mardi 19 mars 2024

Retour sur l’histoire militaire et les conflits contemporains

L’histoire militaire était au rendez-vous cette semaine tout comme les conflits. La guerre n’est jamais loin dans notre monde moderne. Une bonne nouvelle cependant en cette fête de Pâques, le retour de nos otages de Syrie. Didier François, que je connais depuis les années 90, a rappelé avec émotion comme « on a de la chance d’être français ».

La question de notre sécurité et de l’avenir de notre société est rassemblée dans cette simple phrase : « on a de la chance d’être français » et chacun devrait en être convaincu. Il ne s’agit pas de la simple satisfaction de ses « petits » besoins personnels mais de participer à la construction permanente de la nation qui permet à chacune de ses parties de travailler et d’agir pour le bien commun, sans favoritisme, sans appropriation des biens publics à des fins propres, sans le comportement d’une apparente élite agissant à la marge des lois ou en les méprisant. En bref, une république exemplaire, une nation ambitieuse et volontariste.

1914. Etre en mesure un jugement équilibré sur ce conflit

Deux nouveaux ouvrages du lieutenant-colonel Rémy Porte, particulièrement actif, ont été publiés ces dernières semaines, « Joffre » (Editions Perrin) et « 1914. Une année qui a fait basculer le monde ».

Le supplément du Monde daté du 15 avril 2014 sur « La violence inédite des armes industrielles » rectifie quelques inexactitudes tout comme la revue « Guerres et histoire » avec « 50 idées reçues sur la Grande guerre ». Celui qui veut éviter les stéréotypes et les affirmations péremptoires serait bien avisé de lire ce numéro.

Certes, on peut toujours apporter quelques réserves. Les objectifs de terreur portés par l’Allemagne me semblent bien minimiser que ce soit dans cette revue ou bien par le professeur Drévillon dans son interview au Monde (Cf. interview dans le Monde) au demeurant bien intéressant. Je me réfèrerai à « La Grande guerre 1914-1918 » (Editions France-Empire, ouvrage réédité en janvier 2014) du général Niox, directeur du Musée de l’Armée à compter de 1905 et gouverneur des Invalides à compter de 1911.

Il cite en particulier Guillaume II et le général von Stenger commandant la 58ème brigade (P35), le premier écrivant à François-Joseph, « mon âme se déchire mais il faut tout mettre à feu et à sang, égorger hommes, femmes, enfants et vieillards, ne laisser debout ni un arbre ni une maison. Avec ces procédés de terreur, la guerre finira avant deux mois », le second en s’adressant à ses troupes le 26 août 1914 : « A partir d’aujourd’hui, les prisonniers seront massacrés ; les blessés en armes ou sans armes, massacrés ; les prisonniers déjà groupés en convoi, massacrés ». Ces atrocités allemandes ont servi de socle à la propagande des alliés et à leurs motivations. Je peux aussi comprendre la volonté de la France de se battre à tout prix et aussi ses exigences de réparation à la fin de la guerre. Tout ne peut pas non plus être effacé au fil du temps.

1954. Retour en Indochine quarante ans après 1914

Ce conflit a marqué l’imaginaire des soldats professionnels français et leur fait encore craindre l’indifférence d’une population française souvent bien apathique ou critique selon les cas. L’Afghanistan l’a rappelé encore récemment. Deux documentaires produits sur la guerre d’Indochine avec la collaboration du avec le ministère de la défense étaient présentés en avant-première à l’Ecole militaire ce 16 avril. Le premier a été diffusé ce vendredi sur France 3, le second le sera la semaine prochaine sur France 5. Beaucoup de monde était aussi présent, des jeunes et pas seulement des anciens de Cao Bang.

Les deux documentaires étaient différents. Le premier, « Nos soldats perdus en Indochine » (Cf. France replay) s’appuyait sur les lettres des soldats adressées à leurs familles. Des films réalisés par le général le Boudec qui avait acheté une caméra, étaient inclus. J’avais évoqué ses mémoires dans un billet précédent le 16 mars (Cf. Témoignages de soldats et transmission de l’engagement). Avoir le témoignage de ce grand soldat par l’image a été un grand moment d’émotion d’autant qu’il est décédé en août 2013. Beaucoup plus axé sur les combats, le second documentaire, « Cao Bang, les soldats sacrifiés d’Indochine », est consacré à cette défaite française qui vit la mise hors de combat de plus de cinq mille soldats français en 1950.

