Avant d’aborder cette réflexion, il me semble utile de rappeler quelques éléments concernant la sécurité internationale et survenus cette semaine.
L’Europe est toujours absente de la RCA alors que ce 28 mars Barak Obama rappelait aux Européens que « La liberté a un prix » et donc qu’il réside dans l’entretien d’un outil de défense crédible et efficace. Il veut relancer la sortie de crise en Ukraine avec une Russie qui a d’ailleurs augmenté son budget de la défense de 40% en cinq ans. L’OTAN a désormais u nouveau secrétaire général un Norvégien, Jens Stoltenberg. Quant à nous, malgré des succès réels au Mali, nous sommes face à une crise centrafricaine non résolue et une inquiétude croissante face aux djihadistes français (Cf. Mon billet du 19 janvier 2014)
Sur cette dernière information, selon le Monde, lors d’un conseil restreint sur l’islamisme ce lundi, il a été proposé notamment d’inciter les éventuels djihadistes à préférer la voie humanitaire plutôt que celle du djihad. Présenté comme cela, j’ai l’impression de rêver. Comment le Hezbollah a-t-il assuré et conforté sa légitimité au Liban sinon en pratiquant l’humanitaire et le social ? A quand la carte d’ancien combattant aux djihadistes français revenant d’un théâtre d’opération pour leur permettre de se réinsérer dans la société française ?
Guerres d’hier et d’aujourd’hui
Reconquérir le domaine de la pensée militaire me paraît essentiel. En effet, les militaires sont absents des questions de stratégie militaire, même si quelques individualités se distinguent.
Dans un premier temps, il faut se référer à l’histoire militaire passée et actuelle. Il n’y avait pas de stratégie militaire en 1914, seulement une doctrine, critiquée pour ses échecs en 1914, mais les généraux et l’Ecole de guerre avaient une forte influence sur la manière de concevoir la guerre. Les autorités militaires étaient associées étroitement au pouvoir politique, la stratégie était globale et donc la dimension militaire naturellement prise en compte.
Aussi, la responsabilité du choix de l’offensive a été à la fois politique et militaire. La doctrine d’emploi des armées (Règlement sur le service des armées en campagne) à la différence d’aujourd’hui était l’objet d’un décret du président de la République sur proposition du ministre de la guerre (Cf. service des armées en campagne du 2 décembre 1913).
La soirée du 25 mars consacrée à la guerre sur France 2, celle de 1914 a été traitée à nouveau avec cette seconde partie d’Apocalypse consacrée à la Première guerre mondiale. Elle a surtout été suivie d’un documentaire sur l’embuscade d’Uzbin (Afghanistan). Le 18 août 2008, une section de parachutistes du 8ème RPIMa tombait dans une embuscade tendue par des talibans dans la vallée d’Uzbin. L’attaque faisait 10 morts et 21 blessés parmi les Français.
Le documentaire faisait appel aux témoignages de quatre soldats qui ont tous quitté l’armée et refait leur vie. Certes ce combat était du niveau tactique, celui du combattant, mais aujourd’hui la tactique influe sur la stratégie. Reconnaissons que, sans Uzbin, les armées n’auraient pas évolué mais est-ce que la stratégie militaire a été modifiée ? Pas vraiment, la transformation était prioritaire, pas la pensée militaire et la stratégie à imaginer à dix ans pour gagner les guerres futures. Cependant ce document émouvant sur nos soldats est à regarder (Cf. en replay).
En cette année de commémoration de la Première guerre mondiale, j’attirerai l’attention sur ce remarquable numéro de Politique étrangère de printemps consacrée à « la Grande guerre 1914 – 2014 et le monde de demain ». Ce dossier insère la guerre de 1914 dans le siècle et dans les guerres jusqu’à aujourd’hui. Il étudie en profondeur les causes et les conséquences de ce conflit sous de nouveaux angles. Ce numéro complète utilement le numéro de Politique étrangère d’automne 2013 qui comprenait un dossier intitulé « Les guerres de demain ».
