vendredi 10 janvier 2025

Faut-il rétablir le service militaire ?

Evoquons auparavant cette semaine où le général Favier a fait ce qu’on attend d‘un chef militaire : défendre ses subordonnés mis dans des situations impossibles. Il est regrettable d’apprendre en parallèle ce dimanche que le lieutenant-colonel Matelly, réintégré dans la gendarmerie et pour emploi à la DGGN, persiste dans son action de syndicalisation des armées. Il a en effet annoncé sur le forum Gendcité-gendmonde que « GendXXI » verrait le jour le 3 janvier 2015. Cette association aura pour objet selon ses statuts « l’étude et la défense des droits (…) des personnels militaires de la gendarmerie ».

Cette initiative fait suite aux deux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme le 2 octobre, selon lesquels l’interdiction absolue faite aux militaires d’adhérer à un groupement professionnel à caractère syndical viole l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la liberté de réunion et d’association.

Sans qu’il n’y ait donc une décision française officielle, un officier supérieur met les politiques et l’institution militaire devant le fait accompli. J’attends de voir les réactions face à ce qui est la première pierre du syndicalisme militaire (Cf. Mon billet sur le syndicalisme du 5 octobre 2014). Allons, disons-le s’il suffit de mettre les institutions devant le fait accompli, il n’y a aucune raison que cela ne fasse pas école dans les autres armées et pourquoi s’en priver ? Les militaires sont aussi des citoyens.

Faut-il réinventer le service national dans une Europe qui démilitarise ?

L’association des auditeurs de l’IHEDN (Paris/IDF) organisait le 27 novembre 2014 une conférence animée par le journaliste Olivier Coredo sur le thème « Faut-il réinventer le service national dans une Europe qui démilitarise? ». Sujet particulièrement intéressant, il donnait la parole à Hervé Drévillon, directeur de l’Institut des Études sur la Guerre et la Paix (Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne), au chef de bataillon Jean-Baptiste Vouilloux, auteur de « La démilitarisation de l’Europe, un suicide stratégique ? » (Cf. mon billet du 30 juin 2013) et à moi-même pour faire la conclusion.

En cette veille de la commémoration de la victoire d’Austerlitz par une armée de conscription républicaine devenue une armée professionnelle impériale, ce thème répond aux inquiétudes d’un certain nombre de citoyens sur l’affaiblissement du lien social, le délitement de l’esprit de défense, la désagrégation des forces armées en Europe que beaucoup constatent et ce, malgré les menaces de violence armée de plus en plus claires sur notre société.

La présence de jeunes de l’ANAJ (Cf. ANAJ-IHEDN) et le succès de cette association montrent aussi que ce questionnement ne leur est pas étranger et qu’il existe des jeunes Français concevant l’engagement citoyen à travers la défense. En revanche, la dimension européenne de ce débat n’a pas émergé. La défense militaire d’un Etat et d’une nation semble bien ne pas pouvoir se partager et c’est sans doute à la fois heureux et prudent.

La conscription au cœur de la République ?

Le professeur Drévillon, favorable au retour à un service militaire, a rappelé que l’histoire de la conscription était intimement liée à la République à travers deux périodes, la Révolution et la 3ème République. L’idée du peuple en armes est au cœur de la République : le citoyen défend la nation, la guerre est l’expression de la souveraineté « car, en faisant la guerre, le peuple apprend ce qu’est la souveraineté ».

Pourtant que constate-t-on aujourd’hui ? Le président de la République a déclaré le 18 septembre : « le service militaire a été supprimé, il ne sera pas rétabli », déclaration toujours pas démentie par le chef des armées d’autant que, lors de l’audition du CEMA le 7 octobre 2014 (Cf. Mon billet du 21 septembre 2014), la présidente de la commission de la défense a confirmé cette déclaration. Curieuse méthode pour entériner une nouvelle disposition législative sans une nouvelle loi et surtout sans réaction de qui que ce soit. S’il devait avoir lieu, le débat sur un nouveau service militaire pourrait bien être enterré par le fait du prince.

