samedi 8 février 2025

L’Allemagne, notre amie ?

Un déplacement en Alsace cette semaine m’a laissé songeur. Cela m’a conduit à penser à l’Allemagne d’aujourd’hui et aux migrations non contrôlées qui assaillent nos frontières depuis des semaines. Cette réflexion aurait pu ne pas avoir lieu mais les SMS de deux opérateurs téléphoniques français me souhaitant « Bienvenue en Allemagne » à plus de 25 km de la frontière m’ont interpellé. J’étais paraît-il en Allemagne !

Non, bien sûr, l’Alsace n’est pas en Allemagne bien que l’histoire soit encore présente et rappelle sa volonté hégémonique au moins passée, bien qu’aujourd’hui… Après la guerre franco-allemande, la première d’une longue série, elle a annexé en 1871 l’Alsace comme la Lorraine d’où une branche de ma famille a fui pour ne pas être allemande. Réfugiée en France (ma famille n’a pas gardé la trace d’une aide quelconque), elle est devenue parisienne.

En 1940, l’Alsace redevient temporairement allemande. Le camp du Struthof, seul camp de concentration en France, que je suis allé visiter en témoigne. Des résistants, des généraux comme Delestraint ou Frère, chefs de l’Armée secrète ou de l’Organisation de résistance de l’Armée, y ont été déportés, assassinés. On pourra toujours rétorquer que c’est du passé. Les personnes qui ont vécu cette période et sont encore des témoins vivants comme dans ma famille, n’ont pas oublié et pourtant mes racines familiales étaient en partie outre-Rhin au XVIIIe siècle.

Que penser de l’attitude de l’Allemagne aujourd’hui ?

Par sa longévité et son habilité politique, soutenue par une grande force économique, Angela Merkel est devenue « l’homme fort » de l’Europe. Peu importe si le couple franco-allemand est évoqué comme étant indispensable pour une Union européenne puissante, l’Allemagne est la première puissance économique d’Europe, sans engagement militaire tout en étant un des premiers pays exportateurs mondiaux d’armement (3ème ex-aequo avec la France et la Chine) , tout en disposant d’un budget de la défense qui sert peu à la défense de l’Europe (bien que face à la Russie, elle ait remis en service 100 chars de bataille en avril 2015), budget donc supérieur à celui de la France soit en 2015, 32,2 milliards d’euros contre 28 milliards d’euros pour les seules forces conventionnelles. Avec cette question, la faiblesse de la France d’aujourd’hui ne fait-elle pas la puissance de l’Allemagne ?

Politiquement, l’autorité allemande s’exprime avec de plus en plus de force. Au nom des valeurs européennes, la chancelière allemande menace de sanctions les Etats ne voulant pas de ces réfugiés. Cependant, dans la gestion de la crise migratoire, après avoir ouvert ses frontières, l’Allemagne les a fermées le 13 septembre brutalement et unilatéralement. Trop tard, l’appel d’air avait été créé. Même si, juridiquement, les accords de Schengen créés dans un seul but économique sont respectés, la libre circulation à l’intérieur de cet espace est bel et bien remise en question.

Cependant, les objectifs de politique intérieure semblent clairs. Sa population est en voie de régression (Cf. INED, chiffres 2015) et aura perdu 5 millions d’habitants en 2050 (Cf. INED, prévisions, septembre 2015). Que ce soit pour les retraites futures des Allemands ou pour son économie, une partie de la réponse est aussi là. Les patrons sont demandeurs comme en France (Cf. Interview de Pierre Gattaz, Le Monde du 12 septembre 2015) au détriment de l’identité des Etats et de la cohésion sociale, sans souci de la construction d’une nation, dans la seule recherche du profit avec une main d’œuvre à venir malléable et en partie formée. Enfin, la mauvaise conscience allemande vis à vis de la situation grecque y est aussi sans doute pour quelque chose.

