Une pensée avant tout pour le sergent-chef Harold Vormezeele, décédé au Mali des suites des blessures reçues au combat.
Depuis le début des opérations au Mali, les annonces politiques se succèdent. Au début de février, elles annoncent le retrait des forces françaises pour le mois de mars. Est-ce le bon message alors que le président de la République et le ministre de la défense n’ont cessé d’affirmer leur volonté d’aller jusqu’au bout ? N’est-ce pas donné l’impression à l‘ennemi que nous limiterons nos efforts pour le combattre ? Cette communication politique est sans doute adaptée à cette retenue démocratique à ne pas faire la guerre. Je la comprends lorsqu’elle est destinée au territoire national mais l’opinion montre une certaine compréhension des enjeux.
Au-delà des simples actions de communication, la France doit exprimer sa volonté au plan stratégique par une coordination de ses actes et de ses messages qui s’intègre dans une stratégie d’influence appelée par l’OTAN « communication stratégique ». Cette stratégie d’influence est d’autant plus facile que les forces françaises sont les seules forces « européennes » à combattre avec des alliés africains. Il s’agit bien de défaire l’ennemi pour l’empêcher de nuire et de prendre un quelconque ascendant politique sur notre stratégie par des actions locales, par exemple par des actes terroristes fortement médiatisés. Elle doit aussi anticiper ou inclure la participation d’autres acteurs comme l’EUTM, les organismes régionaux et éventuellement l’ONU dont le conseil de sécurité étudie le déploiement d’une force de 5000 hommes.
Sur ce dernier point, ce qui se passe en RDC laisse perplexe sur l’intérêt à déployer une force qui sera incapable de se battre face à des insurgés ou à des groupes armés déterminés. En tout état de cause, tout comme la construction d’une armée malienne apte au combat, un tel déploiement ne pourra se faire que dans une zone pacifiée, en l’occurrence par Serval et seulement après des mois de préparation. Il ne sert à rien d’évoquer un retrait des forces armées françaises impossible avant plusieurs mois compte tenu des menaces.
Cependant la France doit avoir une vision claire de l’après-Mali en le construisant dès aujourd’hui comme l’Afghanistan et d’autres conflits l’ont pourtant montré. Quelle est notre stratégie de sortie de crise ? La réflexion d’Etienne de Durand publié dans Foreign affairs en dessine la problématique sans qu’il n’y ait de réponse. Celle-ci se conçoit au sens de la stratégie et non d’une politique de l’instant. Ce n’est pas quand nous partirons qui est important, c’est l’effet obtenu par notre stratégie qui doit déterminer ce calendrier. En fait il s’agit de penser le but de la guerre, le but stratégique voulu par la France. J’aimerai que l’on me l’explique non dans une expression au quotidien des actions menées mais dans une vision globale de l’engagement de la France.
L’état final recherché par l’intervention militaire doit aussi être accompagné par une communication politique qui n’exprime pas de doute. Cela pourrait se résumer à : « détruire les groupes insurgés ou islamistes ou tout au moins les rendre incapables de mener une stratégie de déstabilisation du Sahel ». Cet objectif stratégique lie aussi bien les actions militaires que politiques ou économiques. Elle conduit comme je l’ai évoqué un autre billet, à une nouvelle stratégie française en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest (Cf. Mon billet du 20 janvier 2013).
L’erreur aujourd’hui serait de faire croire que la guerre a été seulement une guerre éclair alors que tout laissait supposer dès le départ une guerre contre-insurrectionnelle. Cette guerre est et sera de longue durée. Elle ne limite pas à une quelconque éradication du terrorisme, mode d’action au service d’une idéologie (Islam radical) ou d’un projet politique (Touaregs). Une des objectifs est donc l’instauration d’une sécurité acceptable car elle ne pourra pas être totale. Il s’agit ensuite de disposer de forces africaines maliennes fiables pour soutenir le gouvernement actuel et futur. Je pourrai dire que la volonté d’organiser à tout prix des élections au Mali, comme à chaque fois que les démocraties interviennent militairement, peut prêter à sourire. L’Afghanistan n’est pourtant pas loin.
