Il semble utile de rapidement évoquer les significations de quelques termes.
La morale et l’éthique
Le premier terme est d’origine latine. Il désigne la science du bien et du mal. C’est une théorie de l’action humaine en tant qu’elle est soumise au devoir et a pour but le bien. Elle se matérialise souvent par un ensemble de règles de conduite.
L’éthique n’est pas très différente, et, d’ailleurs les deux mots ont été utilisés de manière indifférenciée jusqu’à un passé très récent. C’est un terme d’origine grecque qui peut se définir comme un ensemble de conventions morales propres à un milieu, une culture, un groupe. C’est un corpus de valeurs fondamentales propres aux individus qui, parce qu’elles sont partagées, peuvent constituer la référence commune d’un corps social.
Les deux mots recouvrent donc deux réalités très proches : ils désignent en quelque sorte des codes, plus ou moins formels, destinés à régir les conduites humaines. Pourquoi ne sont-ils plus employés de la même manière aujourd’hui ? Une première explication tient au fait que le terme « morale » souffre d’une connotation négative : « faire la morale »…
Une différence plus fondamentale vient du fait que l’éthique, selon certains auteurs, ne pose pas la question du bien et du mal, qui est celle de la morale. Raison pour laquelle notre monde moderne préfère sans doute le mot éthique car il évite de renvoyer aux consciences et donc aux fondements religieux ou philosophiques qui peuvent les éclairer, pour se focaliser sur les règles, les comportements et les actes posés… Dit autrement : la morale aurait pour fonction de définir une démarcation entre le bien et le mal, alors que l’éthique se contenterait de faire le constat du positionnement d’un acte donné par rapport à cette ligne de partage…
La définition suivante, empruntée à Alexandre JAUNAIT semble être celle qui répond le mieux à nos besoins militaires dans le cadre de ce dossier. Un champ éthique est « un ensemble de questions, de pratiques, d’acteurs, qui définissent en permanence les frontières de leurs activités » ; sous-entendu « selon une logique morale qui doit tendre vers le bien ».
… Tendre vers le bien ? Il serait sans doute utile d’aborder ici cette notion de bien. Pour les uns, il y a une loi naturelle qui fait que chaque homme a naturellement en soi la perception du bien et du mal, qui sont deux absolus, et dont les périmètres ne sauraient varier. D’autres estiment que c’est une notion relative, conjoncturelle et évolutive, dont la loi humaine a pour tâche d’actualiser les contours. Dans les deux cas, il est la référence par rapport à laquelle l’éthique s’applique.
La déontologie
La déontologie est d’une autre portée, car elle est directement liée à une profession. Elle est un ensemble de devoirs qu’impose à des professionnels l’exercice de leur métier. Elle constitue ainsi une forme de « droit privé » en ce sens où les prescriptions qu’elle fixe s’adressent aux professionnels concernés uniquement.
Elle se distingue également dans le fait qu’elle a un rapport au droit : parce qu’elle se traduit en codes ou en règlements, appuyés sur des critères objectifs et rédigés de manière très précise, elle possède un statut normatif. Elle a force de loi pour la population concernée.
Une autre différence tient au fait qu’il n’est pas nécessaire, pour se conformer aux règles de la déontologie, de réfléchir aux valeurs qui sous-tendent ces règles, ni même de les partager. Car ce qui compte, en matière de déontologie, c’est la conformité à la règle.
Éthique et déontologie
On le voit, éthique et déontologie sont d’essences différentes :
- Pour la déontologie, aucune réflexion n’est indispensable ni même nécessaire sur les conséquences de l’action décidée car les règles déontologiques s’appliquent et s’imposent de manière uniforme à chacun ;
- L’éthique impose au contraire une réflexion sur les valeurs qui motivent les actes et sur le choix de la conduite adoptée par chacun, y compris au sein d’un groupe ; il ne peut y avoir d’éthique sans liberté ; car, du point de vue de l’éthique, l’individu reste responsable des conséquences de ses choix et de ses actes.
Pour dire les choses de façon simpliste, la déontologie est en quelque sorte une référence pour la légalité alors que l’éthique fixe davantage le cadre de la légitimité ;
Légitimité et légalité
Un souci récurrent pour le militaire en opération, lorsque qu’il souhaite rester dans un cadre éthique et déontologique approprié, est donc de savoir conserver à son action son double caractère légitime et légal.
La légalité est le caractère de ce qui est conforme à la loi. D’apparence simple, elle présente cependant une difficulté pour les militaires qui n’appliquent pas le même droit suivant leur situation, en temps de paix ou en temps de guerre…
La légitimité est la qualité de ce qui est juste, équitable, raisonnable. Pour ce qui touche l’action militaire, l’acceptation courante du terme est celle d’une conformité aux intérêts collectifs. Elle suppose l’existence d’une forme de bien-fondé basé sur un consensus…
La légitimité relève donc du sentiment, d’une conscience aigüe de son devoir, de la perception que l’on peut avoir de l’intérêt supérieur de la communauté que l’on sert, de la Nation ; c’est une notion relative et qui peut relever de l’appréciation personnelle, et c’est ce qui fait sa difficulté ; elle est marquée par l’environnement, par la passion, par l’incertitude, par l’empreinte de son propre destin ; elle n’est, parfois, clairement identifiable qu’a posteriori…
La légalité est une notion objective ; elle trouve son fondement dans la loi et dans les règlements ; elle est en théorie simple à identifier ; elle relève de la raison. Elle est mécanique et consiste à respecter des préceptes fixés par des textes.
Inscrire son engagement personnel dans une perspective de légitimité est une question d’honneur ; le respect de la légalité est davantage une affaire de discipline.
GCA (2S) Alain BOUQUIN
Texte tiré du dossier 23 de l’association G2S : L’éthique dans le métier des armes