mardi 26 novembre 2024

Défense européenne à venir : un complément de l’OTAN plutôt qu’une substitution

L’organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) célèbre cette année le 70e anniversaire de sa création. Créé en 1949 après la victoire contre le régime nazi et au moment où un rideau de fer s’abattait en Europe, l’OTAN a eu le grand mérite de lier les deux rives de l’Atlantique par un traité qui manquait lors du déclenchement des deux guerres mondiales et de vaincre sans combattre le régime soviétique après cinquante ans de guerre froide.

Très tôt l’Europe chercha une autre forme de solidarité propre aux pays européens. Ce fut dès 1954 l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) puis en 1993 la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et enfin en 2009 la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Sous toutes ces formes, l’Europe voulait marquer la solidarité des pays européens les uns envers les autres afin d’assurer une défense commune.

La rivalité entre les deux formes de défense du continent européen repose essentiellement sur le degré d’implication Nord-Américain (USA et Canada) dans les affaires européennes. Le poids des États-Unis est tel dans l’Alliance Atlantique qu’une expression autonome des Européens est extrêmement difficile. D’ailleurs le général de Gaulle, en 1966, mit fin à la participation française au commandement intégré de l’OTAN, non pas pour marquer une différence sur le fond, mais sur la forme de ce qu’était l’Alliance. Plus tard, la chute du mur de Berlin aurait dû naturellement conduire à la dissolution d’une organisation qui avait vaincu son ennemi soviétique, mais en fait, la liberté rendue au pays d’Europe de l’Est les conduisit à chercher rapidement la protection de l’OTAN ou plus exactement des États-Unis (1). Ces trente dernières années les évolutions furent nombreuses, passant de 16 à 29 membres, l’OTAN a vu la France revenir dans la structure de commandement intégrée, il y a dix ans. Après les opérations en ex-Yougoslavie (Bosnie en 1995 et Kosovo en 1999), l’OTAN intervint hors d’Europe en Afghanistan en 2001 (2). Aujourd’hui les mesures de réassurance réorientent l’OTAN vers une menace à l’Est face à la Russie.

Dans le même temps l’Union européenne au travers de traités et accords successifs chercha à améliorer sa capacité à prendre en charge les aspects de la défense que l’OTAN ne pouvait ou ne voudrait pas couvrir, notamment en Afrique. Elle accueillit aussi en son sein les pays d’Europe de l’Est mais, il faut le souligner, uniquement après que ceux-ci aient rejoint l’OTAN. La majorité des pays européens n’a toujours vu la défense européenne que comme un complément à l’OTAN. « Pas de duplication » fut le cri de ralliement de ceux-ci avec comme porte étendard le Royaume-Uni. Toutefois des opérations limitées (3) de l’Union européenne se sont développées essentiellement vers le Sud et singulièrement en Afrique. Des capacités strictement européennes ont également vu le jour (Commandement des missions militaires MPCC, Commandement européen de transport aérien EATC…). Depuis peu la commission européenne elle-même consacre un budget à l’acquisition de capacités de défense. En bref, l’Europe de la défense commence à occuper une place non négligeable à l’ombre de l’organisation de l’Atlantique Nord.

Alors, la défense de l’Europe doit-elle être assurée par l’OTAN ou peut-elle l’être aussi par l’Union Européenne ?

Il me semble qu’il faut tout à la fois explorer les aspects politiques et opérationnels mais aussi les facteurs capacitaires et financiers qui sont concernés par cette question. Plus qu’une opposition, c’est une complémentarité qu’il faut voir entre les deux organisations, ce qui n’exclut pas des chevauchements qu’il faudra résoudre.

