Les conflits afghans et libyens ont rappelé que l’engagement direct d’unités sur le territoire d’un Etat étranger demandeur n’était pas toujours suffisant ou possible. Une assistance militaire au profit de forces armées locales ou en fonction d’un impératif par exemple de protection d’une population en insurrection s’avère un mode d’action plus efficace ou complémentaire d’un Etat qui a vocation à peser sur les relations internationales.
En effet, deux modes d’action complémentaires qui n’excluent pas le recours aux autres capacités de nos forces armées, ont fait à nouveau leur apparition au service de la stratégie militaire : la guerre contre-insurrectionnelle avec des affrontements directs aux côtés d’une force armée locale et/ou des actions de formation, une assistance militaire opérationnelle à une insurrection. En sortie de crise, cette assistance peut se poursuivre au service de la stratégie d’influence de la France, notamment pour la reconstruction des forces armées nationales destinées à assurer durablement la stabilité de l’Etat souverain, la prise en compte de ses responsabilités régaliennes notamment sécuritaires, le désengagement des forces étrangères si elles ont été déployées.
Dans quel contexte ?
Dans un contexte où les intérêts nationaux ne justifient pas un affrontement direct de haute intensité, les armées françaises doivent donc réfléchir la guerre différemment en fonction des critères suivants :
1) Les forces armées françaises ne sont engagées aujourd’hui ni pour des conquêtes territoriales, ni pour recréer un nouvel empire colonial ;
2) Elles soutiennent des forces armées locales qui sont les premières concernées par le rétablissement de l’autorité d’un gouvernement central. Le conflit dans lequel elles sont engagées est « leur » conflit ;
3) Ces forces armées ont des origines diverses dans leur création. A l’issue du conflit, elles seront le pilier de la durabilité du nouvel Etat et les garantes de sa sécurité qu’elle soit intérieure ou extérieure ;
4) L’engagement de nos forces aux côtés de forces armées locales répond à une obligation de respect par ces mêmes forces locales de nos normes qu’elles soient éthiques, déontologiques ou purement opérationnelles. L’engagement politique ne doit pas être affaibli par des erreurs de comportements et l’efficacité opérationnelle ou interopérabilité doit être construite.
5) Une mise en valeur du succès des forces armées locales est un gage de réussite pour le nouvel Etat pour ce type de stratégie. Une armée victorieuse et une victoire « nationale » contribuent à l’unité nationale et à la fierté du peuple concerné ;
6) La création ou l’adaptation de ces forces armées nécessitent un accompagnement dans le temps afin de les rendre crédibles et exemplaires. On ne reconstruit pas une armée solide en quelques mois car cela implique non seulement de réintégrer les combattants dans une structure organisée mais aussi la mise en place d’un fonctionnement du temps de paix (formation des cadres, équipements, entraînement, gestion des ressources humaines en terme de parcours professionnel, financement, doctrines).
Les réflexions sur la contre-insurrection et l’assistance militaire opérationnelle en appui à une force armée étrangère développées en France depuis 2010 trouvent donc aujourd’hui toutes leurs pertinences comme modes d’action en appui à sa stratégie nationale de sécurité.
L’assistance militaire à un autre Etat, un mode d’action traditionnel d’une puissance militaire
L’assistance militaire d’un Etat à un autre est un mode d’action traditionnel d’une puissance militaire. Les Etats voulant influer sur les relations internationales et en ayant les capacités ont encadré de tout temps des armées étrangères en appui à leurs intérêts nationaux. Aussi l’assistance militaire constitue une mission traditionnelle des armées françaises. Une mission militaire française a aidé la Pologne de 1919 à 1921 contre la Russie. En Indochine, les Groupements des commandos mixtes aéroportés créés il y a 60 ans agissaient contre le Vietminh. La France a formé dans les années soixante les armées des nouveaux États, notamment africains, ayant acquis l’indépendance. Des détachements d’assistance opérationnelle ont souvent été engagés auprès des armées africaines de la zone francophone, par exemple auprès des forces tchadiennes contre la Libye dans les années quatre-vingts. L’appui à des mouvements insurrectionnels par un autre Etat est aussi une forme d’assistance militaire réservée plutôt aux forces spéciales ou aux services spéciaux. La coopération militaire enfin dans le cadre du ministère des affaires étrangères s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui notamment par le déploiement, certes décroissant, de cadres au titre de l’assistance militaire technique.
