Le Maghreb, a été amené à tenter de s’organiser par la création en 1989 de l’Union du Maghreb Arabe, organisation économique et politique formée par cinq pays : la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Lybie.
Sa superficie est d’un quart plus vaste que celle de l’Union européenne. Sa population était d’un peu plus de 90 millions d’habitants en 2012. Les Nations Unies prévoient une augmentation de 50% qui la porterait à 150 millions d’habitants d’ici 2050.
On voit aussitôt les avantages d’un tel regroupement :
- Un très vaste territoire ;
- Une homogénéité culturelle, avec notamment une unité linguistique et religieuse ;
- Une élite culturelle et politique ancienne ;
- Une population jeune, généralement bien éduquée et en pleine expansion ;
- Des moyens financiers, grâce aux ressources naturelles ;
- Un important potentiel énergétique, industriel et agricole ;
- La proximité des marchés européen et africain ;
- Le soutien de la communauté internationale.
Et pourtant c’est un échec.
Un échec politique, puisque le Conseil des chefs d’États ne s’est plus réuni depuis 1994, malgré une tentative tunisienne de 2012 vite avortée, l’Algérie voyant d’un mauvais oeil la tentative du Président tunisien d’aborder les problèmes de fond comme ceux du différent du Sahara occidental marocain.
Mais surtout un échec économique. Le FMI évalue en 2011 le PIB de l’ensemble des pays du Maghreb – bénéficiant pourtant de la manne des hydrocarbures libyens et algériens – à 0,57% du PIB mondial, à peu près 2,5% des PIB de l’UE (2,4%) et des USA (2,72%).
Depuis 1989, les échanges commerciaux inter maghrébins ne dépassent pas 2 à 3%, quand ils atteignent de 50 à 70% avec l’Europe. Les experts indiquent que l’Algérie importait en 2011 0,6 % de ses produits agroalimentaires du Maroc, mais 40 % de France et d’Espagne…
Selon le FMI ce commerce intermaghrébin compte en 2011 pour 0,8 % pour l’Algérie, pour un peu plus de 1 % pour le Maroc autour de 1,5 % pour la Tunisie. Avec une moyenne de 1,3 % de leurs échanges extérieurs, c’est le taux régional le plus bas du monde.
Or la complémentarité est évidente : comme le rappelle un expert, si le Maroc détient par exemple près de la moitié des réserves mondiales de phosphates, il faut pour les transformer en engrais de l’énergie, du souffre et de l’ammoniaque, trois éléments que l’Algérie pourrait fournir sans problème.
Cette paralysie des circuits d’échange fait perdre de 2 à 3 points du PIB aux pays de la région. Des dizaines de milliers d’emplois ne sont pas créés, les seuls déficits budgétaires occasionnant un déficit d’au moins 200.000 emplois par an.
Cet impact négatif doit aussi tenir compte des effets cumulatifs dus aux économies d’échelle, et du peu d’attrait de la zone pour des investisseurs potentiels intéressés par des marchés de dimensions concurrentielles et rentables pour eux.
Ce manque de dynamisme économique encourage par ailleurs la fuite des capitaux – on compte 150 Milliards de $ d’épargne nationale des pays maghrébins stockée dans des banques étrangères – mais aussi la fuite des hommes, avec l’émigration et la dispersion de l’intelligentsia maghrébine (chercheurs, professeurs, hommes d’affaire, entrepreneurs…),.
Enfin, et nous rejoignions ici le politique, le Maghreb désuni a moins de poids pour dialoguer avec les autres puissances et pour faire valoir sur une scène internationale marquée par la mondialisation les intérêts communs de la région.
Pour Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), « Un Maghreb qui assure la libre circulation des biens et des services offre les possibilités infinies d’un marché d’environ 90 millions de personnes ».
Le rapport 2009 de la Banque mondiale souligne que l’intégration maghrébine pourrait permettre une croissance du Maghreb de plus de 3 à 4% du PIB hors hydrocarbures, gagnant ainsi plusieurs points.
Dans une étude prospective 2005-2015, elle considérait que l’intégration aurait été en mesure d’accroître le PIB réel par habitant de 34% pour l’Algérie, de 27% pour le Maroc et de 24% pour la Tunisie.
L’intégration économique de la région lui ferait gagner 5 milliards de $ en investissement.
Le seul secteur électrique pourrait économiser près de 25% de sa production si les centrales électriques maghrébines étaient totalement intégrées.
La comparaison des échanges entre les cinq pays du Maghreb et ceux observés dans certains regroupements régionaux de pays en développement fait ressortir un manque à gagner annuel de presque 980 millions de dollars.
Quant aux exportations, pour le seul secteur agricole, leur augmentation pourrait atteindre les 45%, près de 1% du PIB net agricole du Maghreb.
La Commission économique pour l’Afrique a conclu que l’UMA devenue effective devrait permettre la multiplication par 10 du volume des exportations dans cet espace.
Face à cette attente, le soutien international à l’intégration intermaghrébine est toujours aussi fort. En 2012 la Commission européenne a adopté une communication
Par ailleurs, le Maghreb a perdu de son poids économique dans le monde. Ses exportations représentaient environ 2% des exportations mondiales en 1980, elles représentent moins de 0,5% en 2012. La région est importatrice nette de céréales, ce qui dans le monde actuel est une menace.
sur le soutien du renforcement de la coopération et de l’intégration régionale au Maghreb.
Les évènements dits du « printemps arabe » (en Tunisie et Lybie notamment) ont renforcé dans l’UE l’idée qu’il faut favoriser une intégration dans la région du sud de la Méditerranée.
