vendredi 26 juillet 2024

Contrer l’extrémisme violent

Malgré la canicule, la préparation des vacances d’été en France, la fragilisation de l’Europe par la crise grecque quand même, l’extrémisme violent est à l’œuvre et sa représentation met nos sociétés démocratiques à rude épreuve. Intitulé « Countering violent extremism » (Cf. IQPC), ce sujet a été l’objet d’un séminaire de trois jours à Londres dans le contexte de la bataille des perceptions et de la propagande, séminaire au cours duquel je suis intervenu sur la guerre menée en France contre le djihadisme.

Le façonnage des esprits par les mots

Cependant, en introduction, si je me réfère dans le simple cadre de la guerre des perceptions au référendum de la Grèce, beaucoup d’interlocuteurs évoquent qu’elle a été le berceau de la démocratie et elle l’a montré par un référendum populaire. Cela m’a changé de l’évocation réitérée de nos « racines judéo-chrétiennes » et rappelle opportunément que notre premier berceau civilisationnel est d’abord grec sinon gréco-romain.

Mais la guerre des mots pour façonner nos perceptions et nos convictions résident aussi dans ces mots, bien loin d’être innocents. Nous revendiquer de la civilisation judéo-chrétienne nous conduit naturellement à la guerre des civilisations, Occident contre le monde arabo-musulman ou plutôt vice-versa, intégrant par cette approche une solidarité imposée avec Israël et faisant de l’Europe une partie prenante du conflit israélo-arabe. Ainsi, à partir de cette approche civilisationnelle en préambule, je peux aborder la guerre des perceptions.

Une semaine de guerre des perceptions

Les inquiétudes face aux djihadistes s’expriment sous de multiples aspects. Les faits d’abord.

Mardi 30 juin 2015, daech annonce sa volonté d’agir dans la bande de Gaza et veut y instaurer la charia. Mercredi 1er juillet 2015, plusieurs centaines de djihadistes infligent de lourdes pertes aux forces armées égyptiennes dans le Sinaï. Vendredi 3 juillet 2015, le Royaume-Uni a observé une minute de silence pour les 30 Britanniques assassinés en Tunisie à Sousse alors que David Cameron appelle fermement la communauté musulmane vivant au Royaume-Uni à se dissocier clairement des islamistes radicaux. Le président de la République François Hollande est reçu le même jour au Cameroun pour évoquer la lutte contre Boko Haram. Ce samedi 4 juillet, la Tunisie décrète l’état d’urgence… une semaine après l’attaque.

Le Figaro publie une photo issue d’une vidéo de daech sur l’exécution de prisonniers de guerre syriens (Cf. Crimes de guerre). Cependant, dans le contexte de la bataille des perceptions, pourquoi daech diffuse-t-il si largement ses crimes de guerre sinon pour nous dissuader d’agir à terre ? Que feraient nos politiques si des soldats français au sol étaient faits prisonniers de guerre (ce ne sont pas des otages même s’ils seront utilisés comme tels) et exécutés dans des conditions atroces comme ce pilote jordanien brûlé vif il y a quelques mois ? Quelle serait la réaction de nos opinions publiques ? J’ajouterai : quelle serait la réaction de nos soldats bien policés, bien respectueux des droits de l’homme, face à une telle sauvagerie ?

En France, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur crée un « état-major » placé directement auprès de lui pour coordonner les services afin de corriger les récents ratés. De fait, en terme de perception, il devient le ministre le plus puissant de France et presque, sinon un ministre de la défense « bis » au titre de la sécurité nationale. Il sait montrer aussi une compassion sincère le 3 juillet lors de l’enterrement du chef d’entreprise Hervé Cornara lâchement assassiné par un salafiste.

Cependant, le 1er juillet, trois « jeunes » contestent devant la justice l’interdiction qui leur a été communiquée de sortir du territoire (Cf. Le Monde du 3 juillet). Je constate, selon l’article, que l’une des plaignants, convertie, est « habillée d’une abaya noire qui ne dévoile qu’une partie de son visage » selon le journaliste, ce qui veut dire qu’elle s’est présentée devant le tribunal administratif de Paris voilée sans conséquences et malgré la loi. En outre, le rapporteur du ministère public, donc représentant de l’Etat, soutient son recours et demande que l’Etat dédommage la plaignante. Je dois rêver à moins que l’article ne soit pas complet.

