Ma réflexion sur le Moyen-Orient engagée dans l’ouvrage publié le mois dernier « Blocus du Qatar : l’offensive manquée » (Cf. Mon billet du 18 septembre 2018) se poursuit (Cf. aussi la recension sur le portail de l’intelligence économique). Les événements survenus depuis sa rédaction finale confirment cette instabilité permanente sinon croissante qu’il faut suivre et qui ne peut pas rassurer.
À l’aune de ces tensions, le conflit limité qui oppose l’Arabie saoudite et les EAU suscite peu d’intérêt de la communauté internationale malgré des conséquences économiques réelles, bien qu’il persiste et que la guerre économique n’ait pas cessé (Cf. L’Opinion internationale du 27 septembre 2018 qui publie des extraits, notamment sur la menace pesant sur l’organisation de la coupe du Monde de football de 2022).
En tout état de cause, les événements se succèdent et chaque zone de tension doit être intégrée dans le contexte général du Moyen-Orient. Aucune d’entre elles ne peut être isolée compte tenu des conséquences possibles sur les zones voisines.
Un statu quo précaire sinon temporaire en Syrie et un Irak en voie de normalisation
Sur le théâtre d’opérations syrien, l’accord russo-turque du 17 septembre a gelé l’offensive qui se préparait contre Idlib. Cette zone symbole qui a vu le début de la révolte en 2011, est contrôlée par l’opposition syrienne mais surtout par les djihadistes d’al-qaïda qui constituent la majorité des 10 000 combattants estimés. La Turquie quant à elle s’efforce de protéger les milices modérées tout en neutralisant les milices djihadistes, condition incontournable de la Russie pour préserver cette région au moins d’une offensive dans l’immédiat.
Cependant, l’aviation israélienne a encore frappé des objectifs iraniens en Syrie, avec pour dommage collatéral la destruction par la défense anti-aérienne syrienne d’un avion de renseignement russe. La première conséquence est le nouveau déploiement de systèmes de défense antiaériens S-300 russes au profit de l’armée syrienne. Leur fourniture avait été gelée en 2013. Israël a exécuté plus de 200 frappes au cours des dix-huit derniers mois.
Je note enfin que l’Irak semble retrouver une stabilité politique avec un nouveau président kurde et un nouveau Premier ministre, Adel Abdoul Mahdi, un économiste de 76 ans, né à Bagdad, qui s’était exilé en France en 1969. Il s’agit de faire face désormais à l’instabilité sociale et aux besoins de la reconstruction.
Des tensions critiques dans la zone israélo-palestinienne
Nul doute que la recherche du plan de paix porté par les Etats-Unis et notamment par Jared Kushner, conseiller pour le Moyen-Orient et gendre de D. Trump soit en arrière-plan de ces tensions. Le président palestinien Mahmoud Abbas veut obtenir le contrôle de la bande de Gaza tenue par le Hamas, mouvement qualifié de terroristes par plusieurs États, et fait pression sur la population palestinienne, mesure après mesure. 53% de la population est au chômage dont 70% de jeunes en raison de l’embargo israélo-égyptien. Selon la Banque mondiale, 79% de sa population dépend d’une aide gouvernementale.
La crise de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, se confirme. La décision des Etats-Unis, de suspendre leur participation financière, soit 30% de son budget, compromet la poursuite de ses activités en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, à Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Il faut cependant rappeler que le statut de réfugié palestinien se transmet automatiquement, de génération en génération. Lors de sa création en 1949, l’UNRWA fournissait assistance et protection à 750 000 Palestiniens déplacés. Aujourd’hui, elle répond aux besoins quotidiens de 5,3 millions de réfugiés. Faut-il s’étonner que soixante-dix ans après, une lassitude s’exprime devant un tel statu quo… qui entretient des faux-espoirs ? La realpolitik s’exprime désormais par la voix des Etats-Unis et par la stratégie à long terme d’Israël. La loi votée par la Knesset le 18 juillet 2018 entre dans cette stratégie de recomposition régionale et de sortie de crise. Elle définit constitutionnellement Israël comme « foyer national du peuple juif ». Il définit Jérusalem comme la capitale » complète et unifiée « d’Israël et n’accorde à la langue arabe qu’un statut spécial et faisant de l’hébreu, la seule langue d’État.
