jeudi 25 juillet 2024

De la réserve, que diable !

Depuis le 7 janvier 2015, les menaces sur la sécurité intérieure ont fait prendre conscience que les forces armées professionnelles, donc permanentes, n’étaient pas assez nombreuses pour assurer les missions de la défense nationale. Il est vrai que l’intervention militaire sur le territoire national avait été soigneusement écartée des réflexions politiques depuis des années, et ce quel que soit le parti.

Quelques réflexions sur la réserve

Les militaires n’en sont pas moins fautifs que ce soit par manque de clairvoyance ou simplement d’alignement sur la pensée politique du jour. Ne surtout pas heurter les « political masters »! Entre les militaires qui ont prôné l’armée de métier ou, notamment dans l’armée de terre, ont abandonné à la gendarmerie la défense opérationnelle du territoire, quel manque de clairvoyance dans la préparation de la sécurité de la nation ! Pourtant, n’est-ce pas au militaire, parce qu’il est neutre politiquement et garant ultime de la sécurité de l’Etat, donc légitime, de rappeler fermement au politique la réalité des menaces en dépassant le manque de perspicacité, la méconnaissance ou l’opportunisme électoral ?

Nous sommes désormais au pied du mur et il faut bien constater que de multiples solutions surgissent pour limiter le désastre : renforcer les effectifs notamment de l’armée de terre d’une manière conséquente, rappeler que les armées sont une forte composante de la protection du territoire national, que la nation est aussi concernée ce qu’elle aurait eu une tendance à oublier. Les politiques ne sont pas toujours élus par hasard.

En fait, comment revenir sur les effets néfastes de la suspension du service militaire, ou du moins comment la compenser, sans perturber les esprits, les habitudes, et surtout au moindre coût ? Et tout cela dans l’urgence, ce qui augure mal de la cohérence pour l’avenir ! Mon propos sera donc focalisé sur les réserves en France en m’appuyant sur les auditions récentes de généraux devant la commission de la défense nationale et des forces armées.

En introduction, je pourrai rappeler qu’une Journée nationale du réserviste est organisée une fois par an, en l’occurrence ce vendredi 27 mars 2015 (Cf. http://www.defense.gouv.fr). Elle visait cette année à « soutenir le développement de la notoriété de la réserve militaire et son attractivité ». Qui en a entendu parler ? Quels retentissements dans les médias ? Alors je vous le dis tel que je le pense. Tout le monde ou presque s’en fiche, comme l’an dernier (Cf. Mon billet du 13 avril 2014)

J’en suis d’autant plus convaincu que régulièrement des civils me contactent pour rejoindre la réserve surtout depuis le 7 janvier. A ma grande déconvenue, le peu que je peux faire montre que cette démarche s’avère vaine alors que la crise actuelle était l’occasion de mobiliser autour de l’esprit de défense. Je constate que c’est loin d’être le cas d’autant que l’armée d’active n’y voit que peu d’intérêt pour des questions de compétences militaires ou financières.

Un survol rapide de l’histoire de la réserve

Il faut cependant se rappeler l’histoire de la réserve. En France, la réserve militaire apparaît après la guerre franco-allemande de 1870, remplaçant la garde nationale dissoute en 1871 après un siècle d’existence, car jugée peu efficace sinon peu fiable politiquement (Cf. Mes billets du 25 mars 2012 et du 1er avril 2012). Elle est créée par la loi du 27 juillet 1872. Elle s’inscrit dans l’esprit de la levée en masse de l’an II et de nos valeurs républicaines : l’appel à tous les citoyens réunis pour défendre la patrie.

Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Certainement pas et il ne sert à rien d’évoquer un lien Armée-Nation pour justifier le besoin d’une réserve. La loi du 22 octobre 1999 puis celle du 18 avril 2006 ont créé une réserve d’emploi avec pour seul objet de renforcer en permanence les capacités des forces armées et non de défendre le pays par le peuple en armes. Je soulignerai que l’opération Sentinelle a fait appel à seulement 250 réservistes sur 10 000 soldats déployés.

Enfin, n’y-a-t-il pas un statut protecteur illusoire de la réserve ? Certes la réserve (Cf. Audition du général Destremau du 11 mars 2015) s’inscrit dans un parcours citoyen qui débute avec l’enseignement de défense et se poursuit avec les journées défense et citoyenneté (JDC), la préparation militaire et le volontariat. (Cf. Mon billet du 30 novembre 2014, « Peut-on envisager une autre défense citoyenne ? »). La loi a instauré un statut du réserviste et prévu des protections spécifiques vis-à-vis de l’employeur : ainsi, à condition d’avoir déposé un préavis d’un mois, le réserviste peut s’absenter de son poste cinq jours ouvrés par an pour ses activités dans la réserve, sans que son employeur puisse le refuser. Or, Sentinelle en particulier a montré l’illusion de ce statut.

Des chiffres éloquents sur la réalité de la réserve

Il semble en effet nécessaire de rappeler quelques chiffres. La Loi de Programmation Militaire (LPM) de 1994 visait 500 000 hommes à l’échéance de l’an 2000. Celle de 1996 a ramené cet objectif à 100 000 hommes pour 2002, celle de 2009 à 40 000 hors gendarmerie. La LPM de 2013 « stabilise » désormais les effectifs dans les armées à 27 600, hors gendarmerie.

