Poursuivons l’écriture pour se consacrer à la fête nationale et au lien entre l’armée et la Nation. Aujourd’hui nos armées sont à l’honneur avec les moyens qu’elles ont. Leurs valeurs guerrières sont honorées. Leur place dans l’action extérieure de la France est valorisée. C’est bien sûr le moment pour le chef des armées de transmettre ses messages de fraternité, d’union nationale, d’exprimer aussi son souci constant de préserver les capacités des armées et donc leur rang.
De nombreux anniversaires ou mises en valeur des armées contribuent aussi à faire de ce 14 juillet 2013 la fête de l’unité de la nation autour de son armée (Cf. Atlantico pour l‘historique du 14 juillet) : célébration de nos alliances (les cinquante ans du traité franco-allemand de l’Elysée, nos alliés africains), continuité historique de la France grâce à son armée et à ses faits d’armes (bataille de Camerone), adaptation permanente (création de la patrouille de France), efficacité opérationnelle (Mali), honneurs à ceux qui ont servi la France (création de l’ordre national du mérite, médaille de la résistance).
L’évolution du 14 juillet peut cependant laisser poindre quelques craintes sur sa caractéristique militaire future (Cf. Défense et République sur l’évolution du 14 juillet). La présence du service civique ayant succédé à un service militaire rejeté peut interpeller. Est-ce le regret d’un « service militaire pour tous » ? Apprendre à marcher au pas le 14 juillet semble en effet bien paradoxal dans ce cadre.
A titre personnel, je reconnais avoir apprécié cette journée du 14 juillet à Paris même jusqu’au plus tard de la soirée grâce notamment à un fort investissement des médias et des chaînes publiques. Ils ont bien rendu l’importance de cette journée sur les Champs Elysées et le Champ de Mars.
Médaille de la résistance et nouvelle commémoration
Cette période festive et guerrière ne doit pas ignorer le retour du débat sur la résistance et sur cette mise en valeur politique de la résistance intérieure. Qui a remarqué qu’une nouvelle commémoration de la résistance chaque 27 mai a été votée par le parlement, avec un avis favorable de la commission de la défense nationale et des forces armées ?
Pourquoi faire éloge de la résistance aujourd’hui ? Le conseil national de la résistance a été créé le 27 mai 1943, après la création de la médaille de la résistance le 9 février 1943. Certes il était un symbole d’unité mais le rapport parlementaire accompagnant la proposition de loi rappelle l’existence « des » résistances. Un CNR seulement en 1943 après une défaite en 1940, je n’oublie pas cet ouvrage historique d’Henri Amouroux « 40 millions de pétainistes » lu dans ma jeunesse.
J’ai eu la chance que ma famille, d’origine lorraine, ceci expliquant peut-être cela, ait été impliquée plutôt précocement dans l’expression de la résistance intérieure à l’occupant. Après tout, un membre de ma famille, étudiant à l’époque, aujourd’hui commandeur de la légion d’honneur, était sous l’Arc de triomphe le 11 novembre 1940, bien avant la bascule communiste du 22 juin 1941 contre l’occupant, bien avant l’engagement de beaucoup de Français après 1942 ou le débarquement de 1944.
S’agit-il de faire réapparaître l’image d’une résistance civile de l’intérieur, mobilisatrice, réunificatrice pour la reconstruction de la France, sujet peut-être d’actualité alors que les recherches des historiens ont montré une réalité bien moins glorieuse ?
N’oublions pas en effet cette grande solitude du général de Gaulle, tellement cité en exemple, après l’armistice de 1940 lorsque beaucoup de soldats l’ayant rejoint en Angleterre, sont retournés sur le continent l’armistice une fois signé. N’oublions pas non plus l’Armée secrète (Cf. wikipedia) créée en août 1942 et commandée par le général Delestraint (Cf. Terre Information Magazine de juin 2013) dont le nom est inscrit au Panthéon, son corps ayant été incinéré dans un camp de concentration nazi après son exécution. N’oublions pas l’organisation de résistance de l’armée (Cf. ORA) avec le général Frère créée après l’invasion de la zone libre le 11 novembre 1942.
En reprenant le rapport parlementaire et notamment les textes historiques annexés, constatons que le texte fondateur du 27 mai 1943 consacrait avant tout des militaires : le général de Gaulle, « âme de la résistance » comme chef du gouvernement, un autre militaire, le général Giraud comme commandant en chef de l’armée française. Le conseil de la résistance avait avant tout vocation à l’intégration des forces de la nation dans une « stratégie militaire globale ». La création du CNR aboutit finalement à l’abolition de la IIIe république, pourtant référence politique en 2012, au profit de la IVe République dont les « succès » sont connus notamment dans la décolonisation
Le 15 mars 1944 seulement, un programme était enfin annoncé visant un « ordre social plus juste » appelant au « châtiment des traitres », à l’épuration, par exemple aussi à la « la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction » en vue de promouvoir « une élite véritable non de naissance mais de mérite ». Que pensez-vous aujourd’hui de ce résultat ? Cela fait réfléchir.
De la réflexion sur la résistance
Instrumentaliser à nouveau l’histoire est-ce donc bien opportun dans l’incertitude sociale, économique, sociétale dans laquelle nous vivons ? Le mot « résistance » peut en effet amener à quelques réflexions. J’avais évoqué dans un blog précédent cet enseignement à la résistance dans nos écoles
Cf. Mes billets du
- 13 mai 2012, « La nécessaire réappropriation des symboles de la France et de la République»,
- 28 octobre 2012 « Que de réflexions à faire partager dans cette période écoulée»,
- 11 novembre 2012, « Retour de la guerre d’Algérie et anciens combattants»
Cette résistance de 1943 m’apparaît plutôt collective qu’individuelle. Or, la loi instituant cette 13e journée commémorative en France (Cf. L’Opinion), de fait mémorielle malgré les affirmations contraires du rapport, vise à faire réfléchir les collégiens et les lycéens sur la résistance. Donc l’éducation nationale enseignera ce qu’est la résistance d’un peuple et surtout le positionnement individuel de l’élève qui peut conduire à ne plus accepter le modèle social existant. La résistance individuelle vient de fait se nicher au cœur de notre République et conditionnera la cohésion nationale.
