mardi 3 octobre 2023

UN SERVICE NATIONAL OU MILITAIRE OBLIGATOIRE : UN NON-SENS

  1. Le serpent de mer du « service national pour tous » est proposé par un candidat, cette fois, par Emmanuel Macron (Cf. Mes billets du 18 septembre 2016 et du 30 novembre 2014). Il ne s’agit donc pas d’un « service militaire » à moins que tout ne soit pas très clair dans l’esprit du candidat (ou d’ailleurs chez les journalistes qui ont évoqué ce sujet). Il est vrai qu’il n’a pas accompli ce service, du moins je n’en ai pas trouvé la trace. Il est nettement plus facile de proposer un service national ou militaire dans ces conditions.

Autant imaginer un « service national » obligatoire que tout le monde traduit par « service militaire » peut faire rêver ceux qui ne le feront pas, autant il faut parfois revenir sur terre. A nouveau je m’inquiète des conseillers « défense » qui pourraient encadrer ce candidat à la fonction aussi de chef des armées.

J’évoquerai quelques arguments pour défendre ce non-sens du rétablissement du service militaire au moins dans les conditions évoquées.

D’abord un service militaire pour quoi faire ?

Le service militaire n’a pas vocation à être une activité de cohésion de la jeunesse ou de découverte de « l’illettrisme », de propositions de « mise à niveau scolaire des appelés lorsque cela sera nécessaire » ou d’aide aux « jeunes » pour qu’ils préparent « leur entrée dans la vie professionnelle comme dans leur vie de citoyen ». Certes, les armées peuvent y contribuer comme elles l’ont toujours fait.

Un service militaire n’a-t-il pas plutôt vocation à apprendre à défendre son pays, donc à apprendre à se servir au moins d’une arme individuelle et non à aller rejoindre une bande de jeunes pour apprendre à faire connaissance dans la même chambrée ? Peut-on imaginer que cette période d’un mois ne comporte pas une initiation au tir et à la vie sur le terrain, facteurs d’ailleurs de cohésion ?

Il faut donc utiliser les termes qui définissent correctement l’objectif à atteindre et non à faire de la simple communication politique. Je préférerai donc l’expression de « formation militaire du parcours de la citoyenneté » ou « apprentissage de la réserve militaire » qui donne le sens de cet engagement. Les armées ou la gendarmerie n’ont pas vocation à corriger les échecs des parents, de l’éducation nationale mais à préparer ces jeunes citoyens à assurer totalement ce statut de citoyen. Peut-on exclure de la citoyenneté l’aptitude à défendre son pays par les armes et sans doute à accepter aussi un certain sens du sacrifice ?

De fait, ce « service militaire » s‘apparenterait plus à une période de réserve militaire obligatoire qui doit être intégré dans le parcours de la citoyenneté. Celui-ci ne peut pas ignorer la possibilité d’être rappelé sous les drapeaux, acte fort du citoyen, en cas de mobilisation face à un ennemi ou en cas de crise majeure. On rejoint effectivement un des objectifs de la garde nationale.

Comment ? Avec quoi ?

Suite aux réformes Sarkozy, donc Fillon puis Hollande, les infrastructures ont été vendues ou données pour un euro symbolique : donc il n’y a plus de casernes. Certes cela pourrait être l’opportunité de lancer un grand plan de construction d’infrastructures militaires modernes et d’aider à la reprise économique par ce grand chantier.

Autre faiblesse, la RGPP a affaibli le soutien d’une manière drastique supprimant de fait toute capacité à soutenir administrativement et logistiquement l’absorption temporaire de trois fois les effectifs des armées d’aujourd’hui. Il faudra en effet administrer 50 000 dossiers par mois, nourrir, équiper le même nombre de personnes. Le coût budgétaire ne serait pas supporté par le budget de la défense mais comprend-il un recrutement de militaires supplémentaires nécessaires pour encadrer et soutenir tous ces appelés ?

Un service militaire signifie en effet un encadrement. En suivant nos organisations, il implique environ 4 cadres pour quarante jeunes (une section)  soit 1250 sections soit (NDLR je corrige une erreur) 5000 cadres de contact, à temps plein, hors soutiens administratif, logistique, social et médical (Cf. Je viens de prendre connaissance des estimations de JD Merchet – L’Opinion – qui me semblent en partie fallacieuses et pour d’autres recoupent mes appréciations). Certes l’appel aux réservistes opérationnels sera présenté sans doute comme une solution mais les effectifs et les volontariats seront-ils au rendez-vous ? Ceux qui travaillent dans la fonction publique, dans les entreprises auront-ils la liberté d’abandonner leur poste pendant un mois en cours d’année sauf pendant leurs vacances ?

A quel moment organiser cette formation militaire ?

Il est peu vraisemblable que ces 600 000 jeunes en grande partie scolarisés soient appelés pendant les seules vacances d’été. Cela implique une masse mensuelle de 50 000 jeunes sur douze mois qui devra être envisagée, donc être imposée aux jeunes mais aussi à l’éducation nationale. Ce projet risque de bousculer quelques habitudes et de susciter quelques réactions.

Un service « militaire » vraiment égalitaire ?

Le chiffre retenu par Emmanuel Macron de 600 000 jeunes concernés interpelle alors qu’une classe d’âge comprend environ 800 000 jeunes. Un quart de la jeunesse passerait à travers le dispositif. Au nom de l’équité, quels sont les avantages donnés à ceux qui auront accompli ce service militaire ou quelle activité compensatoire demandée à ceux qui n’auront pas accompli cette période ? Nous savons déjà qu’une partie des jeunes ne seront pas aptes à la vie en collectivité, à la discipline, seront opposés à ce « service militaire »… Une partie d’entre eux ne seront sans doute pas admis pour des raisons de sécurité évidentes.

La faisabilité du financement ?

Concernant le coût de ce service « militaire », il est estimé à celui d’un porte-avions par an. Le candidat a assuré que ce budget important ne serait pas pris sur celui des armées, qu’il a promis de porter à 2 % du PIB d’ici à 2025 (contre 1,8 % actuellement avec pensions). Les dates évoquées pour la mise en œuvre de ce budget montrent la fragilité d’un tel projet qui méritera aussi du temps pour être établi.

Quelle discipline et quel règlement des armées appliqués à ces appelés ?

Les règlements d’aujourd’hui ont bien changé et, malgré ce que pourraient croire beaucoup de citoyens, plus âgés, l’autorité appliquée hier n’est plus applicable aujourd’hui. Pour éviter toute difficulté dans le respect de l’autorité avec des jeunes ignorant pour une partie d’entre eux un certain nombre de règles, pour d’autres qui n’accepteront pas cette obligation, les règlements militaires civilianisés depuis un certain nombre d’années devront être revus pour que la « pédagogie militaire » puisse s’exercer avec efficacité.

Cependant, le défi est intéressant à relever mais il ne faut pas en rester à des effets d’annonce qui ne sont pas réalisables, au moins à la date d’aujourd’hui. Le candidat Macron l’évoquera peut-être lors des différents débats publics à venir. Dans tous les cas, si le service militaire était rétabli, cela implique une rééducation de notre société sur cette question pour tenir compte de ses différentes évolutions.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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