Malgré les vacances de la Toussaint qui endorment désormais la France pendant deux semaines (la France est un pays riche car elle a manifestement les moyens), les questions de défense restent d’actualité … justement peut-être par ce que ce sont les vacances et que cela n’intéresse pas tous les citoyens français.
Depuis mon dernier billet, l’armée française et ses alliés sont de nouveau engagés au Mali avec l’opération Hydre (Cf. La Voix du Nord), la routine dans cette guerre contre-insurrectionnelle et anti-djihadistes en zone sahélienne alors que l’ONU déplore le manque de forces pourtant promises (Cf. Lignes de défense). Le Sénat a voté la loi de programmation militaire ce 22 octobre (Cf. ForcesOperationsBlog). Le ministère de la défense a débloqué 30 millions d’euros (Cf. Lignes de défense) pour le fonctionnement des bases de défense dont le « succès » s’affirme de jour en jour. La grogne des armées (Cf. la dernière lettre de l’ASAF Armée : une désinformation orchestrée ?) conduirait à une communication accrue du ministre de la défense (Secret Défiance et Valeurs actuelles). Enfin, clin d’œil à Catherine Durandin, spécialiste aussi des questions roumaines, l’ambassade de Roumanie célébrait la fête de son armée ce 24 octobre.
En introduction
Ce contexte arrive à point nommé pour évoquer l’ouvrage de Catherine Durandin, publié en janvier 2013. La revue Défense nationale, dont l’avenir est toujours dans l’incertitude depuis des mois, reprenait pourtant ce 23 octobre ses rendez-vous de fin d’après-midi pour présenter un ouvrage. Le débat était animé à l’Ecole militaire par Emmanuel Dupuy devant un auditoire relativement important : officiers généraux (2S), chercheurs (Bonjour à André Thiéblemont, mon grand Ancien de la brillante promotion « Maréchal Bugeaud »), officiers d’active de tous âges et étudiants.
Auteure de nombreux ouvrages, historienne, Catherine Durandin a été choquée par l’embuscade d’Uzbin, son traitement aussi bien par le politique, par les médias que par l’opinion publique. Ce fut aussi le choc de l’ignorance du public sur le métier des armes et sur la guerre. Elle aborde principalement l’état des relations entre l’armée et la nation. Ouvrage de sociologie militaire, le titre ne reflète sans doute pas son contenu au grand regret de l’auteure.
Je regrette par ailleurs que les sources de cet ouvrage soient manifestement très « ciblées » et plutôt d’une seule tendance. Elles empêchent d’avoir une idée objective sur l’état de l’armée. Je retrouve surtout le ton, certes presque vingt ans après, d’un ouvrage paru en novembre 1994 « France, ton armée fout le camp » par Michel Floquet et Bertrand Coq, qui avait valu à certains d’entre nous quelques ennuis justement au titre de la liberté d’expression et donc suscité quelques désagréments. Une lecture comparée pourrait s’avérer utile… quand j’aurai le temps. Le déclin pressenti hier est peut-être réalisé aujourd’hui.
Que dire de cet ouvrage ?
Cet ouvrage établit l’état de l’armée aujourd’hui tel que l’a ressentie l’auteure à partir de ses entretiens le plus souvent. Il éclairera celui qui est intéressé par l’avenir de sa sécurité et sur son armée. Paru il y a quelques mois, il n’intègre pas les évolutions actuelles qu’elles soient dans la voie de l’amélioration ou de la poursuite du déclin depuis le Livre blanc de 2013. De fait, il montre l’état de l’armée tel que nous l’a laissée le gouvernement précédent.
J’aurai aussi souhaité des propositions. Le déclin est peut-être naturel. Dans une démocratie comme la nôtre, ce déclin déclaré signifie-t-il que l’armée ne sert plus à rien et coûte chère (Cf. Yvan Stefanovitch, « Défense française. Le devoir d’inventaire », ouvrage sorti aussi en 2013).
Je retiendrai quelques points particuliers souvent évoqués au sein de la communauté de défense. Un regret exprimé est que les officiers ne sont plus présents dans la haute administration. J’inverserai la question : veulent-ils encore être présents dans une haute administration qui paraît bien souvent éloignée des populations et de la prise en compte des problèmes des gens, à la différence de l’armée de promotion sociale qu’est l’armée française ?
Notre statut, dès lors qu’il est appliqué et respecté, le protège, lui permet de demeurer ce pourquoi il s’est engagé, c’est-à-dire protéger la population française dont l’armée est issue. La rigueur intelligente de l’armée et de la communauté militaire, ses principes de fonctionnement, sont sans doute un recours ultime contre le désordre de nos esprits dans la société désabusée dans laquelle nous vivons aujourd’hui.
Une question posée m’a plu dans cet ouvrage. Elle n’est pas celle posée par le général de Richoufftz, « pour qui meurt-on », titre d’un ouvrage publié en 1999 et récompensé en 2000 par le prix Vauban, mais la suivante : « pourquoi, pour qui meurent-ils ? ». En effet, le soldat « émeut quand il meurt », « il redevient un homme, un accidenté, une victime, il renoue avec le sort commun. Lorsqu’il combat, il inquiète par les débordements possibles » (un procès d’intention donc) « dont il est soupçonné être capable et familier pour avoir choisi le métier des armes ». Or, le militaire n‘est pas une victime mais un acteur de violence légitime et contrôlée. Il accepte de mettre sa vie en péril pour des gens qui ne le comprennent pas ou peu. Nous ne devrions pas l’oublier pour ne pas perdre notre identité.
