes, pour deux minutes chacun.
M. Laurent Jacobelli (RN). À vous entendre, Monsieur le ministre, nous nous trouvons dans un monde budgétaire idyllique et nous apprêtons à gravir une marche de plus de 3 milliards en 2025, pour atteindre un budget de 50,5 milliards pour la défense. J’aimerais tant vous croire ! Malheureusement, il semblerait que le périmètre de ces milliards ait changé depuis le vote de la LPM. L’exercice 2024, déjà, était de mauvais augure puisque 2,6 milliards de programmes budgétaires ont été gelés – on peut d’ores et déjà les oublier. En outre, 2,4 milliards qui étaient alloués à l’Ukraine, à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques et aux Opex ont été pris sur le budget général alors que cela n’aurait pas dû être le cas. Cela entraînera nécessairement des retards.
Vous recourez aux mêmes tours de passe-passe pour l’exercice 2025. En effet, les 50,5 milliards comprennent les montants dédiés à la Facilité européenne pour la paix alors que le rapport annexé de la LPM précise que la FEP ne sera pas financée par les crédits indiqués par la loi de programmation. Le budget présenté inclut également le recomplètement des équipements cédés à l’Ukraine et les aides à ce pays. Au total, les crédits concernés tournent autour de 3 milliards. À périmètre constant, le budget se monte donc plutôt à 47,5 milliards, ce qui signifie que des économies seront réalisées ailleurs. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où vous comptez trouver ces 3 milliards : dans les ressources humaines, les équipements, l’entretien, le MCO, l’investissement, les achats à la BITD ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Le monde n’est pas tout à fait idyllique, mais nous nous inscrivons dans une relation de confiance vis-à-vis des armées. Contrairement à ce que vous affirmez, le périmètre n’a pas changé. J’en ai apporté la démonstration au sujet de l’aide à l’Ukraine, qui n’affecte pas la programmation physique que vous avez votée. Je ne peux pas m’engager pour l’avenir, mais en l’état, la LPM n’est absolument pas affectée.
S’agissant des crédits gelés, vous omettez de rappeler que, non seulement ceux qui l’ont été au cours des années précédentes ont été dégelés par la suite, mais que des crédits ont été ouverts en gestion. D’ailleurs, je suis toujours étonné que lorsqu’on ouvre des crédits nouveaux, qui s’ajoutent à la LPM, personne n’en fasse état : il s’agit pourtant tout autant d’argent public. Je rappelle que nous avons ouvert 1 milliard en AE en 2022 pour faire la jonction entre les programmations militaires, auquel s’ajoutent les crédits supplémentaires que j’ai mentionnés tout à l’heure. Geler n’est donc pas annuler ; jusqu’à présent, en tout cas, cela n’a pas été le cas.
Les travaux avec Bercy et Matignon relatifs à la gestion n’ont pas encore commencé. Cela étant, il faudra tenir compte de l’activité soutenue qu’ont eue les forces dans le contexte des JOP. De surcroît, au sein du ministère, les AE se traduisent très vite par des CP car, sur les grands programmes, en dépit des reports de charges, le plan de charge industriel avance. La question du dégel va donc se poser assez vite.
Je vous invite, Monsieur Jacobelli, à juger à partir du réalisé. À cette aune, vous m’accorderez que, depuis 2022, la copie est bien conforme.
M. Yannick Chenevard (EPR). Il est heureux, pour nos armées et notre BITD, que, depuis 2018, la LPM soit exécutée à l’euro près. Nous croyons fermement, pour notre part, que le chemin emprunté est le bon.
L’évolution du contexte géostratégique, notamment en Ukraine et en mer Rouge, a mis en exergue le fait que nous avons besoin d’une part de produire plus de munitions et d’autre part de tester davantage de missiles et de matériels. Pouvez-vous nous dire quelques mots de la relocalisation de la production de poudre à Bergerac ainsi que du dernier essai de l’Aster 30 ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous apporter des précisions sur le plan de lutte contre les violences sexuelles et sexistes ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cette dernière question me tient à cœur. Nous avons installé la semaine dernière le premier comité de pilotage sur les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère. Les trois armées ont accompli un travail important. L’inspection générale des armées a été chargée d’une mission d’enquête, conduite par la médecin générale Perez et l’inspecteur général de gendarmerie Bruno Jockers – une médecin et un général –, qui ont établi un diagnostic approfondi et ont formulé un certain nombre de recommandations.
La parole se libère, depuis de nombreux mois. Le commandement militaire prend conscience de la nécessité de saisir le procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale lorsqu’il a connaissance d’un acte. C’est l’un des premiers combats que nous avons dû mener, car une part de l’institution considérait que la discipline militaire primait sur la procédure judiciaire. Or, celles-ci sont cumulables et doivent être menées de front. La méconnaissance du règlement de discipline générale militaire peut être avérée alors que le crime ne l’est pas, par exemple en cas de problème de comportement, de consommation de stupéfiants ou d’alcool.
Un autre combat a porté sur la prise en compte de la parole de la victime présumée. Parfois, on se trouve dans une situation ubuesque où l’agresseur présumé est maintenu dans son régiment tandis que la victime présumée est mutée, au motif d’assurer sa protection. Nous sommes en train de remettre les choses à l’endroit. Nous construisons des partenariats avec des associations pour offrir aux victimes un parcours adapté.
Le travail sera encore long. J’ai saisi à nouveau l’inspection générale, notamment l’inspectrice générale Monique Legrand-Larroche, au sujet des écoles militaires, qui peuvent abriter des élèves mineurs.
La réunion du comité de pilotage nous a permis de constater combien les grands chefs militaires avaient pris conscience du problème. Je suis ce sujet personnellement, car je considère qu’il y va de la réputation de l’institution et de la confiance que nos concitoyens lui vouent. Porter l’uniforme confère, à cet égard, plus de devoirs que de droits.
S’agissant des munitions, l’usine de Bergerac est en construction, l’inauguration étant prévue pour 2025. Elle est attendue avec impatience pour réaliser des coups complets, notamment pour les obus de 155 millimètres. En parallèle, nous poursuivons notre partenariat avec nos amis belges sur les munitions de petit calibre, en miroir de ce que nous faisons avec eux pour les gros équipements de l’armée de terre en matière de capacité motorisée.
Pour ce qui est des munitions complexes, nous suivons de très près les commandes d’Aster 15 et d’Aster 30 pour la marine. Les frégates étant largement engagées dans le cadre de l’opération Aspides, nous prêtons une attention particulière aux stocks d’Aster en défense mer-air. Nous sommes aussi en mesure de financer des briques capacitaires pour la suite. Je ne parle pas ici des armes de dissuasion, comme l’ASN4G ou l’ASMP-A rénové, mais de programmes tels que l’Aster B1NT, qui sont toujours en développement.
L’Aster B1NT, conçu pour le Samp(-T) NG, a été testé à Biscarosse le 8 octobre. C’est une arme-clé. En effet, des compétiteurs tels que la Russie, l’Iran et la Corée du Nord développent des missiles balistiques dont la portée et la vitesse ne cessent de croître – je vous renvoie au discours de Poutine sur les armes dites du Manège. Il s’agit de systèmes de missiles dotés de capacités de pénétration élevées, hypervéloces, parfois hypersoniques. L’enjeu, pour nous, est de disposer d’une défense sol-air appropriée. On note au passage que, contrairement à ce qu’elle prétend, la Russie a essuyé quelques revers dans l’emploi de certaines de ses armes en Ukraine.