Réflexion stratégique: l’analyse militaire américaine des opérations d’information chinoise
Cette semaine a aussi été marquée par la visite du président chinois en France (18 milliards d’euros de contrats civils). En ce même mois de mars, le centre de recherche de l’Ecole de guerre de l’armée de terre américaine publie une étude sur l’appropriation de la guerre de l’information par l’armée populaire chinoise (Cf. The Chinese People’s Liberation Army and Information Warfare)
Par les opérations sur l’information, l’objectif de l’APL vise à « traiter » des sources d’acquisition de l’information par l’ennemi, ses canaux d’information, son processus décisionnel sans oublier la protection du processus décisionnel chinois. De fait, la similitude avec les doctrines occidentales est frappante. L’information est au cœur des opérations pour savoir, décider, influencer, désinformer. Cette étude montre aussi que ce qui est cyberguerre et ce qui est du domaine de la guerre électronique prennent en compte le département de la propagande du PCC et celui du renseignement,
En terme de stratégie, l’étude rappelle qu’en 2003, le comité central du PCC et la commission militaire avaient approuvé un nouveau concept intégrant en synergie trois types de guerre : médiatique, psychologique et juridique. La guerre médiatique vise à influencer l’opinion publique nationale et la communauté internationale ; la guerre psychologique vise à démoraliser l’ennemi, population civile ou forces armées ; la guerre juridique vise à légitimer les opérations chinoises et bien sûr délégitimer celles de l’ennemi.
Cette étude se termine par la réaction des Etats-Unis et une mise en garde devant une trop grande crédulité occidentale face à la Chine.
Se réapproprier le domaine de la stratégie militaire
A partir de ce cas concret, cette étude comme d’autres me fait en effet réagir si je considère notre système de réflexion et de recherches sur la stratégie militaire au sein notamment du ministère de la défense.
Qu’est-ce que la stratégie générale militaire ? le glossaire interarmées la définit comme étant la « conception, mise sur pied, organisation et mise en œuvre des moyens militaires en vue d’atteindre les objectifs définis par le projet politique national ou multinational dans le cadre d’une stratégie globale. Il s’intéresse en particulier à la préparation et à la conduite de la guerre ». Cette vision reste cependant réductrice. Nous devons penser la guerre d’après-demain et pas seulement celle de demain.
J’ajouterai que la stratégie ne peut pas coïncider avec le calendrier politique et qu’elle devrait même s’en dégager. Un livre blanc qui change à chaque élection ne peut constituer le socle d’une stratégie qui est une vision à long terme (10 ans et plus), y compris dans la stratégie militaire.
Pour revenir au centre de recherche de l’Ecole de guerre de l’armée de terre, celui-ci dépend de l’armée de terre américaine pour la recherche et l’analyse des questions géostratégiques et de sécurité nationale (Cf. SSI). Il appuie aussi la scolarité des officiers stagiaires de l’Ecole de guerre, assure des analyses pour l’armée de terre et ministère de la défense. Il est composé de professeurs civils et d’officiers expérimentés. Cette synergie n’a pas pu être faite en France. Au contraire.
En effet, si je me réfère à l’organisation de notre réflexion stratégique et notamment militaire, le ministère de la défense ne peut que difficilement répondre à cette anticipation sur l’avenir de nos forces et leur emploi qu’elles soient terrestres, navales ou aériennes. Où réfléchit-on sur la stratégie militaire, sur des questions militaires en lien avec la stratégie ? Nulle part. Tout a été fait pour qu’aucun lien ne soit établi aujourd’hui au niveau de la stratégie militaire.
J’invite d’ailleurs chacun à rechercher les études produites par l’institution militaire et directement exploitables à long terme par les armées pour gagner la prochaine guerre. Hormis les recherches historiques, la géopolitique et l’armement, les études, sauf erreur de ma part, n’apportent pas grand-chose à la stratégie militaire.
Pour conclure, les militaires, et non les stratèges en chambre, doivent conduire la réflexion dans le domaine de la stratégie militaire dans lesquels ils ont en principe à la fois la légitimité et l’expertise.