mardi 19 mars 2024

Servir : l’exemplarité des commandos marine morts au combat

Une communauté militaire en deuil, une communauté nationale en communion avec son Armée mais révoltée, c’est ce qu’il faut retenir des cérémonies d’hommage de cette semaine aux Invalides et en France (Cf. LCI) pour les Premiers Maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello (Cf. Ouest-France, leurs biographies exemplaires).

Une émotion partagée et nationale

Que de monde, que d’émotions, que de peines ce 14 mai dans la cour des Invalides pour cette cérémonie militaire, digne, impressionnante à l’image des guerriers que la France a perdus mais aussi quelle réprobation contenue contre ce couple irresponsable en voyage de noce dans une zone dangereuse pourtant déconseillée (Cf. Le Figaro du 10 mai).

Emmanuel Macron, chef des armées, a accueilli les ex-otages à Villacoublay. Le fallait-il ? Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères n’aurait-il pas suffi ? Un président de la République et deux ministres, c’était accorder bien trop d’honneurs à l’irresponsabilité.

Le général CEMA avait montré son émotion terriblement humaine (Cf. FranceTvInfo) au nom de nous tous lors de ce point de presse du 10 mai qui faisait le bilan de cette opération de libération des otages notamment français. La mission avait été remplie avec succès. Il fallait délivrer ce couple d’otages et cela a été fait.

Cet engagement ultime de nos commandos rappelle que les soldats remplissent la « mission » donnée avec abnégation, avec le souci de l’efficacité mais aussi avec celui du moindre coût humain possible pour des otages à délivrer.

Les Français ne s’y sont pas trompés en témoignant de leur respect par cette haie d’honneur devant les Invalides ce 14 mai.

La dette des ex-otages

Ce couple d’ex-otages s’est excusé, certes peu vigoureusement. Cela était sans aucun doute la moindre des choses. Ils ne sont pas quittes de leur dette pour autant. Ces Français sont en vie grâce au sacrifice de deux autres vies.

Aussi, comment ces ex-otages peuvent-ils rembourser cette dette qui vaut jusqu’à la fin de leur vie terrestre au moins ? Dette envers la société, dette envers les proches des commandos tués, dette envers les Premiers Maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello.

Ils ont désormais à assumer un devoir de mémoire et de reconnaissance pour se rappeler, année après année, qu’ils sont en vie grâce à ce don de la vie de ces deux soldats d’exception, pour rappeler aussi le sens des responsabilités dont chacun d’entre nous doit faire preuve.

Que pourraient-ils faire ?

  • D’abord être présents le 11 novembre 2019. La France commémore ce jour tous les soldats tués notamment en OPEX (Cf. Mon billet du 10 novembre 2013. « 11 novembre : la guerre en mémoire») ;
  • Ensuite, agir pour qu’une rue dans leur commune de résidence porte les noms des deux commandos ;
  • Proposer une cérémonie du souvenir, sinon posée une plaque commémorative dans l’établissement où enseigne au moins l’un d’entre eux ;
  • Témoigner sur le sens des responsabilités du citoyen auprès des élèves sinon des enseignants qu’ils côtoient.

Enfin, peut-on se contenter d’une simple condamnation morale pour ce couple irresponsable ?

Certes comme le disait la compagne de l’un des commandos tués, cette situation se pose aussi en montagne quand il faut secourir des personnes skiant en hors-piste et ensevelies sous une avalanche. Des sauveteurs se mettront souvent en danger pour les secourir. Pour autant, dans une société où l’on ne cesse de porter plainte contre toute erreur de l’État, de ses forces de sécurité, l’État ne doit-il pas demander aussi réparation, au moins à titre d’exemple, pour la perte de soldats d’élite, ressource humaine rare, entraînés coûteusement, au capital d’expérience malheureusement sans prix ?

Certes, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères puis le président de la République ont déclaré que la France ne laissait et ne laisserait aucun de ses enfants en danger. Ces politiques ont ressenti ce sentiment d’injustice partagé par de nombreux Français. Un sondage en ligne du Figaro l’exprimait dès le 11 mai : 74% des réponses considéraient que les otages n’auraient pas dû être secourus en raison de leur irresponsabilité.

