L’empreinte énergétique des forces françaises engagées en opérations à l’étranger est essentiellement liée à la consommation de carburants (1) nécessaires à la mobilité des forces mais surtout à la production d’énergie électrique (2). Elle est rarement prise en compte dans la planification et la conduite des opérations. Pour les chefs militaires du niveau opératif dont le cœur de métier réside naturellement dans « l’opérationnel » pur c’est-à-dire l’action en elle même, la consommation d’énergie des forces apparaît comme une donnée trop souvent secondaire qui resterait l’affaire de logisticiens spécialisés.
Pourtant, l’expérience de nos opérations à l’étranger montre que l’autonomie énergétique d’une force reste primordiale. La dépendance énergétique s’avère une vulnérabilité dont il convient de prendre conscience dès maintenant. A ce titre, elle constitue une contrainte opérationnelle. Les décideurs militaires, au sein de leur états-majors et dans le cadre du travail de planification, doivent alors apprendre à exprimer leur niveau de besoin en énergie requise auprès de la cellule logistique de la même manière qu’ils expriment leur besoin en renseignement auprès de la cellule renseignement. Cette expression de besoin du chef militaire est fondamentale.
La liberté d’action tributaire de l’énergie.
Si pour le monde en général et les pays émergents en particulier, l’accès à l’énergie est l’une des conditions nécessaire au développement, il demeure, en priorité, l’une des conditions au principe stratégique de la liberté d’action d’une force militaire. L’accès à la ressource en carburants est vital à la fois en dynamique pour assurer le mouvement des vecteurs de force dans les airs, sur terre et en mer, et en statique pour produire l’électricité indispensable au bon fonctionnement des installations militaires (antenne chirurgicale avancée, centre de transmissions, centre d’alimentation, hébergement et condition du personnel en opération). En Afghanistan, 30% des besoins en gazole sont destinés à la mobilité terrestre et 70% affectés à la production d’électricité via des groupes électrogènes utilisés constamment sur les bases avancées et postes de combat. En hiver, les consommations augmentent de 50% pour la production d’énergie.
Dépendance énergétique : permanence d’une vulnérabilité critique.
Quoique l’on en dise sur sa disponibilité à très long terme (30 à 40 ans), le pétrole et ses produits raffinés resteront pendant longtemps encore majoritaires dans le panel de solutions énergétiques offert aux soldats français en opérations. De fait, la dépendance liée aux ressources fossiles s’impose, de façon pernicieuse, comme une vulnérabilité durable et ceci pour plusieurs raisons.
Aucune source d’énergie ne semble pouvoir se substituer au pétrole à moyen terme. En effet, et bien que celui-ci soit épuisable, de nouveaux gisements sont régulièrement trouvés. Grâce au progrès des technologies, le taux de récupération des sites de production est amélioré en permanence et des gisements qui semblaient inaccessibles peuvent être exploités. Les carburants ont un excellent contenu énergétique difficilement égalé pour le moment, ce qui les rend très appréciés dans le cadre des mobilités aériennes, terrestres et maritimes. Ils permettent en outre une grande flexibilité d’approvisionnement car leurs sources géographiques sont très diversifiées, notamment pour le carburéacteur à usage aéronautique qui constitue une ressource universelle de qualité constante. Enfin des économies d’énergies sont sans cesse réalisées augmentant ainsi le nombre d’années d’utilisation des énergies fossiles. L’extrême dépendance au pétrole, source d’énergie clé des forces armées, persistera donc. Il se révèle déjà dans les chiffres : en moyenne et quelque soit le théâtre d’opérations, la demande énergétique des forces françaises en pétrole représente 80% (Tchad) à 95% (Afghanistan) de la demande globale en énergie.
Le pétrole et les carburants dérivés demeurent donc des énergies incontournables et, par ailleurs, la compétition pour y accéder est de plus en plus rude. Plusieurs éléments en sont la cause et l’exacerbent. Les pays du Sud-est asiatique etla Chinedéveloppent leurs économies à marche forcée et ont donc besoin de plus en plus d’énergie, allant la chercher dans le monde entier et parfois là oùla Franceest présente comme au Tchad qui voit les Chinois exploiter et raffiner son brut. Les pays producteurs rendent plus difficile l’accès à leurs ressources en durcissant notamment les contrats de partage de production. Sur les théâtres d’opérations, il faut également « apprendre à partager » la ressource disponible avec les autres acteurs quand des pénuries de carburants se font jour : au Tchad, les éléments français sont en concurrence directe avec l’armée nationale tchadienne dont les consommations de gazole sont tirées vers le haut au fur et à mesure que le pouvoir en place consolide sa légitime souveraineté.