Les arguments contre une stratégie à long terme relèvent finalement plus du débat médiatique que d’une prise de position de l’opinion publique. Enlisement ? Cette guerre sera faite au milieu de populations généralement favorables. Elle sera longue mais est-ce pourtant un enlisement dès lors que les relèves sont prévues. Pertes au combat ? L’Etat tient son rang envers les soldats morts au combat et soutient l’engagement de nos forces armées. Coût de la guerre ? Est-ce le débat dans le cadre du déficit public abyssal d’aujourd’hui (et puis le ministère de la défense y pourvoira dans le cadre de toutes les réductions annoncées de son budget. Je plaisante bien entendu).
Erosion enfin du soutien de l’opinion publique ? Le conflit semble bien loin des préoccupations de nos concitoyens. Je me suis rendu à la mairie du 3è arrondissement de Paris (anciennement donjon du Temple) qui organisait en soirée une conférence, « Engagement militaire au Mali, mission accomplie ? » ce jeudi 20 février. La salle était pleine pour écouter les trois intervenants Jean-François Bayart, enseignant-chercheur, expert en politique africaine à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et directeur de recherche au CNRS, Akram Belkaïd, journaliste et essayiste, spécialiste du monde arabe et William Leday, coordinateur du pôle international et défense de Terra Nova.
J’ai constaté que cette conférence exprimait un soutien sans réserve à l’action du gouvernement… qui prenait en main une situation n’étant pas de son fait. Les intervenants affirmaient que le Mali était une conséquence de l’intervention militaire en Libye décidée par N. Sarkozy, l’ancien président de la République et donc un échec indirect de cette intervention. C’est de « bonne guerre » bien que la surprise de l’attaque djihadiste du 09 janvier perturbant la stratégie attentiste de la France ait été bien occultée.
C’était aussi la dénonciation des stratégies occidentales et d’Africom, de Recamp (en oubliant que ce projet devenu européen viserait d’abord à soutenir logistiquement les forces africaines en intervention et non d’agir à leur place. La seule stratégie valide reconnue avait été le maintien des forces prépositionnées (A méditer pour le prochain Livre blanc). Il était intéressant de voir W.Leday évoquer que la France devrait avoir une « diplomatie publique » comme dans l’OTAN, un des volets de la communication stratégique, tout en restant sur place militairement plus discret.
JF Bayart reprochait aux gouvernements précédents de ne pas avoir fait grand chose depuis les années 1980, d’avoir imposé des politiques structurelles (il semble oublier le tonneau des danaïdes de la coopération en Afrique), d’avoir utilisé l’argent de l’Europe et de l’ONU pour engager des opérations nationales, ce qui susciterait aujourd’hui des réticences de nos alliés européens à intervenir. Il a mis en valeur le travail de François Hollande notamment vers l’Algérie, rappelé aussi que le nord du Mali comportait pendant la guerre d’Algérie une wilaya et avait été une zone d’entraînement du FLN. On y revient toujours.
Ce chercheur a exprimé une approche socio-économique un peu surprenante résumant le conflit à une question de développement et pas ethnique ou religieuse. Il a aussi évoqué la question foncière qui s’apparenterait à l’Afghanistan. Cette approche mériterait sans doute d’être approfondie dans ce contexte d’opposition entre population arabe et population noire, entre nomades et sédentaires mais aussi entre islamistes intégristes et musulmans modérés, Etat (pas de « droit » aujourd’hui) et trafiquants de tout type. Il a cependant reconnu qu’il était impossible de sécuriser le Nord Mali sans une force militaire permanente importante.
Tout ceci montre l’intérêt d’une réelle réflexion stratégique. L’annonce d’un départ en mars semble donc bien présomptueuse et les combats sporadiques notamment à Gao l’ont montré le 21 février. Les actions de guérilla et les opérations kamikazes expriment la phase suivante de la stratégie de l’ennemi à laquelle il va falloir répondre sans faiblesse. Les pertes peu apparentes initialement durant ce conflit s’accroissent et prouvent l’intensité des combats. L’expérience française acquise en Afghanistan sera sans aucun doute utile et devra aussi être transmise à nos alliés africains mais cela ne se fera en quelques semaines.
Bien sûr, on pourra toujours médiatiser quelques retraits de forces françaises mais quel mauvais message et quel « bon » encouragement aux djihadistes qui attendent seulement d’être confortés dans leur stratégie à long terme de conquête. Au contraire, l’engagement doit être total.