Ce soutien s’explique par la volonté de disposer de partenaires économiques stables, mais les interlocuteurs étrangers sont sensibles parallèlement à la sécurisation de la région.
C’est pourquoi, en 2013, l’UE et l’UMA ont envisagé une coopération plus étroite dans le domaine de la sécurité internationale, à la lumière des événements qui ont eu lieu au Sahel et de l’augmentation des trafics illicites dans la zone.
C’est une des questions importantes. Pression démographique, problèmes de logement, faiblesse des investissements directs étrangers (IDE), chômage endémique des jeunes, notamment diplômés, tous les pays du Maghreb souffrent des mêmes maux.
Des millions de jeunes continuent d’arriver sur le marché du travail, quand un grand nombre d’entre eux est déjà au chômage.
La Banque mondiale a évalué à 8 millions le nombre d’emplois à créer entre 2010 et 2020 pour répondre aux besoins de ces nouveaux arrivants. Cela imposerait, pendant deux décennies, un rythme de croissance plus élevé que celui de la Chine. Selon certains experts, le PIB maghrébin devrait quadrupler horizon 2020 si l’on veut éviter des tensions sociales de plus en plus vives.
Par ailleurs, l’absence d’intégration nuit au traitement collectif de problèmes qui dépassent les frontières nationales : immigration, trafics en tout genre (dont le narcotrafic), criminalité internationale et terrorisme…
En avril 2013, les ministres de l’Intérieur de l’UMA ont adopté un projet de stratégie sécuritaire avec notamment le renforcement de la lutte contre les trafics de drogue, la lutte contre le financement des terroristes et un partenariat entre États du Maghreb et du Sahel.
Il n’est pas indifférent de noter qu’ils ont rappelé dans ce cadre la nécessité de mettre en oeuvre la résolution adoptée en septembre 2012 par le conseil des ministres des Affaires religieuses de promouvoir l’école de pensée malékite de l’Islam, dont on connaît les liens privilégiés avec la dynastie marocaine, pour protéger les sociétés maghrébines du radicalisme.
Mais la mise en place de ces dispositions suppose d’aller plus loin dans l’intégration. Nécessité vitale pour les populations comme pour la sécurité de la zone, l’UMA doit rapidement progresser. Deux éléments expliquent les lenteurs de sa mise en place.
Le premier élément relève de la politique de certains Etats qui disposent d’une rente grâce aux exportations de leurs vastes ressources en hydrocarbures. Pouvant ainsi satisfaire leurs dirigeants et acheter la paix sociale, ils négligent de bâtir de vrais projets d’avenir pour leurs peuples.
De plus, une intégration régionale suppose des règles de transparence, de libéralisation des échanges, d’harmonisation juridique et de bonne conduite auxquelles certains ne sont sans doute pas prêts à se plier.
L’autre cause de cette lenteur est l’abcès de fixation que représente l’affaire du Sahara. On ne reviendra pas sur l’artificialité d’un conflit dont les acteurs indépendantistes ont été largement manipulés, soit par l’ancienne puissance colonisatrice, l’Espagne, soit par l’Algérie voisine.
Ce qui est certain c’est que quarante ans après le début de ce conflit, deux politiques s’affrontent.
La première reste figée sur une prétendue situation initiale largement caricaturée. Elle veut à toute force tirer de cette pseudo-réalité les solutions de demain.
La seconde tient compte du fait que tout a changé au Sahara depuis les années 70 : les rapports de force géopolitiques ne sont plus ceux de la guerre froide, l’économie mondiale n’est plus la même, les populations de la zone ont évolué, de nouveaux dangers sont apparus.
Dans ce cadre, continuer de vouloir créer une entité saharienne séparée du Maroc semble totalement contre-productif. Les dirigeants actuels du Front Polisario, de leur propre aveu, repris par le secrétaire général de l’ONU dans son rapport d’avril 2013, sont incapables d’assurer la sécurité des patrouilles de la MINURSO.
Ils se sont montrés incapables d’assurer celle des représentants des ONG dans leurs camps de Tindouf en Algérie, des camps où, selon le rapport cité, « on sait peu de choses sur la situation des droits de l’homme ». Ces dirigeants, parce qu’ils n’offrent guère de perspectives aux jeunes des camps, en font des cibles potentielles au recrutement des réseaux criminels ou terroristes qui prospèrent. On voit mal l’apport à la nécessaire politique d’intégration du Maghreb que représenterait leur arrivée sur la scène internationale.
Face à cela, un Maroc à qui son évolution en matière de droits de l’Homme permet, comme en fait mention le rapport cité du Secrétaire général, de garantir la sécurité de zone sous son contrôle, tout en collaborant de manière efficace avec les institutions onusiennes.
Un État qui est un poids lourd de la sécurité dans la région, un État qui mène une politique orientée sans ambiguïté vers la promotion d’un Islam modéré.
Un État qui a proposé un Plan d’Autonomie qualifié par ses interlocuteurs onusiens de « sérieux et crédible », respectueux des souverainetés comme des identités, et qui s’intègre naturellement dans l’indispensable perspective de coopération intermaghrébine.
Plus que jamais, comme l’a rappelé en avril 20123 le Secrétaire général, il importe de résoudre ce conflit du Sahara et favoriser de ce fait l’intégration maghrébine. L’avenir harmonieux des populations concernées, qui tireront enfin les avantages économiques de l’UMA, et la sécurité de la région, l’imposent.
Professeur Christophe BOUTIN
Membre de l’Observatoire d’Etudes Géopolitiques
Discours prononcé à l’ONU, 4e commission, New York, le 9 octobre 2013