Cette semaine, deux colloques en particulier ont suscité mon intérêt.
Les nouveaux espaces stratégiques
Le premier était le colloque de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM), organisme qui, à ce jour, couvre 7 domaines d’études, emploie 25 chercheurs, 80 doctorants et post-doctorants. Ce colloque se tenait à l’assemblée nationale et présentait une partie des travaux réalisés depuis un an sur le thème des « Nouveaux espaces stratégiques ». Il correspond d’ailleurs à un ouvrage consultable en ligne sur le site de la délégation aux affaires stratégiques (DAS), coorganisatrice.
Toutes les présentations des chercheurs n’ont pas suscité tout mon intérêt. Je reconnais qu’il s’agissait plus d’une question de forme que de fond. Un chercheur qui ne vit pas son « étude » me paraît toujours un peu difficile à suivre. Cependant ce colloque a été suivi par un auditoire important, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes dans une période où la défense, ses missions, ses capacités se restreignent comme peau de chagrin. N’était-ce pas finalement le chant du cygne des armées mais je m’égare.
En introduction, le directeur à la délégation aux affaires stratégiques a souligné le caractère dominant de la production des centres de recherche anglo-saxons. Il a constaté la faiblesse de nos ressources même si elles ne sont pas négligeables. Il a exprimé aussi le besoin d’une revue d’influence de dimension internationale sur les questions stratégiques. J’en suis totalement convaincu mais elle ne pourra pas se faire à mon avis que si cette stratégie d’influence est réfléchie, orientée, financée aussi y compris par le ministère de la défense car un rayonnement international implique par exemple une capacité de traduction qui est coûteuse.
Dans le domaine de la recherche stratégique, le directeur a évoqué la place des sciences humaines et sociales dans nos réflexions, la connaissance socio-culturelle des théâtres d’opération. Reconnaissons que la capacité d’expertise dont nous disposions il y a une vingtaine d’années, au moins dans l’armée de terre par des scolarités ciblées dans les universités, s’est évaporée.
Aujourd’hui, la connaissance culturelle n’est plus présente ou presque dans les armées. Trop chère ! Il faut donc repenser les organisations et peut-être s’appuyer sur l’IRSEM pour avoir le contact avec les experts des universités. Pour cela encore faut-il que cet organisme soit bien intégré dans l’organisation des forces armées pour être en mesure de répondre aux attentes notamment opérationnelles.
Pour en revenir aux études présentées, j’en ai retenu trois. « Les enjeux sécuritaires et maritimes du golfe de Guinée à 10 ans » faisait un état des lieux autour du Golfe de Guinée, évaluait les vulnérabilités stratégiques à 10 ans, proposait des stratégies d’action. 25 pays ont été étudiés. J’ai bien sûr apprécié cette inquiétude évoquée sur la corruption de cette région comme entrave à la sécurité mais sommes-nous en mesure, nous Français, de nous positionner sur ce sujet ? La corruption au sens pénal et la corruption dans les esprits avec des valeurs fluctuantes en fonction de l’intérêt personnel mériteraient bien des développements aujourd’hui avant de juger la corruption des « autres ».
Une « Analyse comparée de la stratégie spatiale des pays émergents (Brésil, Inde, Chine) » était présentée par Isabelle Sourbès-Verger, CNRS. Cette présentation claire visait à montrer les similitudes et les divergences de la stratégie spatiale de ces trois pays et donc leurs différentes conceptions.
L’étude présentée que j’ai préférée sans aucun doute est celle de la « Relation Homme – Robot et la prise en compte des nouveaux facteurs sociologiques » par Securymind. Sujet d’actualité lorsqu’on lit d’une part la volonté de certaines ONG d’encadrer l’emploi des drones (Cf. Le Monde du 6 mars 2013, « Au Sahel comme ailleurs, l’usage du drone armé est-il légal et éthique ? »). Il faut sans doute lire aussi les articles dans Revue Défense Nationale du général Yakovleff en novembre et en décembre 2011 ainsi qu’en janvier 2012.
De même, on peut s’interroger sur cette volonté par exemple de cette chercheuse au MIT, Kate Darling, qui souhaite donner une protection juridique aux robots sociaux (le Monde du 16 février 2013, « Donnons des droits aux robots »). Je suis un grand admirateur d’Isaac Asimov, scientifique et auteur de science fiction qui avait défini les trois règles de la robotique. Ses nombreux ouvrages posant la place du robot dans la société humaine mériteraient sans doute d’être relus. Pas au point de donner des droits au robot ! De fait l’étude présentée montre un remplacement de l’humain par un robot qui est présumé mieux faire et qui est de plus en plus considéré comme un partenaire.
