dimanche 21 juillet 2024

Une campagne présidentielle doit-elle être le prétexte à toutes les démagogies ? Un exemple : le service militaire

Disons-le crument. Les politiques doivent arrêter de prendre les électeurs pour des imbéciles. Je pensais que le rejet aujourd’hui de la classe politique était suffisamment fort pour susciter un discours de vérité. Cela n’est toujours pas le cas si je me réfère au cas concret suivant : le service militaire proposé par Nicolas Sarkozy et « Les Républicains ».

Certes, ce service militaire, dit « adapté », ne s’adressera pas à tous. Il visera à remettre dans le droit chemin et à réinsérer les jeunes en échec scolaire, sinon en échec de socialisation. Ainsi, tel que nous pouvons le lire sur le site du candidat Sarkozy à la primaire, ce service militaire sera appliqué à partir des critères suivants : « À partir de l’âge de 18 ans, toute personne qui n’aura pas son bac, qui ne sera pas en apprentissage, ne sera pas en formation, ne sera pas en stage, ira faire un service militaire adapté où il pourra réapprendre les règles de vie en commun ».

Reconnaissons que la proposition n’a pas varié depuis qu’elle a été évoquée lors d’une table ronde au cours de la journée « Défense » de « Les Républicains » de mai 2016 (Cf. Mon billet du 15 mai 2016).

Je suis pourtant tout à fait favorable à ce rôle social des armées Cf. Mes billets du

Et ma chronique dans Le Monde du 18 septembre 2011, Les armées peuvent-elles avoir un rôle social ?) mais comment encadrer les 100 000 jeunes en situation de décrochage (chiffres 2016) alors que l’ex-président de la République puis le président de la République actuel ont supprimé les enceintes militaires, diminué les effectifs, notamment les cadres officiers et sous-officiers qui auront cette tâche, multiplié les missions ? Déjà pour accueillir nos soldats de l’opération sentinelle ou les réservistes opérationnels, les enceintes militaires sont insuffisantes.

Bien sûr, le député Fromion a rappelé à l‘époque qu’il ne s’agissait pas d’ajouter des charges supplémentaires aux armées et que cela serait étudié avec les militaires. Il était aussi évoqué lors de cette journée « Défense » que « Le budget sera prélevé sur celui de l’Education nationale et non de la Défense ». A voir. Cependant la société inquiète et donc les électeurs seront rassurés par ce fort investissement militaire, dernier recours pour une jeunesse que ni l’éducation nationale ne peut instruire, ni les parents éduquer. Les arrière-pensées vont aussi sans aucun doute en direction des banlieues défavorisées, réfractaires à l’autorité, décalées socialement.

Ce que nous attendons en effet, ce sont des propositions réalistes. En effet, malgré plusieurs mois passés depuis l’expression de cette proposition, celle-ci n’a pas évolué malgré son manque de crédibilité. Je me demanderai pour ma part quelle a été l’influence des militaires auprès du candidat Sarkozy. Ils ont certainement dû émettre des réserves : soit ils ne sont pas écoutés et cela montre bien l’écoute qu’auront les militaires en activité si Nicolas Sarkozy est élu comme président, soit ces conseillers militaires ne sont pas très compétents et cela est tout aussi grave car ils laissent le candidat en situation d’être décrédibilisé sur l’une de ses promesses de campagne. Certes les Français en ont l’habitude.

Qu’aurait-il fallu peut-être faire pour rendre cette proposition crédible ?

  • D’abord, définir un objectif réalisable qui ne peut se résumer à une phrase. En l’occurrence, la difficulté est que la population des jeunes visés est au moins double : d’une part les jeunes volontaires déjà pris en charge par le service militaire volontaire, d’autre part les jeunes non volontaires qui devront être contraints à exécuter ce « service militaire adapté » ;
  • Ensuite, attribuer les moyens en fonction de la jeunesse ciblée : cadres militaires en nombre suffisant, locaux, calendrier de montée de puissance, estimation du cout réel et bien sûr sanctuarisation du budget voté, objectifs quantitatifs à atteindre ;
  • Enfin, créer les conditions afin que les cadres militaires puissent imposer une autorité à ceux qui ne seront pas volontaires. Quels seront les outils légaux, coercitifs au service d’une discipline pour des jeunes dont une partie sera en rébellion contre la société et pour certains délinquants ? Les cadres militaires ont été dépossédés par le politique de leur pouvoir coercitif au nom d’un « rapprochement nécessaire » de la société militaire avec la société civile. Leur exemplarité et leur engagement ne pourront suffire à construire un cadre propice à l’adhésion de ces jeunes.