Que faut-il retirer de ces deux documentaires très bien faits ?

Que ce soit l’un ou l’autre, les images du retour des soldats prisonniers français de la captivité vietminh montrent des hommes qui auraient pu sortir d’un camp nazi. Les témoignages des survivants de Cao Bang évoquent aussi ces nombreux blessés dont nul ne sait ce qu’ils sont devenus.

L’indifférence de la population française est largement exprimée tout comme l’attitude du parti communiste français qui sabote les équipements militaires pour l’Indochine. C’est aussi les jets de pierre rapportés sur les cercueils ou sur les blessés. N’oublions pas que trente-cinq ans après, certes avec une violence moindre, lors de la première guerre du Golfe, les dockers CGT de Marseille refusaient de charger les navires pour le Moyen-Orient.

Beaucoup de soldats de l’empire français ont été engagés et le second documentaire montre cette volonté commune de combattre qui s’estompe devant l’ignorance des objectifs poursuivis. Le doute s’installe quant aux intérêts défendus alors qu’un accord avait été conclu avec Ho Chi Minh en 1946. Ces responsabilités n’ont pas été réellement évoquées et peut-on accepter autant de morts, même de métier,  sans réfléchir profondément aux causes de ce conflit ?

C’est enfin l’importance du chef militaire qu’il galvanise ou affaiblisse la volonté de se battre. Les officiers d’état-major loin du front sont clairement mis en cause. Comment peut-on commander loin du combat et des hommes qui le mènent ? Or, la technologie d’aujourd’hui pourrait conduire aux mêmes erreurs par dématérialisation de la responsabilité. En Indochine puis au Vietnam (Cf. Mon billet du 24 novembre 2013), en Irak, en Afghanistan, les occidentaux avaient la suprématie technologique. Ont-ils gagné ? Pas vraiment.

Ce commandement « à distance » se retrouve dans beaucoup de mémoires de combattants à travers les différentes guerres. Une réflexion devra se faire sur la formation des officiers supérieurs et aussi sur leur parcours professionnel. Ne faut-il pas les mettre plus longtemps dans la troupe après l’Ecole de guerre par exemple ? Ne faut-il pas revenir au combat au niveau de l’homme d’abord et donc du commandement au plus près de l’action, certes avec l’apport de la technologie ?

2014. Un siècle après 1914 : Europe de l’est et gesticulations guerrières, guerres en Afrique

L’OTAN gesticule à l’Est de l’Europe. Avec les évènements en Ukraine, et malgré un accord suscitant de multiples doutes sur sa mise en œuvre, les Etats baltes s’inquiètent de leur voisin russe qui a engagé de son côté des manœuvres navales depuis le 15 avril. L’Otan a annoncé le 16 avril l’envoi a priori du groupe naval permanent de lutte contre les mines (Pays-Bas, Belgique, Estonie, Norvège) en mer baltique (Cf. Opex360).

Une force aérienne de l’OTAN se déploie avec 6 avions CF-18 canadiens en Europe de l’Est, 4 Rafale français dans un premier temps en Pologne, 12 F-16 américains aux côtés d’appareils polonais du même type. Le Canada va également renforcer sa présence au Supreme Headquarters Allied Powers Europe (SHAPE) de Bruxelles, en y affectant 20 officiers pour la  planification des opérations. Lors de l’affaire de Crimée, l’Otan avait déjà déployé des avions de combat supplémentaires en Lituanie, dans le cadre de la mission Air Baltic ainsi que des patrouilles d’appareils de type AWACS au-dessus de la Pologne et de la Roumanie. Sur le plan naval, les Etats-Unis avaient envoyé en mer Noire un destroyer Aegis.

