Pour en revenir à la période actuelle, tout est-il négatif malgré le billet précédent ? Non et je suis agréablement surpris du projet de loi visant à actualiser la loi de programmation militaire de 2013 (Cf. Projet de loi du 20 mai 2015). Ce projet doit cependant être lu à la lumière de l’étude d’impact de cette actualisation (Cf. Etude d’impact) qui donne un certain nombre d’informations complémentaires. Cependant, qu’en sera-t-il après 2017 ? Les armées savent ce qu’il en est des promesses politiques et, au-delà des décisions prises aujourd’hui dans l’urgence face à une situation plutôt grave, il sera nécessaire que leur mobilisation soit confortée par un engagement public de la majorité des partis politiques sur le respect de cette LPM actualisée.
Cette actualisation de la LPM vise à tenir compte de la nouvelle situation sécuritaire pour faire face aux engagements opérationnels, sur le territoire national comme en interventions extérieures. Elle conduit à un allégement des contraintes pesant sur les effectifs et un effort supplémentaire dans le domaine des équipements, notamment dans celui de l’entretien programmé des matériels. La condition militaire est aussi largement abordée. Le rôle social des armées est réaffirmé. D’autres dispositions normatives sont destinées à tirer les conséquences d’évolutions juridiques intervenues depuis 2013.
De nouvelles conditions budgétaires
Le montant des crédits de paiement hors pensions de la mission « Défense » sera accru de 3,8 milliards d’euros (Md€), pour s’élever à 162,41 Md€ courants sur la période 2015-2019. Dès 2015, des crédits budgétaires seront substitués aux ressources exceptionnelles à hauteur de 2,14 Md€. D’un budget annuel aujourd’hui hors pensions de 31,4 Md€, il devrait atteindre 33,87 Md€ en 2019.
Il est intéressant de noter que l’effort au profit de la dissuasion nucléaire s’élèvera, sur la période 2015-2019, à environ 19,7 Md€ courants. Les équipements conventionnels seront financés à hauteur de 41,8 Md€ sur la période 2015-2019. Cela signifie donc un tiers de cet effort pour la dissuasion nucléaire, deux tiers pour l’armement conventionnel. De fait la dissuasion nucléaire reste privilégiée.
L’actualisation de la loi de programmation militaire conduit également à modifier l’évolution prévisionnelle des effectifs entre 2015 et 2019 et à ralentir la déflation des effectifs qui n’est pas remise en cause. Les armées, et donc l’armée de terre, devront être en mesure de déployer « dans la durée, dans le cadre d’une opération militaire terrestre, 7 000 hommes sur le territoire national, avec la possibilité de monter jusqu’à 10 000 hommes pendant un mois, ainsi que les moyens adaptés des forces navales et aériennes. »
Je constate cependant que le chiffre des effectifs déployés sur le territoire national aujourd’hui est devenu une norme de référence sans poser la question du besoin en cas d’une crise plus grave et plus consommatrice en effectifs (Cf. Billet du 15 février 2015, « Missions intérieures : Anticiper »). Dans ce contexte, le territoire national pourrait-il être suffisamment protégé dans son intégralité avec ces 7 000 hommes qui peuvent certes être renforcés pour atteindre 10 000 hommes pendant un mois ? Une réflexion stratégique approfondie me semble bien absente.
En 2019, les effectifs du ministère de la défense s’élèveront donc ainsi à 261 161 agents (les militaires sont devenus des agents) équivalents temps plein. En 2015, aucune suppression de postes n’est envisagée. 2 300 postes supplémentaires sont inscrits en 2016 mais la déflation reprend ses droits de 2017 à 2019 avec la suppression de 6 918 postes… sauf changement sécuritaire qui est donc loin d’être à exclure.
De la condition militaire
La condition militaire a été définie comme « l’ensemble des obligations et des sujétions propres à l’état militaire, ainsi que les garanties et les compensations apportées par la Nation aux militaires. Elle inclut les aspects statutaires, économiques, sociaux et culturels susceptibles d’avoir une influence sur l’attractivité de la profession et des parcours professionnels, le moral et les conditions de vie des militaires et de leurs ayants droit, la situation et l’environnement professionnels des militaires, le soutien aux malades, aux blessés et aux familles, ainsi que les conditions de départ des armées et d’emploi après l’exercice du métier militaire ».
De fait, le projet de loi introduit de nouveaux acteurs dans le dialogue social interne et l’amélioration de la condition militaire, avec la reconnaissance des associations professionnelles nationales de militaires (APNM). Leur finalité sera de préserver et promouvoir les intérêts des militaires dans ce domaine, « en toute indépendance et dans le respect des obligations s’imposant aux militaires ». Il est vrai que la crainte d’une influence de l’autorité militaire ou des partis politiques est évoquée (Cf. Billet du 21 décembre 2014 « En avant marche vers les associations professionnelles nationales de militaire »).
