Le Centre de Recherche des écoles de Coëtquidan et Alliance GéoStratégique (AGS) ont organisé un colloque le 29 novembre 2011 sur la cyberstratégie. Il se proposait de réfléchir à la réalité et aux fondements possibles d’une pensée cyberstratégique, finalement sur les conflits dans le cyberespace.
Rassemblant beaucoup de monde, plutôt jeune, ce colloque arrivait particulièrement à point après l’inauguration de la nouvelle chaire consacrée à la cyberstratégie de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN) du 25 novembre 2011. Olivier Kempf en avait fait une critique particulièrement sévère du discours d’ouverture de François Géré, intitulée La consternante inauguration de la chaire de cyberstratégie. Le titulaire de cette chaire n’a pas effectivement la réputation d’être un expert de la cyberdéfense et cette création a donc particulièrement été surprenante. Nous verrons bien si elle saura produire la réflexion au bon niveau des attentes. Regrettons comme Olivier Kempf que cette chaire n’ait pas été confiée à un chercheur plus jeune et aux idées sans doutes plus novatrices. Mes remarques positives sur les jeunes chercheurs faites précédemment trouvent ici à nouveau leur pertinence. La guerre moderne – sans aucun doute à redéfinir – devra être novatrice, faire appel aussi aux jeunes talents et faire preuve d’une plus grande ouverture, sinon de transparence, dans le choix des chercheurs dans le domaine de la sécurité nationale.
Pour l’instant, s’informer auprès du nouveau blog d’un expert reconnu comme celui de Daniel Ventre paraît opportun. L’ouvrage collectif « Cyberguerre et guerre de l’information » paru en français en 2010 aux éditions Hermès du CNRS et en anglais aux éditions Wiley en 2011 apporte un grand nombre de réflexions sur la guerre de l’information. Pour ma part, ma contribution à cet ouvrage a été celle de positionner les nouvelles guerres idéologiques du XXIè siècle dans ce nouvel espace de bataille qu’est devenu le cyberespace.
Pour en revenir au colloque dont les actes devraient paraître durant le premier semestre 2012, quatre thèmes étaient traités dans les différentes tables rondes :
- un champ stratégique à délimiter avec une sémantique à qualifier (cybersécurité, cyberguerre, cyberdéfense, cybersécurité), les principes stratégiques fondamentaux, son cadre juridique, peut-on réellement parler de « guerre » dans le cyberespace ?;
- La « cyber » à la recherche d’un modèle stratégique en le comparant notamment avec celui de la dissuasion nucléaire : celle-ci est-elle un modèle stratégique transposable au cyberespace (Cf. la cyberdissuasion proposée par Martin Libicki aux Etats-Unis) ?
- Penser opérationnellement la cyberguerre dans les opérations militaires notamment à travers les stratégies d’influence à conduire à travers le cyberespace, les règles d’engagements et bien sûr des cyberconflits récents comme l’Estonie et la Georgie, devenus des cas classiques d’études ;
- Enfin la « cyber » dans le domaine diplomatico-stratégique avec le dilemme entre un espace ouvert et la notion de souveraineté numérique sans oublier son corollaire d’une éventuelle maîtrise des « armements ».
Pour ma part, intervenant au titre de la troisième table ronde, dans la suite des réflexions militaires en cours au centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations, mes propos ont naturellement porté sur la notion d’influence au sein de la stratégie des Etats. Les conflits contemporains nous montrent qu’il y a des fortes oppositions entre le monde occidental et le reste du monde. Les rapports entre les Etats se transforment en grande partie aujourd’hui à travers le cyberespace qui est devenu un nouveau champ d’affrontement dans lequel les systèmes de pensée, les civilisations s’affrontent.
La « cyberstratégie » implique donc une dimension idéologique, une idéologie étant effectivement « l’ensemble des idées philosophiques, sociales, politiques, morales et religieuses etc. propres à une époque ou à un groupe social ». La place de nos valeurs et de notre société, j’oserai dire de notre civilisation en me référant à Samuel Huntington, est contestée et le cyberespace est devenu l’un de ces lieux d’affrontement que nous devons investir.