Nous avons, pour notre part, le devoir de doter notre armée de l’air et de l’espace du Samp(-T) de nouvelle génération dès 2026, ce qui explique que nous accomplissions un effort substantiel l’année prochaine. Le Samp(-T) NG, que nous développons avec l’Italie, offrira une protection à 360 degrés : il faut plusieurs Patriot pour parvenir au même résultat. Il sera en mesure d’intercepter des missiles hypersoniques, y compris en poste avancé. Il aura de surcroît des capacités de discrimination importantes – lorsque l’espace est saturé par plusieurs objets pénétrants, il est essentiel que le missile soit capable d’identifier la cible. Les premiers tests sont très concluants et ce nouveau système devrait obtenir un certain succès à l’export, contrairement, il faut bien le reconnaître, au Samp(-T).
À cet égard, j’attends beaucoup de Thales et de MBDA. Les retours d’expérience de théâtres comme l’Ukraine ou la mer Rouge sont riches d’enseignements pour une entreprise comme MBDA. Ils montrent l’importance de se doter de lignes de production capables de tenir la cadence imposée par une économie de guerre, dans un contexte d’attrition. Les missiles complexes doivent trouver un point d’équilibre entre qualité, technologie et quantité.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous aurons le temps, dans les prochaines semaines, d’examiner en détail ce budget. Pour l’heure, je suis pris d’un sentiment de vertige, un douloureux sentiment d’à quoi bon. Tant de chiffres, tant d’argent dépensé, année après année, n’a manifestement pas empêché la France de devenir inaudible. Les moyens ne sont pas en cause, mais la volonté.
En ce moment, au Proche-Orient, M. Netanyahou est en train d’anéantir un peuple et tout ce qu’il restait du droit international et de son garant, l’ONU. Depuis un an, tous les tabous ont volé en éclats. La Cour internationale de justice a plusieurs fois mis en demeure Israël d’agir afin d’éviter le génocide du peuple palestinien, sans effet. Des dizaines de milliers d’enfants ont été tués à Gaza et la stratégie criminelle adoptée ne ramènera à leur famille aucun des otages dont le Hamas s’était ignominieusement saisi le 7 octobre. Et la France a laissé faire ! Elle a donné à M. Netanyahou les moyens d’agir en fournissant du matériel utile aux munitions, aux drones et au Dôme de fer derrière lequel il parvient à faire oublier à sa population la monstruosité des crimes qu’il ordonne en son nom.
Désormais, il s’en prend au Liban et à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Là-bas, 22 000 Français sont menacés et seront bientôt pris au piège si le Gouvernement ne fait rien ; 700 casques bleus français sont des cibles potentielles, cinq de leurs collègues ont déjà été blessés ; deux de nos compatriotes ont même été tués par l’armée israélienne ; et pourtant, quelques jours plus tard, Emmanuel Macron décidait, à la demande de M. Netanyahou, de mobiliser les moyens militaires français au Moyen-Orient afin de parer la menace iranienne. Or la France n’a pas d’accord de sécurité et défense avec Israël ; elle en a un, en revanche, avec le Liban, où nombre de nos collègues cultivent des liens d’amitié avec les chrétiens d’Orient.
Combien faudra-t-il de ses ressortissants tués pour que la France élève la voix ? Emmanuel Macron a demandé de cesser les livraisons d’armes ; presque immédiatement après, vous disiez ne pas vouloir désarmer Israël. Ce « en même temps » nous discrédite partout. Votre méthode n’a en réalité abouti à rien. La fuite en avant de M. Netanyahou n’a trouvé aucune opposition. Dès janvier, nous vous alertions sur le sort du Liban où Jean-Luc Mélenchon s’était rendu. Qu’il est loin, le temps où la diplomatie française avait un message clair !
M. le président Jean-Michel Jacques. Veuillez poser votre question, vous dépassez votre temps.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Vous qui faites profession de gaullisme, rappelez-vous quand Chirac refusait les provocations, quand Villepin refusait la guerre ! En réalité, notre armée ne sera jamais assez riche lorsque le monde… (M. le président coupe le micro de l’orateur.)
M. Sébastien Lecornu, ministre. À défaut de pouvoir répondre à la question qui n’a pas été posée, je répondrai à ce qui était sous-entendu.
Depuis un an, tous les réseaux sociaux de LFI racontent que la France vend des armes à Israël alors que nous n’en vendons aucune. C’est précisément ce qui jette le discrédit sur notre diplomatie. Vous avez parfaitement le droit de vous en prendre au Gouvernement, mais à condition de vous baser sur ce qu’il fait vraiment, pas sur des mensonges. Nous ne vendons pas d’armes à Israël. Il y a une raison évidente : Israël est l’un des principaux concurrents des industries françaises. Tsahal n’a pas besoin des armes françaises. J’ai du respect pour votre travail, vous êtes intelligent et précis ; néanmoins, quand la présidente de votre groupe alimente la discorde et l’hystérisation sur un dossier délicat et compliqué, lorsqu’elle sous-entend dans les médias que nous vendons à Israël des armes qui sont ensuite utilisées à Gaza, ne me demandez pas pourquoi les positions françaises sont incomprises ou discréditées.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Selon vous, le magazine Disclose ment ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Des composants du Dôme de fer sont-ils vendus à Israël ? Oui. Le Dôme de fer est-il une arme agressive ?
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Est-il décisif dans le rapport de force ? Oui.
M. Sébastien Lecornu, ministre. La protection de la population civile israélienne compte autant que celle de la population civile de Gaza. Il me semble que nous pouvons nous accorder sur cette nécessité de protéger toute population civile.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Deux Français ont été tués au Liban !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Si vous étiez ministre des armées, auriez-vous retiré la licence pour les petits composants du Dôme de fer ?
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Oui, probablement.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous avez l’honnêteté de répondre. Moi, je ne le ferai jamais : la défense sol-air est, par définition, une arme purement défensive dont l’usage ne peut être détourné.
Je veux prendre une seconde pour expliquer exactement à quoi correspond la mise en alerte des moyens français, car certains entretiennent l’idée que l’armée française est mobilisée dans le conflit sans accord de défense et au mépris de l’article 35 de la Constitution. Si l’on aime nos forces armées, on ne sous-entend pas qu’elles agissent hors cadre, on travaille plutôt à créer de la concorde.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Vous auriez pu venir devant nous sans attendre une audition budgétaire.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je viens quand on me convoque, et je suis toujours disponible pour répondre avec le maximum de précision aux questions qui me sont posées.
Dans les bases françaises de la région, dès que nous apprenons que des frappes de longue portée sont susceptibles d’être déclenchées, l’ensemble de nos forces sont mises en alerte de sécurité. C’est la procédure normale. Dès lors qu’une frappe se rapproche d’une de nos emprises, il est évident que nos forces ont mandat pour l’intercepter, tout simplement parce qu’elles existent généralement dans le cadre de l’opération Chammal, à laquelle le Parlement a donné son accord conformément à l’article 35 de la Constitution, et que par définition, la légitime défense sur les bases françaises n’a pas besoin d’autorisation parlementaire particulière.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous ne sommes pas dans le cadre de Chammal.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Au mois d’avril dernier, des drones tirés par l’Iran en direction d’Israël sont passés non loin d’une base française. Il est évident que la chasse française devait les intercepter ; aucun schéma militaire ne prévoit que l’armée française laisse un objet balistique passer au-dessus d’une base – et vous auriez été en droit de me poser une question au Gouvernement en cas de défaut d’interception.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Combien ont été interceptés ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je garde le chiffre pour moi, mais très peu, et uniquement des drones. Nous sommes intervenus à la demande de notre partenaire jordanien, avec lequel nous avons un accord de défense. J’espère que cette réponse éteindra la polémique ; on ne pourra pas dire que le Gouvernement n’a pas répondu au contrôle parlementaire.
Il y a dix jours, nos forces ont été mises en alerte. Elles n’ont rien intercepté car, à la différence du mois d’avril, la dernière attaque de l’Iran sur Israël ne comprenait que des missiles balistiques du haut du spectre, c’est-à-dire en cloche, hors de portée des bases françaises.
