
Témoignage du capitaine Exibard recueilli en 1989 (maréchal des logis à l’époque)
« Je commandais une section qui faisait partie d’un élément du GM 35, commandé par le lieutenant Juteau et largué de nuit dans le renfort le 2 avril 1954. Elle était composée de personnels prélevés sur l’ensemble du groupe. Le chef Piques était également chef de section. Après le saut, mise à la disposition du commandant de l’artillerie. Tous ces éléments ont été dispersés en fonction des besoins. Le chef Piques s’est retrouvé dans le DLO du lieutenant Juteau tandis que je conservais ma section et que nous étions mis en renfort à la 4e Batterie du II/4e RAC. Cette batterie fut particulièrement éprouvée dans la nuit du 30 mars au pied de « Dominique 3 », stoppant l’assaut de la division 312. Elle était commandée par le lieutenant Brunbrouk qui trouva la mort dans son PC le 12 avril 1954, à la suite de l’arrivée d’un obus de 105 court retard. Le maréchal des logis Jacques Mathey, de la 2e Batterie, commandait une pièce avec des personnels de sa batterie et faisait partie de la section que je commandais jusqu’à la chute de Diên Biên Phu. La seconde pièce de cette section était commandée par le maréchal des logis Salvy, comme moi de la 3e Batterie. Salvy s’étant fracturé au saut, fut remplacé comme chef de pièce par le maréchal des logis Mocquay, ancien du 35e RALP, servant en Indochine au 64e RA et largué en renfort à Diên Biên Phu. Ce maréchal des logis est décédé en captivité. Le 18 avril 1954 (jour de Pâques), un jeune Thaï venu en renfort à la pièce du maréchal des logis Mathey (1ère pièce) est blessé mortellement par un coup dans l’alvéole.
Le 20 avril 1954, le 2e classe Labrande, même pièce, est touché par deux éclats (poumons et colonne vertébrale) et transporté à l’antenne sous des tirs ennemis. Il décède dans la soirée. L’ensemble de la section continue sa mission ; nous avons d’autres blessés, mais pas de graves.
Le 4 mai 1954, la 2e pièce (Mocquay/Salvy, ce dernier nous ayant rejoint le 6 août avec son plâtre, sert de téléphoniste) terminant un tir, les personnels sont encore à l’entrée des abris. Un 105 éclate entre les flèches de la pièce. Miracle, pas de blessé, mais la pièce est inutilisable : support et appareils de pointage, volant, arrachés, lien élastique transformé en passoire, culasse bloquée. Les personnels sont mis en renfort à la 1ère pièce. Le maréchal des logis Mathey malgré quelques petites blessures dirige toujours la pièce. Le brigadier Dombrowsky pointeur, Thu tireur, Nham artificier, le reste des servants ne sont pas du GM 35, mais venus en renfort à la suite des départs pour blessures.
Le 6 mai 1954 – 13h30 – la pièce vient d’exécuter un tir, un 105 Viet éclate dans l’alvéole. Le maréchal des logis Mathey est touché mortellement au ventre, il décède 2 minutes après. Un servant européen est touché à la tête et se rend lui-même à l’antenne, Nham (l’artificier) plus atteint est transporté en brancard (il sera rapatrié parmi les 800 grands blessés courant mai). Thu (tireur) est retrouvé en morceaux dans l’alvéole sauf la tête. Il a été déchiqueté. Nous attendons la tombée de la nuit pour transporter les corps à la morgue. Les tirs Viets n’ont pas diminué et inutile d’exposer d’autres hommes. Le colonel Vaillant, patron de l’artillerie, et le lieutenant Michel (GM 35) du PC feux, viendront saluer les dépouilles de nos camarades avant leur transport. Ma section est définitivement muette. Je place mes hommes en protection de la 2e section capable de tirer car les Viets ne sont pas loin. Je me mets en renfort au PC de la batterie pour aider à la transmission des ordres aux deux pièces car tout est coupé (fils). La section tirera toute la nuit.
7 mai 1954 – 6 h 00 – un peu de repos, puis très vite la bataille reprend, nous vivons nos dernières heures de liberté ».
Lire sur Theatrum Belli : Journal de marche et d’opérations du 6 mai 1954
Sur le site de l’Amicale du 35e RAP, lire les articles concernant la participation du GM 35 à la guerre d’Indochine (1953-1955) : Texte 1 / Texte 2 / Texte 3