En préambule, il faut évoquer les incidents du 11 novembre 2013 à Paris. Siffler et huer un président de la République lors d’une cérémonie d’hommage aux soldats morts pour la Patrie est inacceptable.
Depuis plusieurs années, il est toléré que les mécontents huent celui qui représente la France, au nom sans doute de la liberté d’expression, souvent défendue d’une manière excessive sinon « instrumentalisée ». Jamais le général de Gaulle ne l’aurait accepté. Il est sans aucun doute temps de rappeler ou de fixer les limites à la liberté d’expression en fonction du respect dû à ceux qui représentent l’Etat. Trop de libertés tuent la liberté et à terme la démocratie.
Un autre sujet est celui du port du bleuet de France comme signe de reconnaissance envers les soldats tombés dans toutes les guerres. Le gouvernement le portait et ce symbole est fort. Il n’en reste pas moins que ce port doit être favorisé au sein des ministères et aussi auprès du maximum d’associations civiles traitant de la citoyenneté. Son achat doit être rendu possible aisément partout en France comme le rappelle CHR qui réagissait à mon billet du 10 novembre. Le 11 novembre 2014 devra être préparé bien en amont pour que la nation dans sa majorité s’associe visuellement à ce devoir de reconnaissance.
Des limites apportées à la judiciarisation des OPEX
Puisque nous sommes dans la réflexion sur le fonctionnement de l’Etat et de notre société, le projet de loi de programmation militaire 2014-2013 du 2 août 2013 évoque dans son chapitre 4 de nouvelles dispositions relatives au traitement pénal des affaires militaires et en particulier à la protection juridique des militaires en opération (Lire à titre d’information la procédure parlementaire sur le projet de LPM : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12-822.html).
Bien que « non-juriste » mais concerné légitimement, j’accepterai volontiers les remarques sur les trois points retenus : les articles 17, 18 et 19 du projet de loi.
L’article 17 du projet de LPM, rejeté à tort.
Les avis de la commission des lois du Sénat du 9 octobre 2013 et de la commission de l’Assemblée nationale du 6 novembre 2013 (sans débat) ont conclu à la suppression de cet article 17 qui affirmait la protection juridique du militaire en OPEX. Cela est regrettable d’autant que les raisons me semblent bien légères. J’espère que le gouvernement rétablira cet article tel qu’il a été proposé initialement.
En effet, l’article 17 du projet de loi du 2 août 2013 déposé au Sénat propose une modification de l’article L. 211-7 du code de justice militaire : « Pour l’application de l’article 74 du code de procédure pénale, est présumée ne pas avoir une cause inconnue ou suspecte la mort violente d’un militaire au cours d’une action de combat se déroulant dans le cadre d’une opération militaire hors du territoire de la République. ».
Trois raisons ont guidé la commission pour refuser cet article :
1) Cette disposition ne présenterait pas de réelle portée juridique et serait surtout symbolique ;
2) La réforme de la prévôté (gendarmerie en accompagnement des forces armées en OPEX) en 2013 et de meilleurs rapports avec les armées permettraient désormais l’enclenchement ou non d’une enquête pénale en cas de mort d’un soldat et non par la simple initiative d’un prévôt. Cependant, le dialogue et la bonne entente peuvent-ils protéger le soldat en OPEX ? Les exemples passés négatifs sont encore dans nos esprits.
3) Le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), instance consultative constituée de militaires, a été consulté facultativement sur ce texte. Il a donné un avis défavorable en souhaitant que la recherche pour cause de mort soit systématiquement menée. Si je lis les commentaires de l’ancien ministre de la défense, Alain Richard, soutenant aussi la position du CSFM : « pour les militaires du rang notamment, cette enquête est une garantie car elle permettra à leurs camarades comme à leurs familles de savoir si la mort résulte d’un tir ami ou d’un tir de l’ennemi. L’article 17 était donc excessif ».
Il s’agit bien de pouvoir remettre potentiellement en cause les choix tactiques qui ont entraîné le décès de soldats. Je pense que cette argumentation est grave et montre une certaine forme de suspicion envers les chefs militaires allant à l’encontre de l’objectif de cet article 17 de la LPM.
Une modification du code de procédure pénale par l’article 18
Le projet de loi du 2 août 2013 propose dans cet article 18 l’ajout d’un alinéa à l’article 698-2 du code de procédure pénale qui serait rédigé de la façon suivante : (…) « Toutefois, l’action publique portant sur des faits commis dans l’accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d’une opération militaire se déroulant hors du territoire français ne peut être mise en mouvement que par le procureur de la République. »
Pour corriger la judiciarisation des actions militaires, cette modification a pour objet de rétablir ce monopole du ministère public pour les faits commis par le militaire dans l’accomplissement de sa mission et éviter des constitutions de partie civile non appropriées.
Pour sa part, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté l’article 18 en l’amendant. Y compris dans la modification de l’article 19 de la LPM, aux termes généraux d’« opération militaire » est substituée l’expression « opération mobilisant des capacités militaires ». Cette nouvelle définition dispose aussi que la « durée, l’ampleur ou l’objet » d’une intervention sont indifférents pour caractériser une opération militaire. Cette définition permet en effet de prendre en compte la variété des opérations menées par les armées.
Les parlementaires des commissions ont constaté en effet la fin de la distinction claire entre temps de paix et temps de guerre dans les interventions militaires menées par la France depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elles ne sont pas formellement des guerres. Aucune déclaration de guerre ne précède l’intervention armée qui a le plus souvent lieu contre un ennemi mal défini, s’il n’est pas simplement qualifié d’adversaire.
J’avais déjà évoqué cette situation à plusieurs reprises soit en interne soit dans des articles, sans grand succès, il faut le reconnaître (Le Casoar, revue des saint-cyriens, juillet 1998, « Une armée professionnelle a-t-elle un avenir dans une démocratie moderne? » ; Mars, Revue de l’Ecole de guerre, avril 2002, « La démocratie et la guerre »). Les armées dès 2002 créaient en effet la notion « d’opérations de guerre » dans la doctrine d’emploi des armées pour que les militaires ne soient pas en porte-à-faux mais la doctrine n’a aucune valeur juridique.
Il était donc temps au bout d’un grand nombre d‘années d’« opérations de guerre » de remédier à cette situation. Cependant mieux aurait valu à mon avis définir juridiquement la situation de crise, qui se situe entre la paix et la guerre et sur laquelle de nombreux travaux ont été rédigés.
Cet article 18 a reçu un avis favorable des commissions.
Art 19 Une protection juridique renforcée
Le projet de loi du 2 août 2013 propose dans son article 19 une modification de l’article L. 4123-11 du code de la défense qui précise :
« (…) les militaires ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions que s’il est établi qu’ils n’ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie ».
Il serait donc complété par un nouvel alinéa « Ces diligences normales sont appréciées au regard notamment de l’urgence dans laquelle ils ont exercé leurs missions, des informations dont ils ont disposé au moment de leur intervention et des circonstances liées à l’action de combat ». Avec l’insertion notamment de l’expression « opération mobilisant des capacités militaires » au lieu d’ « opération militaire », cet article 19 a reçu un avis favorable des commissions.
Je constate cependant qu’il faut aujourd’hui qualifier d’une opération de « militaire » pour la considérer comme telle et comme si cela n’allait pas de soi. La définition militaire d’une opération est pourtant claire : « Ensemble d’actions militaires menées par une force généralement interarmées, voire interalliée ou multinationale, dans une zone géographique déterminée appelée théâtre d’opérations, en vue d’atteindre un objectif stratégique » mais si les politiques commencent à faire de la doctrine, il y a un changement…