Il peut y avoir entre nous des désaccords politiques, mais je ne veux pas de quiproquo, d’ambiguïté ou d’instrumentalisation sur la question des licences d’armement et, surtout, sur le travail des forces françaises. Les pilotes de l’armée de l’air agissent dans un cadre construit, qui respecte la Constitution. Je pourrais aller plus loin dans le détail dans le cadre d’une audition non retransmise.
Mme Marie Récalde (SOC). Le groupe socialiste salue le respect de la LPM et le franchissement de cette marche de 3,3 milliards d’euros, qui permet de dépasser les 50 milliards de crédits alloués aux armées. Le Gouvernement poursuit ainsi la trajectoire budgétaire à la hausse enclenchée dès 2015. C’est important au vu du contexte géopolitique ; c’est aussi un signe de confiance envers les femmes et les hommes qui servent sous nos couleurs, tout particulièrement dans le cadre de la Finul.
Lors des débats sur la LPM 2024-2030, vous avez plusieurs fois revendiqué une sincérisation du budget. Pourtant, au cours de 2024, le ministère a vu des crédits être gelés à une échelle sans précédent. De même, des sommes directement liées aux questions de défense ont un financement incertain. Le financement des opérations sur 2024 serait également assuré par un fonds interministériel. Dans tous ces cas, le respect apparent des objectifs de la LPM est trompeur et les crédits réellement disponibles sont en dessous des attendus. La sincérité d’un budget résidant dans son exécution, et donc dans les crédits engagés, quelle est la sincérité en l’occurrence ? Et, le gel de crédits créant une incertitude, quelle est la part de crédits gelés qui viendra grever les financements réellement disponibles en 2025 ?
On connaît le contexte compliqué des finances publiques qui entoure la remontée en puissance de l’outil industriel la défense. Or certains pays ont décidé de recourir, de manière innovante, au financement privé : c’est le cas des États-Unis, qui ont récemment fait appel à un fonds d’investissement pour relancer leurs capacités de production sous-marine. Quid de la France ? Une institution financière publique comme la Caisse des dépôts pourrait-elle jouer un rôle dans ce type de financement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous avez raison, les premiers efforts de réarmement ont été engagés au lendemain des attentats par Jean-Yves Le Drian, sous l’autorité du président Hollande.
Pour ce qui est du gel de crédits, je vous répondrai, comme à M. Jacobelli, que c’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens. Depuis 2022, il n’y a pas eu d’annulation de la réserve de précaution ; au contraire, il y a eu un dégel complet, et même des ouvertures en gestion de crédits nouveaux. Je comprends votre inquiétude pour cet exercice budgétaire et je la partage, mais le dialogue se poursuit avec le ministre chargé du budget et des comptes publics pour récupérer l’intégralité de la réserve de précaution. Nous aurons sa réponse avant le passage de la mission Défense dans l’hémicycle, ce qui permettra un débat budgétaire éclairé. Jusqu’à présent, tout s’est toujours bien terminé.
S’agissant du financement de l’industrie de défense, l’ambiance aura vite changé. Quand j’ai été nommé en 2022, nous bataillions contre la Commission européenne qui voulait inclure les industries de défense dans la taxonomie, c’est-à-dire les priver de plusieurs mécanismes d’accompagnement ; trois ans plus tard, au contraire, chacun cherche des modèles de financement nouveaux. Dans un monde qui se réarme, c’est-à-dire où des marchés sont disponibles, le modèle économique de certains programmes d’armement est évident et certaines initiatives méritent d’être entretenues ou accélérées, notamment dans l’aéronautique : Tikehau Capital a monté un fonds d’investissement dans ce domaine, un autre est piloté par Serge Weinberg. Là où il y a un modèle économique avec du financement d’innovation à boucler, il y a de l’argent privé disponible.
Concernant la mobilisation de la Caisse des dépôts, c’est à son conseil de surveillance et au ministre de l’économie de répondre. Un débat a eu lieu au Sénat sur l’utilisation du Livret A, sujet sur lequel je reste prudent. Quoi qu’il en soit, la mobilisation de crédits privés pour compléter le financement de l’industrie de défense est un chantier majeur que nous lancerons dans les mois à venir. Nous ne sommes plus en période de diminution des crédits ; cela nous permet de penser différemment la gestion de la croissance du réarmement français, surtout pour des programmes qui ont essentiellement une vocation à l’export – je ne pense évidemment pas à un porte-avions ou à un sous-marin nucléaire.
Mme Alexandra Martin (DR). Dans une période de grande difficulté budgétaire pour notre pays, et alors que de nombreuses rumeurs contraires avaient circulé ces dernières semaines, on peut se féliciter du respect intégral de la LPM votée en 2023. Le groupe de la Droite républicaine y restera particulièrement vigilant : dès son adoption, à laquelle nous avons largement contribué, nous avions indiqué que la LPM était un minimum pour permettre à notre défense de se maintenir et de se moderniser afin de répondre à la hausse de la conflictualité constatée dans le monde.
Le spatial de défense y tient une place stratégique. Comme appui à la manœuvre, les satellites assurent la pérennité du lien entre les théâtres d’opérations et jouent par conséquent un rôle essentiel pour la défense de notre territoire. La loi de programmation militaire y consacre 6 milliards d’euros. Cependant, contrairement aux programmes spatiaux militaires financés par les précédentes LPM – CSO et Ceres (capacité de renseignement électromagnétique spatiale) dans le domaine du renseignement, Syracuse IV dans celui des télécommunications – aucun programme nouveau n’est réellement entré en phase de développement. Dans ces conditions, il semble difficile de préserver un outil industriel d’excellence française unique en Europe comme Thales Alenia Space, qui pourrait être démobilisé.
Il semble que le recours à la solution civile européenne Iris2 précédera, voire remplacera le développement des satellites militaires Syracuse 5. Or les communications délivrées par les constellations civiles Iris2 ne répondront pas aux critères de souveraineté que nous sommes en devoir d’exiger et ne résisteront pas au brouillage des théâtres d’opérations. Syracuse 5 est le seul système souverain de communication adapté aux conditions de guerre. Pouvez-vous confirmer que les programmes spatiaux de défense prévus dans la LPM seront lancés très rapidement et à quelle échéance ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Le retard des programmes de défense spatiale tient surtout au défaut d’accès à un lanceur : CSO 3 n’avance pas parce qu’Ariane 6 a du retard. Le premier vol de qualification d’Ariane fut le bienvenu et nous attendons impatiemment le premier vol commercial, qui doit envoyer le CSO 3. Pendant des années, nous avions un accès souverain à l’espace dont nous cherchions à financer l’usage ; désormais, nous avons l’argent pour financer des satellites courte orbite et haute orbite, mais nous sommes retardés par l’embouteillage de l’accès à l’espace.
Nous avons aussi d’autres dossiers devant nous, comme l’aventure MaiaSpace, qui développe des lanceurs réutilisables sur courte orbite dont nous aurons besoin dans le cadre du New Space.