La mauvaise conscience allemande

Cette mauvaise conscience se confirme par ce relativisme culturel qui se fait au détriment de son identité. Un exemple ? Ce reportage ce samedi 19 septembre sur France Info : Munich organise la quinzaine annuelle de la fête de la Bière. Pour ne pas insulter les migrants majoritairement musulmans qui arrivent en gare de Munich qui auraient pu rencontrer des fêtards imbibés ou dans des tenues parfois osées, chaque flux sera séparé. Les participants à la fête de la Bière seront orientés vers la sortie Nord de la gare, les « migrants », vers la sortie sud. La coexistence avec l’islam imposerait ce relativisme culturel et cet effacement de l’identité culturelle allemande. Certes cette tendance est aussi très présente en Europe mais suscite des réactions de plus en plus fortes, sinon agressives. Abandonner ce que l’on est pour accueillir des réfugiés au nom des valeurs de l’Europe montre surtout une Europe dissimulant son affaiblissement derrière des valeurs alibis.

Ne négligeons pas non plus le poids des médias allemands sinon européens dans cette crise. Le quotidien Bild avec sa manchette « Wir helfen » a pesé sur la prise de décision politique en Allemagne. Un média en Allemagne aurait-il pu écrire « Wir wollen nicht helfen », ce qui ne veut pas dire « ne pas assister » mais le faire dans des limites acceptables et pas contre la volonté des peuples. Certainement pas, et d’ailleurs les prises de position contre l’aide aux réfugiés sont rares et suscitent des accusations de xénophobie, d’attitude frileuse, craintive, de repli sur soi. D’aucuns évoquent « l’Europe des égoïsmes nationaux ».

Ne serait-ce pas simplement les réactions de personnes de bon sens qui voient les conséquences de ces migrations au quotidien ou à venir ? Et puis des chefs d’Etat réagissant à l’empathie peuvent-ils gouverner ? Non et qui peut douter qu’Angela Merkel n’ait pas encore exprimé son savoir-faire politique ? L’accueil des réfugiés/migrants est un acte politique et le symbole de la mainmise de l’Allemagne sur l’Union européenne, pas uniquement une action de charité chrétienne.

Une fracture au sein de l’UE?

Dans ce débat sur l’accueil des réfugiés et des migrants économiques, je lis aussi l’évocation d’une « fracture entre une Europe “blanche” et une Europe solidaire » (Cf. Le Monde, « Viktor Orban encourage un schisme au sein de l’Union européenne, 17 septembre 2015 ».) Je me demande comment nous devrions traduire cette phrase : « fracture entre une Europe blanche et une Europe métissée et multiculturelle » ? Ce n’est pas la première fois que cette position est avancée, y compris dans la bouche de certains de nos politiques qui dénoncent une élite « blanche ». Si l’on considère l’attitude des groupes favorables à l’accueil des vagues migratoires et des réfugiés, la problématique serait bien dans cette approche de la société et dans la remise en cause de la position des natifs (qui ne sont pas tous « blancs » mais les citoyens d’un Etat) pour reprendre un mot qui apparaît peu à peu sous la plume de chercheurs, pour ne pas dire « souchiens » ou « de souche ».

Enfin une intervention militaire européenne contre les passeurs notamment de Libye est à nouveau évoquée dans le cadre de la phase 2 d’EUNAVFOR lancée le 22 juin 2015 (Cf. Eunavfor). L’Allemagne y serait désormais favorable si le Bundestag le permet. Encore faut-il que des résolutions de l’ONU et bien sûr de l’Union européenne la valident. Comme il se doit, elles ne sont toujours pas votées et l’action militaire apparaît bien symbolique aujourd’hui (Cf. Le Temps du 18 septembre 2015). En particulier, l’ONU met l’Europe dans une situation intenable même si, à nouveau, je pose la question de la position des Etats notamment européens du Conseil de sécurité. Quel jeu jouent-ils réellement ? N’est-il pas temps d’ailleurs de remettre en cause ce système international… que nous finançons en grande partie ?

Alors, l’Allemagne, notre amie ? Non, un Etat n’a pas d’ami, peut-être des alliés et toujours des intérêts. Et la France ? Elle travaille encore pour le roi de Prusse comme au XVIIe siècle mais elle a besoin du soutien de l’Allemagne pour assurer ses réformes. Elle est donc assujettie à la volonté de l’Allemagne.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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