Politiquement, il est clair que l’Alliance marque le choix d’une communauté de destin partagée par ses membres (4). Cette communauté s’est renforcée avec l’arrivée des pays libérés du joug communiste. Toutefois communauté, qui ne signifie pas unicité d’intérêt, voudrait dire partage alors que l’inégalité est la règle entre le leader (USA), les bons élèves (Allemagne, Pologne, Pays-Bas), ceux qui profitent du système (Royaume-Uni) et ceux qui pèsent peu (Estonie, Slovaquie…). La France, qui a toujours été un peu en marge depuis le coup d’éclat de 1966, restait suspecte à cause de sa fibre européenne affirmée. Cette place singulière au sein de l’OTAN a évolué depuis son retour dans le commandement intégré et grâce à sa participation aux opérations.

Toutefois, il est difficile de convaincre que non alignement ne veut pas dire opposition ! Le clientélisme est une solution plus facile pour des pays qui avaient depuis longtemps perdu la notion d’indépendance. Sur le fond, la participation à une communauté euro-atlantique n’est remise en cause par personne. Les pays européens membres de l’Alliance ou de l’Union, et souvent des deux, savent que le « nouveau monde » de l’autre côté de l’Atlantique est issu de la vieille Europe et que ces relations familiales donnent un fond commun qui permet d’affronter les crises ensemble (Cuba, Euro missiles…). Ce n’est donc pas sur le plan politique qu’il faut trouver une différence entre l’Alliance et l’Union.

Sur le plan opérationnel, les pays européens sont conscients que face à une menace majeure le leadership des États-Unis est vital. Les deux guerres mondiales sont là pour démontrer que l’Europe a eu besoin des États-Unis pour sortir de ces crises (5). La guerre froide est un bon exemple de la façon dont l’Europe a été protégée par les États-Unis puis dont l’URSS a été vaincue par une pression technologique et financière dont seule « l’hyperpuissance » était capable. Toutefois cette puissance n’est pas toujours adaptée à des menaces moindres et il est démontré que les États-Unis ne s’intéressent pas à toutes les crises qui touchent l’Europe. L’analyse de la menace est de ce point de vue éclairante. Si pour l’OTAN la menace est à l’Est (6), une bonne partie des pays européens voit une menace au Sud illustrée par la lutte contre le djihadisme, des États instables et les problèmes liés à une immigration massive. L’Europe a donc besoin de développer des capacités en propre pour répondre à ces menaces qui ne concernent pas les intérêts vitaux des États-Unis. Il faut tout d’abord développer les capacités nécessaires pour identifier de façon autonome ces menaces, puis disposer des outils capables de gérer la crise aussi bien en termes de commandement que de projection et d’emploi des forces. L’OTAN et l’UE peuvent être complémentaires dans ces domaines, mais l’UE doit pouvoir disposer de moyens de façon autonome lorsque les États-Unis ne souhaitent pas s’engager.

Les capacités clés sont essentiellement liés à des développements inexistants lors de la création de l’OTAN, le spatial, le satellitaire, le cyber mais aussi les capacités essentielles de commandement et de projection qui ne peuvent dépendre de la seule bonne volonté d’un partenaire dont les intérêts se sont progressivement éloignés d’un continent pacifié (7) pour se tourner vers ce qu’il considère comme son opposant majeur (8), la Chine.

La récente intervention française au Mali a suffisamment démontré à la fois l’aptitude au combat de l’armée française mais aussi sa dépendance en termes de moyens de projection et de renseignement. Cette opération aux portes de l’Europe a conduit petit à petit de nouveaux partenaires européens à s’engager. La présence de Britanniques, Allemands, Danois, Suédois, Estoniens… montre que la prise de conscience d’une menace commune est enfin là et que la complémentarité des moyens peut devenir une réalité.

Sur la base d’une telle opération les pays européens découvrent à la fois leurs lacunes et la nécessité de mutualisation de certaines capacités. Progressivement le travail en commun fait naître à la fois une confiance réciproque et la recherche de solutions communes. Depuis la crise yougoslave, les opérations ont d’ailleurs toujours été un facteur de rapprochement entre les armées européennes.

