dimanche 1 septembre 2024

Face aux migrations, la solution militaire est-elle nécessaire ? Suffisante ?

La place des armées dans la protection du territoire mérite d’être posée alors que des personnes ou des associations, certes minoritaires, exercent une pression constante sur l’Etat, l’administration, y compris en ne respectant pas les lois afin d’imposer l’ouverture sans réserve des frontières.

Le rôle des armées se posera donc un jour ou l’autre, non dans une approche technicienne rassurante, habituelle, formatée qui présenterait la solution militaire face aux migrations, donc les armées, comme un simple outil. Nous en connaissons l’usage dans ce contexte: accompagner par moment une communication politique sur les mesures prises face aux migrations et compenser en cas de besoin un déficit de l’Etat face à une situation exceptionnelle.

Or, en tant que symbole de l’autorité de l’Etat, et tout est symbole, les armées expriment la souveraineté étatique dans le domaine de la protection du territoire national.

L’Europe et la France, notamment depuis le conflit syrien, ont été soumises à une forte pression migratoire qui s’est accrue au fur et à mesure des années que ce soit pour des causes économiques ou les conflits auxquels il faudra intégrer désormais les possibles conséquences du dérèglement climatique.

Une menace sur les frontières physiques du territoire national est donc une raison qui peut justifier un plus grand engagement des forces armées, notamment dans cette situation de pression migratoire. Néanmoins, les armées ne sont pas légitimes pour agir et pour faire face à tous les cas de figures.

En effet, cette pression migratoire a de multiples formes : migrations dans un cadre légal, migrations dans un cadre illégal, migrations au titre de la solidarité dans le cadre du droit d’asile.

Dans ce contexte particulier, il n’est pas inopportun de réfléchir sur les conditions qui justifient ou justifieraient l’emploi des forces armées face aux pressions migratoires non souhaitées, illégales d’aujourd’hui ou de demain.

Il faut en préambule rappeler le contexte et les fondements de la sécurité nationale

La sécurité nationale s’appuie avant tout sur la notion de frontières. Celle-ci est confrontée à une idéologie dominante qui voudrait une humanité sans frontières. Or, celles-ci sont nécessaires pour aborder sérieusement la sécurité nationale. La problématique des migrations y trouve alors toute sa place.

Les frontières d’un Etat expriment la souveraineté nationale et donc une autorité légale et légitime. Elles marquent la ligne que l’Autre ne peut pas franchir sans un accord.

Pourtant, loin d’être le symbole d’un soi-disant repli sur soi, elles peuvent aussi être le symbole du « vivre ensemble » en façonnant un ensemble géographique protecteur et mobilisateur selon des normes communes : peuple, système politique, langue, histoire partagée.

Paradoxalement, les frontières sont aussi le symbole de la tentation de la transgression et de la contestation de la souveraineté, sinon d’une identité. Elles peuvent être contestées au sein d’une société démocratique au point que le franchissement de ces frontières par les migrants illégaux est soutenu par des individus ou des associations.

Ceux-ci s’abritent bien souvent derrière la légitimité de l’assistance humanitaire et deviennent des opposants résolus à toute politique étatique. Il est possible de se demander justement si ces associations, ces individus ne sont pas devenus des ennemis de la société dont ils veulent changer les règles, sinon ne pas les respecter.

La pression migratoire répond enfin à plusieurs facteurs : une démographie importante hors d’Europe, la volonté d’Etats ou des organisations internationales comme l’ONU à nous imposer des accords pour maîtriser les flux migratoires, l’absence d’Etats souverains capables de gérer les migrations auxquelles ils sont confrontés souvent en première ligne comme ceux qui sont localisés au sud de la Méditerranée.

Enfin, n’oublions pas l’appât du gain au profit des organisations criminelles ou pour financer les groupes terroristes.

Les années 2015 et 2016 ont contraint l’Europe à revoir la perméabilité des frontières et à tenter de réguler cette pression migratoire. Les accords de Schengen signés dans une période d’utopie ont été remis en cause et les contrôles rétablis aux frontières terrestres, aériennes et maritimes. Un corps civil de garde-frontières et de garde-côtes européens a été créé en 2016. Des forces navales ont été déployées en Méditerranée, sans oublier les accords signés avec les Etats d’origine des migrations. Les flux ont fortement diminué.

Constatons surtout l’aveuglement des « Livre blanc » sur la défense et la sécurité nationale sur les migrations

En effet, la problématique des migrations aurait dû être abordée largement dans les « Livre blanc » sur la défense et la sécurité nationale. Leur étude malheureusement montre qu’ils ont fait l’impasse sur les conséquences des migrations et surtout sur les décisions à prendre pour y faire face. Les « Livre blanc » de 2008 et de 2013 sont les symboles du grand aveuglement idéologique de notre société et de nos élites sur les questions migratoires.