Le mot « résistance » a d‘ailleurs été largement utilisé contre Nicolas Sarkozy lors de son mandat de président de la République. Je l’ai entendu sous la présidence Hollande pour des questions de société. Cela pose la problématique de la légitimité à résister ou pas en fonction de la situation juridique du moment. Sujet de débat potentiel pour aujourd’hui.
Il est vrai cependant que faire de la résistance n’est pas de se rebeller bien que la question du passage à l’acte doit être posée : désobéissance civile, actes pacifiques, actes violents. La résistance se justifierait lorsque le contrat social entre les gouvernants et les gouvernés ne paraît plus être respecté selon ces derniers. Lorsqu’on n’est pas écouté, cela peut conduire à une action de résistance.
L’éducation à la résistance non collective mais en fonction de l’engagement personnel du citoyen pourrait donc bien conduire à une révolution institutionnelle, sociétale. L’incompréhension donne le sentiment que rien ne peut être changé et conduit à la légitimité du chaos à partir duquel un nouvel ordre émergera, « ordo-ab-chao ». Très 1789 tout cela !
De la place du militaire et de la pertinence de sa militarité
Dans ce contexte du 14 juillet, journée privilégiée des relations entre l’Armée et la Nation, revenons aux militaires et à leur place dans la société, à la préservation aussi de leur militarité pour reprendre un terme que les gendarmes aiment bien utiliser. L’esprit de résistance doit aussi s’affirmer dans la préservation des missions des armées notamment, celles de protéger la population et le territoire national.
J’invite à lire l’article que j’ai publié dans le bulletin de juillet de l‘association nationale des officiers de carrière en retraite (ANOCR). Il développe le thème de la responsabilité de protéger incombant aux militaires à partir du Livre blanc de 2013. Pourquoi invoquer la responsabilité de protéger les populations à l’étranger alors que cette mission échappe de plus en plus aux militaires des trois armées sur le territoire national ?
A titre d’exemple, la mission de protéger le territoire national peut être évoquée à travers l’engagement militaire en Guyane. La revue mensuelle TIM de juin 2013 que j’invite chacun à lire témoigne de cet affaiblissement de cette mission de protection y compris par des forces militaires. Les opérations militaires en Guyane montrent la difficulté aujourd’hui de lutter contre la délinquance locale d’origine étrangère et d’assurer la sécurité des frontières. Cela s’apparente au mythe de Sisyphe : faire appliquer les lois républicaines sur le territoire national. Quel est le risque encouru par ces délinquants ? Aucun ou presque. Comment dissuader cette immigration irrégulière et délinquante dans le cadre de nos lois actuelles dans la mesure où l’impunité règne de fait ?
Je finirai par cette anecdote vécue il y a quelques jours et qui touche à notre militarité. Rencontrant deux militaires allemands en treillis de la brigade franco-allemande sur la voie publique près de l’Ecole militaire. Tous deux me saluent immédiatement. Or, je ne constate pas tous les jours cette expression de la militarité des cadres militaires français que je rencontre. Cela fait réfléchir alors que le pacifisme allemand, le manque d’engagement militaire de l’Allemagne sont souvent dénoncés (même par moi, je le reconnais). Il n’empêche que leurs soldats restent fiers de ce qu’ils représentent. En ce jour de fête nationale française où ils ont défilé sur les Champs Elysées, interrogeons-nous sur notre militarité revendiquée et sur sa réalité.
Je pourrai conclure sur l’analyse de Nathalie Guibert dans le Monde du 13 juillet 2013, « Le moral en berne de l’armée française » qui cite le général Desportes : « On est dans une crise profonde du moral », assure le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre: « L’ambiance est à couteaux tirés entre les armées – chacune essayant de tirer son épingle du jeu –, la mésentente règne entre la hiérarchie et le cabinet du ministre, des officiers veulent quitter l’institution, la base n’a pas confiance dans la hiérarchie ». Pour lui, « dans un corps social qui n’est pas autorisé à parler, c’est explosif».
Le discours du président de la République du samedi 13 au soir (et du 14 midi) visait manifestement à rétablir ce lien de confiance avec les armées. Il s‘est engagé à rencontrer le conseil supérieur de la fonction militaire pour répondre au divorce montant sur la condition militaire. Des signes d’apaisement sont apparus, sans entrer dans les détails. Il me semble néanmoins qu’un lieutenant-colonel s’étant exprimé vient d’être débarqué d’une prochaine affectation correspondant pourtant à ses compétences.
Alors unité nationale le 14 juillet autour de son armée ? Sûrement. Autour du pouvoir politique, peut-être. Néanmoins, le très beau défilé du 14 juillet s’est achevé sur les chants interprétés par le chœur de l’armée française « Paris en colère », celui des partisans…, y compris par les jeunes du service civique. Alors patrie en danger, résistance, mobilisation… révolution ? Finalement, malgré le beau temps de ce 14 juillet et l’optimisme qui devrait régner à l’issue de cette belle fête nationale, j’aurai donc quelque inquiétude pour notre avenir à défaut d’être totalement pessimiste.
NB Bien que la magnifique Marseillaise interprétée par Roberto Alagna et les autres artistes sur le Champ de Mars de ce 14 juillet redonnerait bien l’espoir devant cette foule immense !