Un grand nombre de ces capacités demande des moyens financiers qui dépassent les possibilités de la majorité des pays. Pour disposer d’une autonomie de décision, les Européens n’ont d’autre choix que de se doter eux-mêmes de ces capacités et d’autre moyen que de trouver des financements communs. Le programme européen ARIANE, GALILEO, la lutte dans le cyberespace, ne peuvent trouver des solutions qu’en mutualisant les financements.

Certes les normes peuvent être celles définies par l’OTAN (9) afin de permettre l’interopérabilité au sein de l’Alliance (10), mais les moyens doivent être développés de façon autonome et donc financés comme tels. Pour financer en commun, il faut définir les capacités à financer et pour définir les capacités nécessaires, il faut une analyse commune. Il y a trente ans l’imagerie satellitaire a été l’objet d’une lutte entre les États-Unis qui en disposaient et la France qui souhaitait une autonomie d’appréciation. Le programme SPOT a permis d’accéder à cette autonomie, depuis, de nombreux programmes (11) ont permis de mettre en orbite des satellites européens ou multinationaux et le centre satellitaire de l’Union européenne de Torrejon gère les images pour l’ensemble de l’Union.

Toutefois les moyens financiers alloués à la défense relèvent d’une stratégie générale qui doit rester propre à chaque pays. L’analyse des besoins doit se situer dans une analyse plus générale incluant des facteurs politiques et sociaux qui doivent prioriser les moyens financiers à allouer selon des choix éminemment politiques. Ainsi le fameux chiffre de 2% du PIB consacré aux dépenses de défense n’a pas la même signification en Allemagne qu’en Pologne ou en France.

Si la communauté de destin des membres de l’OTAN et de l’UE ne fait pas de doute, il apparaît que les besoins opérationnels et donc les capacités et les financements nécessaires ne sont pas totalement homothétiques. Dans un monde qui bouge et où les intérêts des États évoluent, la communauté européenne a en commun plus de points que toute autre communauté multinationale. L’histoire de l’Europe depuis soixante-dix ans démontre que les pays qui la composent ne sont plus des menaces les uns pour les autres mais qu’en revanche alors que la solidarité transatlantique reste une nécessité, elle n’est plus suffisante.

L’Union Européenne doit analyser l’évolution du monde, développer sa capacité à prendre en compte les nouvelles menaces pour continuer à peser dans le monde de demain. Ilot de développement stable dans un monde qui bouge, l’Europe ne peut prendre pour acquis un développement économique et social linéaire et sans risque dans ce XXIe siècle déjà tellement instable. Si le lien avec les États-Unis reste vital, il ne peut être la seule réponse aux changements en cours.

Les États-Unis ont leurs intérêts propres, les pays européens ne peuvent croire que les leurs sont identiques. La géographie, l’histoire et l’économie démontrent qu’au sein de la communauté européenne les points de convergence sont plus nombreux que les divergences. Le rôle de la France dans cette évolution est essentiel non seulement grâce à ses capacités mais aussi à cause de l’indépendance dont elle a toujours fait preuve. La prise en compte des différences d’approche des pays européens doit toutefois être un élément modérateur à ne pas négliger.

Général (2S) Dominique TRINQUAND

Texte tiré du dossier 24 du G2S « Europé et Défense »


(1) Cinquante ans d’occupation soviétique et d’imposition de l’idéologie communiste ne s’effacent pas rapidement !

(2) C’est la seule fois que l’article 5 (défense mutuelle) est utilisé.

(3) Beaucoup de missions de formation.

(4) Même si aujourd’hui des questions peuvent être posées concernant la Turquie.

(5) Même s’il s’agissait alors de guerres intraeuropéennes.

(6) Retour à de vieux schémas rodés pendant 50 ans !

(7) Pour ne pas dire domestiqué…

(8) Pour ne pas dire ennemi !

(9) Donc par les 29 membres, à condition que ceux-ci soient actifs.

(10) Même s’il faut souligner que les Américains utilisent très peu les normes de l’OTAN.

(11) En particulier HÉLIOS.

CERCLE MARÉCHAL FOCH
CERCLE MARÉCHAL FOCH
Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).
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