Je confirme la poursuite de Syracuse et des autres programmes lancés dans la LPM. Néanmoins, l’avenir est à la redondance dans l’espace, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité : plutôt que de passer par un seul gros satellite, il faudra privilégier des constellations courte orbite. Nous en avons déjà débattu pendant la LPM, nous pourrons recommencer ici sous un format ad hoc, car le sujet avance vite. Nous disposons de briques de technologie. Comme vous avez cité Thales Alenia Space, qui est implanté dans votre circonscription, je citerai par souci d’équité l’autre acteur français, Airbus Defence and Space.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Au début de votre intervention, vous avez expliqué que le budget des armées serait conforme à la loi de programmation alors que les autres ministères connaissent des coupes sévères. Cela pose la question de l’acceptabilité sociale de cette dépense. Le Haut Conseil de finances publiques écrivait dès mars 2023, dans son avis sur la LPM, que « l’évolution des dépenses non couvertes par ces lois de programmation devrait ainsi être encore plus contrainte ». C’était une alerte extrêmement forte sur le fait que les lois de programmation, que ce soit dans le domaine militaire, de l’intérieur ou de la recherche – même si, s’agissant de cette dernière, le choix a été fait de ne pas la suivre – contraignent les autres dépenses. Vous avez dit que les dividendes de la paix ont été consommés pour l’armée, mais le sous-investissement a aussi touché l’école et la santé.
Je suis pour le moins sceptique concernant le financement privé de la défense évoqué par ma collègue socialiste ; en revanche, il y a un fort enjeu de mutualisation en Europe. À un moment où chaque pays augmente ses efforts dans le domaine militaire tout en effectuant des coupes budgétaires sur d’autres politiques, la mutualisation garantirait une meilleure interopérabilité et une plus grande coopération au niveau européen.
Pour que la dépense en faveur de nos armées soit acceptable, il faut qu’elle soit juste. Le porte-avions de nouvelle génération dont vous avez annoncé le lancement coûtera au minimum 5 milliards d’euros. Est-ce la dépense la plus pertinente ? Vous me parlerez de capacité de projection et d’interopérabilité sur les flottes de premier rang, je vous répondrai avec un taux de disponibilité autour de 60 % et un coût d’acquisition égal à huit porte-hélicoptères amphibies !
M. Sébastien Lecornu, ministre. La question de l’acceptabilité sociale des dépenses militaires est déterminante. Je connais les préoccupations de nos concitoyens ; chez moi, dans l’Eure, les gens se posent des questions. En tant que membre de la commission de la défense, vous avez accès à des informations et à des données qui expliquent pourquoi tout cela coûte aussi cher. Vouloir un modèle de défense 100 % français à bien des égards coûte nécessairement un peu plus cher, mais fixe beaucoup d’emplois aussi sur le territoire. La plupart des pays européens se réarment en achetant des armes américaines mais pour nous, c’est tout un modèle qui se manifeste à Roanne, à Bourges et dans d’autres endroits du territoire où est implantée l’industrie de défense.
Un argument que nous pouvons tous faire nôtre, quelles que soient nos opinions politiques, est que la dépense publique militaire participe à la croissance et à la souveraineté du pays par son incidence sur le domaine civil. Même s’il est maladroit, je prends l’exemple de l’atome : après tout, le CEA est un moteur qui a permis d’avancer sur l’hydrogène et le solaire !
Le deuxième argument tient aux menaces qui nous entourent. Le terrorisme est toujours là, la compétition s’accentue entre les grandes puissances. Il n’y a pas de schéma dans lequel tout cela n’est pas appelé à durer. On rêverait d’être encore dans une période de paix qui nous autoriserait à définir d’autres priorités, mais j’ai bien peur que le contexte ne se rappelle à nous.
Le troisième argument est que nos soldats nous regardent et que nous leur demandons un sacrifice d’une autre nature que celui que l’on peut exiger des autres agents du service public. Pour avoir présidé au mois d’août dernier aux honneurs funèbres militaires rendus aux deux pilotes de Rafale qui ont perdu la vie à l’entraînement, je sais qu’il n’y a pas de vol comme les autres ; pour les soldats de la Finul, qui est une mission française de longue date, il n’y a pas de routine. Au risque de ne pas être diplomatiquement correct, il faut reconnaître que notre pays a une armée d’emploi, pas seulement une armée qui fait des défilés. Il ne s’agit donc pas que d’argent, mais aussi de la manière dont la nation soutient ses forces engagées sur le terrain. Cela passe par le respect de la parole donnée dans la loi de programmation militaire.
Quant aux crédits privés, je vous rassure, il ne s’agit pas de privatiser les armées. Mais est-il normal que le contribuable finance intégralement la recherche-développement de certains programmes d’armement dont on sait qu’ils auront rapidement un grand succès à l’exportation ? N’importe quelle entreprise, quand elle croit à son succès commercial, trouve des outils de financement, comme la dette bancaire ou les levées de fonds. L’État sera toujours là en période de vaches maigres pour financer les programmes à effet majeur, mais l’industrie de défense n’est plus dans la même situation qu’il y a dix ans. Il n’est pas tabou de dire que le secteur privé peut trouver un modèle économique pour certaines catégories de matériel. C’est ce qui est arrivé avec les drones : des dronistes civils se sont lancés comme des grands dans l’aventure industrielle et ont militarisé une partie de leur offre, qu’ils ont proposée au ministère des armées.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Je souhaite rebondir sur la question des GPU, qui est préoccupante. A priori, il n’y aura pas d’alternative. Pourtant, la technologie évolue très vite : ces fameux processeurs graphiques qui permettent l’affichage en 2D et en 3D étaient à l’origine conçus pour les jeux vidéo, pas pour l’intelligence artificielle, et de nombreuses start-up travaillent sur des TPU, tensor processing unit, des circuits intégrés spécifiques conçus pour accélérer des systèmes d’intelligence artificielle et qui pourraient, à terme, remplacer les GPU. Finançons-nous la recherche et l’innovation dans ce domaine au niveau européen ? L’année dernière, la Commission européenne s’est penchée sur le cas de Nvidia. Ce monopole pose problème. Il n’est pas acceptable que nous soyons à ce point dépendants de deux entreprises américaines.
Ce qui m’amène à une question annexe sur l’Institut franco-allemand de recherche de Saint-Louis, qui reçoit des financements dont les répercussions sur le terrain sont peu visibles.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne dirais pas que le sujet est préoccupant, ou inacceptable. Il n’y a pas d’offre indienne, russe ou chinoise. C’est une technologie nouvelle sur laquelle Nvidia a pris de l’avance : que l’outil soit développé par HP, par Orange ou par Atos, les GPU viendront de Nvidia. Ce qui est préoccupant, c’est de ne pas s’organiser pour conquérir cette brique de souveraineté, qu’il s’agisse des GPU ou des architectures qui les entourent. Cela étant, la souveraineté en matière d’atome ne s’est pas construite en un jour. Nous, Français, avons déjà eu tendance à préférer ne rien avoir du tout en attendant de disposer de notre propre outil, dans vingt ans. C’est ce qui nous est arrivé avec les drones. Je ne suggère pas que nous recommencions.
Il y a bien sûr un travail à mener au niveau européen, en embarquant d’ailleurs l’IA civile, même si le militaire peut servir de locomotive. Toutefois, je suis persuadé, comme client, que l’urgence absolue est de faire tourner ces systèmes sur un supercalculateur classifié et sécurisé. Ce n’est pas le cas actuellement, ce qui nous bride dans l’usage de nombreux programmes.
M. Loïc Kervran (HOR). Au nom du groupe Horizons et indépendants, mes premiers mots vont à celles et ceux qui servent nos forces armées ainsi que notre base industrielle et technologique de défense. Le débat budgétaire que nous avons aujourd’hui, nous le leur devons, et je veux leur dire notre estime et notre respect. Vous les avez rencontrés à de nombreuses reprises dans le Cher sur la base aérienne 702 d’Avord, aux écoles militaires de Bourges, à la direction générale de l’armement Techniques terrestres, chez MBDA, chez Nexter, chez Roxel, chez ASB, chez CTAI et chez tant d’autres qui font que le Cher contribue de manière si exceptionnelle à notre défense.
En la matière, un peu de stabilité ne fait pas de mal et nous sommes très heureux de retrouver le ministre qui a défendu la LPM. Votre intervention liminaire prouve que notre confiance était bien placée, puisque vous ne serez pas celui qui défera ce que nous avons fait en commun ces derniers mois.
