lundi 22 juillet 2024

Que penser de ce Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale ?

Tellement attendu, enfin arrivé, et comme je l’avais pressenti avant cette publication, si peu de commentaires dans la période de torpeur des vacances scolaires hormis les chiffres alors qu’un Livre blanc est avant tout une vision stratégique pour la France dans le domaine de la défense de ses intérêts. Selon le Monde, le président de la République devrait cependant s’exprimer sur ces grandes orientations sécuritaires  le 24 mai.

Un Livre blanc apparemment peu novateur

Ce Livre blanc surprend-il ? Non si on garde une lecture traditionnelle. Reconnaissons cependant qu’il est clair, explicite, pédagogique à la grande différence de celui de 2008, réaliste sans doute. Certes il ne pourra être lu par tout le monde mais celui qui veut se donner la peine de comprendre les enjeux stratégiques, qui ne limitent pas à la seule vision militaire, y trouvera son compte, oserai-je dire son salaire.

Réaction à la marge, j’exprimerai cependant un certain agacement devant les expressions « les femmes et les hommes » ou les « civils et militaires » systématiquement employées dans le texte, le militaire venant toujours « après ». C’est vrai que nous avons eu le droit de vote après les femmes, que j’entends parfois que le glaive cède à la toge. La communauté de défense n’est-elle pas avant tout une communauté majoritairement masculine et militaire ?

160 pages, une préface du président de la République, 7 chapitres que l’on pourrait réorganiser en trois parties : la France et sa vision stratégique dans le monde actuel, sa stratégie avec ses priorités et ses alliances, enfin les capacités dédiées à sa mise en œuvre. Je remarquerai cependant le fourre-tout de 45 pages du chapitre 7 intitulé « les moyens de la stratégie » qui aurait mérité un autre traitement car, bon, on parle de « nous », la communauté de défense. Un détail sans doute.

Sur le fond, le Livre blanc 2013 est dans la continuité de 2008 et des réformes de celui-ci largement citées. La stratégie de sécurité nationale est réaffirmée. Peu de changements apparemment donc hormis la diminution des contrats opérationnels, la réduction des ambitions pour les forces armées, la déflation des effectifs. Ils auront été réduits de 25,94% d’ici à 2019 soit 83 000 postes en onze années, passant ainsi de 320 000 à 237 000 personnes, un autre détail mais sans manifestation.

D’ailleurs le Livre blanc rappelle notre discipline, notre loyauté affirmées dans le statut et nous permettant justement de bénéficier de ce statut protecteur, un rappel?  Donc pas grand-chose de neuf. Je ferai peut-être la remarque, une de plus, que ce qui est présenté comme de la rigueur dans la réduction de la dette n’en est pas vraiment puisque les postes sont créés pour bien plus longtemps dans d’autres administrations.

Ce qui a été commenté

Cependant, au hasard de la lecture, des orientations apparaissent. Ainsi il est affirmé la possibilité de la France d’intervenir d‘initiative au nom des intérêts stratégiques, ce qui n’est pas rien. Et très satisfaisant tant qu’on disposera des capacités. Je ne répéterais pas non plus ce qu’on peut lire ailleurs :

* La dimension européenne de la défense évoquée dans ce Livre blanc (voir B2 du 3 mai 2013 « donnant-donnant-10-preconisations-de-paris-pour-la-politique-europeenne-de-defense ») en notant que B2 oublie la volonté française de promouvoir la politique industrielle de défense européenne avec ce que cela implique : une restructuration en raison des surcapacités constatées. C’est aussi ce conditionnel utilisé pour un éventuel Livre blanc européen sur la défense. Un oubli aussi de cette réaffirmation de l’engagement de la France au sein de l’OTAN alors que le doute sur la volonté de l’Europe à assurer sa défense est présent dans tout le Livre blanc, certes d‘une manière diplomatique.

* Un bilan critique de Jean Guisnel avec Les armées au bord de la crise de nerfs ou sur le budget (Les points noirs du Livre blanc) : « Le budget de 31,4 milliards d’euros (hors pensions) de 2013 sera certes reconduit sur la durée jusqu’en 2019, mais devra inclure le produit de la vente de bijoux de famille et ne sera pas augmenté de l’inflation. Ce seul élément amputera le budget de 400 millions d’euros par an ». En 2025, la France consacrera 1,3 % de son PIB à la défense, contre 1,56 % en 2013, au-dessous des 2 % demandés par l’OTAN.

* Beaucoup de commentateurs ont remarqué les acquisitions de fait en baisse de l’A400M (50 prévus à l’origine) ce qui ne devrait pourtant pas alléger la facture. Combien cela nous a-t-il coûté pour maintenir la production il y a quelques années ? Et puis 8000 emplois dépendent de ce programme…

* Au titre du contrat opérationnel, je ne retiendrai que la force de réaction rapide (FIRI, on change les noms pour faire la même chose) soit une capacité de projection de 2 300 hommes, c’est-à-dire un gros régiment de 1 500 hommes à trois mille kilomètres en moins de 7 jours. J’aime rappeler ces travaux en 1998 sur une force du même type en 72 heures à 5 000 km. Finalement la capacité de projeter diminue malgré les annonces.