Alors même pas peur dans cette période préestivale ? Et pourtant, il faudrait !

Le colonel (ER) Michel Goya imagine un déploiement militaire de 100 000contre daech en Syrie notamment pour détruire les capitales du califat. Pourquoi pas ? Dans le cadre d’une stratégie militaire, s’emparer des symboles politiques d’un « proto-Etat » peut redevenir un but de guerre comme hier. En outre, nous ne pourrons pas très longtemps rester l’arme au pied sans agir au sol, laissant les seules forces aériennes ralentir une progression de daech qui parait irrésistible.

Enfin, le Premier ministre Manuel Valls a évoqué la guerre des civilisations le 28 juin 2015 suscitant cette réaction négative de la gauche bien-pensante qui n’a pour référence qu’un monde d’hier, révolu, bien qu’un certain nombre de personnes du centre sinon d’une droite très modérée pourrait être du même avis. Il a développé sa compréhension du sujet dans une interview donnée au Monde le 4 juillet. Il a surtout rappelé que « La question des valeurs et des identités sera au cœur de la campagne présidentielle »  s’étonnant aussi « de ces débats à gauche, comme il y a quelques années autour des mots “nation” ou “patrie”. La gauche a toujours eu des difficultés avec ces sujets, bien plus que nos électeurs, mais j’assume tout ».

Nous sommes dans une guerre des civilisations. Quoi qu’en pensent les détracteurs de cette approche, daech est issu de la civilisation arabo-musulmane et celle-ci devra s’adapter au XXIe siècle. Elle ne pourra sans doute pas le faire sans la réaction forte et sans ambiguïté de la civilisation occidentale. Je soutiens (même si cela lui importera peu) donc l’approche courageuse du Premier ministre.

Cependant ce terme à la fois revendiqué et contesté ne peut se concevoir sans avoir lu l’ouvrage d’Huntington, décédé en 2008 et chercheur reconnu, le choc des civilisations et non la guerre (Cf. Le choc des civilisations). J’ai entendu que cet ouvrage valorisait l’hégémonie occidentale. Cela n’est pas tout-à-fait exact ou du moins ce n’est pas ce que j’ai lu. En revanche, aujourd’hui le choc des civilisations n’est pas une question d’hégémonie mais une question de survie. L’Occident et les Etats qui s’en revendiquent ne cherchent pas l’affrontement. En revanche, il y a bien un ennemi qui, lui, veut imposer sa civilisation, ses règles, son mode de vie y compris par la violence.

IQPC : un séminaire annuel, « Pour contrer l’extrémisme violent »

J’ai donc eu l’opportunité cette semaine de participer au très intéressant séminaire annuel d’IQPC dédié à la guerre de l’information (Cf. IQPC). Pour ma part, j’animais un groupe de travail sur le thème « Strategies to combat violent extremism through the deployment of an integrated domestic and foreign approach » à travers l’exemple de la France aujourd’hui dans sa lutte contre le djihadisme. Une partie de mon intervention sur la pusillanimité passée ou récente de la classe politique s’est appuyée sur mon article publié en ligne ce 1er juillet 2015 dans Res Militaris (Cf. Mon billet du 5 juillet 2015), Myriam Benraad dans la revue Politique étrangère 2/2015).

Elle a sans aucun doute montré une réalité insoupçonnée pour l’auditoire composé de la communauté « communication de défense » et « opérations d’information » de l’OTAN ou non-OTAN présents. Comme à l’accoutumé, aucun représentant français n’était présent mais cela est normal. Nous connaissons « tout »  et puis confronter ses idées dans un autre milieu est peut-être hasardeux. Peu importe.