Pour plusieurs raisons, nous défendrons bec et ongles les crédits ouverts, qui sont conformes à ceux prévus par la LPM. D’abord, la France vit dans un monde dur et agressif, avec des menaces qui n’ont que faire de nos difficultés et qui ne s’adaptent pas à nos contraintes budgétaires. Ensuite, la condition première d’existence de notre État et de notre nation est sa capacité à se défendre. C’est elle qui nous permet de ne pas être asservis et de faire des choix politiques. Enfin, au groupe Horizons & indépendants, nous sommes très attachés aux territoires. L’argent dépensé dans le secteur de la défense bénéficie en retour aux territoires.
M. le président Jean-Michel Jacques. Veuillez poser votre question.
M. Loïc Kervran (HOR). Quel est le taux d’exécution des crédits de paiement pour 2024 ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vous remercie, la bienveillance fait aussi partie de la politique.
Vous avez insisté sur la dimension territoriale de cet argent. Tout le monde mesure qu’une part de la croissance du pays repose sur la défense. Les sommes engagées sont équivalentes à celles engagées dans les plans d’après-guerre.
L’exécution des crédits de paiement est bonne. Le taux de consommation est de 80 % et nous sommes confiants dans le dégel des crédits, sur lequel vous m’avez légitimement interpellé. La sous-chefferie Plans de l’état-major des armées, la direction des affaires financières du secrétariat général pour l’administration et la direction de la préparation de l’avenir et de la programmation de la DGA assurent, avec les industriels, cette bonne consommation des crédits. Cela étant, la programmation est dynamique : par exemple, un retard de livraison peut entraîner un décalage.
M. David Habib (LIOT). Vous avez parlé de bienveillance. C’est précisément le défi de ce budget : les autres ministres doivent être bienveillants avec vous. Ils doivent accepter d’avoir un pauvre budget qui contraint leurs ambitions, tandis que celui de la défense respectera la LPM et vous permettra de satisfaire les vôtres.
La chasse à la mauvaise dépense – les doublons, les marges des industries de l’armement réalisées sur le dos du budget et des contribuables – doit donc être menée tout au long de l’année. Je me permets de vous solliciter, Monsieur le ministre et Monsieur le président, afin que nous disposions d’éléments d’information au cours de l’année.
Alors que je prenais l’avion à l’aéroport de Pau, dans ma circonscription, 200 à 300 militaires embarquaient pour deux vols à destination de l’Afrique, dans des avions affrétés par votre ministère. Les Opex et la gestion de leurs surcoûts, encadrées à l’article 5 de la LPM, commandent la bienveillance des autres ministères. Or c’est beaucoup plus facile en période de croissance qu’en situation de crise. Quels sont les soutiens politiques dont vous disposez s’agissant des Opex ? Avez-vous déjà engagé des discussions à ce sujet avec vos collègues, notamment avec le garde des Sceaux ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Le soutien politique, c’est le Parlement qui l’apporte, notamment au cours du débat budgétaire. Tout dépend de la place que vous accorderez à la question des menaces extérieures, de la transformation de nos armées, de notre souveraineté. Lors de l’examen de la LPM, la commission de la défense, avec les convictions respectives de ses membres, a montré son intérêt pour ces sujets.
Je vous remercie de cette question relative à la bienveillance des autres ministres, qui me permet d’approfondir mon propos introductif. J’ai expliqué combien nous faisions preuve d’ingéniosité pour financer l’aide à l’Ukraine. Le premier arbitrage était différent : le ministère des armées devait fournir l’aide à l’Ukraine, notamment en achetant des armes, et tout serait réglé au bout du compte par un financement interministériel – terme élégant pour désigner un coup de rabot donné à l’aveugle sur tous les ministères. Vous avez raison de souligner ce point : chacun de vous, une fois sorti de la commission de la défense, fait attention dans son département à la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes, au financement des hôpitaux, à l’éducation nationale.
En ma qualité d’élu, je suis mal à l’aise avec l’idée, alors que mes crédits augmentent beaucoup, d’imposer aux autres ministres un coup de rabot en plus des efforts considérables qu’ils fournissent déjà. Nous devons faire le maximum pour l’éviter, y compris en récupérant des crédits nouveaux en gestion, comme je l’ai fait jusqu’à présent. La LPM étant préservée, il est normal que repose sur mon ministère et nos industriels une saine pression. Nous avons la chance de ne pas avoir à acheter du matériel à l’étranger, et celle de pouvoir nous débarrasser de nombreux vieux équipements. J’ai donc des outils de pilotage qui me permettent de fournir une aide à l’Ukraine sur mesure. La brigade Anne de Kiev n’abîme ni le format de nos armées ni nos finances publiques : les soldats ukrainiens sont entraînés avec les nôtres et ils repartent avec le vieux matériel. C’est un bon modèle. Nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons des idées !
Il en va de même pour les Opex. Si demain la France était en guerre, si elle devait lancer une Opex d’urgence dans le cadre de l’article 35 de la Constitution, on ne se poserait pas la question des modalités de son financement : il serait interministériel car l’Opex est prioritaire. C’est un sacro-saint principe. Mais quand on n’est pas vraiment dans le cadre d’une Opex, comme pour ce que nous faisons en Roumanie dans le cadre de la mission de réassurance de l’Otan sur le flanc est de l’Europe, il faut trouver un autre modèle, tout en donnant un statut au soldat qui est en mission opérationnelle là-bas. Je suis ouvert à une discussion avec Bercy sur ce point, car je me vois mal expliquer qu’il faut ponctionner la DGF des communes pour financer la réassurance du flanc-est. Si l’on veut défendre le principe du financement interministériel des opérations essentielles à la survie de la nation, on ne peut pas en faire le droit commun pour des missions de nature différente. Je souhaite de bonne foi faire évoluer les choses, justement pour susciter la bienveillance de mes collègues ministres.
M. le président Jean-Michel Jacques. Vous pourrez compter sur un contrôle parlementaire bienveillant, Monsieur le ministre.
M. Matthieu Bloch (UDR). Malgré le front républicain qui nous a empêchés de changer de majorité, nous nous réjouissons de votre maintien, gage de stabilité pour nos armées.
Le projet de loi de finances pour 2025, en ligne avec la LPM 2024-2030, marque notre engagement à renforcer la défense nationale face aux défis auxquels nous faisons face. Plus que jamais, une modernisation ambitieuse de nos capacités militaires et un investissement massif dans les technologies de défense sont nécessaires.
Cela étant, cet effort budgétaire, pour être efficace, doit inclure toutes les composantes de notre base industrielle et technologique de défense, en particulier les PME.
Nos PME sont des actrices cruciales de notre autonomie stratégique et de notre capacité à innover dans des secteurs critiques tels que la cybersécurité, les drones, l’intelligence artificielle et les technologies spatiales. Cependant, elles font face à des obstacles structurels pour accéder aux grands programmes d’armement, notamment aux projets phares comme le Scaf ou le MGCS (système principal de combat terrestre). La complexité des appels d’offres, le manque de visibilité sur les opportunités ainsi que des critères de sélection excessivement rigides limitent considérablement la participation des PME. Celles qui sont retenues sont souvent cantonnées à des rôles de sous-traitants. Elles jouent un rôle plus important en Allemagne, où elles concluent directement environ 20 % des contrats de défense.
Alors que les PME représentent 80 % du tissu économique de notre pays, comment leur garantir un meilleur accès au secteur de la défense ? Sachant que seules 13 % des PME françaises de défense exportent, contre 30 % aux États-Unis grâce aux programmes mis en place, quelles actions concrètes sont envisagées par l’État français et par votre ministère pour renforcer l’accompagnement à l’export des PME ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est un point clé : l’ensemble du système fait intervenir par capillarité énormément d’entreprises dans les territoires. Votre question appelle trois développements.