Il s’agit quand même d’un grand paradoxe quand l’armée civilianisée est « réquisitionnée » aujourd’hui pour imposer des règles militaires au nom d’une société qui croit encore que l’autorité sera applicable sans difficulté par les militaires comme cela était le cas dans le passé, y compris avec des rapports humains plutôt virils, alors que le fonctionnement des armées a grandement été affaibli dans l’application de toute autorité.

Il n’y aura pas d’encadrement efficace au titre d’un SMA métropolitain si le règlement militaire n’est pas adapté pour s’imposer à une partie de cette jeunesse en décrochage et de fait à l’écart des règles normales de la société. Les sanctions, notamment les privations de liberté, devront être réhabilitées comme moyens de pression ou comme sanctions. Appliquant leurs propres règles, ces jeunes raisonnent bien souvent en fonction d’un rapport de forces et au moyen d’une violence immédiate qu’une médiation type « éducation nationale » ou « assistance sociale » aura bien du mal à canaliser.

En outre, je vois mal des cadres militaires confrontés à ces personnes à resocialiser pouvoir le faire sans une protection juridique adéquate. Les règles à appliquer susciteront des réactions négatives sinon des plaintes pour les raisons les plus diverses qui useront les cadres par des procédures dont notre société est bien friande. N’oublions pas les médias qui ne manqueront pas de souligner telle erreur et mettront nos cadres en situation d’accusés tôt ou tard.

Le régime de cet encadrement militaire devra donc être juridiquement durci sinon être différent des normes généralement acceptées. Pour reprendre un sujet qui m’est cher, le départ de la France de la CEDH devra être envisagé, à moins qu’un biais juridique ne soit trouvé, car elle ne manquera pas d’être sollicitée pour limiter les capacités d’action de nos cadres. Le candidat Sarkozy y est-il prêt ? La possibilité de contraintes physiques, à déterminer précisément, doit aussi exister même si elle sera sans doute rarement utilisée. Sa simple possibilité peut être suffisamment dissuasive pour qu’elle soit limitée. Le rejet total de la violence physique est une faiblesse aujourd’hui de notre société face à une minorité de jeunes agressifs et violents.

Pour conclure sur ce sujet, ce service militaire adapté pour 100 000 jeunes me paraît bien peu réaliste dans les conditions actuelles qui encadreraient sa mise en œuvre. Il vise surtout à répondre démagogiquement à une demande exprimée par une société excédée par les incivilités et le manque d’adhésion à la nation d’une partie de la jeunesse « a priori » d’origine étrangère, ne nous leurrons pas. L’armée ne pourra remplir cette mission sociale que si les moyens lui sont effectivement donnés, pas uniquement financiers, ce qui est malheureusement bien loin d’être le cas.

Le « vivre ensemble », nouveau dogme de notre société, ne peut se concevoir sans le respect de l’autre, non pas de façade mais dans la vie de tous les jours : respect des biens et des personnes, des règles de la société qui est la nôtre. Cela signifie surtout une capacité de la société et de ceux qui la représentent d’imposer le respect des règles avec ce principe ancien à appliquer : « Ma liberté s’arrête là où commencent celle des autres ». Cela signifie une éducation, c’est-à-dire savoir se comporter dans une société civilisée. Ce service militaire adapté doit inculquer ce savoir-vivre sinon ce savoir-être, de plus en plus absent de notre société et pas uniquement chez les jeunes. Il ne se limite pas à la seule préparation à entrer dans le monde du travail au moyen de la discipline. Elle n’est pas une fin en soi. Si cela était le cas, cela serait un échec.

Enfin cette proposition ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion de la société sur son échec à socialiser tous ses membres. Elle devra notamment entraîner en amont une action de l’Etat pour responsabiliser notamment les parents qui ont une mission éducative envers leurs enfants. Ne faut-il pas créer en effet une école des parents pour limiter cet échec de l’éducation ? Nous avons en effet une génération d’adultes qui n’a pas été éduquée. Comment voulez-vous qu’ils éduquent correctement leurs enfants ?

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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