J’ai constaté cependant que nous n’avions pas la même compréhension de l’extrémisme violent. Pour ma part, il me paraissait évident qu’il était représenté par l’extrémisme des salafistes. Pour l’assistance, certes de culture otanienne prononcée, il était représenté… par la Russie de Poutine.

Certes, il aurait fallu donner au départ une base théorique au thème abordé. Intervenant le premier jour, je m’y suis hasardé. Un extrémisme violent s’apparente pour moi à une idéologie qui vise à gouverner un pays, à renverser un gouvernement, à contraindre à appliquer et à imposer un schéma de pensée politique ou religieux, à l’exporter. Elle peut être physique, psychologique ou/et intellectuelle.

En outre, elle s’appuie plus ou moins sur des actions subversives. Je reprendrai la définition de la subversion en cours dans l’OTAN : Action ayant pour but d’affaiblir la force militaire, la puissance économique ou la volonté politique d’un pays en minant le moral, la loyauté de ses citoyens ou la confiance qu’on peut leur accorder (AAP6, 2014)

De fait, ce séminaire a permis effectivement de comprendre que la menace est double, utilisant des moyens presque similaires en terme de guerre de l’information ou d’actions d’influence mais avec des objectifs différents.

  • La Russie veut retrouver par la guerre hybride la place qu’elle estime la sienne dans la communauté internationale. Le pouvoir politique et le peuple russe sont unis dans cet objectif. Cependant, la Russie n’est pas considérée comme un ennemi par l’OTAN mais ses actions sont dénoncées par une campagne d’information adéquate.
  • daech en revanche veut créer un nouvel Etat en ne se refusant aucun moyen, aucun procédé, sans limitation de temps pour arriver à ses fins mais il ne sera pas le premier groupe terroriste à arriver au pouvoir par cette stratégie. La question récurrente, et elle a été largement abordée, est celle de l’attrait des djihadistes européens pour daech et la guerre des « mises en récit » (« narrative »). Cependant, menace crédible et à prendre en considération, daech n’est pas apparu comme un ennemi de l’OTAN. De fait, l’OTAN ne combat pas daech. Nous pourrions peut-être revenir à sa charte face à une agression ? Dans quelle mesure daech agressant un des Etats-membres, un acte terroriste majeur ou considéré comme tel, conduirait à la mise en œuvre de l’article V et donc à une stratégie collective contre daech ?

Ce séminaire a permis aussi de faire le point sur les capacités militaires d’influence des Etats. Ainsi, le Royaume-Uni a créé la 77ème brigade des forces terrestres, composée de 1 500 personnels intégrant les unités d’opérations militaires d’influence, de coopération civilo-militaire (CIMIC), de communication opérationnelle, d’analyse de l’environnement socio-culturel tout ceci sous une seule autorité. Tiens, une proposition que j’avais faite il y a trois ans en France et que les communicants ont refusée, limitant le centre interarmées des actions sur l’environnement aux seules capacités d’influence et CIMIC.

Suite à l’intervention d’un de mes camarades allemands, je conclurai sur cette remarque concernant notre société occidentale, le « yes but » syndrom. En bref, « vous avez raison dans votre approche de ce problème mais il y a des circonstances atténuantes » ce qui conduit à une réponse ambiguë. Il a cité cet exemple récent d’une chaine américaine de magasins Wal Mart (Cf. CNN). Elle a interdit la vente de gâteaux recouverts du drapeau confédéré assimilé comme inacceptable suite à l’agression raciste contre une église rassemblant des fidèles noirs. En réaction, le pâtissier a réalisé un gâteau avec le drapeau de daech qui a été accepté pendant plusieurs jours (Cf. The Guardian).

Il y a un seuil où la tolérance et la recherche de circonstances atténuantes n’ont plus de raison d’être. Il faut accepter le combat et savoir le mener jusqu’au bout malgré les oppositions que nous connaissons bien. Il faut donc être cohérent et déterminé, ce que l’Occident dans l’application du « yes, but » oublie, avec pour conséquence une grave image de faiblesse. « Contrer l’extrémisme violent » a un coût et nous devrons l’assumer.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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