Suite à la publication du rapport sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services du renseignement le 14 mai, l’ANA-INHESJ avait invité le député Urvoas, l’un des deux rapporteurs, à présenter ce rapport le 19 juin à l‘Ecole militaire. Soirée intéressante bien entendu.
Comme l’a souligné le député (Cf. aussi le Point du 10 juin), il s’agit du premier travail de ce type depuis 1958. C’est cependant une vision de la commission des lois et non de la commission de la défense et des forces armées. Il est aussi une conséquence de l’affaire Mérah.
Ce rapport non-partisan a été réalisé en sept mois. Développant l’historique contemporain du renseignement en France, il s’est appuyé notamment sur des réunions qui n’ont pas fait l’objet de procès-verbaux ce qui a permis une totale liberté de parole. Il établit les lacunes des services de renseignement en général (environ 13 000 personnes) tout en faisant plusieurs propositions pour disposer à terme d’un secrétariat au renseignement.
Quelques remarques
Les services de renseignement en tant que tels sont mal encadrés par des textes juridiques d’un rang insuffisant ou non publiés. Le premier décret a été celui de la DGSE en 1982. Elle peut travailler sur le territoire national depuis 1964 par un décret non publié.
La menace sur l’anonymat des agents des services de renseignement notamment par les médias et malgré la loi est fortement évoquée par les parlementaires. Ce problème auquel sont confrontés les services de renseignement revêt également une origine interne. D’anciens agents publient les souvenirs de leur vie professionnelle antérieure alors même qu’ils sont, au même titre que les personnels en poste, soumis au secret de la défense nationale. Le député Urvoas s’est étonné que les informations concernant le renseignement faisant l’objet de fuite ne soient pas l’objet de poursuites par l’Etat.
Le monde judiciaire et le monde du renseignement apparaissent aussi, au premier abord, inconciliables avec une grande intrusion des magistrats dans la communauté du renseignement. Les agents ont le sentiment de n’être pas suffisamment protégés sur le plan juridique. Je remarque que les militaires sont aussi en attente d’une meilleure protection juridique. L’appareil d’Etat et son fonctionnement sont aujourd’hui menacés par une forme d’inhibition qui pourrait influencer leurs actions.
Par ailleurs, sur les modes d’action, dans le cadre des interceptions par exemple, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné d’autres Etats. Il y a donc un risque pour la France d’être condamnée par le juge administratif dans ce domaine. Il est rappelé cependant que leur contingent a été limité à 1840 individus dont 79% pour le ministère de l’Intérieur et 21% pour le ministre de la défense ou le ministère du budget. Elles sont normalement soumises à autorisation de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), mais en 2011, sur 6 396 sollicitations, 55 seulement ont reçu un avis défavorable.
La réforme de la DCRI en 2008 n’a pas forcément abouti car on « ne fait pas une réforme contre les personnels » (dans les armées, ce serait plutôt le contraire, reconnaissons-le). Une clé serait aussi dans son recrutement. Pour entrer dans le renseignement intérieur, il faut être policier et donc passer les concours de la fonction publique. Cela empêche l’accès à de nombreuses expertises.
Sur le renseignement militaire, le rapport évoque peu de difficultés. Cependant l’affaiblissement de la place des militaires se confirme à la DGSE. En 2012, les effectifs civils représentaient 72 % du total des personnels.
Enfin, l’État a été rendu potentiellement sourd et aveugle dans l’anticipation de phénomènes sociaux que ce soit par les Renseignements généraux ou la gendarmerie qui assuraient l’acquisition de « l’information générale ». Le rapport a aussi évoqué de nombreux griefs réciproques entre SDIG et gendarmerie nationale.
Des propositions
Légiférer est donc nécessaire pour protéger les personnels et sécuriser les outils. Les services de renseignement, faute de textes législatifs adaptés à certains aspects de leurs activités, sont parfois contraints d’agir en dehors de tout cadre juridique.
Le contrôle politique doit être affirmé pour s’assurer que les « services » ne soient pas dévoyés dans leurs missions en contrôlant la légalité et la proportionnalité de l’usage du renseignement en fonction de la menace. Cela ne semble pas manquer d’intérêt aujourd’hui.
Le rapport propose de créer un secrétariat général du renseignement relevant du Premier ministre et dirigé par le coordonnateur du renseignement ainsi qu’une inspection des services de renseignement.
Il est proposé de créer une Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, proposition retenue, Cf. L’Opinion du 17 juin 2013), relevant directement de l’autorité du ministre de l’Intérieur, à la fois pour simplifier la chaîne de commandement et placer ce service de renseignement intérieur sur un pied d’égalité (administrative) avec le service extérieur. Il faut d’ailleurs noter que la fusion DGSE et DCRI dans un grand service du renseignement est rejetée par les deux organismes.
Sur le terrain, il faut repenser en particulier le renseignement de proximité. La Sous-direction à l’information générale (SDIG) « a été injustement traitée et exclue de la communauté du renseignement ». Il s’agirait de coordonner cette information issue de la SDIG et de la gendarmerie par un préfet délégué à la sécurité qui animerait une « cellule régionale de coordination des activités de renseignement ». Il serait placé auprès du préfet de région. On pourrait s’étonner de voir à nouveau un préfet en charge du renseignement (Cf. le Point du 18 mai 2013) pour coordonner le renseignement policier et celui de la gendarmerie. N’y a-t-il pas d’autres cadres policiers ou militaires susceptibles de tenir ce poste ?
Le rapport constate que deux tiers des « images » géospatiales ne font l’objet d’aucune exploitation, le renseignement extrait ne profite qu’à un nombre très limité d’acteurs de la défense. Il propose la création d’une agence de moyens regroupant l’ensemble des entités chargées d’exploiter le renseignement issu des capteurs spatiaux, en vue de le mettre à disposition des services de renseignement et du ministère de la défense. En cas de succès, l’étape suivante pourrait alors se traduire par l’avènement d’une agence de moyens techniques du renseignement. Les effectifs rattachés à cette agence avoisineraient ainsi les 1100 personnels, essentiellement sous statut militaire.
Sur la formation, l’académie du renseignement accueille tous les six mois une promotion d’environ 80 jeunes cadres des six services de renseignement. Selon le rapport, l’Académie incarne un « véritable IHEDN du renseignement ». Il évoque le besoin un pôle de recherche qui résulterait notamment de l’absorption du Centre supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS) qui n’a pas, me semble-t-il une capacité de recherche propre.
Enfin, il faut réformer la politique de l’intelligence économique qu’il faudrait régionaliser.
Un vaste chantier dont il faudra bien peser les conséquences sur notre société en terme de pouvoirs donnés au politique et à l’administration. Les premières mesures ont cependant été prises (Cf. L’Opinion du 11 juin 2013 et le Monde du 18 juin 2013).