D’abord, comment les entreprises de la BITD peuvent-elles gérer correctement leur chaîne d’approvisionnement ? Dans le cadre de l’économie de guerre, lorsqu’on exerce une pression pour accélérer les cadences de certains programmes d’armement, se posent bien sûr les questions de l’organisation du temps de travail et des stocks, mais aussi celle de l’animation de la chaîne d’approvisionnement. J’ai demandé à chacun des grands patrons d’être vigilant sur ce sujet, car dans le cas d’un engagement majeur de l’armée française, leurs entreprises n’auront pas le temps de mobiliser les chaînes de sous-traitants. Ce travail doit être fait en amont, de manière préventive.
Ensuite, maintenant que les grandes entreprises ont de la visibilité, compte tenu des crédits inscrits dans la LPM, je leur demande clairement de donner de la visibilité à leurs sous-traitants – ce n’est pas le rôle de la DGA.
Puis, si la relation entre le ministère et ses PME s’est améliorée, nous pouvons encore faire mieux. Emmanuel Chiva, le délégué général de l’armement, a accompli un bon travail en la matière et un délégué ministériel aux PME a été nommé. On dénombre 26 000 PME et entreprises de taille intermédiaire qui ont conclu un marché avec le ministère. Il ne s’agit pas exclusivement d’armement, mais aussi de travaux publics, d’infrastructures ou de réseaux. Ma prédécesseure, Florence Parly, avait lancé le plan Action PME, qui avait créé les conditions psychologiques favorables à une bonne relation ; nous devons continuer dans cette voie. J’attends beaucoup de l’Agence de l’innovation de défense qui, grâce à sa culture et ses outils, pourra repérer de toutes petites entreprises.
Enfin, la DGA, dans le cadre de sa transformation, doit développer une solide culture des entreprises, y compris en ce qui concerne les normes, les systèmes d’essais ou les questions d’exportation. Il ne doit pas y avoir de la place que pour les grands arbres : certaines PME rencontrent de beaux succès à l’export.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Frank Giletti (RN). Le lancement des études de développement du standard F5 du Rafale et du drone de combat qui l’accompagne est une excellente nouvelle – j’avais réclamé un calendrier lors de l’examen de la LPM, dans un amendement que le Gouvernement avait repris. Pouvez-vous nous confirmer les crédits inscrits dans la LPM pour le développement ?
Par ailleurs, vous avez dénoncé à plusieurs reprises le retard accumulé par la France en matière de drones. Pourriez-vous nous rassurer quant au projet de drone Male Eurodrone et au respect des délais, des jalons de développement et des coûts ? Rappelons que tout retard du programme supérieur à treize mois devrait en principe entraîner des pénalités contractuelles. Pourriez-vous nous assurer que nous ne nous trouvons pas déjà dans cette situation ? Si tel était le cas, il conviendrait peut-être de les exiger, eu égard au contexte budgétaire actuel.
Il faudrait aussi s’interroger sur la nécessité et l’intérêt de poursuivre un programme si coûteux pour assurer un besoin capacitaire qui n’est pas confirmé au-delà de 2032. La doctrine d’emploi et les spécificités changeront sans doute d’ici là.
M. François Cormier-Bouligeon (EPR). L’économie de guerre est un enjeu décisif sur lequel vous êtes personnellement mobilisé, à la demande du Président de la République. Nous constatons les premiers résultats : de nombreuses entreprises augmentent significativement leurs capacités de production tout en réduisant leurs délais. Tel est le cas de KNDS-Nexter et de MBDA-Roxel à Bourges dans le Cher.
La DGA, sous l’impulsion du délégué Emmanuel Chiva, a également commencé sa mue pour être plus agile et davantage soutenir l’adaptation de notre BITD à l’économie de guerre, avec notamment la création de la direction de l’industrie de défense. Cependant, de nombreux efforts restent à faire, notamment dans la conduite des programmes d’armement.
C’est dans ce contexte que vous avez appelé à un choc de simplification lors du colloque « Enjeux opérationnels des défis industriels de défense » qui s’est tenu à l’École militaire le 21 mai. Pourriez-vous préciser les contours de ce choc de simplification qui paraît plus que jamais nécessaire pour relever les défis de l’économie de guerre ? Quelles sont les principales mesures que la DGA devrait appliquer pour accélérer le passage à l’économie de guerre ? Quelles sont les prochaines étapes de la transformation de la DGA ?
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Vous nous avez promis un rapport sur les Missops et les Opex. Pour mémoire, vous nous devez toujours aussi celui sur le bilan de la réintégration du commandement intégré de l’Otan.
Selon vous, l’état-major des armées a raison de différencier les Opex des Missops. L’an dernier, vous nous avez expliqué que la différence était que, dans le cadre d’une Opex, les soldats faisaient face au feu. Pourtant, les soldats engagés dans l’opération Aspides en mer Rouge tirent, alors qu’il s’agit d’une Missop ! Le feu n’est donc pas un critère déterminant.
Par ailleurs, la notion de guerre et de paix est en train d’évoluer. Si la Roumanie, où nos soldats sont présents, devait être envahie, nous nous retrouverions de facto en guerre sans vote du Parlement, contrairement à ce que visait la réforme de 2008. En effet, vous n’avez pas utilisé l’article 35 de la Constitution car vous considéreriez qu’il s’agit d’une Missop.
M. le président Jean-Michel Jacques. Merci de conclure…
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Nous devons reconsidérer cette question sur laquelle le Parlement doit être partie prenante, d’autant que ces opérations ont un coût.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Ma question porte sur l’École polytechnique, qui est une des quatre écoles sous tutelle de la DGA et qui, à ce titre, bénéficie d’une subvention versée par le ministère des armées et des anciens combattants.
Sans céder au catastrophisme, j’ai constaté, en ma qualité de rapporteure pour avis des crédits du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense, que les choix d’orientation professionnelle des élèves ingénieurs sous statut militaire qui en sont issus témoignent d’une désaffection grandissante pour les métiers du ministère et, plus globalement, pour le secteur public.
Pour relever les défis que représentent l’émergence des nouvelles technologies et des nouveaux espaces de conflictualité, le ministère aura besoin d’ingénieurs polytechniciens. Quelle sera votre feuille de route pour renforcer tant la militarité de l’École polytechnique que l’attractivité du ministère des armées et des anciens combattants pour ses élèves ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Giletti, le dernier standard Rafale, le F5, et le premier Scaf cohabiteront longtemps.
M. Frank Giletti (RN). On ne sait pas vraiment ce qu’il y a derrière le Scaf.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Mais il y aura toujours un avion après le F5, qui transportera la bombe nucléaire française.
Le moment venu, nous débattrons du Scaf si vous le souhaitez. Au mois de décembre se tiendra un sommet avec l’Espagne et l’Allemagne, qui permettra de présenter le démonstrateur et de documenter la deuxième phase. Dans la LPM, le Gouvernement s’est engagé à informer le Parlement de chacune des étapes de ce programme. Je suis preneur d’un débat sous un format spécifique pour évoquer les piliers, entrer dans le détail du programme et, à huis clos, présenter le cahier des charges de l’armée de l’air. Ce débat, qui soulève des questions passionnantes relatives à l’export, à la dissuasion et à l’avenir de Dassault Aviation, permettrait de comprendre les attentes et les pressions qui s’exercent sur la « trame chasse » sur le très long terme.
S’agissant des drones, Euromale a un an de retard. La question des pénalités est donc posée. Nous ferons ce qui doit être fait. Mais comme nous ne menons pas ce projet seuls, nous devons en discuter avec nos partenaires. Enfin, nous devons nous assurer que l’objet, au moment de sa livraison, sera toujours conforme aux attentes opérationnelles. C’est la promesse de belles discussions.