Certes, sujet de peu d’actualité à l’époque, le Livre blanc de 1994 déjà abordait indirectement la problématique des migrations par le biais de la démographie qui était déjà un facteur préoccupant notamment en Afrique. Le poids des personnes déplacées était souligné avec 35 millions de personnes mais les flux de réfugiés n’étaient pas abordés. Il y était rappelé que, depuis le milieu de la décennie 80, l’Europe occidentale avait accueilli annuellement 800 000 à 1 million d’immigrants. Au titre de la sécurité nationale, l’influence possible des Etats d’origine sur ces groupes était aussi évoquée.

Cependant, les « Livre blanc » de 2008 et de 2013 ont simplement effleuré la problématique des migrations. La pensée stratégique et politique française s’est prudemment réfugiée derrière un projet européen pour répondre au phénomène migratoire mais dont on a vu l’échec lors des migrations de 2015.

Pourtant, avec la crise syrienne, nous aurions pu penser que le Livre blanc de 2013 prendrait cette problématique migratoire plus sérieusement. Cela n’a pas été le cas, d’ailleurs pas plus que la menace de l’islamisme radical. Deux exemples révélateurs d’aveuglements idéologiques.

En revanche, la revue stratégique sur la défense et la sécurité nationale d’octobre 2017 montre un infléchissement en abordant la notion d’immigration illégale dans le cadre de cette mise à jour de la pensée stratégique.

Nous pouvons donc nous poser légitimement la question du rôle des armées face à la pression migratoire

La mission première des armées est d’assurer la protection de la Nation contre toute menace de nature militaire. Les migrations peuvent-elle être interprétées comme une menace militaire justifiant un engagement actif des forces armées ?

Comme le précisait le Livre blanc de 2013 « Par menaces, on entend toutes les situations où la France doit être en mesure de faire face à la possibilité d’une intention hostile ». En soi, une migration n’est donc pas une menace militaire puisqu’il n’y a pas d’hostilité affichée. L’engagement des armées ne se justifie pas pleinement dans cette approche.

En revanche, le Livre blanc de 2013 définit le risque qui se comprend comme « tous les périls susceptibles, en l’absence d’intention hostile, d’affecter la sécurité de la France ».

A ce titre, les armées sont concernées par ce risque sur la sécurité nationale mais le seul domaine migratoire qui puisse faire l’objet d’une plus grande implication militaire est celui de l’immigration illégale, au moins dans le renforcement des autres acteurs institutionnels.

Outre leur légitimité à assurer la protection du territoire national, les armées restent donc nécessaires pour faire face à la pression migratoire au moins dans sa dimension illégale.

Deux cadres d’action pourraient être étudiés :

  • Le premier serait le renforcement accru des moyens de l’Etat par les armées notamment dans les domaines du renseignement et de la protection des frontières le plus en amont possible, qu’elles soient terrestres ou maritimes.
    Cela impose aussi un accroissement des moyens militaires pour compléter ceux qui sont déjà employés mais qui sont insuffisants dans le contexte sécuritaire actuel ;
  • Le second surtout aurait pour objet de définir une stratégie d’action dans un cadre interministériel. Outre le développement d’une dissuasion crédible à l’encontre notamment des passeurs mais qui doit être toute aussi crédible pour les candidats à l’immigration, il s’agirait d’anticiper des flux migratoires beaucoup plus importants provoqués par exemple par le dérèglement climatique. Les armées y trouveraient toute leur place.

Cependant, une action isolée des armées n’aura que peu d’effet et ne sera pas suffisante. En effet, cette stratégie d’action ne peut se concevoir que dans une approche globale du phénomène migratoire au moins au niveau de la France, ensuite au niveau européen.

Pour ma part, je pense que cette stratégie ne pourra avoir un réel effet que si le cadre juridique qu’il soit international ou national, est revu. Les armées comme les forces de sécurité intérieures agissent en démocratie dans un cadre légal. Or, aujourd’hui, les entraves juridiques à leur action sont multiples à travers une « guérilla juridique » menée par les acteurs associatifs favorables aux migrations et à l’immigration.

Il m’apparaît donc que le corpus législatif national et international ne répond plus au phénomène des pressions migratoires du XXIe siècle en cours ou à venir. Il devra évoluer pour que le territoire national soit effectivement protégé.

Enfin, les armées devront avoir un rôle plus important. Elles devront élaborer une doctrine adaptée dans le cadre d’une stratégie d’action interministérielle. Elles devront ensuite obtenir les moyens pour la mettre en œuvre.

Pour conclure

La pression migratoire quelle qu’en soit la forme remet aujourd’hui en cause la notion de souveraineté. Dans tous les cas, les forces armées seront de plus en plus nécessaires pour mettre en œuvre la volonté de l’Etat et faire respecter cette souveraineté. Elles doivent s’y préparer.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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