Que dire de cette étude qui tombe à point nommé à la veille des élections iraniennes du 14 juin 2013 ? Du bien, car originale, et l’originalité m’a toujours séduit. Il faut cependant ajouter à sa lecture une analyse par le centre de recherche des Ecoles de Coëtquidan sous le prisme spécifique des élections iraniennes.
Les éditions Lavauzelle ont publié cet ouvrage dans la collection « Renseignement, histoire et géopolitique » qui aborde à la fois le renseignement et la géopolitique. Divisée en deux séries, l’une « Etudes » est dédiée aux questions actuelles ou historiques, l’autre « Documents » se destine aux rééditions des livres anciens ou à l’édition de textes inédits. Les éditions Lavauzelle ont longtemps été associées à la diffusion de la pensée militaire et ce rebond après une certaine éclipse me paraît une bonne nouvelle.
Cela montre aussi un réveil certain de l’intérêt pour les questions géopolitiques au sein de l’institution militaire et donc une certaine réappropriation de la recherche par les armées. Elle redonne la parole à des chercheurs civils et militaires. Elle permet une réelle symbiose entre l’université et les praticiens de l’art de la guerre. Cela ne semble pas inutile pour éviter que les analyses du monde et des relations internationales ne soient que le seul résultat des « stratèges » en chambre.
Après tout, ceux qui font – ou feront la guerre -sont les premiers concernés me semble-t-il par ce domaine qui ne limite pas à la simple manœuvre des moyens militaires. La contribution à la définition des buts de guerre d’une campagne est aussi une des responsabilités des chefs militaires qu’il faut rappeler en cette période où leur légitimité est amplement contestée.
Sous la direction de Thomas Flichy, professeur à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, cette étude sur l’Asie centrale (2013) imagine les conditions d’une recomposition géopolitique en Asie centrale à travers le concept de l’éphémère empire mongol du XIIIe siècle qui pourrait se reconstituer à partir d’une alliance entre l’Iran, la Russie et la Chine, idée innovante bien que peu réaliste à la fin de la lecture. Il permet en revanche d’ouvrir le champ des hypothèses et de développer une réflexion originale.
L’étude présente donc les relations entre trois Etats peu démocratiques, fortement peuplés (1,5 milliards d’habitants), disposant de ressources dont l’Europe a besoin (40% du charbon et 50% de l’uranium mondial – confirmant l’intérêt stratégique de la France à préserver ses approvisionnements en Afrique pour ce minerai), une zone à la fois riche en gaz et en pétrole mais tout aussi vitale pour leur acheminement. Une convergence des orientations politiques, militaires, économiques, informationnelles dans une nouvelle représentation du monde pourraient avoir une influence majeure sur la sécurité de l’Europe dans les années à venir.
Certes, cette alliance évoquée au sein de cet empire mongol fédérateur, même si un fondement historique a existé, répond avant tout à l’affirmation d’une réaction anti-américaine. Cependant l’Europe pourrait être un dommage collatéral de cette union ou être soumise à différents chantages pour qu’elle réfrène un soutien « civilisationnel » aux Etats-Unis. Certes ceux-ci se désengagent au profit de la zone Asie Pacifique mais en sont-ils moins occidentaux, moins proches de l’Europe pour autant ? Le soutien de l’Europe aux Etats-Unis et inversement reste encore à mon avis incontournable mais la question de l’influence de cet « empire mongol » sur ces liens mérite d’être posée à terme.
Les analyses historiques de cet empire montrent cependant que les relations ont été essentiellement bilatérales : Chine – Iran, Iran – Russie, Chine – Russie. Les différences civilisationnelles sont majeures et semblent difficilement compatibles sauf par des convergences temporaires d’intérêt à moins que l’un des acteurs n’ait une vision stratégique d’une telle alliance dans les trente ans à venir. La Chine, pour qui le temps compte peu, pourrait avoir cette ambition.
Néanmoins, cette référence à un nouvel empire mongol aboutit curieusement dans cette étude à montrer une « extraordinaire influence du monde turc » d’hier à aujourd’hui. En quoi ce noyau turcophone certes fortement présent en Asie centrale pourrait-il être un centre de pouvoir et d’influence ? Comment évoquer cette hypothèse sans étudier la Turquie elle-même qui subit actuellement une forme de « printemps turc » ? Elle a en outre une politique active vers l’Asie centrale qui pourrait être difficilement compatible avec une vision stratégique d’un hypothétique empire mongol rassemblant la Chine, la Russie et l’Iran, surtout si l’on se réfère à une approche religieuse montrant des islams fortement opposés.
J’évoquerai enfin ce quatrième chapitre consacré à la cybercommunauté de l’information qui me laisse dubitatif. Elle n’est ni définie ni présente en tant que telle. En revanche, la perception des relations internationales par les médias de ces trois Etats est tout à fait intéressante mais le cyber ne doit pas s’immiscer partout.
Reste la problématique du nucléaire militaire peu abordée dans ce document et bien sûr le cas de l’Iran, considéré comme une menace pour l’Europe dans le Livre blanc. Il n’est pas sûr que l’empire mongol évoquée réussisse (et souhaite) à contrôler l’Iran dans son acquisition de l’arme nucléaire. En revanche, l’hypothèse d’une convergence de ces trois Etats dans la stratégie nucléaire aurait été un sujet sans doute à développer.
Il faut lire à ce titre « Iran, le retour de la Perse », ouvrage paru en 2009 et écrit par Ardavan Amir-Aslani, avocat d’origine iranienne spécialisé en droit international. Outre l’évocation de l’Iran et de la Turquie comme puissances régionales, il souligne l’adhésion de l’ensemble des Iraniens à la possession de l’arme nucléaire, symbole d’une fierté nationale, mais qui laisse peu de place à son abandon par l’Iran (il a aussi publié en 2013 Iran et Israël Juifs et Perses, autre ouvrage tout à fait intéressant).
Pour conclure, l’originalité de cette étude réside sans aucun doute dans l’analyse d’une zone du monde que nous le connaissons mal mais potentiellement sensible pour notre futur et notre sécurité. Cette approche moins centrée sur une vision européenne des relations internationales représente donc une plus-value importante à notre réflexion.