Sensibiliser au sens des responsabilités dans un monde de plus en plus hostile

Il faut donc éduquer et sensibiliser aux dangers de ce monde et en particulier du terrorisme islamique. Il suffit de se rappeler l’exemple de ces deux journalistes pris en otage par les talibans en Afghanistan et libérés en 2011 après 547 jours. La menace n’est donc pas nouvelle mais cela n’a pas l’air de faire réfléchir aujourd’hui une partie de nos concitoyens.

Depuis plusieurs années, j’enseigne les questions de défense dans le cadre d’un master dédié aux étudiants souhaitant rejoindre des ONG. Face à des jeunes bien moins dogmatiques que leurs aînés dans leurs relations avec les armées, je tâche de les sensibiliser aux dangers qu’ils pourraient rencontrer dans leur vie future, par exemple à la possibilité d’être pris en otage même si cela leur semble bien irréel …

Il y a un mois, justement une mes étudiantes me demandait si les militaires viendraient la chercher si elle était prise en otage. J’avais cité en préalable ce devoir de responsabilité qu’elle avait comme ses camarades dans une zone d’insécurité. Par un comportement peu réfléchi, elle pourrait mettre en danger la vie de ces soldats qui tenterait de la délivrer … si les conditions le permettaient.

Je rappelais donc qu’il fallait prendre contact d’abord avec son ambassade sur place, respecter ses consignes sans oublier de s’inscrire sur le système Ariane (Cf. Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères). Enfin, si des militaires français étaient présents, il fallait se présenter sans crainte à eux. Je leur ai donnés les clés de la prise de contact ! Je pense les avoir convaincus et ce qui s’est passé au nord du Burkina Faso a rappelé que la mission des armées, des soldats est bien de protéger les Français partout où ils se trouvent.

Ces héros que nos enfants doivent connaître

A juste titre, les termes de « mission » comme de « héros » ont été largement utilisés dans le magnifique discours du président de la République de ce 14 mai (Cf. Discours d’E. Macron). Complémentaire, le général Dary, président du Comité de la Flamme et président de la saint-cyrienne, a évoqué avec justesse la différence entre les victimes qui appellent la compassion et ces héros bien méconnus en ces périodes où la victimisation est bien souvent de rigueur (Cf. Le Figaro du 14 mai 2019).

Rappelons-nous donc ces soldats devenus des héros du fait de leur mort exemplaire : le 24 mars 2018, le colonel Beltrame, le 2 avril 2019, le médecin-capitaine Marc Laycuras tué par une mine au Mali, le 10 mai 2019, les Premiers Maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, ces deux commandos d’élite tués au combat.

Ces exemples d’engagement total au service de la mission et au service des autres devraient s’intégrer dans l’instruction de nos enfants dans nos écoles, par exemple dans l’instruction civique. Cela ne tient qu’aux enseignants de permettre ce devoir de mémoire et de reconnaissance, sinon aux parents de le demander.

Le héros est nécessaire pour servir d’exemple aux jeunes générations et rappeler aussi aux générations plus anciennes qu’il existe toujours (Cf. Mon billet du 24 avril 2018, « Le héros militaire au XXIe siècle » et le contre-point, mon billet du 17 janvier 2016 « Le salafiste n’est pas un héros »)

Pour conclure

Cependant, sacrifier des hommes d’exception pour des Français irresponsables sera toujours un prix trop élevé même s’il faut l’accepter au nom de l’engagement au service de la France.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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4 Commentaires

    • Bonjour,
      je n’ai pas retrouvé cette référence dans le texte. En tout état de cause, si le commando Ponchardier est référencé, je préciserai que ce commando a été recréé par décision du ministre de la Défense le 11 septembre 2015 après sa dissolution en 1946. Il porte le nom de l’amiral Pierre Ponchardier, son chef de corps lors de sa création initiale. site: http://le.cos.free.fr/ponchardier.htm
      Bien cordialement

  1. Si vous me permettez d’exprimer un avis, je trouve le ton de ce billet assez étrange.
    vous semblez affirmer que les 2 soldats à qui vous rendez hommage se sont sacrifiés en échange de la vie de 2 otages. Ce qui tranche avec votre position plus loin qui refuse, à juste titre je pense, de les victimiser.
    Mais il me semble que si ces hommes sont morts en accomplissant leur mission, il y a fort à parier que la mission n’était pas de mourir pour libérer leurs concitoyens mais de libérer leurs concitoyens, y compris en prenant le risque de mourir.
    la nuance peut paraître subtile mais est importante : les responsables de leur mort sont les ravisseurs.

