Le Mali me paraît une crise intéressante à observer. A proximité de l’Europe et mettant à l’épreuve sa volonté d’assurer ses responsabilités de défense, ce conflit, de faible ampleur mais avec de graves conséquences potentielles, est déjà riche en enseignements dans une zone traditionnelle d’influence française, ce qui implique une volonté de la France à la préserver et de s’en donner les moyens. Cette guerre intervient aussi dans le contexte particulier des relations franco-algériennes issues de leur passé. En bref, nous sommes en présence d’un ensemble de facteurs qui rendent la résolution de ce conflit particulièrement difficile sans une forte détermination collective.
Situation actuelle.
Le Mali n’a pas fini en effet d’occuper nos esprits sinon de nous préoccuper. Je rappellerai que le 16 novembre, les rebelles touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, laïc) ont essuyé une défaite lors de violents combats avec des islamistes du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), dans le nord-est du Mali. Pas très encourageant…
Lundi 19 novembre, l’Union européenne a validé sous conditions le lancement d’une mission européenne de formation, d’entraînement et de réorganisation de l’armée malienne en six mois à partir de janvier 2013 avec quelque 240 formateurs pour quatre bataillons – soit 2 600 hommes à l’école interarmes de Koulikoro, à 60 km de la Bamako. Coût entre 4,5 et 7,5 millions d’euros. « Le but est de placer les groupes armés sur la défensive, pour éviter l’extension de leur activité » commente (sans rire) un expert européen au Monde. Une intervention de forces préparées à l’été 2013, une attente d’autorisation des Nations unies sur l’engagement de 3300 hommes de la CEDEAO pour un an toujours en suspens n’augurent rien de bon sur la résolution rapide de cette guerre.
Ne voulant pas engager directement ses forces, la France a cependant été sollicitée comme nation-cadre grâce à ses forces prépositionnées dans la région : forces spéciales au Burkina, instructeurs des forces spéciales en Mauritanie et au Niger, effectifs récemment renforcés au Tchad dans le cadre de la force Epervier, éléments français au Sénégal, un navire de guerre en permanence dans le golfe de Guinée. La politique des forces prépositionnées est à nouveau justifiée (Espérons que cela ne sera pas oublié dans le prochain Livre blanc !).
Le contexte particulier des rapports franco-algériens
Le contexte franco-algérien est en arrière-plan : année du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie et de l’indépendance de ce pays, visite certes du président de la République en Algérie début décembre mais aussi tensions récurrentes entre la France et l’Algérie depuis des années.
J’observe en effet ces propositions de loi, projets de loi ou même lois ayant un lien avec notre histoire presque commune avec ce pays : reconnaissance accordée à nos anciens combattants d’Algérie (campagne double, carte du combattant), loi votée par la majorité sur le 19 mars 1962 comme date officielle de la fin de la guerre d’Algérie pour répondre à des associations d’anciens combattants à gauche de l’échiquier politique français, reconnaissance de l’exécutif des responsabilités de la France lors de la manifestation du 17 octobre 1961, polémique (certes avec peu d’effets) sur les honneurs rendus ce 20 novembre au général Bigeard en présence de Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Enfin, je n’oublie pas la communauté harki, objet de plusieurs propositions de loi dans le cadre du logement social ou de l’examen du budget 2013. Cela montre la sensibilité forte, sinon épidermique, qui accompagne la construction de ces relations franco-algériennes.
Pour comprendre la position de l’Algérie sur le Mali et indirectement sur ses rapports avec l’ancienne puissance coloniale, il m’a semblé intéressant de me pencher plus particulièrement sur le vote peu relaté dans les médias par l’Assemblée nationale de cet accord de coopération militaire avec l’Algérie. Le processus complet incluant actions de l’exécutif et actions du législatif m’a semblé tout aussi instructif.
Ainsi, issu d’un processus engagé (dossier parlementaire complet) en 2002 par l’Algérie, relancé par le président Sarkozy en décembre 2007, un accord relatif à la coopération de défense a été signé par les ministres de la défense le 21 juin 2008 puis par décret présidentiel algérien le 27 mai 2009, non ratifiée par la France ensuite, relancé par le gouvernement français le 4 juillet 2012. Le projet de loi a été définitivement voté par l’assemblée nationale ce 19 novembre 2012 avant d’être envoyé au Sénat pour avis puis en discussion plénière ce 23 novembre 2012 où il est voté sans amendement. La longueur du processus a été liée notamment aux différentes polémiques mémorielles en France de cette époque mais aussi à un blocage du Conseil d’Etat français en 2009 suite à l’un des articles sur l’application de la peine de mort, toujours en vigueur en Algérie.