Enfin, l’auteure dénonce une liberté d’expression limitée (pourtant le statut n’évoque pas de devoir de réserve) et une autocensure. Je pencherai aussi vers un certain manque de courage intellectuel sans que je n’en ignore les risques. Et alors ? Un officier qui ne prend pas de risques répond-il aux exigences de son engagement ? Je ne le crois pas. Pourtant les officiers écrivent, s’expriment mais comme certains le disaient lors de cette soirée : « nous nous exprimons mais nos correspondants sont sourds ». Cela me rappellerait bien une crise en 2001 (Cf. Mon billet du 13 octobre 2013).
L’auteure constate néanmoins la résignation des militaires mais peut-il en être différemment lorsque, comme le souligne l’ASAF, la commission de la défense se réunit à 14 sur 70 (16 excusés et 40 absents non excusés) pour écouter l’amiral Guillaut sur la loi de programmation militaire et le projet de budget de la défense le 3 octobre 2013 ? (Cf. Compte rendu de l’Assemblée nationale) A moins que tout ne soit joué et que tout cela ne soit qu’un grand jeu de rôle.
Réflexions parmi tant d’autres
Il n’en reste pas moins que j’en retire quelques réflexions. On ne peut évoquer le déclin de l’armée sans poser celui du déclin de l’idée de Nation : quelle nation, donc quelle armée pour la défendre ? L’armée est peut-être en déclin mais n’est-ce pas plutôt la société française en tant que communauté nationale qui est en déclin ?
Le lien armée-nation évoqué dans l’ouvrage conduit à ce débat éternel sur le rôle du service militaire (et non national). Il pose aujourd’hui la responsabilité de Jacques Chirac dans sa suspension et sur la pertinence du politique à prendre des décisions opportunistes qui peuvent engager l’avenir de la nation. Même si, pour ma part, l’inégalité républicaine du service militaire souvent au profit d’une « élite » qui s’en affranchissait ne pouvait justifier son maintien, le brassage social dans un cadre où l’autorité pouvait s’exercer, était nécessaire pour la construction d’une communauté nationale.
Il pose aussi la question de la défense du pays par le citoyen au besoin par les armes, y compris en acceptant le risque de perdre sa vie. A la veille des commémorations de la première guerre mondiale (2000 morts par jour, 1,3 million pendant la guerre), cela me semble une question importante à poser. Certes, en échange de prestations diverses (allocations familiales, éducation, sécurité intérieure…), peut-on être complètement citoyen si son seul témoignage d’adhésion est celui de payer l’impôt… d’autant qu’il est de plus en plus contesté aujourd’hui ?
Quelques propositions parmi tant d’autres
L’armée doit retrouver la confiance en elle-même. Elle est le symbole du recours légitime à la force. C’est pourquoi, comme force dissuasive et ultime, elle doit être crainte pour son loyalisme, sa force morale, ses convictions, son entraînement, tout ceci encadré dans le code du soldat par exemple de l’armée de terre. Chacun de ses cadres doit en être convaincu. Elle n’est pas là pour être haïe ou aimée. En revanche, le fait qu’elle soit crainte est un des critères de son efficacité et du respect qui lui est portée comme force à la fois protectrice et dissuasive contre tout acteur de violence illégale ou illégitime.
La sacralisation du « héros » ordinaire doit être renouvelée au sein de notre société sans repère. Servir son pays par les armes n’est pas un métier mais le symbole d’un engagement total. Le nom de celui qui est mort au combat doit être honoré. Son nom doit être inscrit sur les monuments aux morts, ce qui est déjà possible aujourd’hui. Pour enseigner son exemple, son nom doit pouvoir aussi être donné aux écoles, aux rues. L’histoire des héros militaires et des batailles dans leur dimension technique devrait aussi être enseignée.
Les missions de l’armée doivent être proches des préoccupations des populations. Ainsi, il faut redonner du sens à la défense terrestre, la seule au contact des gens. L’armée de terre devrait mettre en œuvre un concept rénové de défense opérationnelle du territoire, aujourd’hui confiée à la gendarmerie. Elle doit contribuer à la protection physique du territoire et des frontières terrestres. Le contexte actuel se prête à ce débat.
Enfin, pour une meilleure compréhension des armées par le citoyen, l’engagement politique local du militaire doit être soutenu dès lors qu’il n’y a pas un engagement public dans un parti. Un militaire en activité doit pouvoir faire partie d’un conseil municipal sans être contraint de se mettre en disponibilité sans solde comme aujourd’hui. Il sera en général le meilleur vecteur de communication des armées auprès notamment des nombreux élus locaux de notre pays.
Pour conclure
Face à cette armée en déclin constatée par l’ouvrage, il faudrait plutôt répondre à la question suivante : voulons-nous toujours une armée dans dix ans, dans quinze ans ?
Si non, le déclin constaté et la réalité budgétaire, l’incompréhension du rôle de l’armée conduiront à la disparition progressive d’une grande partie des forces armées au fur et à mesure des « réformes » qui ne sauraient être absentes des projets politiques futurs.
Si oui, pourquoi faire ? L’armée est-elle toujours le creuset du modèle républicain tel qu’il était souhaité sous la IIIe république, modèle pourtant mis en avant lors de ce mandat présidentiel. On ne peut en effet se contenter d’un modèle d’armée qui soit uniquement technique. Cela signifie donc remettre le militaire au sein des institutions avec sa spécificité qui me paraît bien nécessaire.