Cependant, l’enjeu stratégique est aujourd’hui celui de la promotion de nos intérêts nationaux qui se situent dans le contexte d’une communauté internationale visant à la paix et au développement à la fois démocratique, souverain, sécuritaire et économique des Etats aidés. Former, organiser et entraîner des forces armées locales aptes à défendre l’autorité légale est un objectif stratégique majeur pour la paix internationale. Enfin, reconnaissons que la lutte contre le terrorisme en général et la menace de l’islamisme radical en particulier ont conduit à une nécessaire « stratégie indirecte » avec le problème particulier d’intervenir comme non-musulmans dans des Etats musulmans le plus souvent impliqués dans les conflits actuels.
Des avantages certains
Dans la grande majorité des exemples historiques, une armée loyaliste est un facteur majeur de la création d’un Etat. Sa contribution incarne la construction d’un projet national et fédérateur d’autant que cet Etat est pluriethnique, pluriconfessionnel…. L’armée est donc un facteur de paix intérieure qui assure la sécurité et la défense de cet Etat et de sa population. Elle est l’expression d’un ordre stable et d’une unité acceptée. Elle doit donc assurer les missions de sécurité et non pas les confier à une force étrangère, sauf temporairement.
Cela signifie aussi la création de relations particulières entre les forces armées locales et étrangères au titre de l’interopérabilité des tactiques ou des équipements, des savoir-faire sinon des savoir-être notamment par la connaissance des cultures locales, de la compréhension mutuelle des points de vue, ce qui ne veut dire faire adhérer obligatoirement à notre conception libérale et occidentale du monde.
C’est limiter l’empreinte au sol d’un corps expéditionnaire, les coûts financiers et humains, et prendre en considération les perceptions des opinions publiques internationales, nationales ou locales. Cependant l’assistance militaire extérieure doit s’exercer dans la durée.
Pour conclure, des propositions
Ce que vivent nos armées dans les opérations contemporaines a beaucoup de similitudes avec les guerres du passé. Malgré la haute technologie, l’homme est revenu au cœur des conflits. Dans une époque différente et dans des contextes sans doute plus complexes, les méthodes sont similaires comme l’afghanisation des forces locales et leur encadrement par des cadres français (OMLT). La Libye montre aussi que les forces spéciales par leur discrétion ont vocation à former des unités locales par une assistance militaire opérationnelle adaptée. Des forces plus conventionnelles pourraient aussi apporter leur expertise pour lutter contre une guérilla qui pourrait s’installer. La reconstruction des forces armées en sortie de crise sera plus le fait d’une assistance militaire technique qui a fait ses preuves dans le passé auprès des forces armées locales.
Il faut donc tirer des enseignements de ces conflits récents pour mieux y répondre demain et capitaliser les expertises acquises en Afghanistan et en Libye.
- Concrètement, ce qu’il manquerait sans doute aujourd’hui en France serait une nouvelle école de la contre-insurrection et de l’assistance militaire opérationnelle. Elle pourrait être ouverte notamment aux Etats-membres de l’OTAN ;
- Un effort devrait être porté dans la formation des spécialistes de l’environnement humain des théâtres d’opération identifiés. Avant 1960, existait une filière d’officiers spécialistes des affaires arabes. Il est peut-être temps de la relancer et de la compléter par les expertises sur les pays concernés par l’arc de crise défini dans le Livre blanc. Des liens avec les laboratoires universitaires pourraient être envisagés ;
- C’est enfin le rappel que la France peut s’engager indirectement dans des conflits si ses intérêts le justifient. L’assistance militaire opérationnelle et l’assistance technique permettent indirectement de préserver ou d’accroître notre influence avec les retombées que l’on peut en attendre, y compris économiques. Ces modes d’action sont donc à promouvoir si le choix d’un affrontement direct est écarté. Cela ne signifie pas préparer nos armées à ces seuls modes d’action pour ne pas se transformer en une simple armée de cadres, sinon virtuelle…
Nous engager dans des conflits où nous ne sommes pas les premiers concernés mais où nous avons des intérêts stratégiques ou de puissance conduit à assister des armées locales. Celles-ci ont toute la légitimité pour assumer « leur » guerre. Nos forces professionnelles aguerries ont toute la légitimité pour les aider à la gagner, à un moindre coût financier et humain, dans une logique d’approche indirecte au service de notre stratégie d’influence.