Monsieur Cormier-Bouligeon, le deuxième chapitre de l’économie de guerre s’accompagnera aussi d’une réflexion sur les sujets financiers. À cet égard, je remercie Jean-Louis Thériot, qui a envie de consacrer du temps et de l’énergie à cette œuvre longue et complexe. Déjà mobilisé sur cette question en tant que député, il aura à cœur de défendre nos convictions à Bruxelles et de mobiliser le monde bancaire.
Le choc de simplification ne concernera pas la seule DGA, mais l’ensemble du ministère. L’état-major des armées n’est pas avare de prescriptions complexes, y compris sur des programmes d’armement simple. Un travail important est mené pour modifier une culture interne qui a tendance à imposer des centaines de spécifications au moindre camion-citerne de nouvelle génération, dans le souci d’avoir l’objet parfait ! Tout cela est autant incompatible avec l’économie de guerre qu’avec l’utilisation raisonnable de l’argent du contribuable.
S’agissant de l’économie de guerre, les efforts sur les munitions complexes commencent à produire leurs effets, notamment sur le missile Aster, fabriqué à Bourges. Nous devons continuer en ce sens. Le deuxième acte de l’économie de guerre nécessitera d’embarquer l’ensemble des chaînes de sous-traitants, y compris au niveau des grandes plateformes. Par exemple, vu les commandes de Rafale que nous passons et son succès à l’export, Dassault Aviation va devoir pour la première fois assurer un rythme de production soutenu. Je souhaite qu’on avance ; cela étant, des ajustements en matière de pilotage seront nécessaires. Le site de Bergerac nous permettra de nous différencier dans le secteur des poudres.
Monsieur Lachaud, le bilan de la réintégration n’a pu être dressé ni lors de la dissolution, ni durant l’été, ni pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Je suis favorable à l’organisation au cours de la session de ce beau débat qui permettra d’examiner la question de manière objective, en évitant de dire n’importe quoi et de surfer sur un antiaméricanisme primaire. Nous pourrons ainsi montrer combien est faux le tweet de Jean-Luc Mélenchon expliquant que le Charles de Gaulle n’est plus sous contrôle français et est passé sous pavillon américain. Les bateaux mis à disposition de l’Otan restent bien entendu soumis au contrôle national du CEMA, au contrôle politique du ministre et au contrôle opérationnel du Président de la République, chef des armées. Ce genre de tweets ne participent pas à la clarté du débat.
Vous êtes mobilisé sur le statut des missions depuis le début. Le défaut de lisibilité du système vous chagrine. Nous avons des pistes pour établir une classification en trois volets, et j’espère que nous pourrons la co-construire ensemble.
Les Missops, d’abord, sont forcément menées à l’étranger, contrairement aux Missint. Je rappelle au passage que l’opération Harpie, au cours de laquelle il y a eu plus de morts que durant certaines Opex, est une Missint : il faut donc manier ces notions avec précaution.
Les Missops apporteraient tout le droit commun de la protection nécessaire au militaire, mais il ne s’agirait pas d’un cas d’engagement avéré de la force. L’exemple type est celui de la Roumanie – où nous avons un peu de temps avant que les chars russes n’entrent, étant donné leur rythme de progression en Ukraine. Surtout, en cas d’évolution de la situation sur place, il s’agirait d’un cas d’application de l’article 35 de la Constitution : je ne vois pas comment des forces prépositionnées en Roumanie pourraient se retrouver en situation de combat sans que le Premier ministre ne vienne dans les trois jours prendre la parole devant le Parlement. Il n’y a pas de fait accompli. Pendant des décennies, des forces françaises ont été présentes à Berlin Ouest sans affrontement direct avec les forces soviétiques ! C’est le principe même de la guerre froide.
Les Opex, ensuite, pourront être des opérations d’un certain niveau de dangerosité mais n’entrant pas dans le champ d’application de l’article 35 (pas de combat). L’exemple type est celui de l’opération Aspides, menée dans des eaux internationales libres. Les bateaux militaires français y ont toujours navigué ; en ce moment, ils accompagnent des bateaux civils et ne tirent que dans le strict cadre de la légitime défense. Sans aucun doute, il s’agit d’une Opex. Toutefois, cela n’appelle pas de déclenchement de l’article 35 au regard de ce que le constituant, autrement dit le parlement et le gouvernement de l’époque, a voulu mettre dans le champ de l’article 35 lors des débats de la révision constitutionnelle.
Le troisième niveau serait constitué des Opex qui entrent dans le champ d’application de l’article 35. Par exemple, si le Président de la République avait décidé de se joindre aux Anglo-Saxons en mer Rouge pour frapper le Yémen, l’article 35 aurait trouvé à s’appliquer. Il n’est qu’à regarder les cas encore en cours pour lesquels cela s’est produit : l’article 35 a été appliqué lors de la mission au Liban, compte tenu de la durée et de la dangerosité du mandat, et lors de l’opération Chammal.
Cette classification permettrait de dégager des crédits budgétaires et d’assurer une protection des soldats dans un cadre constitutionnel transparent. J’avance sur le sujet, avec la ferme intention d’aboutir à quelque chose de propre et de lisible. Les forces ont besoin d’un encadrement constitutionnel et politique clair, bien plus que d’assurances budgétaires.
Madame Le Hénanff, cela fait deux ans que je suis très mobilisé sur la question de la militarité de Polytechnique. C’est la raison pour laquelle l’ingénieure générale Laura Chaubard a été nommée directrice générale de l’institution. La militarité fait partie de la scolarité. Elle ne doit pas être une exception. Dans le passé, on a observé certains comportements incompatibles avec ce qu’est une école militaire et j’ai fait savoir que les jeunes officiers qui ne respectent pas le règlement de discipline générale s’exposent à devoir quitter l’institution. En tant que ministre des armées, je suis responsable des crédits qui financent cette école et j’entends préserver sa militarité.
Cela étant, les grands employeurs du ministère doivent adopter une démarche plus dynamique pour aller sensibiliser les jeunes sous-lieutenants qui servent à l’École polytechnique. La DGA, sous la tutelle indirecte de laquelle est l’École, la DGSE, les forces mêmes recrutent parmi ses élèves. Un travail important est accompli depuis deux ans et les choses avancent convenablement. Il faut aussi mener une réflexion avec la BITD pour prévoir des allers-retours, en prenant en compte les questions déontologiques que cela soulève. J’ai demandé aux grands chefs militaires de passer plus de temps à Polytechnique afin de diffuser une culture géopolitique plus accentuée, notamment en matière de menaces. Cette école doit former les ingénieurs qui travaillent dans la galaxie défense, et pas exclusivement les militaires. Du reste, l’Agence pour l’intelligence artificielle de défense sera essentiellement implantée sur le campus de Polytechnique. C’est une bonne nouvelle car c’est un cercle vertueux : plus on assemblera des briques technologiques nouvelles, plus on sera pionnier dans les tâches confiées à l’École – l’intelligence artificielle est un bon exemple –, plus son recrutement et son niveau seront bons et plus elle rayonnera.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Bien que le cap des 50 milliards d’euros de crédits de paiement soit en passe d’être dépassé, avec une hausse de près de 6 % du budget de la mission Défense, certaines lignes budgétaires sont de nature à nous inquiéter. Je note une coupe de près de 20 % dans les autorisations d’engagement pour la DGSE qui augure d’une baisse future des moyens, à laquelle il faut également ajouter une baisse de 6 % pour le renseignement d’intérêt militaire. Le budget du MCO de l’armée de terre est en baisse alors que la situation en la matière est inquiétante depuis plusieurs années. Le budget de l’armée de l’air subit également de nombreuses coupes qui interrogent. Pouvez-vous nous rassurer ?
