vendredi 6 septembre 2024

Défense : une semaine passée et une semaine à venir faites de larmes ?

Semaines passée et future denses avec les informations sur l’avenir des armées à travers les annonces budgétaires, l’ouverture officielle de l’Ecole de guerre par le chef d’état-major des armées la remise aussi d’un nouveau prix de géopolitique par le ministre de la défense, de nouvelles orientations du ministre de la défense sur les réserves. Ce sont enfin la rencontre à venir des conseils de la fonction militaire prévue avec le président de la République et les premières annonces sur les restructurations.

Donc plusieurs angles que je vais commenter.

La rentrée de l’Ecole de guerre et le cœur de métier

L’Ecole de guerre a fait sa rentrée officielle cette semaine avec la mise en place d’une nouvelle « scolarité », plus économe en temps de formation. Le chef d’état-major des armées s’est longuement exprimé le 25 septembre. La séquence ouverte aux questions percutantes et pertinentes des nouveaux officiers stagiaires (2/3 de Français, 73 nationalités), a permis d’évoquer la question du cœur de métier.

Cette expression, jamais définie officiellement, a généré de nombreux contresens avec le pouvoir politique et l’administration civile. Par son flou, elle est à mon avis une des causes de l’affaiblissement de la place des armées sinon de la perte d’un grand nombre de leurs attributions. Les armées en sont responsables. Ce manque de réflexion, oserai-je politique, est le constat tardif d’une certaine forme de démission intellectuelle des officiers à anticiper (j’évoquerai même la difficulté à faire de la prospective) les évolutions de la société d’une part, à oublier notre rôle dans la nation d’autre part. Les effets à obtenir dans le long terme ne sont pas clairement identifiés et les intérêts des armées sont oubliés.

Le débat sur le cœur de métier a été évoqué par le général Bentégeat dans le Figaro du 13 septembre « Métier des armes, une porte qui se ferme ». Il cite la formule lapidaire « Il faut recentrer les militaires sur leur cœur de métier ». il rappelle que les militaires avaient été mis en garde par le général Lagarde, il y a plus de trente ans sur la civilianisation des postes de responsabilité et précise « Nous n’en crûmes pas un mot. Nous avions tort ». C’est un peu tard.

Voir cependant le nom du général Lagarde réapparaître est heureux pour au moins deux raisons : notre promotion à saint-Cyr a eu des liens particuliers avec ce grand chef militaire (les initiés comprendront) et le général avait aussi fait publier un ouvrage de référence sur les valeurs que devait avoir l’officier et sur le sens de son engagement. Loin d’être inutile.

Des iconoclastes d’hier

Je me permettrai de citer modestement deux articles que j’ai publiés. Le premier est intégré dans un ouvrage relatant les actes d’un colloque sur la liberté d’expression du fonctionnaire en uniforme organisé par le centre de sociologie de la défense le 2 décembre 1998. Outre les rapports du militaire professionnel avec les médias, mon intervention évoquait la condition militaire mais j’avais été amené à rappeler la place du militaire face à la civilianisation notamment de nos structures. Cela m’avait valu un échange vigoureux avec le secrétaire général du CSFM, aujourd’hui chef du contrôle général des armées et avec qui j’ai gardé, me semble-t-il, de bons contacts.

Sur le coup, situation intéressante et cependant difficile pour un lieutenant-colonel s’exprimant à titre personnel et pas au « tableau ». J’ai survécu – le CEMAT m’a félicité – pas l’organisateur du colloque, à l’époque un CGA qui a été remplacé de mémoire par un civil…. Quelques temps après, je publiais en juillet 2000 dans le Casoar, revue des Saint-cyriens, « Liberté d’expression individuelle et liberté d’expression collective du Militaire professionnel ». J’évoquais à nouveau cette fois par écrit la large civilianisation de nos structures militaires.

Si je réagis d’une manière un peu personnelle, c’est qu’il y a peu, un de mes chefs et ancien appelait de ses vœux que des idées, surtout iconoclastes lui soient proposées, tout en reconnaissant que notre système ne favorisait pas cette possibilité. Or, la réalité d’aujourd’hui appelée « cœur de métier » était annoncée indirectement par « quelques-uns » dès 1998. Le résultat ? Aucun et des larmes aujourd’hui. Il sera utile d’écrire un billet ultérieurement sur la « remontée » des idées iconoclastes bien que cela semble bien trop tard.

