Comme vous avez pu le lire sur ce blog, je suis entré dans le cercle, non pas des poètes disparus, mais dans celui des officiers généraux au titre de la deuxième section depuis le 1er octobre 2014, aboutissement heureux de presque quarante ans au service des armes de la France. Cela me donne l’opportunité de préciser un peu l’histoire des généraux et des traditions qui pourraient s’y rattacher. Des questions y ayant trait me sont en effet souvent posées. J’aborderai aussi quelques questions statutaires concernant les militaires.
Un peu d’histoire sur les généraux
Le terme « général » date du XVe siècle. Il a été d’abord employé par opposition au terme « officiers particuliers » qui désignait les propriétaires d’unités, époque révolue (bien que demain, sait-on jamais…). Les premiers brigadiers, de cavalerie, ont été nommés le 8 juin 1657, onze ans avant ceux d’infanterie. Ils n’étaient pas officiers généraux, mais avaient le pas sur les autres colonels des régiments qui auraient pu former une brigade avec le leur.
Dans « Trois siècles d’obéissance militaire » (1964), le maréchal Juin a rappelé aussi que la création de ce grade de brigadier s’adressait à l’officier commandant deux régiments. Surtout, être brigadier était accessible sans avoir été colonel. Ce commandement permettait ensuite d’être nommé au grade de maréchal de camp, puis de lieutenant général, voire de maréchal de France. Une ordonnance du 17 mai 1788 les fait disparaitre.
Les grades de général de brigade et de général de division ont été officiellement créés en 1793 (convention du 21 février 1793 : « A l’avenir, les colonels de toutes armes s’appelleront chefs de brigade, les maréchaux de camp, généraux de brigade »). L’existence de ces deux seuls grades est confirmée par les dispositions de l’ordonnance du 16 mars 1838 et de la loi du 13 mars 1975.
Une brigade, organisation en vigueur sous le Premier empire jusqu’au moins à la Première guerre mondiale, était composée de deux régiments de même type à la différence d’aujourd’hui. Une brigade comprend maintenant près d’une dizaine de régiments, aux spécialités différentes. La grande différence réside aussi dans les effectifs. Une brigade d’infanterie hier supposait plusieurs milliers d’hommes à pied pour le combat. Aujourd’hui, c’est seulement quelques centaines par régiment.
Le rang du brigadier était symbolisé par le port d’une étoile (règlement du 31 mai 1776) et le grade se situait entre colonel et général de brigade. C’est la raison pour laquelle celui-ci porte aujourd’hui deux étoiles. Nos alliés ont gardé le port d’une seule étoile pour le brigadier, de deux étoiles pour le général divisionnaire. L’écart d’une étoile est maintenu pour tous les grades. Ce n’est pas l’expression d’une arrogance française (bien que…) mais simplement un héritage historique. Une réforme aurait peut-être pu rendre interopérable le grade des officiers généraux français avec ceux de nos alliés.
Il faut noter qu’aucune disposition réglementaire ne fixe l’avancement aux rangs de généraux de corps d’armée (« quatre » étoiles) ou d’armée (« cinq » étoiles). Aucune condition de temps de grade dans celui de général de division (ou équivalent) n’est imposée. Un général de brigade promu général de division pourrait théoriquement, le même jour, se voir attribuer le rang et l’appellation de général d’armée mais cette possibilité reste soumise à des critères fonctionnels.
Enfin, la « deuxième section » des officiers généraux a été créée en 1839 sous Louis-Philippe, en théorie pour permettre de rappeler facilement à l’activité les généraux compétents en temps de guerre et aujourd’hui pour des fonctions ou des missions particulières sur décision du ministre de la défense. Ils sont considérés comme étant en activité jusqu’à 67 ans.
Le changement, c’est donc pour maintenant.
Le changement est effectivement maintenant pour moi. Nouvelle vie, nouveaux engagements. Etre officier général, y compris en deuxième section, ne signifie cependant pas la retraite et encore moins la fin de ce blog. Un général bloggeur, pourquoi pas, mais est-ce une première ? Sans doute pas mais je constate que les blogs de généraux durent peu et sont aussi très peu nombreux. J’en ai identifié deux, celui du général Pinatel (cf. http://www.geopolitique-geostrategie.fr/grand-ecart-strategique-dobama-au-moyen-orient-64928) ou celui du général de Richoufftz (http://general.de.richoufftz.over-blog.com/) apparemment peu actif.