* De fait l’armée de terre passe à 66 000 soldats pour un contrat maximum de projection de 15 000 soldats (en gros la guerre du Golfe en 1991) au lieu de 30 000 hommes. L’armée de l’air et la marine voient leur « contrat » de projection de 70 avions de combat passer à 45. 10 000 hommes de l’armée de terre restent toujours capables en permanence d’intervenir sur le territoire national.

* Enfin, dans le domaine de la stratégie militaire, je remarque avec plaisir qu’à la différence du gouvernement précédent, les actions offensives dans le cyberespace sont assumées sans que cela ne fasse beaucoup réagir.

Ce qui a été peu commenté

Revenons à ce qui me semble peu développé par les commentateurs :

* A plusieurs reprises la problématique des RH est soulevée par le Livre blanc. Il est vrai et cela n’est pas traité par les médias, que le domaine RH traditionnellement dévolu au chef militaire lui échappe. Peu à peu, constatons qu’au nom du cœur de métier, qu’il faudra sans doute définir un jour, que le chef militaire perd cette responsabilité.  Si le ministère de la défense pilote directement les RH, il pourra engager sans opposition le dégagement des cadres puisqu’il est bien évoqué un nouveau dépyramidage des effectifs dans une période sans argent.

* Comment faire partir 34 000 personnels en période de chômage et en cinq ans ? Comme le rappelle Jean Guisnel, « Le gouvernement ne s’interdit pas, à ce stade, de toucher au statut général des militaires ». Il faudra sans doute contraindre au départ des dizaines de milliers de militaires. Comment croyez-vous que cela va se passer ? Sans doute pas non plus comme ailleurs. La raison voudrait que les conditions incitatrices au départ soient correctes à l’image des restructurations dans la fonction publique ou pourquoi pas comme pour d’autres catégories de personnels. Je ne sais pas, comme les dockers il y a quelques années… mais je dis sans doute des bêtises.

* « Un dispositif adapté de reconversion du personnel » est donc annoncé. Il y en aura besoin si je me réfère à ce qui est écrit avant. Comme le rappelle ADEFDROMIL, la reconversion n’est pas un droit. Elle est toujours accordée sur demande « agréée ».

* Au titre de la stratégie de sécurité nationale, le Livre blanc développe largement les besoins de la sécurité intérieure considérée au niveau européen et français. Tout le monde doit être concerné par la sécurité nationale. Il insiste sur la mobilisation des administrations. Plusieurs fois, il rappelle que les collectivités territoriales sont appelées à s’y investir : préparation, planification… Vu les enjeux que je peux comprendre, pourquoi ne pas proposer à un certain nombre de militaires, qui devront quitter les armées, des emplois réservés au sein des collectivités territoriales pour leur permettre de remplir leurs tâches dans la sécurité nationale et d’assurer cette transition rapidement ?

*Dans le domaine de la stratégie militaire, notamment à travers l’engagement de la France en gestion de crise et au titre de l’approche globale « interministérielle », peu de commentateurs ont relevé le besoin de développer des relations civilo-militaires plus élaborées pour cette situation devant mettre en synergie tous les moyens de l’Etat. La question du commandement en opération d’un ensemble civilo-militaire est d’ailleurs prudemment posée. Qui commandera une force civilo-militaire sur un théâtre d’opération extérieur ? Compte tenu des réticences d’un certain nombre de civils à « être commandés par un militaire », je pense que la réponse est toute trouvée. Combien de postes importants dans les armées aujourd’hui autrefois confiés à un militaire ont désormais un chef civil avec un adjoint militaire ?

* Enfin, le développement de l’esprit de défense est évoqué. Une place est bien sûr donnée aux réserves en soulignant les besoins financiers notamment. Je ne crois pas que les réservistes croient encore à une amélioration de leur condition et de leur emploi. Toutes les semaines ou presque, j’ai d’ailleurs cette demande de réservistes à la recherche d’une simple affectation pour servir. Quant à la réponse à apporter à l’affaiblissement du lien armée-nations dans les nombreux départements désertés par les armées, la seule méthode retenue sera la communication.

Pour conclure, le déclin des forces armées me semble inéluctable et sera constatable sans doute au prochain Livre blanc annoncé dans cinq ans… avec le prochain président de la République. Le Livre blanc n’est plus une vision stratégique à quinze ans comme annoncée mais un projet politique à cinq ans de l’outil de défense, donc soumis à tous les aléas. Bien loin de toute vision stratégique.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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