jeudi 3 octobre 2024

Réflexions sur les armées et guerre en Syrie

 

Je pensais limiter mon billet de cette semaine à la stratégie maritime qui paraitra donc ultérieurement mais les événements et les informations de la semaine concernant les armées à différents titres ne peuvent me laisser indifférents.

Honneurs à nos Anciens

En premier lieu, ayons une pensée pour le grand soldat et résistant qu’était Hélie Denoix de Saint-Marc décédé le 26 août dernier. Ses obsèques religieuses ont eu lieu, à la demande de sa famille et de lui-même, en la cathédrale Saint Jean de Lyon, suivies des Honneurs militaires sur le parvis en présence du CEMAT représentant le MINDEF. Ses engagements personnels et l’histoire sont là pour rappeler ces dilemmes qui peuvent faire agir ou réagir le soldat, qu’il soit à terre, en mer ou dans l’air, face aux situations complexes des crises et des guerres du moment.

La vie d’Hélie Denoix de Saint-Marc (Cf. L’Opinion du 26 août 2013) est un exemple pour la formation morale de chaque officier comme bien d’autres exemples de notre histoire récente que ce soit par exemple, celui du général De Gaulle en 1940, des généraux ou amiraux de l’armée d’armistice (1940-1942) pour rester dans l’esprit des commémorations de la libération de la France.

Les honneurs rendus au commandant de Saint-Marc m’ont cependant rappelé une rumeur sur une proposition selon laquelle les honneurs militaires rendus à nos soldats ne devraient plus avoir lieu à la cathédrale des Invalides mais au Panthéon « plus laïque ».

Mais qu’irions-nous faire au Panthéon, même si un tiers des personnes qui y sont honorées sont des militaires (mais du 1er empire pour la plupart), alors que les Invalides sont le symbole des armées dans Paris, que ce soit par l’hôtel des Invalides qui accueille nos grands blessés, le musée de l’Armée qui raconte l’histoire militaire de la France, cette cour des Invalides où l’Empereur, reposant avec les plus glorieux de nos maréchaux et de nos généraux sous le dôme des Invalides (mais aussi Rouget de Lisle), veille sur les troupes rassemblées ? Enfin, la cathédrale des Invalides n’est-elle pas dédiée au soldat sans tenir compte de ses croyances ?

Enfin, je n’oublie pas que ce 31 août et ce 1er septembre, les troupes de marine commémorent à Fréjus les combats de Bazeilles (près de Sedan) de 1870.

La question syrienne : l’Europe mise au défi

En effet, la question syrienne et celle du Moyen-Orient en général interpellent. Après avoir entendu le bruit des bottes et les grandes déclarations occidentales sur une nécessaire intervention militaire en Syrie pour sanctionner le régime Assad suite à l’agression chimique du 21 août, seuls les Américains restent dans l’optique éventuelle d’agir militairement, avec le soutien d’un seul Etat européen, la France.

Comme l’ont souligné un certain nombre de commentateurs, l’attaque « doit être » attribuée au régime syrien même si les raisons d’une telle attaque paraissent bien incompréhensibles. Au moment de l’attaque, le Figaro, repris pour d’autres médias, annonçait le 22 août l’avancée sur Damas de forces insurgées encadrées par des forces spéciales … qui ont disparu aujourd’hui.

Le soupçon d’une nouvelle manipulation pour détruire un gouvernement certes dictatorial mais qui combat une menace islamiste aujourd’hui plus en plus réelle existe depuis l’Irak. A ce titre,  j’ai bien apprécié sur ce sujet ce vendredi 30 août 2013 l’éditorial d’Eric Zemmour sur RTL (je sais, il y en a qui ne l’aiment pas mais les libertés d’expression et de pensée ne sont-elles pas reconnues en France ?).

Sur l’engagement en Syrie, l’Europe est absente montrant que les intérêts européens en terme de défense commune et d’intervention militaire sont bien difficiles à établir. Cela renforce mon analyse du 25 août 2013 . Ainsi, le parlement britannique a voté contre l’intervention militaire. L’Allemagne et l’Italie pourtant évoqués comme membres de l’Eurogroupe par la commission parlementaire dans mon billet n’agiront pas. Restent donc bien les Etats-Unis peut-être à compter du 9 septembre après le vote du Congrès et à la date d’aujourd’hui la France (on verra après le 4 septembre).

Cette configuration d’alliance franco-américaine qui se dessinerait m’aurait semblé personnellement très positive et exceptionnelle. Je me demande ce que nos commentateurs habituels, politiques ou journalistes, auraient cependant dit sous la présidence précédente si la France était intervenue seule aux côtés des Etats-Unis.

Quelques conclusions à tirer

Intérêts stratégiques et pragmatisme régional.

Musulmans chiites et sunnites se haïssent. Les musulmans sunnites fanatiques veulent établir la loi religieuse dans les zones musulmanes en conflit pour mieux se propager dans le reste de la planète. Perses et arabes se haïssent. Juifs et arabes se haïssent. Juifs et perses au moins au sein des instances gouvernementales de l’Iran se haïssent. Le monde arabo-musulman hait le monde occidental. Ce monde moyen-oriental enfin est opposé à toute laïcité. Est-il donc si compatible avec nos valeurs et le fonctionnement de notre société occidentale comme d’aucuns l’affirment ?