Enfin, et dans un contexte de demande croissante, l’instabilité dans le monde, les crises à l’intérieur ou aux alentours des pays producteurs de pétrole et les incertitudes géopolitiques persistantes offrent à la spéculation financière les leviers opportuns pour faire en sorte que les énergies fossiles se renchérissent durablement à des coûts de plus en plus importants. En 2011, les forces françaises au Tchad auront ainsi payé le gazole entre 20 et 30% plus cher qu’en 2008 quand le prix du baril de Brent avait pourtant touché les 148 dollars (127$ en avril 2011). Le coût en carburants de l’intervention en Libye peut être estimé à 140 millions d’euros sur un budget annuel en carburants pour les forces armées de l’ordre de 600 à 800 millions d’euros. Dans un contexte de dette publique accrue, la vulnérabilité des forces françaises liée au pétrole s’en trouve accentuée.
Consolider la sécurité énergétique : un impératif d’échanges constants entre soutenus et soutenants.
Alors, la logistique continuera t-elle à suivre malgré un horizon énergétique complexe ? Dira t-elle, à l’avenir, ce que les opérationnels peuvent faire ? Des solutions existent et méritent d’être portées à la connaissance des chefs militaires en opérations.
Il convient d’adopter durablement la politique du carburant unique, dit carburéacteur diesel, qui fait l’objet d’un accord de standardisation OTAN ratifié par la France. Les armées doivent résolument se l’approprier en liaison avec le service des essences des armées, la direction générale de l’armement et les industriels de la Défense. Elles sont concernées dans la mesure où elles mettent en œuvre des « systèmes d’armes » et matériels opérationnels à usage terrestre équipés de moteur de type Diesel. Cette politique est le gage d’une excellente sécurité des approvisionnements d’un carburant de qualité constante partout dans le monde puisque fabriqué à partir du carburéacteur à usage aéronautique. A ce titre, elle représente la seule alternative permettant une phase d’entrée en premier sur un territoire, concourant ainsi à la liberté d’action de la force. Elle est également source d’économies en raison de la gestion d’un seul produit dont le prix de revient est inférieur à celui du gazole. Enfin, elle procure un avantage opérationnel en permettant aux engins et matériels d’être mis en œuvre dans des conditions de température extrêmes (3).
En phase de planification, dans le cadre d’un travail collaboratif d’état-major, les chefs « opérations » doivent chercher à exprimer leurs besoins en carburants pour chaque action envisagée en liaison systématique avec la cellule logistique. Les uns comme les autres doivent veiller à dimensionner l’action selon le niveau de ressources autorisées dans les documents du niveau stratégique, à savoir la directive administrative et logistique. Dans le cas où ce niveau serait jugé insuffisant, le chef opératif peut demander à le faire modifier, ce qui implique des « investissements » supplémentaires en termes d’achats de la ressource et de stockage qui devront être validés par l’échelon stratégique.
Y compris en opérations, il est dorénavant souhaitable de réaliser des économies d’énergie en y incitant chaque militaire. Sous l’impulsion de son conseiller logistique, il est alors de la responsabilité du chef militaire de veiller au juste niveau d’emploi de sa ressource en énergie, ce qui contribue au principe d’économie des forces. En outre, le suivi et le contrôle permanent des consommations de carburants liés à la production d’énergie électrique devraient aussi être systématiques et automatisés au sein de la cellule logistique, sous l’unique responsabilité du soutien pétrolier, ce qui participerait à l’anticipation des ravitaillements.
Enfin, l’avenir proche réside dans les carburants dits de synthèse ou synthétiques. Dans ce domaine, « l’offensive » a déjà commencé chez nos alliés, en particulier américain et britannique, qui ont pris de l’avance. En vue de préserver le principe d’interopérabilité, il est donc impérieux de qualifier les matériels des armées françaises avec ce type de carburants, en priorité les aéronefs des trois armées, puis les bâtiments dela Marinenationale.
Stagiaire à l’École de Guerre (s’exprime à titre personnel)
Après une première partie de carrière dans l’armée de Terre au sein du domaine renseignement, l’IP Cyrille FOULON intègre le service des essences des armées (SEA) en 2008. Il a participé aux opérations Trident au Kosovo (2001), Licorne en Côte d’Ivoire (2004) et en 2011 à l’opération Épervier au Tchad en tant qu’adjoint interarmées au soutien pétrolier.
(1) Carburéacteur à usage aéronautique et distillats moyens (gazole ou gas-oil) pour moteurs de type Diesel à usage terrestre et marin.
(2) Usage de moteurs dits stationnaires de type groupes électrogènes Diesel ou Diesel alternateurs.
(3) Contrairement à certains distillats moyens de type gazole, le carburéacteur diesel ne fige pas dans des conditions de températures négatives, ce qui évite le colmatage des filtres à carburant lors de la phase de démarrage.