Sans y revenir en détail, cet accord a surtout permis aux commissions de l’Assemblée nationale de la défense (24 octobre 2012) et des affaires étrangères (7 novembre 2012), de la commission du Sénat des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (21 novembre 2012) de donner des avis exhaustifs sur le texte, le parlement devant être informé aussi de ces accords depuis 2009.
Ces accords établissent une commission mixte franco-algérienne pour organiser la coopération bilatérale. Retenons qu’elle comprend quatre sous-commissions créées par l’article 4 (stratégique, militaire, armement et santé militaire) et qu’elles ont fonctionné avant le vote de la loi validant cet accord. Le budget annuel attribué depuis 2008 par la France s’élève à 176 000€ principalement dédié à la formation dans nos écoles (une vingtaine d’officiers). Enfin, l’état des forces algériennes est inclus dans les avis parlementaires et montre que ces forces armées sont les plus puissantes du nord de l’Afrique.
Quel rôle pour l’Algérie au Mali ?
Depuis plusieurs mois la problématique d’une intervention au Mali se discute. Depuis quelques semaines, des orientations apparaissent. Une interrogation demeure : quel sera le rôle de l’Algérie d’autant qu’une réunion 5+5 défense lancée en 2004 (Algérie, Libye, Maurétanie, Maroc, Tunisie, France, Italie, Malte, Portugal, Espagne) entre les CEMA des pays concernés vient de se clore à Rabah qui peut laisser supposer quelques orientations ?
La réticence constatée de ce pays à engager ses forces armées au Mali semble au moins être due à des restrictions constitutionnelles. Si je me réfère effectivement à la constitution de la « république algérienne démocratique et populaire » (notons que l’islam est la religion d’Etat par son article 2), les articles 26 à 28 spécifient que l’Algérie se défend de recourir à la guerre pour porter atteinte à la souveraineté légitime et à la liberté d’autres peuples. Elle ne fait pas d’ingérence. Elle souscrit aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies. Cependant, la lecture de ces articles montre au contraire, que, s’il y a une demande d’un Etat, avec l’aval donc d’une résolution des Nations unies, l’Algérie pourrait intervenir au Mali.
L’action des forces armées est pour l’heure limitée au territoire national (4 fois la France avec une armée de 400 000 hommes dont 170 000 pour l’armée de terre, 10% des forces dans la zone sahélienne) bien que leur participation à des opérations de soutien de la paix semblerait se dessiner avec 1000 hommes dans le cadre de la force africaine en attente de l’Union africaine prévue pour 2015.
La lutte contre le terrorisme reste une priorité de l’Etat algérien qui est d’ailleurs intégrée dans l’accord de coopération avec la France. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en zone sahélienne, l’Algérie héberge le comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC à Tamanrasset avec le Mali, le Niger, la Maurétanie) ainsi que le centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme à Alger.
L’action internationale de l’Algérie reste cependant plutôt diplomatique comme médiateur comme elle l’avait fait en 2006 entre le Mali et les Touaregs. Sur la situation d’AQMI, il faut cependant se rappeler que, si AQMI est au Mali, c’est parce qu’il a été chassé d’Algérie et qu’il est toujours un ennemi du régime. Des attaques terroristes ont d’ailleurs été menées du nord-Mali contre des emprises algériennes en 2012.
La situation ambiguë de l’Algérie pourrait donc entraver l’action internationale au Sahel. Pourtant, dans cette lutte contre le terrorisme, cet accord de coopération franco-algérien dont c’est l’un des domaines identifiés, pourrait contribuer à une synergie souhaitée entre nos deux pays, notamment dans le domaine militaire, pour empêcher un enracinement durable des mouvements terroristes. Il est vrai qu’un risque pourrait apparaître pour l’Algérie. Chasser AQMI du Nord-Sahel pourrait le faire revenir en Algérie.
Pour l’éviter, cela conduit à une stratégie militaire d’éradication d’AQMI qui ne peut se concevoir que dans une approche globale et dans le long terme, dans le développement d’une coopération de confiance.