mardi 19 mars 2024

Char 2C : un char de rupture pour 1919

Le char FCM 2C : son nom évoque l’acier, la démesure et la puissance de feu. Au cours de la Première Guerre mondiale, la France développe ses premiers blindés et chars d’assaut, divers prototypes plus ou moins prometteurs. Il y a tout d’abord le char Schneider, le Saint-Chamond puis l’emblématique char Renault FT. En 1918, la victoire ne semble pas encore acquise et l’état-major français cherche une solution pour arracher la victoire. Pour terminer la guerre, la France prévoit de lancer le développement et la production d’un nouveau type de char dit « de rupture » : le char lourd FCM 2C. La commande initiale fait demande de 700 unités puis 300. Le général Estienne, père des chars pendant la guerre, est à l’initiative de ce projet de grande envergure et pense que ce mastodonte d’acier sera capable de percer les dernières défenses allemandes afin de pénétrer le Vaterland et ainsi imposer la paix. Cependant, la guerre se termine le 11 novembre 1918. Le char lourd prévu pour participer aux dernières grandes offensives n’aura pas l’occasion de faire ses preuves. Mis en service à partir de 1921 dans l’armée française, le char 2C aura une toute autre utilisation jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ce char qui parait aujourd’hui comme une grotesque imitation d’un cuirassier terrestre a pourtant apporté une pierre indispensable à la lignée des blindés français et à l’avènement des chars lourds de rupture. 

Conception d’un monstre d’acier 

Le char lourd 2C FCM (Forges et Chantiers de la Méditerranée) a été pensé selon un cahier des charges précis : il doit posséder des capacités de franchissement accrues, être capable de percer les fortifications qui pourront se trouver face à lui, posséder un armement lourd et pouvoir être transporté sur voie ferrée. Le général Estienne souhaite que ce char puisse suppléer les plus petits engins comme le Saint-Chamond lors des opérations prévues pour fin 1918 et 1919. La conception du 2C est relativement moderne,  avec des chenilles enveloppantes, plusieurs compartiments et des mitrailleuses pouvant assurer la protection rapprochée du char. 

Caractéristiques : 

Longueur : 10,27 m
Largeur :  3 m
Hauteur : 4 m
Garde au sol : 0,60 m
Poids : 68 tonnes
Blindage : 45 à 52 mm
Armement :  Canon de 75 mm long, 4 mitrailleuses Hotchkiss
Motorisation : 2 moteurs de 125 ch
Vitesse : 12 km/h
Autonomie :  120 km

L’armistice signée le 11 novembre 1918, le char 2C n’a pas l’occasion de prouver sa capacité sur le champ de bataille. Il est mis en service en 1921 avec seulement 10 exemplaires. Il s’avère être un engin trop cher à produire, trop complexe, et ayant perdu d’intérêt. Finalement, le char 2C est utilisé dans un but de propagande dans le but de promouvoir l’armée française et ses ingénieurs capables de construire une véritable forteresse terrestre. Cependant, ce super blindé s’avère être une catastrophe à entretenir, avec un taux de disponibilité très bas et une faible fiabilité. L’engin en lui même est très cher à produire, mais aussi à entretenir et sa consommation en carburant est énorme, presque 13 litres par kilomètre, engendrant des problèmes de logistique. De plus, son imposante taille rend difficile son transport uniquement possible par voie ferrée après une longue et complexe manipulation. En cas de panne, seul un autre char 2C peut déplacer un autre. Tous ses problèmes rendent coûteux l’entretien et la manipulation de ce super char. À cela il faut ajouter son obsolescence sur certains aspects notamment la vitesse. Seulement capable de se mouvoir à 12 km/h à cause sa taille et son absence de suspension efficace, le char 2C offre une cible facile à l’ennemi. Malgré tout cela, le char 2C sera toujours en service à la veille de la Seconde Guerre mondiale. 

Liste des chars 2C produits : 

  • N°90 : Poitou
  • N°91 : Provence 
  • N°92 : Picardie 
  • N°93 : Alsace 
  • N°94 : Bretagne 
  • N°95 : Touraine 
  • N°96 : Anjou
  • N°97 : Normandie puis Lorraine 
  • N°98 : Berry
  • N°99 : Champagne 

Engagement au cours de la Seconde Guerre mondiale 

Si le char 2C n’a pas eu l’occasion de combattre à la fin de la Première Guerre mondiale, il fait toujours parti des organigrammes à l’aube du second conflit. Les huit chars 2C qui subsistent sont intégrés au 511e régiment de chars de combats (RCC) à Verdun. Leur taux de disponibilité est bas, plusieurs chars sont en panne ou dans un état médiocre. À partir de juin 1939, les huit mastodontes rejoignent le 51e bataillon de chars de combats (BCC) de Belrupt, près de Verdun. Le 10 mai, le détachement reçoit pour ordres de stationner dans la zone du bois de Briey. Ce n’est que le 12 juin qu’un nouvel ordre arrive pour embarquer les chars sur voie ferrée à Landres. Au cours de ce déplacement, deux nouveaux chars tombent en panne. De plus, au cours du déplacement le convoi est bombardé, sans dommages pour le moment. Le 14 juin, le groupement de chars fait route vers Neufchâteau. Le bombardement dans la région s’intensifie, les voies ferrées sont endommagées.