Les APNM disposeront d’un tiers des sièges au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) mais ne seront pas en revanche introduites dans les sept conseils de la fonction militaire. Pourront seulement en faire partie les personnels définis par l’article L1111-2 du code de la défense, « militaires de carrière, militaires servant en vertu d’un contrat, militaires réservistes qui exercent une activité au titre d’un engagement à servir dans la réserve opérationnelle ou au titre de la disponibilité et fonctionnaires en détachement qui exercent, en qualité de militaires, certaines fonctions spécifiques nécessaires aux forces armées ». Les associations d’anciens militaires n’en font pas partie.
Une association ne peut écarter son besoin en financement. Ainsi un crédit d’impôts est accordé aux militaires qui adhèrent à une association professionnelle nationale de militaires représentative. 40 000 militaires représentant 15 % des effectifs des armées seraient supposés adhérer aux APNM. A voir.
Je noterai qu’un point important a été intégré dans le code de la défense en étendant le « congé du blessé » « aux militaires blessés ou ayant contracté une maladie en opérations de sécurité intérieure visant à la défense de la souveraineté de la France ou à la préservation de l’intégrité de son territoire et dont les conditions d’intensité et de dangerosité sont assimilables à celles d’une OPEX. » Que cette mesure tout-à-fait positive à mon sens soit prise me semble bien confirmer l’état de guerre sur le territoire national.
Poursuite d’une déflation modérée et dépyramidage des cadres
Cependant, l’annonce d’effectifs préservés ne doit pas faire illusion. Il n’est pas question d’augmenter les effectifs des armées mais de ralentir leur déflation. Le dispositif rénové d’incitation au départ montre que la politique de dépyramidage se poursuit. En effet, il n’a pas donné tous les résultats attendus. Ainsi le dispositif de la pension afférente au grade supérieur (PAGS) est clarifié. En complément du pécule modulable d’incitation au départ, la promotion fonctionnelle est possible désormais pour les militaires qui ont accompli quinze ans de services effectifs à la date de leur demande écrite de promotion. Un ensemble des dispositions a aussi vocation à faciliter l’accès des militaires à la fonction publique, ce qui était déjà possible mais pas toujours satisfaisant.
Un encouragement pour les réservistes
Les réservistes ne sont pas oubliés avec un assouplissement de leurs conditions d’emploi en cas de crise menaçant la sécurité nationale (Cf. Billet du 29 mars 2015, « De la réserve, que diable »). Il s’agit de développer une plus grande réactivité dans le recours aux réservistes tout en sécurisant leur situation à l’égard de leur employeur principal. Ainsi, le préavis que doit respecter le réserviste pour prévenir son employeur de son absence pour activités dans la réserve pourra être réduit d’un mois à quinze jours. Pour les réservistes ayant souscrit une clause de réactivité avec l’accord de leur employeur, la durée minimale du préavis pourra être réduite de quinze à cinq jours. Le nombre de jours d’activités dans la réserve effectués sur le temps de travail et opposables à l’employeur pourra être augmenté de cinq à dix jours par année civile.
Du retour au rôle social des armées
A l’image du service militaire adapté pratiqué outremer (Cf. Billet du 1er décembre 2013, « Un débat sur la défense nationale engagé par l’UDI »), un service militaire volontaire (SMV) est créé à titre expérimental à destination de jeunes, garçons ou filles, âgés de dix-sept ans à vingt-six ans, résidant en métropole et identifiés lors des Journées Défense et Citoyenneté « comme étant en situation délicate au regard de l’insertion professionnelle ». Ils pourront ainsi recevoir une formation globale d’une durée variant entre six et douze mois en fonction du niveau général du stagiaire et de son projet professionnel. L’expérimentation est prévue pour une durée de deux ans à compter du 1er septembre 2015. Des centres de formation seront créés. Des militaires d’active y seront affectés comme cadres. Le rôle social des armées est réaffirmé à juste titre.
Pour conclure, un regret
Ces attentats ont rappelé, et je ne fais que reprendre le projet de loi, que « la lutte contre le terrorisme et la protection de nos concitoyens devaient prendre en compte plus nettement encore les domaines de l’information et des perceptions, pour lutter contre de nouvelles menaces, comme les opérations d’influence sur les réseaux sociaux ».
Aucune trace cependant de nouvelles capacités militaires affectées à la contre-propagande et aux opérations d’influence n’est précisée (Cf. Billet du 15 février 2015 « Retour sur la cyberguerre et la contre-propagande »). Or, chacun sait que ce qui n’est pas écrit ne sera pas mis à disposition. Un retour en arrière alors que la guerre contre les djihadistes s’appuie en grande partie sur l’affrontement des idées ? Cela est bien regrettable et pourrait montrer une grande timidité à assumer toutes les facettes de la guerre au XXIe siècle.