« La France est un magnifique pays » a déclaré ce vendredi 20 février Abderrahmane Sissako, réalisateur du film « Timbuktu » et césar du meilleur film 2015. Comment ne pas en être convaincu tout en étant lucide sur ses faiblesses ? Pour que notre pays reste magnifique et finalement envié, il faudra cependant faire preuve de combattivité pour cet objectif commun.
De l’intérêt général
Le premier combat sera sans aucun doute celui de la signification de l’intérêt général, souvent évoqué dans le débat sur la loi Macron et auquel la communauté militaire attache beaucoup d’importance. Le sens donné par Rousseau et auquel nous nous référons souvent est-il compatible avec l’évolution de notre société ? Cet intérêt général redéfini avec clarté, ce qui ne sera pas une mince affaire, devra aussi inclure la notion de contrainte que je qualifierai de « sociale ». La société, c’est-à-dire nous, par nos élus que nous devons contrôler, doit imposer les règles pour la défense de cet intérêt général.
Par ailleurs, peut-on au nom de l’intérêt général insérer de multiples amendements dans un projet de loi alors que leur lien est plutôt lointain ? Hier c’était l’inclusion dans la LPM d’un amendement bien pratique pour la cybersécurité, aujourd’hui le changement des jours fériés dans les départements outremer qui ressemble furieusement à une action d’extrémistes laïques si je regarde la cible. Les préfets des cinq départements d’outre-mer pourraient substituer des « jours fériés locaux » à « sept des onze fêtes légales inscrites dans le code du travail, 1erJanvier, lundi de Pâques, Ascension, Pentecôte, Assomption, Toussaint, Noël) ». (Cf. Le Monde du 21 février 2015) dont essentiellement chrétiennes. Peut-on faire une nation si l’on différencie les communautés ainsi ?
L’exemple du Danemark est aussi à ce titre intéressant. Nous n’avons pas subi en France cet hommage rendu au djihadiste meurtrier (Cf. article très instructif du Monde du 18 février, Danemark : l’émotion et ceux qui la refusent). Des centaines de personnes lui ont rendu hommage, sans complexe ni honte. D’autres ont publiquement considéré cet assassin comme un héros. Il y a donc un choix de société à faire. Celle-ci impose ses normes et définit le seuil, bien fluctuant aujourd’hui malheureusement, entre libertés individuelles et vie au sein d’une société. Or celle-ci impose des devoirs, notamment d’adhésion et ne donne pas seulement des droits. On ne reçoit pas sans donner ou bien on s’exclue ou on est exclu.
La France et la dissuasion nucléaire
Cette semaine a vu le président de la République réaffirmer comme ses prédécesseurs la position française sur la dissuasion nucléaire (Cf. Discours du 19 février 2015). Je ne peux que regretter que sa seule référence soit François Mitterrand sur ce sujet. Le général de Gaulle aurait été plus approprié mais s’il faut donner des gages à une majorité politique en déshérence avant les élections du mois de mars, cela se comprend.
Quatre points apparaissent dans ce discours. La seule cible de la dissuasion nucléaire est représentée par les États non dotés de l’arme nucléaire, faisant partie du TNP et respectant leurs engagements internationaux en ce domaine. Implicitement, cela milite pour des forces conventionnelles conséquentes et conduit à des engagements extérieurs renouvelés, multiples comme en Irak (Cf. L’Opinion) malgré le rejet de 2003…
La dissuasion nucléaire est indispensable dans ses deux composantes. Elle est une garantie pour la paix mais cette position n’exclue pas la recherche du désarmement qui ne peut pas être unilatéral.
La dissuasion française va aussi « de pair avec le renforcement constant de l’Europe de la Défense » mais les intérêts vitaux sont seulement appréciés par la France. La France « offre » sans l’aval de ses partenaires sa protection nucléaire.
Enfin, François Hollande a souligné que l’Alliance Atlantique avait une vocation nucléaire. Les forces stratégiques indépendantes, comme la France et le Royaume-Uni, y avaient un rôle spécifique et donc contribuaient à la dissuasion globale.
La dissuasion offerte unilatéralement à l’Europe n’empêche pas son corollaire avec ce rappel à l’ordre de Jean-Yves le Drian qui appelle les Etats de l’Union européenne à assumer leurs responsabilités en terme de défense (Cf. La Voix du Nord). La France est une puissance militaire mais aux moyens limités. Elle ne peut être sans contrepartie le gendarme de l’Europe dans la sphère de sécurité de celle-ci. D’un autre côté sir l’Union européenne ne veut pas faire d’effort, peut-on continuer cet effort dans le nucléaire au détriment des forces conventionnelles ?
Mur des c**s, CEDH et syndicalisme militaire
Rapprochement osé mais pas tant que cela. Je ne peux m’empêcher en effet de réagir sur l’affaire du mur des cons. Le parquet avait requis un non-lieu mais une juge d’instruction renvoie cette affaire en procès cette semaine (Cf. Le Figaro du 19 février 2015). Bien sûr, le parquet fait appel. Cependant, cela est très bien, notamment pour le général Philippe Schmitt qui avait été à « l’honneur » sur ce mur d’infamie et peu glorieux du syndicat de la magistrature.
En revanche, le parquet peut-il agir de sa propre initiative… pour protéger le syndicat de la magistrature ? Question ouverte. Cela conduit cependant à revenir sur l’indépendance du Parquet en évoquant la CEDH. Celle-ci a considéré à plusieurs reprises que le statut du parquet était en contradiction frontale avec les exigences de la Cour européenne (dernier arrêt en date du 27 juin 2013). La loi de juillet 2013 selon les commentateurs n’a pas changé grand-chose sans entrer dans les dernières péripéties juridiques sur ce sujet.
En revanche, la France donne suite à l’avis de la CEDH favorable à la création d’un droit d’association aux militaires. Un lecteur de ce blog s’étonnait que je demande notre départ de cette institution au nom de notre souveraineté (Cf. Mon billet du 21 décembre 2014). Finalement, la CEDH arrange le politique et cela confirme la volonté unilatérale sous couvert de la CEDH d’imposer aux armées une réforme sociétale.
Sur la CEDH, ma réaction n’est pourtant pas isolée. David Cameron, à son niveau bien entendu, a réitéré la volonté britannique de quitter cette instance. Les conservateurs britanniques contestent ce pouvoir d’interprétation des lois que se sont donné les juges de Strasbourg. Il interfère avec le pouvoir législatif et met en cause la souveraineté du Parlement britannique, dans notre cas, le Parlement français.
Pour en revenir au rapport Pêcheur, l’audition du conseiller d’Etat Pêcheur (Cf. Audition du 20 janvier 2015), et son appui à cette évolution « associative », a montré le doute des députés sur cette démarche. L’exemple des armées étrangères (Cf. Audition du 21 janvier 2015) peut inquiéter aussi sur l’évolution inéluctable à terme de ces associations professionnelles nationales de militaires.
Ces auditions, y compris devant le Sénat, montrent les craintes de l’exécutif qui n’a pas voulu trancher ou a voulu faire une réforme à bon compte. Les arguments pour agir et les modes d’action pour cette syndicalisation rampante ne peuvent donc qu’être contestés. Je vous invite à lire vous-même ces auditions pour vous en rendre compte.