vendredi 2 juin 2023

Un débat sur la défense nationale engagé par l’UDI

Demain, un grand nombre d’officiers saint-cyriens commémoreront partout où ils seront déployés la victoire de l’empereur Napoléon 1er à Austerlitz le 2 décembre 1805. Cette bataille citée en exemple par tous les stratèges militaires des grandes nations militaires a contribué à la grandeur de la France et à l’expression de son génie. 

Mais que penserait l’Empereur de la France d’aujourd’hui qu’il a reconstruite, sinon modelée ? Que penserait-il de l’armée française d’aujourd’hui, de ce qu’elle est devenue, de ce qu’elle va devenir alors que la loi de programmation militaire est discutée à l’Assemblée nationale ?

Cela mériterait peut-être un ouvrage, certes de fiction mais qui pourrait être passionnant et pourrait s’intituler « De la puissance de la France à son déclin : comment retrouver son rang ? ».

L’UDI a diffusé le 27 novembre 2013 (Cf. site UDI) un document qui pourrait contribuer à cette réflexion en vue sans doute du prochain conseil européen de décembre dédié à la défense.

L’éveil d’un appel au débat sur la défense nationale

Un certain nombre de propositions concrètes sont présentées sous la signature de Philippe Folliot, député du Tarn, secrétaire de la Commission de la défense nationale et des forces armées. Membre suppléant de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, il est aussi membre suppléant du Conseil supérieur de la réserve militaire. Il est membre du contre-gouvernement de l’UDI.

Ces propositions se présentent en trois ensembles consacrés respectivement à l’Europe de la défense, à l’évolution des forces armées et au lien armées-nation. Beaucoup d’idées intéressantes sont proposées même si je n’ai pas l’impression que les forces armées en seront forcément les bénéficiaires. Un sujet est notamment ignoré : celui de la place de l’institution militaire, aujourd’hui affaiblie, au sein des institutions.

Certes, ce document reconnaît la valeur des militaires au service de la Patrie. Il rappelle que la défense demeure l’ultime garantie de notre intégrité territoriale, que la dissuasion nucléaire et la capacité de projection de nos forces sont essentielles pour faire entendre la voix de la France. Il souligne que la part de la défense dans le PIB a été divisée par trois en quelques décennies, que le paiement des seuls intérêts de la dette représente une fois et demie le budget de la défense. L’UDI répond catégoriquement que l’on ne doit pas continuer dans cette voie.

Vers une Europe de la défense renforcée

Le  Conseil européen de décembre sera consacré à la Politique de Sécurité et de Défense Commune (Cf. PSDC), domaine effectivement sinistré (Cf. Mon billet du 25 août 2013. L’Europe et sa défense militaire). Un débat sur les questions fondamentales est indispensable : identifier les intérêts géostratégiques européens, définir le niveau de solidarité entre Européens et ses moyens, clarifier la place de la PSDC au sein de la Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC), pourquoi pas un nouveau concept stratégique de l’Union européenne.

L’UDI propose donc un budget dédié à la PSDC qui pourra financer des opérations de mutualisation de forces à l’échelle européenne (transport stratégique, drones, ravitaillement en vol…). Il soutient aussi la création d’un marché intérieur de l’armement comme composante du marché commun. L’exemple de l’échec de la fusion EADS/ BAE (Cf. L’Expansion) ne rend pas cette proposition bien crédible.

Cependant, l’UDI souhaiterait à travers plusieurs propositions la création progressive d’un encadrement militaire européen qui se distinguerait de l’OTAN. Ainsi, elle verrait bien à Strasbourg la création d’un pôle de défense européenne. Une Ecole de guerre européenne est aussi envisagée tout comme la création d’une Académie européenne du renseignement. Le problème est que l’international coute cher, que la durée des formations diminue, qu’il n’est pas possible de les dupliquer.

Et si j’ajoute l’incompréhension de la France (Cf. Rapport de la cour des comptes sur la formation des officiers) sur l’utilité de la formation continue pour les militaires, cette idée me parait déjà bien compromise. Cela pourrait être utilement abordé par une visite d’information à la direction de l’enseignement militaire supérieur.

Enfin, la création d’un Quartier général militaire européen (OHQ) permanent à Paris, notamment par le redéploiement d’une partie des effectifs dédiés aujourd’hui à l’OTAN vers l’Union européenne me paraît irréaliste.

L’accompagnement de l’évolution de nos armées

Le soldat a été un peu évoqué dans les propositions mais succinctement, ce qui est inquiétant, car il n’est pas réellement au cœur des propositions malgré la protection contre la judiciarisation (Cf. Mon billet du 17 novembre 2013. Projet de LPM et limites portées à la judiciarisation des opérations), un dialogue interne rénové, un meilleur suivi des compétences internes issues de la professionnalisation. Pour ce dernier thème, les parlementaires seront-ils en mesure d’imposer un plus grand recrutement des militaires pour leur reconversion au sein de la fonction publique et ce malgré les syndicats ?

