mercredi 27 novembre 2024

« Onze jours » : Un roman à lire sur l’engagement au sein des forces spéciales américaines

Les Editions Gallmeister ont publié en septembre 2018 le roman de Léa Carpenter, écrivaine américaine. Par un concours de circonstances, cela a été l’opportunité de donner mon avis sur cet ouvrage en tant que militaire dans une émission de France 3, exercice bien inhabituel mais bien intéressant (Cf. France 3, « Un livre, un jour », document court pour respecter le concept de l’émission).

L’auteure, diplômée de Princeton et d’Harvard, est journaliste et scénariste. L’écriture de son livre a débuté après le décès de son père, agent du renseignement militaire en Chine et en Birmanie pendant la seconde guerre mondiale. Cette histoire se déroule cependant dans les conflits d’aujourd’hui. Elle s’appuie sur une bibliographie abondante y compris sur la guerre contre-insurrectionnelle et les forces spéciales. L’ouvrage est aussi augmenté d’un glossaire en annexe des termes militaires ce qui est, agréablement, surprenant.

Que raconte cet ouvrage sinon le destin d’un jeune homme que rien ne disposait à rejoindre les Navy Seals (forces spéciales de la marine américaine) sauf le 11 septembre ? Suite à l’attaque terroriste islamiste, appelant sa mère, lui demandant « A quoi servaient les maths ? » il donne sa réponse, « Cela ne sert pas à sauver des gens ». A dix-sept ans, il décide alors ne plus entrer à Harvard mais à l’Académie navale. Il a préféré Sparte à Athènes.

Ce livre qui n’aurait pu être qu’un roman s’appuie sur la réalité de la vie que mènent les SEALS et sans doute d’autres « Forces spéciales ». Il nous conduit alternativement dans la vie de Jason avant sa disparition et dans la vie de sa mère qui l’a vu grandir durant cette attente de onze jours avant le dénouement.

En premier lieu, Ce roman met en situation le choix individuel de servir son pays tout en évoquant les questions que tout militaire connaît : le sens de la mission, la vie familiale confrontée à une vie complètement différente avec des codes imposés par la sécurité, l’importance d’une autre famille, celle de l’armée et ici en plus le monde du renseignement. C’est aussi l’histoire des relations entre une famille monoparentale, avec Sara, mère ayant vécu avec David, un écrivain au service de la CIA jusqu’à sa mort annoncée en Europe ou au Moyen-Orient en décembre 1992. Elle l’a rencontré après avoir été recrutée à la CIA comme personnel administratif. Il apparaît néanmoins que la seule famille de Jason et de Sara est la communauté du renseignement.

Le 2 mai 2011, elle apprend que son fils, officier des Navy Seals et âgé de 27 ans, n’est pas rentré de sa cinquième mission de chef d’équipe SEAL. Celle-ci devait être théoriquement la dernière, sans que sa mère n’y ait véritablement crû.

Pourtant, l’histoire est assez banale pour la communauté militaire. Cette attente de 11 jours est le fil rouge de l’intrigue exprimant avec justesse ces situations avec lesquelles les familles de la communauté militaire vivent dans l’attente et l’angoisse.

Par cette absence inquiétante sans qu’elle n’exprime son inquiétude, sans doute l’habitude, Sara découvre peu à peu le milieu militaire qu’elle ne connaissait pas. Ses souvenirs remontent au fur et à mesure des onze jours, notamment le choix de Jason en 2001, avec les inquiétudes d’une mère qui voyait son avenir autrement, et surtout différent de celui du père de Jason. Cependant, cette disparition en mission lui impose un autre comportement face à son environnement : on ne s’apitoie pas et on est fier du sacrifice supposé de son fils.

Faisant partie des forces spéciales, cette communauté du renseignement et des opérations spéciales, soumise à un secret, total, à laquelle appartient aussi Sara, soutient la mère du « guerrier », l’accompagne, veille sur elle dans cette attente. L’importance de David, le père absent, se révèle cependant par touche successive par la présence de personnes importantes auprès de cette famille depuis la naissance de Jason : ambassadeurs, politiciens, journalistes dont quatre seront ses parrains. L’un d’entre eux, sénateur, président d’une commission parlementaire, est resté fortement impliqué dans la vie de Jason après la disparition de David. Ce qui est curieux, c’est aussi la description de cette communauté cette fois civile qui s’occupe de Sara pour la soutenir.

Dans la disparition de Jason, le pire est donc l’attente. Personne ne sait où il est. D’ailleurs, elle n’a jamais su ce que ce que faisait exactement son fils et où il se trouvait. Elle a ouvert la lettre que son fils a laissé « au cas où » et qui est transmise par Sam, un « frère d’arme » de Jason, gravement blessé au combat dans une mission commune et venu la soutenir.

Elle se rappelle ces lettres où son fils lui décrivait son entraînement militaire, y compris sa connaissance approfondie des armes de guerre au point qu’inquiète, elle appelle le parrain de Jason. Celui-ci lui rappelle que Jason appartient à la Marine de guerre mais il la rassure, la guerre aujourd’hui n’est pas celle de la Première guerre mondiale mais celle de la recherche de l’action utile et précise.

Elle découvre aussi son fils à travers ces lettres de fils aimant. Officier intellectuel, pour lui, « La prière pour la paix et pour la préservation de notre culture » est permanente dans la préparation morale à l’action. La réflexion sur le sens de l’engagement est présente constamment. Mais c’est aussi ce besoin d‘une vie personnelle stable exprimé par Jason dans un entretien avec son chef.

Un certain nombre de phrases fortes qui sont familières à la communauté militaire, émaillent aussi ce roman qui me semblent intéressantes de citer :

  • « Les gens ne savent pas quoi dire à une mère dont le fils n’est pas rentré pour Noël » ;
  • « En endossant le statut de soldat, nous n’avons pas renoncé à celui de citoyen » (Georges Washington) ;
  • « Personne ne veut que les mères en sachent trop, sans quoi elles ne laisseraient pas leurs fils devenir soldats ou marins » ;
  • « Les gens évoquent rarement la guerre parce que la plupart s’en soucient très peu »

Et aussi, « la guerre irrégulière est plus intellectuelle qu’une charge à la baïonnette » attribuée à Lawrence d’Arabie. Il s’agit bien des guerres que nous menons aujourd’hui le plus souvent !

Pour conclure, Jason définit son engagement : « La guerre, c’est la capacité à mourir pour une autre personne sans hésiter. La guerre, c’est la croyance que la vie d’une autre personne a plus de valeur que la tienne ». Cela me rappelle ce gamin d’une dizaine d’années interviewé cet été 2018 qui a sauvé un adulte de la noyade et qui veut être militaire pour aider et protéger les gens.

Après avoir lu cet ouvrage, il reste à visiter le musée des Navy Seals à Fort Pierce en Floride. Beau musée que j’ai visité deux fois. Il retrace leurs faits d’armes depuis la Seconde Guerre mondiale. Et en plus la plage est juste à côté.

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