Le lendemain, les hommes du 51ème bataillon constatent que les voies sont encombrées par plusieurs trains, dont un train transportant du carburant en feu, bloquant ainsi le convoi de chars. Après moult efforts pour dégager les voies et changer de direction, le convoi se retrouve à nouveau bloqué à 40 kms de Neufchâteau. Les 2C se trouvent donc toujours sur leur wagon, pris dans un embouteillage et avec l’impossibilité de les débarquer. Dans la pagaille du mouvement de la IIIe Armée, le colonel Fournier qui commande l’unité doit se résigner à détruire les chars 2C restants. En fin de journée, le matériel est mis hors d’usage et abandonné. Les équipages sont récupérés en camion. C’est ainsi que ce termine la carrière des chars 2C, sans avoir eu l’occasion encore une fois de combattre. Le char numéro 99 « Champagne » est récupéré quasiment intact par les Allemands, il est envoyé à Berlin en guise de trophée. Par la suite, il est probable que les troupes soviétiques aient récupérées ce char pour l’envoyer en URSS. Il n’en subsiste plus de traces aujourd’hui. 

Un successeur pour le char 2C : FCM F1 

Après l’expérience du char 2C, les officiers et ingénieurs français imaginent en 1940 un nouveau char dit « super lourd de rupture ». Il s’agit du prototype FCM F1, qui succède à plusieurs projets donc le  STCC de 1928. Ce nouveau char super lourd mesure 10,53 m de longueur et 3,10 m de largeur pour 4,20 m de hauteur. Il pèse 139 tonnes, presque deux fois le poids du char 2C qui était déjà un mastodonte. Il possède deux tourelles, une à l’arrière équipée d’un canon de 90 mm modèle 1926 avec une cadence de 12 coups/min, une à l’avant équipée d’un canon antichar SA37 47 mm. Le char comporte en plus de ses deux tourelles de 4 à 6 mitrailleuses Hotchkiss. Le FCM F1 est propulsé par deux moteurs Renault V12 KGM produisant 1 100 ch, ce qui lui offre une vitesse de pointe de 24 km/h. De plus, il est protégé par un nouveau type de blindage : le blindage feuilletée sur 100 à 120 mm. Imaginé pour attaquer les points fortifiés comme la ligne Siegfried, il est commandé à 12 exemplaires en avril 1940. Comme le super char allemand « Maus » le FCM F1 est pensé comme un cuirassier terrestre, capable de venir à bout de n’importe quelles fortifications et de provoquer la terreur chez l’ennemi. Comme son prédécesseur le char 2C, le FCM F1 n’aura pas l’occasion de prendre part à la bataille. 

En conclusion, le char 2C est arrivé trop tard dans la guerre pour exprimer ses capacités sur le champ de bataille. Peut-être aurait-il été utile lors de l’offensive de Lorraine prévue pour le 14 novembre 1918 et celles qui auraient pu venir après. Cependant, il est intéressant de constater l’évolution dans la conception des chars au cours de la Grande Guerre. Après la conception de prototypes fantasques puis le développement des blindés sur la base de tracteur Holt, les ingénieurs imaginent la tourelle mobile et un nouveau train de roulement et système de chenilles. En effet, déjà amorcé par la création du Renault FT, la France s’impose comme un pays novateur en matière de blindé. Avec le développement du FCM F1 et notamment de son blindage feuilleté, elle s’inscrit dans cette évolution. C’est la guerre qui y mettra un arrêt, pour un temps. 

Camille HARLÉ-VARGAS

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Pour aller plus loin : Lorraine, l’offensive finale 1918 

Sources :

  • Historique du 51e bataillon de chars de combats
  • Mai-juin 1940, Les blindés français, Jean-Yves Mary
  • Mémorial de la bataille de France, Jean-Yves Mary
  • Tous les blindés de l’armée française des origines à 1940, François Vauvillier
  • Les projets de chars de forteresse, Revue Historique des Armées, 2004
  • www.char-français.net

 

 

 

 

 

Camille HARLÉ VARGAS
Camille HARLÉ VARGAS
Auteur et spécialiste de l'histoire des conflits et de la mémoire du XXe siècle. Chargée de mission à l'ONaCVG de la Marne dans le cadre du Centenaire de la Grande Guerre (programme pédagogique, médiation et mise en place de projets). Engagée dans la vie associative visant à faire connaître au public l'histoire et les sites de la Première Guerre mondiale (Main de Massiges). En collaboration avec des historiens pour la rédaction d'articles et d'ouvrages sur les deux guerres mondiales.
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