En Afrique, au cours de ces derniers jours, les opérations aériennes au Mali se sont poursuivies avec environ 70 sorties, dont 20 effectuées par les avions de chasse. 30 sorties ont été dédiées aux missions de transport et 20 aux missions de renseignement et de ravitaillement. La routine. Un soldat français a cependant été légèrement blessé samedi dans le nord du Mali quand le blindé VAB qui le transportait a sauté sur un engin explosif semble-t-il posé par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Une dizaine de djihadistes preneurs d’otages se revendiquant du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ont été éliminés par les forces spéciales qui ont libéré cinq humanitaires maliens (dont 4 membres du CICR). Pendant ce temps, l’Union européenne a reconduit le mandat d’EUTM Mali. Ce deuxième mandat débutera en mai pour s’achever en mai 2016 avec la formation de huit GTIA (Groupement Tactique Interarmes), soit près de 6000 soldats sur les 14 000 que compte l’armée malienne (Cf. Fob).

En RCA, constatons un calme temporaire dans l’attente des renforts. Le Conseil de sécurité de l’Onu a voté une résolution qui autorise le déploiement d’environ 10 000 Casques bleus et 1 800 policiers en République Centrafricaine (RCA). Ils prendront la relève des 5 200 soldats de la force africaine de la Misca déjà sur place aux côtés des 2 000 Français de l’opération Sangaris (Cf. ministère de la défense du 18 avril 2014).

Le succès de cette mission appelée Minusca, qui doit démarrer en septembre, n’est cependant pas assuré. Il suffit de se référer au déploiement au Mali. Alors que l’Onu autorisait le déploiement de 12 600 hommes, seuls 7 200 sont arrivés. Les contributeurs pour le complément ne sont pas manifestés. Or, l’Onu déploie aujourd’hui dans les huit autres opérations de maintien de la paix en Afrique 97 200 militaires, policiers et fonctionnaires onusiens. Elles coûtent annuellement environ 4 milliards d’euros. Le budget des OMP a augmenté de 50 % en sept ans. Or, la Minusca en RCA dont les contributeurs ne sont pas annoncés coûtera annuellement entre 400 et 600 millions d’euros.

Pour conclure, honorer l’engagement des soldats et non les humilier

En effet, le débat contemporain sur la Première guerre mondiale ferait plutôt douter de leur engagement au nom de leur sens du devoir. Les décisions prises sont contestées un siècle plus tard. Ces critiques déstructurant notre histoire sont à combattre. Les combats d’Indochine où environ 60 000 hommes ont été tués sur les 489 000 déployés entre 1945 et 1954 (Cf. une estimation) pour des causes peu claires, ont vu l’opprobre portée sur eux par une partie politiquement engagée de notre population. Celle-ci ne s’en s’est pas excusée et a toujours pignon sur rue. A-t-elle rendu compte de ses actes lorsqu’on voit les images, digne d’un camp de concentration nazi, des soldats français faits prisonniers par le vietminh ?

Enfin, dans nos conflits récents, je ferai référence à deux autres exemples survenus cette semaine. En Ukraine, la débandade de l’armée ukrainienne laissée sans ordre précis, sans doute ni préparée ni entraînée, peut-être sans grande envie de satisfaire le pouvoir politique (Cf. Le Monde du 17 avril 2014) a provoqué son humiliation sur la scène internationale. Au Darfour comme hier à Sarajevo en 1995 pris en otages, les casques bleus, certes soldats « peacekeepers » mais portant une arme ont aussi été bafoués, humiliés : « Empêchée de se déplacer librement au Darfour, régulièrement humiliée par les autorités locales, la Minuad n’est pas capable de protéger les civils des attaques, ni même d’assurer un accès des populations à l’aide humanitaire » (Cf. Le Monde du 17 avril 2014).

Un soldat porte une arme. Sa différence avec un policier est qu’il doit éventuellement s’en servir pour remplir sa mission, sans état d’âme. Une force armée ne peut être engagée sans qu’elle ne puisse remplir sa mission totalement, d’abord avec des ordres clairs, ensuite par la crédibilité et le respect de la force qu’elle inspire, enfin par des moyens suffisants. Je pourrai ajouter le soutien de l’opinion publique mais avec le bémol suivant : faire la guerre a été rarement populaire mais l’engager est une décision politique grave qui doit conduire au succès. Si ces conditions ne sont pas remplies, une force armée sera humiliée et intériorisera un fort ressentiment qu’il ne faut pas négliger.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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