    Quant à la responsabilité des otages et les suites qu’il faudrait lui donner, je remarque que lorsqu’il ne s’agit pas d’un couple d’homme, la question de savoir si on doit ou non leur porter assistance se pose avec beaucoup moins d’acuité…. Doit-on, par ailleurs, en conclure que Antoine de Léocour, Vincent Delory ou encore Florent Lemaçon l’ont bien cherché voire mérité ?
    74 % des personnes interrogées par le Figaro ne souhaitaient pas qu’on porte assistance à nos concitoyens ? Qui sont-ils pour décider, confortablement installés dans leur canapé ou sur leur rond-point, de qui mérite l’assistance de l’État.

    Honorer la mémoire des ces 2 hommes qui ont, leur vie durant, servi leur pays et leurs concitoyens, TOUS leurs concitoyens, en prenant tous les risques tout en distribuant les bons points et les certificats de « sauvabilité » me semble pour le moins contradictoire . mais ce n’est que mon avis.

  2. Merci pour avoir ce billet. Bien sûr, les avis sont toujours appréciés.

    Le sacrifice est une conséquence et non un but. Le résultat de cette prise d’otages a été que les vies des deux commandos ont été échangées contre celles des otages. Donc il n’y a pas de contradiction. La finalité n’était pas de mourir mais de remplir la mission. Il me semble bien l’avoir exprimé à plusieurs reprises.

    Oui les responsables – directs – de la mort sont bien les terroristes mais les responsables – indirects – de la mort de nos commandos sont bien le couple d’otages. Je pense que c’est plus clair.

    Ensuite je n’ai pas abordé la question d’un couple d’hommes mais celle d’un couple, sans « genré » cette situation. Il est vrai que la journée contre l’homophobie d’aujourd’hui peut influencer les interprétations.

    Sur vos références à des otages du passé, vous évoquez Vincent Delory et Antoine de Léocour. Ils ont été enlevés au Niger en 2011 en ville, donc a priori dans une zone sécurisée. Florent Lemaçon a été pris en otage au large de la Somalie en 2009 alors qu’il naviguait dans une zone dangereuse. Deux cas différents mais dont le dernier se rapproche de celui qui nous occupe actuellement. Dans votre argumentation, il n’est donc pas très « honnête » de mélanger les cas, sinon les genres.

    Sur la réaction des Français, certes dans leur fauteuil, votre avis oublie peut-être que les citoyens sont de plus en plus soucieux non seulement de leur sécurité mais aussi de celle qui l’assurent pour eux. Grand changement de perception qui progresse favorablement avec les attentats islamistes. Voir des risques pris d’une manière inconsidérée fait légitimement réagir même dans son fauteuil.

    Enfin, sur le dernier point, il est temps et ce sentiment me semble de plus en plus partagé, que les personnes agissant d’une manière irresponsable soient sanctionnées en particulier lorsqu’elles mettent en jeu la vie de sauveteurs, même si ceux-ci ont choisi de servir les autres, y compris en risquant leur vie.

    J’ajouterai aussi que nous sommes au niveau des enjeux étatiques, ce qui me semble tout aussi important.
    Faut-il le rappeler ? Une prise d’otages vise à influer sur la politique étrangère d’un Etat, en l’occurrence de la France. Loin de toute empathie pour un otage, nous sommes dans la realpolitik et toute irresponsabilité individuelle peut avoir un effet négatif sur un Etat.

    Perdre des hommes valeureux au combat pour en sauver d’autres est une chose, faire pression par des otages sur un gouvernement en est une autre. Deux bonnes raisons pour sanctionner et ce n’est pas la question de donner des bons et des mauvais points, ou des certificats de « sauvabilité ».

    Bien cordialement

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