mardi 19 mars 2024

Une géopolitique bien oubliée en France depuis juin

Période où les journaux télévisés ont passé plus de temps à évoquer la canicule, les catastrophes ou les orages, bien sûr les épreuves du bac, survolant allègrement les questions de géopolitique qui, pourtant, concernent aussi l’avenir des peuples sinon leur survie. Affligeant. Pourtant les sujets n’ont pas manqué sur les différents continents.

En Asie.

La Chine poursuit sa politique expansionniste. Hong Kong se rebelle contre Pékin mais commet des actes de violence exploitables pour une répression chinoise à laquelle l’Occident ne répondra certainement pas. Certes, la commémoration du massacre de Tien An Men dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, trente ans après (Cf. Le Figaro du 3 juin 2019), a rappelé que l’Union européenne avait instauré un embargo sur les exportations d’armement vers la Chine mais celle-ci en a-t-elle encore besoin aujourd’hui ? La Chine, qui dépense dix fois plus pour sa défense qu’en 1994, vise l’objectif de faire de l’Armée populaire de libération, une armée « de classe mondiale » en 2049 pour le centenaire de la Chine populaire.

Cette puissance militaire chinoise s’appuie temporairement sur une « simple » stratégie d’intimidation en Mer de Chine méridionale comme cela s’est passé contre le navire de guerre français « Le Vendémiaire » dans le détroit de Taïwan le 6 avril. La Chine ne reconnaît pas la convention de l’ONU qui fixe la limite des eaux territoriales à 12 milles nautiques, l’estimant à 15 milles. Le Vendémiaire a subi une « manœuvre dangereuse » de la marine chinoise au sens du droit de la mer. Comme d’autres auparavant, cet incident a montré que la Chine ne respectera pas le droit international s’il est contraire à ses intérêts. Pour sa part, la France a rappelé sa stratégie dans la zone Indo-Pacifique lors du « Shangri­La Dialogue », conférence annuelle des experts et des responsables sécuritaires d’Asie  (Cf. Le Monde du 3 juin 2019).

N’oublions pas que cette influence militaire chinoise accompagne la progression des « Nouvelles routes de la soie » notamment vers l’Europe avec une action de dissociation de l’Union européenne. Cette stratégie n’est pas seulement économique mais aussi géopolitique : affaiblir les opposants potentiels de la Chine.

En Europe

La Russie revient au Conseil de l’Europe après son départ suite aux sanctions européennes dues à l’occupation de la Crimée et à son comportement en Ukraine. La Russie maintient ses positions alors que les sanctions n’ont eu que peu d’effets et ont rapproché Chinois et Russes. (Cf. Mon interview sur RT le 8 juillet 2019).

A nos frontières, les ONG « promigrations » forcent les frontières en Italie. Après le premier succès, un second navire avec caméras et journalistes, force à son tour le passage pour mettre l’Union européenne et bien sûr l’Italie devant le fait accompli.

Au Moyen-Orient

La tension croît. Un colloque organisé par Frédéric Encel se tenait le 21 juin sur cette thématique à l’assemblée nationale « Regain de tension dans le golfe arabo-persique ». J’en retiendrais d’une part que Khomeiny appartenait à l’organisation chiite des frères musulmans rattachés aux frères musulmans sunnites depuis les années 50, ce qui montre la dangerosité de l’Iran actuel, d’autre part le constat d’une réelle montée en puissance de la « petite Sparte » que sont les EAU (Cf. Mes billets du 18 septembre 2018 et du 21 septembre 2018), sans oublier l’intérêt devenu moindre pour les Etats-Unis quant à l’approvisionnement en hydrocarbures à partir de cette région.

De fait, des pétroliers ont été attaqués à deux reprises dans le détroit d’Ormuz ou à proximité. Les Houthis frappent en Arabie saoudite. Les Etats-Unis ont failli frapper militairement l’Iran après la destruction d’un drone de 35 millions de dollars… hors coûts de développement. Mais D. Trump a fait revenir ses bombardiers quand il a pris connaissance du nombre d’Iraniens qui seraient tués. Finalement, n’est-ce pas une application des droits de l’homme ? Détruire une machine ne justifie pas de tuer des humains, à méditer.

En revanche, l’Iran annonce que des attaques cyber américaines contre des systèmes informatiques contrôlant des lanceurs de missiles iraniens, ainsi que contre ceux d’une unité de renseignement ont été contrées. Il annonce le dépassement du taux autorisé d’enrichissement de l’uranium Cf. Le Figaro du 8 juillet 2019) sans que cela ne présente un danger immédiat. De fait, l’Iran se désengage de l’accord sur le nucléaire). L’Union européenne menace, D. Trump sanctionne alternant avec des déclarations fortes…  La guerre de l’information, actions de communication et cyber associées, s’impose jour après jour façonnant les opinions publiques.

Israël est pour sa part en crise politique et le plan de paix pour le Moyen-Orient concocté par le lobby pro-Israël, en particulier par Jared Kushner, gendre de D. Trump, est critiqué à défaut d’être en sommeil.  Le blocus du Qatar est maintenu par l’Arabie saoudite alors que la coupe du monde de football de 2022 est attaquée. Ainsi, en France, l’accusation de corruption à l’encontre du Qatar pour en obtenir l’organisation, entraîne une garde à vue sans suite de Platini. MBS n’est pas non plus à l’abri des attaques avec cette condamnation de l’ONU suite à l’affaire Khashoggi mais il était bien présent, en bonne place, sur la photo du G20 fin juin.

Sur le continent américain

Les Etats-Unis font valoir leur puissance face à la Chine avec qui une trêve commerciale est obtenue sauf sans doute pour Huaweï, acteur du développement de la 5G. Tout est fait aussi pour que les armements américains soient vendus en Europe. D. Trump souhaite en effet pouvoir faire bénéficier les industries américaines d’armement du fonds européen de défense. D’ailleurs, qu’achèteront à terme les Polonais au détriment des industries européennes d’armement en échange des 1 000 soldats américains qu’ils ont obtenus en présence permanente pour leur sécurité face à la Russie ? Pendant ce temps, à l’image notamment de la France, D. Trump fait de la fête nationale américaine du 4 juillet une journée d’hommage à la puissance militaire américaine aux Etats-Unis. Une militarisation des institutions américaines ?

Quant à l’Amérique du Sud, elle obtient dans le cadre du MERCOSUR un accord avec l’Union européenne. Celle-ci n’a-t-elle pas bradé à nouveau nos agriculteurs au profit d’une mondialisation … bien peu en phase avec les attentes des populations d’aujourd’hui ?

En Afrique

La Libye est toujours en guerre avec un relatif échec du maréchal Haftar à prendre Tripoli malgré le soutien des EAU, de l’Arabie saoudite alors que le gouvernement de Tripoli est soutenu par la Turquie. Les deux clans ennemis de la crise du Qatar s’opposent sur un autre théâtre d’opération.

L’Algérie est toujours soumise à l’instabilité politique alors que l’islamisme radical se répand toujours dans la bande sahélo-saharienne et vers la partie centrale de l’Afrique.

Pour conclure

Les questions géopolitiques ont pris une dimension majeure dès lors que le multilatéralisme est rejeté par les grandes puissances anciennes ou émergentes. Elles ont aussi une influence toute aussi majeure sur l’économie. A ce titre, il apparaît nécessaire que les entreprises s’y intéressent et forment leurs cadres à ces questions au moins au titre de leur culture générale. L’économie ne peut pas se développer sans être en phase avec la géopolitique. Ce qui se passe avec l’Iran est exemplaire à ce titre.

 

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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