Il faut donc reconsidérer notre politique en Méditerranée et au Moyen-Orient, poudrière que nous n’arrivons pas à contrôler malgré parfois les liens privilégiés développés par les diasporas présentes sur nos territoires ou par l’Histoire. Il est sans doute temps de prendre du recul et de ne pas s’immiscer, compte tenu des risques, dans des conflits pour lesquels nous n’aurions ni la volonté, ni les capacités militaires pour agir dans la durée.

Devant tant de haines, laissons donc ces Etats en devenir ou souhaitant s’isoler « théocratiquement » pour la plupart, régler leurs problèmes seuls. L’assistance et l’aide ne devraient être développées qu’en fonction de nos intérêts stratégiques qu’ils soient économiques ou sécuritaires. La fermeté, éventuellement par des actions militaires, devrait aussi exprimer les limites que nous mettons à toute menace sur nos intérêts.

Stratégie militaire et frappes.

Sous la présidence Mitterrand, il y a trente ans, la France lançait des frappes aériennes à Baalbek le 17 novembre 1983 sur le Hezbollah (Liban) suite à l’attentat suicide qui avait coûté la vie à 58 parachutistes français le 23 octobre précédent. Constatons une configuration presque similaire à aujourd’hui avec une alliance franco-américaine pour ces frappes de représailles bien que les Etats-Unis y renonceront à l’époque (déjà ?).

Néanmoins, l’efficacité d’une action militaire repose au moins sur la surprise. Les Syriens vont-ils attendre que nous les frappions ? Ferons-nous comme en 1983, comme cela a été écrit souvent en prévenant nos cibles pour qu’il n’y ait que l’acte symbolique et médiatique ? Ne rien faire après avoir beaucoup déclaré ne va-t-il pas disqualifier Français et Américains ? Ne sommes-nous pas contraints désormais d’agir ?

En effet, il reste la réponse occidentale à l’acte transgresseur de l’emploi de l’arme chimique, à condition que le vrai coupable soit puni. Peut-on laisser cet acte sans réponse sans au moins une frappe limitée, symbolique mais significative pour marquer les lignes rouges qui ne doivent pas être franchies ? Malgré cela, les opinions publiques occidentales y sont opposées bien qu’en France, 62% des sympathisants du parti socialiste y soient favorables (Cf. Le Monde du 31 août 2013).

Cependant, cette réponse signifie l’acceptation des conséquences de ces frappes même limitées. Le fanatisme d’une part, un régime aux abois d’autre part, cela ne conduirait-il pas à une extension du conflit sous les différentes formes connues de la stratégie indirecte ? Quelle signification donnée à l’inaction si celle-ci était privilégiée ?

Enfin, il faut souligner, contrairement à la stratégie d’emploi des forces armées françaises, la mise à l’écart de tout aval du Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui est quand même un choix politique important mais qui prend en compte, à mon avis, les limites des Nations unies et la réalité des relations internationales de ce début de XXIè siècle.

Politique intérieure française.

Les opérations militaires sont désormais soumises à un débat à l’Assemblée nationale depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Les déclarations volontaristes de l’exécutif sur la Syrie ont été fragilisées par le faux-bond américain, au moins temporaire. Une partie de la classe politique réclame un vote parlementaire sur l’action militaire, exprimé par certains comme le symbole d’un mouvement vers une sixième république (Cf. Noel Mamère ce dimanche) ce qui me paraît un danger pour nos institutions. La Vè république, certes imparfaite, permet à un exécutif de gouverner dans un pays comme la France.

Or, le principe de la surprise d’une opération d’une part, la liberté d’action nécessaire du chef des armées d’autre part doivent être préservés mais le piège est là et nos parlementaires devraient faire attention à ne pas lier les mains de l’exécutif pour des raisons bien politiciennes. Sans doute aussi que l’exécutif, sinon le ministre des affaires étrangères, se sont bien trop engagés pour ne pas être dans l’embarras. En cas de défection américaine, pourquoi ne pas agir dans une coalition franco-arabe mais pour la surprise et donc l’efficacité de l’opération, les doutes peuvent être légitimement évoqués.

Europe de la défense et stratégie militaire.

Devant les multiples et divergentes positions des Etats européens, la crise syrienne montre qu’il est illusoire de développer une défense et une stratégie militaire européennes pour l’emploi de leurs forces armées dans le cadre d’une politique étrangère commune. L’exemple syrien renforce mon billet du dimanche 25 août 2013 sur l’Europe et sa défense.

L’Europe n’est pas capable d’assumer ses responsabilités de puissance notamment en sachant intégrer une politique étrangère et une stratégie militaire crédibles. Par la préservation de capacités militaires autonomes en cette veille de débat de loi de programmation militaire, la France peut choisir sa voie et sans doute permettre à notre exécutif d’être un acteur important des relations internationales.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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