Les généraux en deuxième section, quel que soit le moment où ils ont quitté ou les responsabilités qu’ils ont tenues, disparaissent de la scène y compris dans celui de l’expression publique. Or, n’ont-ils pas à poursuivre leur engagement premier au service de la Nation ? Certes, cet engagement se poursuit sans doute dans le monde privé car, malgré ce qu’on pourrait croire, un général doit encore souvent travailler pour subvenir aux besoins de sa famille compte tenu de l’âge auquel il quitte le service actif. Néanmoins, leur expérience ne serait-il pas utile dans le fonctionnement de nos institutions ? Il est vrai que la rectitude des militaires en général, parfois la rigueur, indisposent bien souvent. Effectivement, si des règles sont édictées, elles sont là pour être appliquées et non contournées. Ou il faut les supprimer. Les règles ne sont pas une fin en soi.
Une présence nécessaire des militaires et donc des généraux (2S) dans la vie politique
Ce qui me paraît le plus regrettable et préoccupant est cette absence de la scène politique. Une vingtaine de généraux se sont présentés aux dernières élections municipales mais est-ce bien suffisant ? Avoir été nommé général est à la fois un témoignage de confiance, de compétence sinon de reconnaissance, et une incitation à continuer à servir son pays sous une forme ou une autre. Faire appel à cette expérience, quelle que soit l’orientation politique, serait une action positive qui me semble devoir commencer au niveau municipal.
En effet, l’Assemblée nationale ne me semble pas adapter à cette démarche citoyenne, engagée et responsable. Le jeu des partis est peu compatible avec la formation du soldat. En outre, être éligible dans ce système signifie un long « polissage » au sein du parti choisi d’autant que l’adhésion à un parti est interdite par le statut des militaires. En outre, cela impliquerait une aptitude au moins au compromis, vérifié, testé au fur et à mesure d’une carrière politique peu compatible finalement avec l’histoire personnelle attendue de chaque général ou amiral.
Par ailleurs, et cela permet de réagir avec l’actualité, si les généraux ne s’expriment pas, à défaut des autres cadres, faut-il donc laisser le terrain à d’éventuels syndicats pas forcément légitimes ou favorables aux armées ? Ainsi, la CGT a bien demandé que les militaires puissent se syndiquer (Cf. Lignes de Défense du 11 juillet 2014), ce qui est extraordinaire lorsque l’on se rappelle quelques-unes de ses actions contre les armées dans leur déploiement en opération.
Ensuite, quelques associations animées par d’anciens militaires se sont positionnées depuis longtemps pour être les représentants des personnels militaires. Ainsi, l’ADEFDROMIL a initié cette syndicalisation des armées depuis avril 2001 à travers une procédure. Celle-ci a abouti à un arrêt de la Cour Européenne des droits de l’Homme le 2 octobre 2014 que je ne peux dissocier de l’arrêt concernant le lieutenant-colonel Matelly diffusé le même jour. (Cf. CEDH, arrêt Adefdromil/France et arrêt Matelly/France)
Certes, l’ADEFDROMIL a sans doute agi positivement, parfois dans le passé, mais en est-elle plus légitime ? Ses positions extrêmes, paraissant souvent vindicatives, n’ont pas suscité de réelle adhésion au sein des armées. Quant au lieutenant-colonel de gendarmerie Matelly, aux positions ou interventions que, pour ma part, je considère peu compatibles avec l’état militaire, il a su utiliser apparemment les erreurs dans le processus de sanctions à son égard. Sauf erreur de ma part, je noterai aussi que, malgré ses incartades en tant que capitaine, il était néanmoins passé officier supérieur alors que cette nomination au grade supérieur est au choix. Je m’interroge toujours sur cette action bienveillante.
Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, ses arrêts sont essentiellement déclaratoires, ce qui semble bien avoir été oublié que ce soit pour cela ou pour d’autres sujets de société. Il est temps d’arrêter ces ingérences juridiques. Je remarquerai d’ailleurs que le Royaume-Uni par son Premier ministre vient d’exprimer le même sentiment.
La question reste de savoir si l’avis de la CEDH concernant la syndicalisation des armées française aura un effet. J’en doute (je confirme en lisant l’intervention du ministre de la défense ce soir). Cependant, que ce soit sur ce sujet ou sur un autre, comment peut-on continuer à accepter plus longtemps cette ingérence juridique, souvent instrumentalisée, dans le fonctionnement de notre société ?