Il faut cependant rectifier l’intitulé du débat en distinguant le service national du service militaire. Servir dans une entreprise en complément de sa formation en université, en ambassade, être employé comme cuisinier dans les institutions civiles de la République était-ce vraiment apprendre à défendre son pays comme cela était le cas hier ? Le service national couvrait tous ces aspects civils d’une mise à disposition d’une main d’œuvre bon marché et je ne crois que l’esprit de défense en ait été renforcé.

Le service civique d’aujourd’hui est le service national d’hier. Il répond aux aspirations individualistes de chacun mais non aux exigences d’une contrainte sociale et collective voulue par l’Etat et la Nation. Je reprendrai une phrase du discours du pape mardi 25 novembre à Strasbourg qui me paraît bien exprimer indirectement la place du service militaire dans nos sociétés occidentales :

« Il y a en effet aujourd’hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, (…). Au concept de droit, celui – aussi essentiel et complémentaire – de devoir, ne semble plus associé, de sorte qu’on finit par affirmer les droits individuels sans tenir compte du fait que tout être humain est lié à un contexte social dans lequel ses droits et devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même ».

Le service militaire est l’acceptation des contraintes et des risques acceptés au nom de et pour la collectivité. Il est donc l’expression physique de l’esprit de défense. Encore faut-il définir ce que le service militaire est et si son rétablissement aurait une quelconque utilité au XXIe siècle.

Faut-il concevoir un service militaire pour le XXIème siècle ? Sans aucun doute.

Mais avant tout, pourquoi un service militaire ? Celui-ci vise à apprendre à servir son pays par les armes au sein d’une organisation mandatée par la Nation et répondant à des règles particulières pour faire face à une crise majeure. Il concerne théoriquement tous les citoyens. Je le considère comme l’un des principaux fondements de la citoyenneté car il est un témoignage fort de l’appartenance à la nation et de l’engagement. Le prix consenti du sang, même non versé, donne tout son sens à cette citoyenneté. Mettre en gage ce qu’il y a de plus précieux, sa vie, pour la communauté nationale est un critère fondamental pour être un citoyen à part entière.

Je rappellerai cet article L4211-1 du code de la défense qui déclare « Les citoyens concourent à la défense de la nation ». C’est aussi un droit comme le rappelle le parcours citoyen du réserviste militaire qui doit permettre « à tout Français et à toute Française d’exercer son droit à contribuer à la défense de la Nation ».

Cependant le besoin d’un service militaire paraît être partagé par de nombreux civils mais peu par les militaires. En fait, c’est d’une part le besoin d’une société qui veut enseigner à sa jeunesse la nécessité de la protéger, d’autre part le pragmatisme de l’Armée qui, soumise à une logique de moyens avec des cadres de contact qui n’ont connu que l’armée de métier, y est réticente.

Cela reste cependant un choix politique qui dépend de la communauté nationale et non des armées. Le débat n’est donc pas récent entre une armée de métier qui recherche une efficacité accrue par la professionnalisation et une société civile qui voudrait une armée assurant cette éducation du citoyen de plus en plus difficilement assurée par la famille et par l’instruction publique.

Nous ne pourrons pas instaurer un service militaire pour 800 000 garçons et filles. Nous ne pouvons pas non plus revenir aux arrangements de la conscription qui, en fonction de ses relations, permettait de se soustraire à la réalité du service militaire, bon pour les autres et pas pour soi ! Le CBA Vouilloux a rappelé enfin que la fin de la conscription était généralisée en Europe sauf dans 6 pays bien qu’à mon avis, cette professionnalisation n’apporte pas une meilleure défense de l’Europe si l’on voit la rareté des engagements militaires de la plupart de ces pays.

Cependant je rappellerai que le commandant Lyautey a écrit (sous pseudo) en 1891 dans la Revue des Deux Mondes « Du rôle social de l’officier ». Son objet était de faire comprendre aux militaires le rôle éducateur de l’Armée : « Il faut retirer le seul objectif de la guerre au profit de celui de l’éducateur ; l’obligation légale du service militaire est une obligation morale de lui faire produire les conséquences les plus salutaires du point de vue social mais il doit commencer à l’école, ce qu’il faut faire comprendre à l’enseignant »…

Peut-on envisager une autre défense citoyenne ?