Sur les orientations stratégiques, l’UDI évoque la suppression progressive des forces aériennes chargée de la dissuasion nucléaire, sujet sensible. Le tabou existe toujours (Cf. Mon billet du 2 septembre 2012. Un réel débat sur la dissuasion nucléaire ?).

Un Livre blanc spécifique sur les enjeux de souveraineté de chaque territoire d’Outre-Mer est envisagé en coopération avec l’ensemble des États riverains de nos espaces maritimes tout en confirmant l’autorité militaire sur les forces interarmées pour défendre les intérêts stratégiques de la France.

Je retiendrai comme nouveauté plutôt la voie de l’externalisation d‘un certain nombre de fonctions militaires en permettant la création d’entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) en France par l’actualisation de la loi de 2003. Il s’agit bien de répondre dans ce domaine à la concurrence des sociétés anglo-saxonnes.

Quant au développement de la pensée stratégique, il est proposé de créer une Académie de Défense et de Sécurité nationale sur le site de l’Ecole militaire (A nouveau une fusion de l’IHEDN et de l’INHESJ ?) et d’instaurer un Conseil national de sécurité pourtant déjà créé sans succès par le Livre blanc de 2008.

Un nouveau rôle social pour les armées ?

Outre la recherche d’un plus grand contact entre les politiques et militaires de tout rang (A quand le droit pour un militaire d’être un élu local sans mise en disponibilité avec suspension du traitement ?), l’UDI souligne le rôle majeur des forces armées dans la « promotion sociale ». J’évoquerai plutôt le besoin d’un nouveau rôle social pour les armées (Cf. Mes billets du 8 septembre 2012. « Quelle armée pour la France du XXIe siècle ? », paru aussi dans le Monde du 13 juillet 2011 et du 1er juillet 2012. « L’armée dans l’espace public ») qui pourrait prendre plusieurs formes.

Le modèle du service militaire adapté (SMA) en métropole est prôné pour les jeunes en difficulté et ne possédant pas ou peu de qualifications. L’encadrement serait assuré par un transfert d’emploi en équivalent crédits de l’Education nationale vers la Défense. Ce qui me semble tout à fait juste et intéressant comme idée. L’objectif de la mesure proposée est double : favoriser aussi bien les engagements dans les métiers liés à la défense que l’insertion professionnelle à travers des métiers en manque de main d’œuvre.

Une proposition vise aussi à permettre à la jeunesse volontaire d’avoir un contact avec les armées (préparation militaire, formation dans le cadre de l’université comme aux Etats-Unis)  et pourquoi pas faire carrière. Cela me paraît une démarche positive bien que je me rappelle des critiques notamment du monde enseignant sur la JAPD lors de son instauration : « surtout pas pour recruter ». Les temps auraient-ils changé au point d’accepter une plus grande implication des armées dans l’éducation nationale ? Un vrai défi.

Cette action pourrait être complétée par le développement de filières « d’excellence militaire » consistant en une admission dans les lycées de la défense d’enfants de nationalité française issus de milieux modestes. Il est donc proposé de créer de nouveaux lycées militaires en plus des six préexistants afin de ne pas impacter sur l’accueil des enfants de militaires et de fonctionnaires, raison de leur création. L’avenir des lycées militaires est pourtant une cible actuelle des réformes à venir, me semble-t-il.

Enfin une plus grande participation est envisagée pour la réserve qu’il faut développer et promouvoir, avec donc une plus grande implication des citoyens dans la sécurité intérieure. Cela me rappelle les débats temporaires sur la garde nationale (Cf. Mon billet du 25 mars 2012 « Après Surcouf, encore un groupe anonyme au sein de la défense : Janus et la garde nationale »). Les propositions de l’UDI s’en rapprochent sans en prononcer le terme.

Il s’agit donc de développer les réserves opérationnelles et citoyennes en doublant les moyens qui leur sont actuellement consacrés. Il est par exemple proposé de créer un bataillon de réserve par brigade (constitué d’environ 20% de personnel d’active mais où seront les cadres après la déflation ?), visant à la mise en place d’un dispositif de protection de la population, notamment dans les zones de sécurité prioritaires.  L’UDI appelle ainsi de ses vœux la mise en place d’un plan appelé « Vigipirate élargi ».

Pour conclure

Ces propositions sont intéressantes bien que les réformes en cours rendront difficiles une partie de leurs réalisations. Elles ont cependant au moins une qualité. Il ne s’agit plus de simples engagements pour un candidat à l’élection présidentielle mais de propositions exprimées par un parti pour organiser un débat dans la durée. C’est donc une initiative positive qui pourra élargir la réflexion démocratique sur la défense nationale.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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