M. Frédéric Boccaletti (RN). En 2023, le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, avait déjà sonné le tocsin en demandant à ses subordonnés d’utiliser tous les leviers à leur disposition pour enrayer une baisse inhabituelle les effectifs globaux. En 2024, la mission est toujours la même : attirer de nouveaux talents et fidéliser les troupes. Cela passe par de multiples facteurs, dont la rémunération.
Je souhaite ainsi évoquer les primes dues à nos militaires, celles que le ministère des armées prévoit dans les différents projets de loi de finances mais qui ne vont que de manière incertaine dans les poches des militaires. Je veux notamment parler de la prime de lien au service ou encore des primes de spécialité. Pouvez-vous nous confirmer que les décrets d’application garantiront le versement de l’intégralité des sommes dues à nos militaires cette année, en temps et en heure ?
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Ma question concerne le service de santé des armées (SSA) et la bonne application de la feuille de route 2024-2030 visant à l’adapter au conflit de haute intensité. En conformité avec cette feuille de route, vous avez suspendu la déstructuration de l’hôpital d’instruction des armées Desgenettes à Lyon pour le transformer en hôpital spécialisé, expert dans la prise en charge physique et psychique des blessés. Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui sur l’hôpital et son fonctionnement ? Ce modèle vous semble-t-il satisfaisant ? Comment évoluera-t-il ?
Par ailleurs, le plan SSA 2030, présenté dans la feuille de route, prévoit la construction d’un nouvel hôpital national d’instruction des armées doté de 300 lits à Marseille, qui remplacera l’hôpital Laveran. Où en est ce projet et comment avance-t-il ? Les délais seront-ils effectivement tenus et surtout qu’adviendra-t-il des soignants de Laveran ?
Enfin, la feuille de route prévoyait une augmentation de 50 % du budget de fonctionnement du SSA d’ici à 2030, qui passerait de 2 à 3 milliards d’euros. Cet objectif peut-il être atteint ?
M. Alexandre Dufosset (RN). La LPM 2024-2030 a souligné la nécessité de préparer nos forces aux nouveaux enjeux et aux nouveaux espaces de conflits que sont le cyber, le spatial ou encore l’intelligence artificielle. Au cœur de ces défis immenses se trouve un équipement minuscule, mais vital : les semi-conducteurs. Ils sont présents partout, dans les systèmes de communication, le guidage des missiles et des drones, les systèmes de radars et de sonars.
À ce jour, la France n’en produit quasiment pas en vue d’un usage militaire. Elle est donc en situation de dépendance stratégique. Or ce sujet n’était abordé ni dans la LPM, ni dans la loi de finances de 2024, et ne l’est pas davantage dans le PLF pour 2025. Pourquoi la France ne semble-t-elle pas encore avoir saisi la mesure de ces défis ? Des plans sont-ils à l’étude pour renforcer l’autonomie stratégique de notre pays dans ce domaine ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Les crédits de la DGSE augmentent. La diminution des AE tient au fait qu’ils avaient fortement augmenté en 2024 pour lancer le marché du Fort Neuf de Vincennes. La trajectoire des crédits de la DGSE que je vous avais présentée est préservée. Quant aux crédits du MCO, je ne sais pas quel point de détail peut connaître une baisse. Les crédits de l’entretien programmé des matériels augmentent de 10 % pour l’année prochaine. De façon générale, comme nous franchissons une marche supplémentaire, les budgétaire ne diminuent pas. Des décalages peuvent en revanche se produire. Je suis disponible avant l’examen des crédits en séance pour vous apporter des précisions et éviter tout malentendu.
Monsieur Boccaletti, la transformation de l’armée de terre poursuit son cours. Il serait utile que vous interrogiez les chefs militaires en audition sur cette modification importante des ressources humaines – recrutement de 10 000 militaires, évolution des formations, pyramides d’âge pour les sous-officiers. Lors de l’examen de la LPM, j’ai tenté d’expliquer le rôle que jouera dans le combat terrestre du futur la guerre électronique, la longue portée, le combat à 360 degrés. Les efforts déployés par l’armée de terre sont historiques. C’est difficile à expliquer au grand public mais il est intéressant d’entrer dans les détails, car 2025 sera une année d’application importante. Dans certains régiments, le métier de combattant, l’infanterie évolueront beaucoup. L’exercice Orion a déjà démontré une nouvelle approche, notamment en matière de déploiement de soldats dans le cadre de l’Otan ou en dehors. Au-delà des sommes en jeu, il est important de comprendre ce qui se trame dans l’armée de terre.
Pour vous répondre sur les indemnités, toutes les primes seront versées. Si vous demandez aux soldats de l’armée de terre de votre circonscription s’ils ont perçu la prime du combattant terrestre, ils vous répondront que oui. S’ils vous répondent non, vous me donnerez leur nom et je vérifierai moi-même.
Monsieur Saint-Martin, les délais du programme de construction du nouvel hôpital sont tenus ; les travaux de gros œuvre ont commencé. Bien entendu, les soignants de Laveran ont vocation à y travailler. Ils l’attendent, étant donné la vétusté de l’actuel hôpital, qui assume pourtant une activité croissante. En plus d’héberger un service de médecine des forces, l’hôpital rend un grand service aux Marseillaises et aux Marseillais. À Marseille, c’est une institution.
Merci de vos mots sur l’hôpital Desgenettes, car nous partons de loin. Sa spécialisation garantira son avenir de manière irréversible. Il est nécessaire de s’inspirer de la médecine des forces, notamment des soins dispensés à l’hôpital des Invalides visant à traiter les syndromes post-traumatiques, pour pouvoir les offrir au niveau territorial, en complément des maisons Athos. Ce projet auquel je crois beaucoup permettra également de consolider des compétences sanitaires importantes. Je me rendrai à Lyon pour en suivre l’avancement. Cela vaut également pour les spécialisations des hôpitaux de Bordeaux et de Metz. L’hôpital de Brest a un statut particulier eu égard à ce qu’il apporte aux forces de dissuasion. L’hôpital de Toulon connaît une transformation importante. Au-delà de la différenciation des hôpitaux de Percy et de Bégin et après la fermeture de l’hôpital du Val-de-Grâce, les effets du SSA commencent à se faire sentir dans les hôpitaux en région et même dans la médecine des forces en Opex – vous le constaterez lors de vos déplacements.
Vous le savez, je suis très attaché à la remontée en puissance du SSA. L’ensemble des crédits sont donc préservés, y compris ceux alloués aux travaux importants, et la trajectoire budgétaire est tenue à l’euro près. Ceux d’entre vous qui se sont récemment rendus à Percy ont pu constater à quel point la modernisation des urgences avance vite désormais grâce au concours bienvenu du service d’infrastructure de la défense. Je m’en réjouis car le projet commençait à prendre du retard.
Monsieur Dufosset, la question des semi-conducteurs ne relève pas du PLF ; elle touche à la souveraineté. La DGA suit cette question de près, notamment en cas de secousses géopolitiques. En lien avec le ministère chargé de l’industrie, elle est en train d’élaborer un plan de sauvegarde des éléments critiques, soit pour les produire nous-mêmes en Europe, soit pour constituer des stocks suffisants. C’est un travail de longue haleine. Davantage que la guerre en Ukraine, le covid, durant lequel les routes maritimes ont été perturbées, a mis en évidence des liens de dépendance qui ne sont pas acceptables. Néanmoins, il existe des réalités stratégiques s’agissant de certains types de semi-conducteurs qui sont produits dans certains pays. Il vaut mieux se saisir de cet énorme enjeu au niveau européen.
M. le président Jean-Michel Jacques. Merci, Monsieur le ministre.