L’armée citoyenne a été intimement liée à la République mais celle-ci existe-t-elle encore ? Pas vraiment lorsque je constate ses dysfonctionnements : fin du mérite républicain qui permet d’être reconnu pour son exemplarité et son travail, petits arrangements, copinage, détournements, privilèges d’une certaine forme de « noblesse d’état » pas toujours exemplaire. Un service militaire universel est peu crédible. Quant à la réserve, elle ne répond qu’incomplètement aux besoins militaires, les militaires d’active ne sachant pas ou mal employer les réservistes.

Voyons donc plutôt une garde nationale de volontaires (Cf. Mes billets du 25 mars 2012 et du 1er avril 2012) ancrée localement et donc soucieuse de l’intérêt local. Sa mission serait d’être cette force militaire citoyenne, visible dans cette période de désertification militaire croissante. Ancrée sur un territoire, elle serait pour emploi aux ordres de l’autorité militaire en fonction des directives politiques reçues.

Initialement de la valeur d’un régiment par zone de défense, elle pourrait à terme former une brigade de 3 à 4 000 hommes par zone de défense soit un total d’environ 30 000 hommes. D’aucuns diront que nous n’en avons pas les moyens mais compte tenu des dépenses faites çà et là, l’argent existe. Peut-on ignorer que, certes la sécurité a un coût, mais le chaos aussi ? C’est donc une question de priorité politique que beaucoup de citoyens pourraient aussi porter auprès de leurs élus. Les réservistes dans ce contexte seraient employés sur le territoire national en état-major ou en unités d’une manière différenciée de la garde nationale.

L’intérêt d’une forme rénovée du service militaire se justifierait donc pour plusieurs raisons :

1) Permettre à des futurs décideurs de ne pas s’exprimer sur les questions de défense « sans savoir » comme en témoigne cette proposition du député PS Philip Cornis qui voulait supprimer la commission de la défense de l’Assemblée nationale (Cf. La Tribune du 26 novembre 2014). En étudiant son CV, ce franco-britannique, député des Français de l’étranger, n’a apparemment jamais fait de service militaire ou national malgré son âge. A contrario, le président de la République s’est battu pour être officier de réserve car il estimait que cette expérience était nécessaire au haut fonctionnaire qu’il voulait être. L’appartenance à cette garde nationale devrait être un critère de choix pour être un élu ou un haut fonctionnaire.

2) Revitaliser l’esprit de défense. En effet, l’autorisation sans contrainte semble être donnée aux militaires en activité afin qu’ils puissent être membres d’un conseil municipal en 2020, ce qui est déjà le cas aujourd’hui mais avec une mise en disponibilité sans solde (Cf. L’Opinion du 28 novembre 2014 et mon billet du 9 mars 2014 Les-militaires et l’engagement-politique où j’avais évoqué cette proposition). Cette avancée de la condition militaire pourrait permettre cette revitalisation de l’esprit de défense par cette synergie entre ces élus potentiels et cette éventuelle garde nationale.

3) Rénover le lien armée-nation par ce volontariat citoyen car qui peut croire à l’acceptation future de la contrainte d’un service militaire universel ? Les volontaires existent. Valoriser cet engagement par une forme de reconnaissance de la Nation sera aussi nécessaire. Ce lien sera aussi un lien de réseau. Je citerai à titre anecdotique que la camaraderie régimentaire a une importance réelle. La nomination après d’autres d’un nouveau camarade de régiment du président de la République à la Caisse des dépôts et consignations  est significative (il n’y a pas que le réseau de la promotion Voltaire).

4) Disposer d’une force organisée et citoyenne en appui des forces de sécurité d’intervention en cas de crise intérieure grave. Cela ne serait pas inutile. Pour faire face aux crises intérieures, les CRS ne sont que 14 000, les gendarmes mobiles 17 000 et l’armée de terre 10 000 dans son contrat opérationnel. Sur ces effectifs, il faut déduire les absences diverses normales soit 10% en moyenne.

Ces quelque 37 000 hommes ne représentent qu’un faible effectif et ne seront jamais utilisés sur le terrain dans leur intégralité en même temps pour tenir compte par exemple des relèves. Une garde nationale de 30 000 hommes ne serait donc pas totalement inutile dans un contexte de stagnation des effectifs et de missions de plus en plus nombreuses.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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