Une conclusion de cette étude est l’impact psychologique existant sur l’opérateur du drone mais aussi sur le constat d’un syndrome de stress post-traumatique pour les opérateurs même à distance. Un autre constat est celui des conséquences sociologiques : l’éthos militaire collectif serait remis en question et donc la mobilisation individuelle affaiblie car on oublie le combattant qui se bat avant tout pour ses camarades.
En résumé un bon colloque !
Sur le Mali
Le second colloque était organisé par l’ANAJ. Le thème en était « Regards croisés sur le Mali » dans une semaine où une partie de nos troupes réintègrent leurs quartiers, après des combats éprouvants, sans doute beaucoup plus durs qu’en Afghanistan en raison de la durée et de la rusticité de la zone de combat. La relève s’organise aussi, c’est-à-dire le remplacement de forces en place notamment du groupement aéromobile. L’unité passera par le sas de Chypre car il faut anticiper l’impact éventuel sur nos forces professionnelles de ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome post-traumatique (Cf. site du ministère de la défense).
Comme une autre conférence sur le Mali le 23 février 2013 (Cf. Mon billet du 23 février 2013 « Il paraît qu’on quitte le Mali en mars ») à laquelle j’avais participé, les spécialistes du monde universitaire ont une vision en revanche différente de l’approche politico-militaire. Ainsi, André Bourgeot (CNRS) évoquant cette guerre contre les narco-djihadistes, a rappelé les critères culturels de cette région. Gao, lieu de combats encore récemment, est le siège d’une confrérie proche de l’Arabie Saoudite depuis plusieurs dizaines d’années.
Les attaques par homme-suicide contribuent à rendre les troupes nerveuses dans cette situation de guérilla et de harcèlement. La zone Nord est depuis très longtemps soumise au trafic sans contrôle de l’Etat. Quant à Aqmi, elle est présente depuis 2003. Les cadres algériens se sont mariés localement et ont donc un ancrage dans la population.
A.Bourgeot conteste par ailleurs cette approche idéalisée de la société touareg dont le pouvoir traditionnel est remis en cause par leurs anciens esclaves. La connaissance des théâtres d’opération d’aujourd’hui et futurs me semble devenir un impératif et conduit donc à une organisation militaire capable d’analyser l’environnement humain des opérations notamment à travers une approche par les disciplines des sciences humaines et sociales.
La question de l’absence de forces maliennes lui pose aussi problème. Kidal reste gérée par le MNLA. Alors pourquoi cette différenciation de régime qui menace l’unité territoriale du Mali et donc les élections ? Il évoque une connivence entre les militaires français et l’autonomie donnée à cette ville. Il conteste cette crédibilité accordée à un mouvement qui ne représente que lui-même. Il est peut-être temps que l’université contribue à la réflexion stratégique.
Quant aux élections, il ne croit pas qu’elles seront réalisables pour le mois de juillet : il y a actuellement 500 000 réfugiés, le début du ramadan est prévu le 9 juillet, la saison des pluies sera arrivée (Cf. secret défense). Outre le fait que la méconnaissance des caractéristiques du théâtre des opérations m’interpelle, ce chercheur évoque des élections bradées. Emmanuel Dupuy a souligné qu’il y avait aujourd’hui près de 150 partis politiques au Mali, ce qui n’arrangera pas l’organisation des élections.
Le délabrement de l’armée malienne (Cf. cette désertion relatée sur Lignes de défense) correspond aussi à celui de l’Etat. Il ne s’agit pas seulement de la former mais aussi de récréer des forces armées républicaines, mais qui peut croire qu’elles seront en mesure d’assurer la sécurité dans un Mali réunifié dans les mois à venir.
Emmanuel Dupuy a rappelé le rôle de l’Union européenne (lire ses trois analyses des 2, 6 et 12 avril sur le blog « Ainsi va le monde ») et celui de l’EUTM (Cf. le billet de B2 du 13 avril). 1 milliard et demi d’euros ont été versés aux cinq pays de la région. Pour quels résultats ? Par ailleurs, l’Union africaine a seulement apporté 90M€ au lieu des 350M€ attendus au profit de la MISMA. L’Union européenne devrait compléter. Eternel donateur mais surtout pas guerrier !
Une question reste ouverte sur ces combats. Que recherche l’ennemi ? Ses actions sporadiques et clairsemées lui coûtent des pertes significatives certes entretiennent l’insécurité mais ne contribuent pas à son retour. Se faire oublier aurait facilité le départ des forces françaises… pour que les djihadistes puissent reprendre leurs activités. Alors une grande interrogation de ma part sur leur stratégie et je trouve peu d’analystes s’exprimant sur le sujet.
La guerre au Mali et dans la zone sahélienne n’est pas finie. Elle ne s’achèvera pas à notre avantage si l’engagement de la France ne paraît pas fort et déterminé dans le temps si le besoin est avéré et il semble l’être. Malgré son coût, malgré la crise économique, notre crédibilité dans la région d’abord, en Europe ensuite sera à ce prix.