Les officiers représentent 31 % des effectifs, les sous-officiers 35%, les militaires du rang 34%. La réserve de deuxième niveau (réserve de disponibilité) compte 89 000 anciens militaires soumis sur décret à un rappel possible dans les cinq ans suivant leur retour à la vie civile. S’ajoute une réserve citoyenne de 2 300 personnes.

L’armée de terre répartit ses 15 500 réservistes entre unités (quatre-vingt-trois compagnies de réserve) et compléments individuels. La marine compte 4 700 réservistes, l’armée de l’air 4 320 réservistes avec vingt-sept sections de réserve.

Les missions consistent en renforcement des unités (32%) et des états-majors (16%), en actions de formation (17 %) … en participation aux opérations extérieures (4%). En 2014, les réservistes opérationnels ont servi en moyenne vingt-quatre jours par an.

La gendarmerie a défini un concept de renfort permanent en unités constituées de réservistes. 1 300 d’entre eux agissent au quotidien sur les 24 000 réservistes opérationnels disponibles, sans oublier la réserve de second niveau de 28 000 personnes constituées de retraités de la gendarmerie (Cf. Audition du général Coroir du 10 mars 2015). 70 % des réservistes sont issus du milieu civil et suivent une formation militaire de gendarmerie pour intégrer la réserve. Par ailleurs, 15 % des recrutements de sous-officiers proviennent de réservistes ce qui permet de mieux comprendre le succès de la gendarmerie. S’ajoutent enfin 1 300 réservistes citoyens.

Contraintes et évolutions possibles de la réserve

Au déclenchement de l’opération Sentinelle, des réservistes se sont spontanément présentés pour partir en mission et certains de leurs employeurs leur ont reproché de ne pas avoir respecté le délai de trente jours de préavis. Il s’avère aussi que les réservistes ne se dévoilent pas. Beaucoup préfèrent ne pas en parler à leur employeur de peur que cela leur nuise à un moment ou à un autre et prennent alors sur leurs jours de congé. Le général Patrick Destremau a évoqué dans son audition ces « réservistes clandestins ». Ce n’est pas à l’honneur des entreprises et des administrations françaises.

Certes, des conventions ont été signées avec plus de trois cents entreprises et administrations mais elles sont bien plus nombreuses que cela. Le général Destremau comme le général Coroir remarquent que les employeurs civils, au premier rang desquels les administrations publiques, apparaissent insuffisamment impliquées dans une question qui concerne pourtant la défense de tous les citoyens et des entreprises.

De fait, le cadre législatif qui prévoit un délai de préavis de trente jours est incompatible de l’urgence opérationnelle. Il limite aussi la durée d’activité. Or, l’engagement opérationnel doit intégrer la formation et la préparation opérationnelle. La moyenne actuelle, d’une vingtaine de jours, est donc jugée insuffisante. Ceci explique aussi pourquoi les réservistes, anciens militaires, représentent environ la moitié du total.

Il serait aussi souhaitable selon l’EMA d’allonger la durée de disponibilité de cinq à dix jours (c’est-à-dire le minimum de jours autorisés). Dix jours… Le déploiement en continu d’un seul réserviste pendant un an nécessite plus de vingt-cinq réservistes sous contrat, donc sur un seul poste. Je me rappelle ce capitaine américain, journaliste, affectée sur un avion Commando Solo sur l’Irak pour un an. Rappelée, elle ne savait pas si elle retrouverait son travail, ni finalement quand elle serait libérée mais elle servait son pays…

Les réserves de second niveau ne peuvent ni être accueillies ni être équipées aujourd’hui. Peut-on s’en étonner à force de vendre les enceintes militaires parfois pour un euro symbolique (Centre d’essais en vol dans l’Essonne, Cf. Mon billet du 5 août 2012 -, caserne de Reuilly-Diderot dans le XIIème…) ?

Il convient enfin selon l’EMA de clarifier dans les textes le continuum entre paix, crise majeure et mobilisation générale pour disposer d’une réelle capacité de montée en puissance de la réserve opérationnelle de premier comme de deuxième niveau. Qu’il soit enfin entendu ! J’ai souvent évoqué cette nécessité dans plusieurs articles.

Pour conclure

L’état-major des armées réfléchit à des unités de réserve dans les déserts militaires au moins dans une quinzaine de départements. Cependant, la garde nationale ne serait-elle pas une meilleure solution puisque le service sur place serait un facteur de fidélisation des réservistes ?

Il est vrai que le pouvoir politique sinon les armées pourraient bien se méfier d’une garde nationale qui, dans notre histoire tourmentée, a souvent pris position. D’un autre côté, l’acte de citoyenneté de défendre son pays par les armes, n’est-il pas un symbole d’adhésion à la Nation ?

Quant au concept de la réserve, le fait d’avoir créé des réservistes de tous genres n’a-t-il pas fini par en dénaturer l’esprit, ceci ressemblant bien à une forme de flexibilité du travail pour remplacer le personnel non embauché.

Enfin devant un esprit de défense, qui, de fait, est devenu illusoire, dénaturé, ne serait-il pas temps, dans le cadre d’une solution innovante, à faire appel à des sociétés militaires privées françaises pour pourvoir aux postes déficients ? Certes, l’image régalienne en prendrait un coup mais n’est-ce pas déjà le cas ?

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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