Vers une définition du cœur de métier

Le CEMA a donc répondu à cette question d’officier stagiaire sur le cœur de métier en précisant qu’il s‘agissait de « L’ensemble des opérations allant de la planification, de l’action au désengagement, en incluant la maintenance et les opérations ». Après plus de dix ans consacrés à la réflexion doctrinale, cette approche ne pouvait que m’inciter à aller plus loin (un de mes camarades attendait de ma part de nouvelles idées la semaine dernière, c’est fait). Je propose cette définition (A améliorer sans doute) que chacun pourrait avoir en soi, avant toute discussion sur l’évolution de nos armées :

« Le cœur de métier pourrait se définir comme l’ensemble des compétences et des capacités (doctrine, organisation, leadership, ressources humaines, équipements, formation individuelle, entraînement collectif, soutien, infrastructures, protection juridique), permettant aux forces armées de remplir, en toute autonomie, leurs missions de protection de la population et du territoire national, de dissuasion nucléaire et d’intervention. Ce cœur de métier ainsi défini constitue le socle de la spécificité militaire et de l’engagement du soldat au service de la nation en tout temps et en tout lieu ».

En clair, l’absence d’un de ces critères remet en cause la capacité du soldat à remplir sa mission et sans doute son engagement face à certaines missions.

Pour une condition militaire décente

Le cœur de métier ne peut non plus s’affranchir d’une condition militaire décente en raison de la spécificité du soldat (cf. Mon billet du 16 décembre 2012 « La spécificité militaire existe-elle ? »). Le président de la République pourrait évoquer bientôt une réforme de la concertation au sein des armées pour améliorer cette condition militaire mais est-ce que cela changera réellement quelque chose ?

La paupérisation des armées est constatée au quotidien. Des milliers de personnels seront aussi licenciés (je crois que cela s’appelle comme cela dans le civil) certes avec des aides mais aussi comme dans le civil. Il est notamment prévu de supprimer de 1 000 à 1 100 postes d’officiers par an, soit trois fois et demie la déflation moyenne réalisée sur la période 2008-2013, alors que le taux d’encadrement des armées est déjà inférieur à l’objectif moyen annoncé de 16 %. Ce n’est donc pas un régime de faveur. Ne parlons pas, pour ceux qui restent, des dysfonctionnements constatés (cf. Louvois).

Je citerai donc cet article de Nathalie Guibert sur la pénurie de Casques lourds repris par Philippe Chapleau (Cf. Lignes de défense du 20 septembre 2013, lire aussi les commentaires particulièrement édifiants) « Dans une note adressée le 18 juillet à « toutes unités », le lieutenant-colonel X., chef du « groupement de soutien » de la base de défense de Strasbourg-Haguenau, évoque une pénurie. La distribution en casques lourds modèle F1 devient problématique en raison du non-approvisionnement (défaut de marché) de ce type de matériel. » Cette note circulait depuis plusieurs semaines sur internet (rien ne peut être dissimulé aujourd’hui) et m’avait déjà fortement interpellé.

Cependant, cet exemple de dysfonctionnement est-il le seul ? Ce que j’entends au hasard des popotes montre le contraire. J’ajouterai le témoignage de ce jeune lieutenant dans un article intitulé « La faillite des généraux » paru sur le site de la Saint-cyrienne ce 16 septembre en commentaire à l’article du général Bentégeat. Sans doute un clin d’œil, si je rappelle que Saint-Cyr fournit un grand nombre des généraux de l’armée de terre et de la gendarmerie, sans oublier le commissariat des armées et le contrôle général des armées.

J‘inviterai enfin à lire l’article paru dans le Monde du 28 août 2013, « Armée : 2 500 euros pour s’équiper convenablement ». Certes nous l’avons toujours fait plus ou moins pour être plus opérationnels. Cependant les sommes paraissent désormais astronomiques, deux fois la solde mensuelle du soldat. Nos équipements notamment pour le « terrien » seraient-ils donc si mauvais, malgré un budget de la défense pourtant non négligeable ? A qui la faute ?

Des propositions de réforme au sein de la défense 

Cependant la condition militaire n’est pas seulement une question d’argent ou d’avantages, c’est aussi les conditions de travail et la considération portée aux militaires. Aussi, pour ceux qui resteront, la condition militaire devrait être comparée à la condition du personnel civil au sein du ministère de la défense d’une part, à la condition militaire du gendarme au sein du ministère de l’Intérieur d’autre part (il ne peut y avoir deux conditions militaires).