Un Iran qui renoue avec le terrorisme
Pour sa part, l’Iran « révolutionnaire » subit à la fois des attentats et les organise. Ainsi, après sa mise à l’index, il est de nouveau tenté par le terrorisme et la radicalisation. La tentative d’attentat en France de juin 2018 contre des opposants iraniens n’était franchement pas une idée pertinente. Elle a renforcé les accusations d’Israël, des Etats-Unis et de ses voisins arabes bien que l’Iran ait subi ce 22 septembre pour la seconde fois en un an à Ahvaz un attentat islamiste, suscitant des représailles balistiques en Syrie contre des cibles djihadistes. Bien sûr, Téhéran a désigné l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis comme les commanditaires de l’attentat.
En même temps, la France découvre sans doute avec stupeur qu’il existe un centre chiite radicalisé sur son territoire. Elle n’a pas non plus d’ambassadeur en Iran et l’ambassadeur iranien en France a été rappelé. La situation conflictuelle entre l’Iran et la France des années quatre-vingt semble se répéter.
Un affrontement non militaire croissant entre les Etats-Unis et l’Iran
Si le contexte moyen-oriental est élargi au reste du monde, les Etats-Unis maintiennent leurs pressions sur l’Iran suscitant par ailleurs la recherche du contournement des sanctions économiques établies depuis début août et qui devraient être renforcées début novembre. En particulier, l’Union européenne étudie de délaisser le paiement en dollars des biens échangés
La bataille est cependant aussi juridique. Comme le Qatar contre le blocus exercé par les EAU, l’Iran a porté les mesures économiques à son encontre devant la CIJ. Les États ont gagné diplomatiquement (23 juillet 2018 pour le premier, le 5 septembre pour le second) mais les décisions favorables obtenues ne s’imposent pas. Finalement les Etats-Unis, comme la Chine en mer de Chine ou les EAU, ne se soumettront pas aux décisions de la CIJ. Le droit international s’applique difficilement aux États puissants.
Un affrontement militaire indirect au Yémen et une Arabie saoudite sur la sellette
Toujours dans le domaine juridique, l’Arabie saoudite est soumise aux critiques négatives de l’ONU compte tenu des frappes au Yémen. Sous sa pression, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a limité le 28 septembre son action à la prolongation d’un an du mandat d’un groupe d’experts enquêtant sur de possibles crimes de guerre. Depuis le début de la guerre en mars 2015, la coalition arabe a effectué 18 000 raids aériens selon l’organisation Yemen Data Project. Ces bombardements frappant les populations et associés au blocus des côtes participent de cette stratégie d’usure des houthistes.
Beaucoup des matériels utilisés sont américains, suscitant la colère du Congrès américain. En mars 2018, l’administration Trump avait su mettre en échec une résolution sénatoriale visant à mettre fin au soutien logistique apporté par les Etats-Unis à la coalition arabe en guerre contre la rébellion houtiste soutenue par l’Iran.
Se pose aussi le débat moral sur les exportations européennes d’armes à l’Arabie saoudite sinon aux EAU (Cf. Le Monde du 13 mars 2018, « La France, troisième exportateur mondial d’armement ») qui se heurtent aux réalités économiques. Les firmes européennes ont exporté entre 2001 et 2015 pour 57 milliards d’euros d’armements vers Riyad, deuxième plus gros importateur mondial, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). Cela concerne aussi bien l’Allemagne, que l’Espagne, le Royaume-Uni ou la France (Cf. Le Monde du 2 octobre 2018 : « Arabie saoudite Timide embarras des pays européens sur les ventes d’armes »).
Pour Paris cependant, « l’Arabie saoudite n’est pas un client mais un allié ». Le président Macron estime que les contrats signés par le passé doivent être respectés. Riyad a été le deuxième client de la France pour les prises de commandes sur la décennie 2007-2016. Les EAU, avec qui la France a un accord de défense, représentent son sixième client.
Pour clore ce billet, constatons que la paix au Moyen-Orient reste précaire mais que nous assistons à une redistribution progressive des cartes dans cette région sans que cela n’exclue de nouveaux affrontements militaires en « ultime recours ».
Ayons enfin une pensée pour Antoine Sfeir, journaliste franco-libanais, spécialiste du Proche-Orient, décédé le 1er octobre 2018. Il avait créé « Les Cahiers de l’Orient » en 1985. Dans son passé de journaliste, il avait aussi été kidnappé et torturé en 1976 par une milice palestinienne prosyrienne.