Sur le point particulier de la place des civils au ministère de la défense, en tant que fonctionnaires de la défense, j’oserai souhaiter quelques réformes. Une première réforme serait de différencier leur statut par rapport au reste de la fonction publique (mais ce n’est pas gagné !). J’oserai même dire que certains droits devraient être limités au moins par principe comme celui du droit de grève. Cela préserverait la capacité de réaction des forces opérationnelles.

Ensuite, les parcours professionnels des militaires et des civils devraient être effectivement étudiés. En particulier, le régime des primes des uns et des autres devrait être mis sur la table puisqu’il semble qu’il y ait des liens. Le CEMA dans une audition (Cf. Audition du12 septembre 2013) se plaignait que les civils de la défense ne voulaient pas honorer certains postes. En effet, l’une des premières questions d’une partie d’entre eux est : « la prime XXX est-elle accordée à ce poste ? » « Non ? Je ne viens pas ». Il s’agirait aussi de rétablir l’impossibilité de refuser un poste. Dans une période contrainte, peut-on accepter que quelque 2 000 fonctionnaires soient sans emploi mais reçoivent un traitement au sein du ministère pour des raisons diverses ? Pour l’anecdote, j’ai même connu le cas d’un personnel civil « en arrêt maladie » car elle ne supportait pas les uniformes.

Comment voulez-vous que des militaires puissent comprendre cette différence de traitement qui nuit au fonctionnement du ministère de la défense alors que la vocation du ministère de la défense est de servir ? Une loi récente a été malencontreusement abrogée par le gouvernement sur la limitation des refus à des postes proposés. Elle mériterait d’être rétablie.

Un autre critère serait celui de la mobilité dans les postes. Dans le cadre de la réforme du ministère de la défense, autant la mobilité des militaires doit être moins fréquente pour qu’ils soient plus performants dans l’emploi, autant la mobilité des civils doit être plus fréquente pour rééquilibrer l’influence des uns ou des autres dans la prise de décision. Quatre à cinq ans en poste pour chacun atténuerait à mon avis ce clivage entre civils et militaires

Ne vous méprenez pas sur ces propositions. Il y a beaucoup de personnels civils de grande qualité (des militaires aussi je vous rassure) mais le « ménage » qui est fait actuellement doit être équitable. Laisser se développer un sentiment d’injustice au sein de la communauté militaire traitée comme un simple agent d’exécution pourrait bien entraîner un affaiblissement du militaire dans son engagement à servir. Je ne suis pas sûr que cette « évolution » soit positive pour notre société civile à la limite de l’implosion.

Un rappel sur le budget de la défense

Faut-il enfin évoquer le budget consacré à la défense sachant qu’il est conforme à ce qui était annoncé ? Oui, un peu pour faire le point avant cette semaine cruciale.

Avec 31,4 milliards d’euros par an, il reste le troisième budget de l’Etat après l’éducation et la charge de la dette, et le premier budget d’investissement public (17 milliards). L’armée de terre devrait perdre 12 000 personnes d’ici 2019, et dissoudre une brigade, soit cinq régiments (elle en a 80). Certes les pécules sont annoncés et ne sont pas ridicules. L’effort financier d’aide au départ semble avoir été fait. Les textes réglementaires d’accompagnement à voter devront le confirmer. Cependant avec plus de 3 millions de chômeurs, quel va être l’avenir de ces personnels ?

Le ministère assumera en 2014 60% des baisses d’effectifs de l’Etat (soit 7 881 emplois sur les 13 123 supprimés – je ne sais si on peut parler de « supprimés » quand ils sont redéployés dans d’autres ministères). Les restructurations pour 2014 devraient être détaillées par le ministre de la défense ce 3 octobre. Seraient dissous le 4ème régiment de Dragon à Carpiagne remplacé par le 1er régiment étranger de cavalerie d’Orange (mais pourquoi cette valse de régiments alors qu’un déménagement coûte cher ? Il serait temps d’avoir un audit sur le coût du déménagement des régiments depuis dix ans par exemple, tout en identifiant les causes réelles de ces mouvements), le 110e régiment d’infanterie qui appartient à la brigade franco-allemande, le 3ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Carcassonne, la fermeture de la base aérienne de Luxeuil, les restructurations ou la disparition des bases d’Orange et de Dijon.

Pour conclure, je resterai sur une pointe d’optimisme mais qui n’a rien à voir avec la défense. Après avoir été miss France, Marine Lorphelin termine 2ème du concours de Miss Monde, derrière Miss Philippines. Pour le moral, voir la France en bonne place mondiale avec une si charmante personne est quand même encourageant pour notre futur. Un peu de beauté dans ce monde de « brutes ». Toutes mes félicitations à Marine.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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